LE GEANT

giuglietta

Conte des Dunes

LE GEANT

Dans les Dunes vivait un Géant.

Il y vivait heureux et y prenait des bains.

Le jour, de longs bains de sable, et sa peau était douce car le frottement du sable en affinait le grain.

De longs bains de soleil et sa peau était rose au printemps. Rougissante l'été et dorée comme un caramel à l'automne.

L'hiver, comme tout le monde, le Géant était blanc, sauf pour les gens qui sont noirs, se confondant avec le ciel pale sous lequel le sable des Dunes blanchissait aussi.

Les soirs -sauf en hiver- le Géant se baignait aussi, seul, dans l'Océan. Il s'ébrouait, éclaboussant le haut vol des oiseaux.

Des bains de sable, de soleil et de mer.

Le Géant aimait ça, pourtant, plus que tout, il aurait bien voulu se prendre un bain de foule.

Mais c'était interdit.

A proprement parler -le Géant était, on s'en doute, d'une propreté admirable- il n'existait pas d'arrêté municipal, départemental, encore moins régional, pour les lui interdire, ces fameux bains de foule.

Sur la Plage, en bas des Dunes, aucun panneau ne portait l'inscription : Interdit aux Géants !

L'accès de la Plage n'était pas permis aux chiens, aux pique-niques, aux fumeurs, aux nomades, aux démarcheurs, aux naturistes, non plus qu'aux vendeurs-à-la-sauvette.

Depuis peu, un employé de la Ville avait rajouté sur ordre du Conseil : Interdit aux migrants !

La peinture était fraîche.

Toutefois, le Géant le savait, il lui fallait éviter de se promener le long de l'Océan, au milieu des serviettes, parasols, bouées, transistors (les transistors étaient interdits, mais comme tout le monde téléphonait en été sur la Plage, personne n'avait le temps d'écouter la radio).

La Maman du Géant le lui avait répété autrefois, bien souvent :

tu ne dois jamais, l'été, te promener aux heures de pointe sur la Plage

oui Maman

Sa Maman était morte depuis plutôt longtemps. Tellement longtemps que le Géant se souvenait à peine de son doux et large visage, de ses yeux comme des soucoupes, sa poitrine dodue comme ses fesses, ses mains épaisses de Maman, de son gros ventres ni de ses vastes pieds.

Elle était morte lorsqu'il avait cinq ans. Il l'ignorait, mais savait bien qu'alors, il n'était pas si grand.

Et aujourd'hui, au fond, c'était encore un tout petit Géant.

Qui, souvent, se sentait seul, malgré les lointains oiseaux, les bains de sable, bains de soleil et bains de mer.

La solitude, on le sait, peut vous rendre imprudent.

Aussi, un jour d'ennui, car parfois l'ennui va de pair avec la solitude, le petit Géant s'avança à grands pas, imprudemment, hors des Dunes, abordant la Plage interdite, et l'on était début septembre seulement.

Alors, des cris, des rires étranglés, des envols de serviettes, des lâchers de portables, de bouées, des menaces l'accueillirent et lui firent si peur qu'il s'enfuit bien vite, à larges enjambées tout au creux de ses Dunes.

Haletant, il s'enfouit dans le sable. Et pleura, comme font les enfants que la méchanceté, la première fois, surprend.

D'une main bouchant son nez, et de l'autre creusant, il s'enfonça toujours plus dans le sable, comme c'était amusant, peu après il avait creusé un tunnel et peu après encore -le temps n 'est pas le même dans la vie des Géants- surgit enfin...au milieu de Dunes, de Dunes de sable blanc.

Étonnant.

Alors, pour affiner le grain de sa peau, il prit des bains de sable.

Par habitude prit aussi de longs bains de soleil. Le soleil était chaud, fort, brûlant. Il devint noir, comme tout le monde, sauf pour ceux qui sont blancs.

Et un jour,soudain, des noirs l'entourèrent, dansaient autour de lui et voulaient le toucher,le prier, l'adorer peut-être et ils étaient gentils pensa-t-il, comme avant sa Maman.

Le Géant prenait enfin son premier bain de foule. C'était une petite foule, le campement de quelques nomades seulement.

Désormais, grandissant toujours plus dans l'infini des Dunes, le Géant prend encore et encore des bains de sable le jour, et des bains de soleil souvent. Une fois l'an, les nomades reviennent, et sans notion du temps, il les attend un peu, chaque fois il est content.

De prendre un bain de foule...pourtant... il regrette l'Océan.

Regrette l'Océan mais sait qu'il est facile d'exaucer ses rêves : il suffit de retenir son souffle, et de creuser obstinément.

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