Le goulasch.

Betty va le samedi aux courses. Son cheval à elle, c'est bien plus le shopping que le supermarché. Sur sa liste, il y a bien pourtant de marqué, bavette, boudin, dentifrice, poireaux, Knorr, sel, carottes, epinards, échalotes, mais jamais Dior ni Louboutin, alors que je reste toujours étonné du prix de son ticket de caisse. Sans doute justifie-t-il une agriculture souffrante, une agriculture dont l'inflation dépendrait du prix de ses cagettes ?

« Tu voudrais quoi ? Que je fasse la queue dans un Lidl pour entasser un chariot de merdes ? Faut de temps en temps savoir prendre l'air, se servir chez les petits producteurs ! »

Betty aime les gens qui travaillent de leurs mains, les gens qui dans un petit morceau de vache ou de taffetas Persan, améliorent la condition animale et Qatarie.

« Avec mes pompes et mes robes, je fais pousser l'herbe plus verte et creuser le pétrole plus profond ! C'est pas avec tes putains de bûches de proximité dans ton putain de poêle en pierres de pays qu'on va faire tourner le monde ! »

Il est vrai que depuis la COVID et le confinement, je me satisfais de mon attitude éco-responsable, de cette attitude de bon citoyen envers la sauvegarde de mon peuple. Il me plaît désormais à caresser les feuilles de mon jardin et le poil de mes chats, à parler sans complexe de ma vieille cocotte-minute Seb en aluminium du Creusot sans me prendre dans la gueule une volée de woks en tôle étamée de Taiwan, à admirer mes volets de bois vert d'un parc accrobranche ayant fait faillite, ainsi que le bout de mes pieds et de mon nez.

Pour oublier notre état d'esprit, on occupe notre temps à bricoler n'importe quoi pour faire genre ailleurs. Je cloue des clous sur des planches, Betty agrafe des agrafes sur des feuilles. Elle fabrique des dossiers qui iront dans des pochettes. Je bricole la bibliothèque pour qu'elle aille mieux.

« Pour ce que l'on lit, tu ferais mieux de nous construire un placard à vaisselle que plutôt rafistoler cette étagère ! La vaisselle ça prend pas autant la poussière qu'un livre, et surtout bien moins de place une fois bien rangée sur la tranche ! »

« Mais Betty, tu voyages pas autant avec une assiette  qu'avec un livre ! C'est quand même faire l'impasse sur mon Moby Dick... mon 20 000 lieues sous les mers... mon Tour du monde en quatre-vingts jours... »

« Parce qu'avec un tajine, un poulet coco ou un canard laqué tu voyages pas, toi ? Faut te les montrer sur une carte pour voir d'où ils viennent ? »

« Tu parles ! Quand on prend des plats du monde, ils sortent tous de chez ta copine Monique ! Bonjour les voyages ! Ils sentent plus le papier peint à fleurs, que l'huile les olives ! »

« Ben tiens, en parlant de Monique, tu sais quoi ? »

« Vas-y ! Balance ton gâteau ! »

« Elle traîne en ce moment avec un Tchéquistanais ! »

« ??? »

« Un mec de la Tchéquie ! »

« Tu crois qu'on va avoir du goulasch ? »

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