Le fil...

plume-aiguisee

Juste un murmure, à peine un frisson, un mouvement imperceptible tant il est banal et pourtant si précieux. Un flux plus ou moins tendu qui oscille au rythme des émotions, un fil qui nous lie à la vie

 Je savais ce matin-là du 28 février qu'il ne fallait pas, mais j'ai écouté ma raison au lieu de mon cœur. Je t'ai quitté ce matin-là, moins rassurée encore qu'à l'accoutumée, nous venions de finir de passer la nuit ensemble, toi lové dans mes bras et moi te regardant somnoler. Si j'avais été sereine, j'aurais fermé les yeux et rejoins le pays des songes, je n'ai fait que te regarder.

Un coup de fil, le mot n'a jamais aussi bien porté son nom. Quand le téléphone a sonné, quand la voix de ton père a résonné au creux de mon oreille, avec cette oscillation qui ne lui est pas commune, je savais déjà que ce coup-là serait fatal à mon petit cœur de mère…

4 lettres, un mot, et malgré toute la bienveillance de ton papa chéri, l'effondrement ce qu'il restait de ta mère en entendant ces mots terribles, "La crèche a appelé le SMUR pour notre fils".

Liquéfiée. Les jambes en coton, et l'esprit embrumé. Ce qu'il y a entre les deux ne répond plus de rien. Je suis si loin de toi. Toi qui peines à respirer. Toi qui te creuses pour aller chercher un filet d'air. Toi que j'ai laissé à la crèche ce matin sachant parfaitement que tu n'étais pas au meilleur de ta forme. Toi qui maintenant est entouré de tout un tas de médecins et de pompiers que tu ne connais pas. Et moi qui ne suis pas là pour te prendre dans mes bras.

La route a défilé ce jour-là. 29 km c'est une distance impossible à parcourir quand son enfant est sur la route des urgences. Sans maman. Sans papa. Et je suis bien incapable de te raconter ce que j'ai fait pendant tout ce temps qui m'a séparée de toi. Je suis comme anesthésiée de ce moment. Moi qui retiens tout, je ne me souviens de rien. Le vide. Et l'unique pensée qu'il me reste est celle que vous dirigeais, à toi et à Maya à ce moment-là. A toi pour que tu respires. A Maya pour qu'elle ne soit témoin de rien, qu'elle soit restée dans son petit monde à deux portes du tien à la crèche, entourée de ses amis, et moi priant pour ne pas qu'elle demande à venir jouer avec toi. Qu'allait-on lui raconter ? J'en avais le sang glacé.

Un tout petit fil vert. C'est ce que j'ai vu en premier. Le petit fil vert qui était censé tenir ton masque pour t'aider à respirer. Drôle de couleur. Je me souviens avoir pensé cela en te prenant enfin dans tes bras. Tu étais blotti sur papa blanc comme un linge, et tu retrouvais l'air paisible de l'enfant qui respire sans difficultés.

Au fil des conversations, nous avons été tour à tour de merveilleux parents et des parents trop protecteurs. Des parents fort et des parents effondrés d'apprendre que tu avais peut-être un asthme du nourrisson. Des parents perdus surtout. Des parents inquiets de rentrer à la maison à temps pour que Maya ne sache pas l'angoisse que nous éprouvions. Des parents impatients de te savoir assez forts pour te ramener à la maison le soir même.

Bien sûr nous continuons nos rendez-vous nocturnes confidentiels. Bien sûr tu te loves toujours dans mes bras. Bien sûr je te regarde dormir d'un sommeil heureux. Mais au fil de la lune qui croise et décroise, pour la première fois cette nuit, j'ai cessé de compter tes inspirations. Je t'ai reposé dans ton lit sans penser à garder ma main sur ton torse pour vérifier qu'il se soulève. J'ai posé un doux baiser sur ton front en te souhaitant une nuit paisible, j'ai recouvert ta sœur pour ne pas qu'elle prenne froid. J'ai posé un câlin sur sa petite main qui dépassait et j'ai rejoint votre père. Et en allant éteindre la veilleuse, j'ai vu sur la table, un petit fil vert. Celui qui avait retenu ton masque. Celui que j'avais emmené pour apprendre à ta sœur à nouer ses lacets parce que j'ai horreur des chaussures à velcro. Et j'ai ri….

"Quand la vie ne tient qu'à un fil, c'est fou le prix du fil…"

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