Le Festin du Roi
mineka-satoko
Il a faim, je le vois. C’est simple, pour me le faire savoir il se blottit contre moi, se frotte et tente de me séduire à grands coups du reflet de ses yeux mordorés, indicible mais tacite reconnaissance du ventre par anticipation. Un domestique talent de séduction a, au cours de sa multiple vie, remplacé le primitif instinct de la chasse. Et bien plus que ses mouvements mesurés et gracieux, ce sont ses yeux presque bridés qui trahissent son désir.
Il plonge son regard dans le mien. Nous nous mesurons. Je ne suis pas de taille à refuser ses faveurs.
La moustache frémissante, le pelage langoureux, il lève vers moi une petite tête triangle qui hurle silencieusement la promesse de sa douceur en échange d’un festin.
Le chat ne quémande pas : il ordonne, il est le roi.
Fascinée, je le regarde tracer avec charme et agilité la route qu’il m’invite à suivre vers le lieu du festin. Je me lève, il se sait vainqueur. Avec l’indulgente patience qui caractérise les monarques et les félins, il attend, et m’observe de son séant dresser sa table, m’affairer en cuisine, préparer la boisson, réchauffer la viande en sauce, ôter les petits légumes que ne tolère pas son Auguste félinité, et briser la gelée : sa majesté pelage est très exigeante.
En courbant l’échine devant mon chat, en une imperceptible révérence, je l’invite au festin du roi. Avec toute la grâce et le sérieux des plus grands chefs d’état, je le vois qui interroge son assiette du coin de la moustache.
J’attends le verdict, non sans la déférence due aux félins de son rang. Mais avec dédain, mon chat boude son festin. Et c’est abasourdie, d’un œil morose mais fasciné que je le vois, lentement, se diriger vers moi, me dépasser, bondir lestement sur ma commode, et déguster avec avidité, à quelques pas seulement de son assiette, les feuilles de mon bonsaï que des générations de japonais se sont évertuées à maintenir nain.
Ainsi sont les rois, ainsi sont les chats.