le foulard rouge
hectorvugo
Ce fut en ouvrant la porte que je découvris la chose. L’appartement était vide. Plus rien ne subsistait. Tu étais partie avec les enfants. En la circonstance j’étais en droit d’attendre un mot, une explication écrite à ce geste dont je n’avais rien vu venir. Ce mot je ne le trouvais nulle part.
J’étais debout, le bras gauche tendu contre un mur blanc, anticipant le malaise, la chute, le moment inéluctable où je m’écroulerais et déverserais un chagrin qui n’attendait que son expulsion.
Si tu savais comme la douleur est grande quand elle hésite à s’exprimer. Identique à un accouchement. Enfin ma connaissance du sujet se limitait à la proche périphérie de l’événement. Je l’avais vécu deux fois de prés, deux fois avec toi.
Dans ces instants intimes je croyais que nous avions partagé l’insondable jouissance de donner la vie, et par la même crée une communauté intemporelle qu’aucun malheur ne viendrait briser.
Je m’étais lourdement trompé.
Tu ne m’avais rien laissé. Absolument rien. A croire qu’un huissier avait participé à cette spoliation. La cuisine, le salon, la salle à manger nus, idem pour la salle de bain, la chambre, sans oublier le dressing.
Je n’avais même plus de quoi m’habiller. Il ne me restait qu’un costume noir, celui que je portais, un imperméable que j’avais abandonné sur le seuil de l’entrée, et mes papiers coincés dans la poche intérieure de mon blazer.
La pluie emportée par le vent claquait sur la porte fenêtre. J’avais envie de l’ouvrir, de sentir l’air de l’automne me fouetter le visage, de voir la ville par la loggia.
J’étais sonné, presque délester de mon libre arbitre. En quelque sorte un légume doué de raison puisque l’idée de me suicider ne m’avait pas encore traversé l’esprit.
Et si elle me venait à cet instant-là, à ce moment précis où ma main touchait la poignée ?
Oui j’allais ouvrir la fenêtre et sauter pour de bon..
Le scénario était cousu de fil blanc, couleur synonyme de deuil chez les japonais. Je n’étais pas mécontent d’imaginer ma mort prochaine, mon enterrement, le peu de monde présent à mes obsèques, car c’était certain, ton départ fracturerait notre monde : la famille, les amis, les relations lointaines. Je deviendrais à leurs yeux le salaud de service, incapable d’assumer l’échec de notre couple.
Belle perspective.
Sauf qu’un détail m’en empêcha ou plutôt une voix. Une voix haute perchée entre la vieille hystérique et la gamine à qui on aimerait donner deux claques.
- Ce n’est pas faute de t’avoir prévenu Du schnock !
- Je jouai le sourd, un court moment de silence.
- Tu fais la gueule parce que je te parle mal. Tu pourrais me répondre au moins
- Mais à qui ?
- Le foulard rouge sur la poignée de la fenêtre, c’est lui qui te parle. C’est moi quoi !
- C’est une blague
- Non je t’assure
- Mais on s’est déjà parlé ?
- J’ai essayé hier, mais t’as rien voulu entendre
- Je ne vous crois pas
- Arrêtes avec ce vous à la noix, on se connait depuis trop longtemps pour ça. Avec moi c’est le tu ou rien !
- Comme tu veux
- Bien tu deviens civilisé. Tu sais mon vieux comme le bonheur rend con.
- Qu’est ce qui te fait dire ça ?
- Toi. Si tu t’étais vu encore hier avec Cécile et les gosses. C’était pathétique
- Je n’avais pas le droit d’être heureux ?
- Non pas là.
- Et pourquoi ?
- Et pourquoiaaaaa !!! Parce que ta femme était malheureuse !!! Ca te suffit comme explication. Ma parole il n’y a pas que le bonheur qui rend con !!
- Qu’est qui te fait croire qu’elle était malheureuse ?
- Elle m’a porté sur son cou jusqu’à hier. Tu comprends que j’ai été assez proche d’elle pour savoir certaines choses.
- Comme quoi ?
- Comme quoi tu bandes mou, tu ne fais pas la vaisselle, tu ne torches pas les gosses, tu ne les aides pas pour les devoirs. Bref t’en branles pas une.
- Je ne te permets pas. Et puis je trouve que tu as une façon de parler assez décevante pour…
- Pour un foulard Chanel. C’est ton opinion. Ne détourne pas le sujet tu veux. Revenons à toi mon grand. Tu savais que Cécile avait une relation extra conjugale ?
- Non et avec qui ?
- Devine
- Je ne suis pas d’humeur à jouer
- J’y crois pas ! Ne me dis pas que ne t’étais pas au courant. Voyons t’as jamais senti un autre parfum dans le cou de Cécile ?
- Non à part son « Coco Mademoiselle »
- T’es con et t’as le nez bouché aussi. T’es dramatique mon grand. Ces dernières semaines son cou sentait le « J’adore » de Dior
- Qu’est-ce que ça prouve ?
- Tout. Qu’elle fréquentait une femme.
- Quoi !
- Ne me regarde pas avec tes yeux de merlan fri. Cécile est lesbienne. Enfin elle l’est devenue. Grâce à toi.
- C’est le bouquet.
- Tu veux un conseil
- Au point où j’en suis. Vas y
- Tu quittes cet appart, tu refais ta vie ailleurs. Et vite. C’est que sans cou de femme je suis paumé moi. Tu vas t’en sortir vieux. T’inquiètes un foulard Chanel ça se recase aussi facilement qu’un homme.
Quel beau slogan.
Qui l’eut cru. Six mois plus tard j’avais à mon bras une superbe brune. Son cou portait un foulard rouge aussi muet que sa marque prestigieuse.
Nous étions heureux et avions l’esprit large. Au point d’assister au mariage de Cécile et Claire.