Le faneur
Jean Claude Blanc
Le Faneur
Dieu sait à quoi il pense, le faneur de juillet
Retournant son fourrage, à grands coups de râteau
Sous son chapeau de paille dégouline la sueur
Plongé dans ses secrets, il a la tête ailleurs
Sa danse exécutée comme une valse lente,
Voltigent dans les airs des paquets de brindilles,
Cadence minutée sans gestes inutiles
Le faneur se déhanche au rythme de ses pas
La femme à son fourneau fait tourner la baraque
Se sont connus jadis, là-haut sur les bruyères
Par un matin d'été, en gardant les moutons,
Evocation sublime, les amours n'ont qu'un temps
Mais à peine mariés, fallut reprendre le manche
La conduite de la ferme, les terres et les troupeaux
Aller faire les marchés, sur la place du village
Pour vendre les fromages, les œufs frais du panier
Dieu sait où vont ses songes, rêveur sur son nuage
Compte-t-il dans sa tête, la fortune de sa bourse
Avec parcimonie, les sous du bas de laine
Ou simplement dénombre la somme de ses idylles
Ce qu'il ne faut pas faire pour un morceau de pain
Maintenir sa famille, à l'abri du besoin
Et puis quand çà veut rire, régaler l'ordinaire
D'une brioche odorante, le dimanche matin
Car on a rien sans rien, faut même marner dur
Les prairies d'altitude, elles sont un peu chochottes
Faut les entretenir, les bichonner sans cesse
Eloigner les orties, fougères et vermines
Plus grand monde aujourd'hui pour ranimer la flamme
Qu'est-ce qu'on va devenir, on est plus que des vieux
Broussailles et chiendent, genêts tentaculaires
Grignotent doucement les plateaux en jachère
Ce putain de soleil tape sur le cassis
Un litron de gros rouge, rafraichit dans le bief
On s'envoie un canon par-dessus le gosier
Çà va faire du bien, du bien par où çà passe
Une rasade de nectar, pour tuer le vague à l'âme
Le faneur enjoué, se fend d'une bourrée
En sautant à pieds joints, poings fermés sur les hanches
La danse de la St Guy, juste pour se défouler
L'ouvrage n'attend pas, faut bien y retourner
En se grattant le front se dit finalement
Qu'il faut s'accaparer, tous les moments d'ivresse
L'existence se débine telle malicieuse anguille
Qu'est-ce que je fous ici, j'aurais bien du partir
J'ai passé des concours, pris dans les PTT,
Patrimoine tutélaire, hérité des anciens
Fallait un supplicié, c'est moi qui suis resté
Imbécile que je suis, il compulse avec rage
De son râteau de bois, l'amas d'herbes séchées
A force d'acharnement à tout bien ratisser
Se dessine devant lui une magistrale allée
Travail de galérien dévolu à sa glèbe
Reste plus qu'à atteler, remplir sa charrée
Pour oublier fatigue, ampoules et courbatures
On se raconte des histoires, çà passe un moment
Se fera pas prier pour passer au pageot
Une soupe engloutie, une portion de fourme
Le couteau essuyé, rangé dans le veston
Demain il fera beau, faudra se lever tôt
Agriculture un art, j'en retiens le suffixe
A chacun sa façon d'enjouer sa partition
Le faneur silencieux, sait qu'il n'a pas le choix
Çà gagne pas beaucoup mais on fait son devoir
Quel métier merveilleux, les touristes à la route
Mitraillent le laborieux, pendu à sa besogne
Il faut en profiter, çà sera plus qu'un zoo
On viendra contempler, les rares spécimens
C'est ce qu'il se dit le brave, paysan d'un autre âge
« Après moi le déluge, pour l'instant c'est la croûte
Qu'il faut aller gagner, sans férié, sans dimanche
Feront ce qu'ils voudront, serai plus là pour le voir »
Une chanson de gestes, inspirée du faneur
De ses allées venues sur le coteau flatteur
L'alliance de l'outil avec le travailleur
Symbolique harmonie de l'Homme et la nature
Octobre 2022, son monde a bien changé
Par chance ne le voit pas, est mort et enterré
Il fallait un témoin, alors m'y suis collé
En consultant seulement quelques vieux éclopés
Qui se rappellent encore, ce qu'était leur condition
La mémoire s'alimente de gestes, coutumiers
Qu'il faut perpétuer aux jeunes générations JC Blanc octobre 2022 (des rites d'un autre âge)