Le grand soir

novembre

Les convives en richesses descendent sans décélérer de la longue file de taxi qui étoile les ténèbres du vieux port. Sous l’effet du grand soir, les cheminées du paquebot paraissent immédiatement tels des troncs d’arbres centenaires et mélancoliques, les fumées s’en réchappant tranquillement donnant l’illusion de feuillages nuancés de violet. Contre les flancs de la coque, ruisselants de reflets, les hublots s’allument par intermittence, tantôt longs et tantôt courts comme les signaux mystérieux d’un code en morse et à mesure qu’il s’en allume la joie monte aux cœurs des nouveaux arrivants. Les membres de l’équipage accueillent le défilé de la foule, prêtant à volonté leurs mains à ces dames, délestant prestement ces dernières de leurs bagages ; sombres et carrés tels des armoires en marinières, leurs torses attirent comme des miroirs les femmes scintillantes, luisantes, enrobées d’étoffes et d’ombres parfumées, enflammées de chapeaux diversement fleuris. Le salon principal du bâtiment abrite tout le luxe des départs plus l’ambiance nocturne. Sur l’estrade centrale et augmentée, un ensemble orchestral reproduit de fameux airs dans l’indifférence générale. Le dîner des illuminations a été dressé pour des archipels de tablées installées sur des pelouses de tapis persans entre lesquelles des serveurs noirs et blancs zigzaguent en vrillant, tenant dans leurs mains gantées des plateaux d’argent où s’élancent des bouteilles de vins pâles. Un lustre en faux cristal, le vrai moteur de tout ce spectacle, rayonne sur l’assemblée. Or, on savoure, on déguste en musique dans des verres mélodieux, à l’avance, la saveur invective des grands vents ; déjà, fort de mille sabrements, on aborde des rives vertes et denses et déjà d’impétueux messieurs descendent ce que des langues savantes désignent comme étant l’escalier expressionniste des côtes africaines, tandis que leurs femmes à la mode, piochant ponctuellement du bout des doigts dans les jeux de petits fours, rêvassent à des colliers d’escales, leurs yeux noyés dans l’or fondu de leurs verres de champagnes. Sur les terrasses du pont supérieur, certains invités venus fumer une clope ou deux, lanternent, désignant de leurs doigts bagués le ballet des grues, que la nuit a laissé figé en des poses de contorsionnistes au-dessus des terrains vagues et éteints du chantier naval. Ci-et-là, dans l’obscurité fraîchement éventée des promenades, des lueurs bleutées de smartphones éclosent comme des lucioles, virevoltant entre les mains invisibles de leurs propriétaires pendant quelques secondes, l’instant d’une immortalité, puis disparaissent. En vérité, le capitaine, romantique, claironne à qui veut l’entendre que le départ est pour l’aube : le paquebot tartinera d’écume la piste du lointain levant.

  • Je préfère les petits soirs, loin des dorures, mais l'atmosphère est si bien retranscrite, que c'est comme si. J'ai une peu de mal à cerner par contre le rythme, l'impression que tu ne t'embarrasses pas de ça, mais c'est peut-être juste que je ne l'entends pas. Les archipels de tablées, les colliers d'escales, gros +, tout ce jeux sur le vocabulaire marin, aussi parce que ça coule limpide, sans gras.

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Avat

    hel

    • Qu'entends-tu par le rythme ? Celui des phrases, ou de l'ensemble ?

      Et merci pour le commentaire, ça me touche. Peut-être écrirai-je la description d'un petit soir, bientôt, auquel cas je ne manquerai pas de te l'envoyer !

      · Il y a plus de 10 ans ·
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      novembre

    • Hum je ne sais pas si je vais arriver à rendre ça audible, mais c'est quelque chose que j'avais déjà ressenti en lisant tes textes plus courts, je ne trouve pas la musicalité, je n'ai pas l'impression quand je te lis que tu accordes une importance à la façon dont résonne le tout (donc oui l'ensemble, mais en fait pas que). Mais c'est peut-être juste que tu as ta musicalité propre ...Sur tes textes plus courts ça m'avait perturbée un peu, la découpe, l'enchainement des sons, étranges. Finalement l'impression par moment que tu as une écriture assez brute en un sens, sans fioritures.

      Si le petit soir voit le jour, je le lirais avec curiosité! =)

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Avat

      hel

    • J'accorde beaucoup d'importance à la musicalité de mes textes dans la mesure où je fais attention aux combinaisons et aux réseaux de phonèmes , mais sans doute qu'après plusieurs années à écrire des vers classiques, je me suis désintéressé de la musicalité fluette et liquide au profit d'un rythme heurté, d'une musicalité baroque.

      Ou peut-être que non.

      En vérité, je suis perturbé par cette remarque.

      · Il y a plus de 10 ans ·
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      novembre

    • Il ne faut pas l'être, je crois que je comprends mieux, je dois avoir une oreille plus sensible au fluet, et quelque part, c'est bien ce que je pensais, une musicalité propre m'étant étrangère, ce que tu dois entendre par baroque , et heurté aussi, ce que je perçois en terme de coupure étranges. C'est une façon de concevoir qui m'est étrangère, donc ça surprend toujours un peu puis parfois ça élargit la perspective. Aussi.

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Avat

      hel

    • C'est chou :)

      · Il y a plus de 10 ans ·
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      novembre

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