Le jardin de l'horreur

Florence Garel

      On raconte qu’il existait autrefois un immense jardin  qui renfermait de sombres secrets. Le jour, il ressemblait à un eden. Mais quand la nuit tombait, il se transformait en un endroit lugubre. On dit que c’est là que furent enfermés les morts d’un couvent, détruit autrefois par les flammes. Toutes les nuits depuis, les pierres se levaient et les morts sortaient pour se nourrir. Ils traversaient le jardin et ouvraient le portail pour s’enfoncer dans la nuit. Des cris d’horreur et de terreur s’élevaient à faire pâlir de frayeur, même les plus courageux.

Ensuite, ils retournaient dans le jardin et reprenaient leur place sous la tombe. Cependant, certains osèrent s’aventurer à ouvrir l’immense portail noir alors que minuit était passé depuis longtemps. On ne les revu jamais. Il n’en resta que des ossements. Sans doute, eurent-ils aussi une place mortuaire. On dit aussi que se dressait au milieu une statue à taille d’homme. Ce serait celle du propriétaire qui, par un maléfice, se serait métamorphosé.

   « Ce sont des balivernes » Celui qui venait de parler était le docteur Ellington. « C’est pourtant ce qu’affirment les plus grands spécialistes en surnaturel » ; objecta un autre personnage, Thomas. Il tenait un livre dans ses mains et c’est ce qu’il venait de raconter au docteur. « Allons » ; dit celui-ci. « Ce ne sont que des légendes, des racontars pour terroriser les niais et les imbéciles ». Mais Thomas ne fut pas d’accord. « Certains témoins affirment avoir vu des silhouettes étranges sortir du jardin. »

Ellington éclata de rire. « Ils étaient ivres sans doute. Tout cela est complètement absurde. » Thomas préféra rester prudent et ne dit rien. « Pardonnez-moi de vous interrompre » ; dit une voix masculine. « Mais je me range de l’avis de ce jeune homme ». Tous les deux tournèrent la tête. « Permettez-moi de me présenter, Aristobald ». On n’a pas idée d’avoir un nom pareil; songea Thomas en grimaçant. Ellington se renfrogna « Quoi ? Vous aussi vous croyez en ces sornettes ? » Aristobald sourit. « Mais oui. Un de mes amis affirme qu’il a vu quelqu’un entrer  dans ce jardin. Figurez-vous qu’on l’appelle « le jardins des pierres allongées », charmant, n’est-ce pas ? ».

            Thomas hocha la tête. «  Et donc, qu’est-il arrivé au gars qui était avec votre ami ?».  Aristobald ne souriait plus. « Et bien, c’est bien là le plus étrange. Il n’est pas revenu. Mon ami l’a attendu deux heures, puis il est parti. » Ellington leva les yeux au ciel. « Et il n’est pas allé voir ce qu’il devenait ? Il avait peut-être besoin d’aide ». Aristobald sembla embarrassé. « Et bien, il s’est approché, mais….il a entendu un cri horrible…inhumain.  Il a eu peur el s’est échappé. »

Ellington soupira. « Ah, pitié ! », s’exclama-t-il. « Je suis sûr qu’il ne s’est rien passé.  C’est une blague qu’il lui a fait. Il a attendu d’être loin de votre ami et s’est mis a poussé des cris pour lui faire une blague. Votre ami s’est fait avoir et il est parti en courant. » Il se tourna vers Thomas. « Ne l’écoute pas. Il te fait marcher. » Aristobald hocha les épaules. « Je vois, Monsieur joue les sceptiques. C’est votre droit. Mais laissez ce garçon se faire sa propre opinion ».

    Ellington s’abstint de répondre. « Mais pourquoi vous intéressez vous à ce jardin si particulier ? » ; demanda Aristobald. « J’ai un devoir à faire dessus » ; répondit Thomas. « Nous étudions les éléments surnaturels au lycée ». Aristobald lui fit un sourire éclatant. « Et c’est ce jardin que vous avez choisi ? Bravo, jeune homme. Vous en avez du courage ». Thomas se demanda pourquoi cet homme-là s’intéressait tant à ce jardin, mais il s’abstint de le lui demander. « Je compte aller le visiter dans une semaine » ; dit Thomas.

   Aristobald hocha la tête. « Très bien. Très bien ». Ellington sembla se poser la même question que Thomas car il s’adressa à Aristobald un peu vertement. « Dites donc, vous ! De quoi vous mêlez-vous ? Je ne vois pas en quoi cela vous regarde. Votre insistance est bien louche ! Pourquoi vous intéressez-vous tant à ce jardin ? » Aristobald leva les mains comme pour se défendre. « Du calme, mon ami. Je ne faisais que poser une question. Vous ne pouvez pas nier que ce jardin est fascinant. Je ne suis pas le seul à m’y intéresser ».

Ellington se calma. « Je ne suis pas  votre ami mais j’accepte vos explications ».Thomas, que cette discussion avait ennuyé proposa soudainement. « Et si nous allions tous les trois le voir, ce jardin ». Aristobald sembla enchanté. « Quelle excellente idée, mon jeune ami ! Je dois faire une conférence dans un mois. J’ai justement choisi, tout comme vous, de parler de ce jardin ». Hellington trouva étrange que ce fait n’ai pas été mentionné plutôt mais il jugea bon de se taire. Nous verrons bien ce qu’il en est.     Aristobald et Thomas continuèrent de discuter à bâton rompu et il fut convenu d’un rendez-vous lundi prochain à dix-neuf heures devant le portail. « Nous aurons le temps de le visiter avant que le soleil ne commence à se coucher », dit Aristobald. « Je dois vous quitter » ; poursuivit-il. « Le devoir m’appelle ». Ils leur serra la main et s’en fut. Ellington s’approcha de Thomas. « Etrange bonhomme » ; remarqua-t-il. Thomas renchérit. « « Mais il a l’air de savoir beaucoup de chose et il va m’aider à faire mon devoir ». Ellington secoua la tête. « Je pense qu’il va nous attirer des ennuis, je n’ai aucune confiance en lui ». Thomas leva les yeux vers lui. « Vous êtes jaloux, c’est tout. Il en sait plus que vous et ça vous énerve ».

           Ellington secoua la tête. « Non, Thomas. Je ne suis pas jaloux, juste inquiet ». Thomas le regarda avec surprise. « Vous, Docteur ? Vous êtes inquiet ? Allons donc ». Il rit. Ellington se força à rire aussi. « Je ne voudrais pas qu’il t’arrive quelque chose à cause de lui, Thomas ». Ce dernier secoua la tête. « Allons, Docteur. Que se passe-t-il ? Vous me faites peur. Tout à l’heure, vous disiez que c’était un tas d’histoires ». Ellington n’insista pas. « Ce n’est rien, Thomas » ; répondit-il en se forçant à sourire. Il lui pressa l’épaule amicalement.  « Nous allons faire une belle visite et tu pourras réaliser un très bon devoir ». Thomas s’écarta et le regarda dans les yeux. « Quand vous parlez comme ça, Doc., c’est que vous me cachez quelque chose ». Ellington soupira. « Tu me connais trop bien, Thomas. J’ai mes raisons de me méfier de cet homme. Je ne peux pas t’en dire plus pour l’instant ». Thomas compris qu’il était inutile d’insister. « Très bien. Gardez vos secrets ». Il regarda sa montre. « Il faut que j’y aille. J’ai un cours dans vingt minutes. Le temps de me rendre au lycée et ce sera l’heure ». Ellington sourit. « Je peux te déposer si tu veux ». Thomas renchérit « Oui, ce n’est pas de refus ».

            Ils partirent donc. « Et les autres, qu’ont-ils choisi comme sujet ? » ; demanda Ellington tout en regardant la route. Thomas haussa les épaules. « Rien d’originale, Doc. Juste les sujets que la prof. nous proposait ». Ellington sourit. « Je vois. Et toi, j’imagine que tu es le seul à avoir choisi un sujet  à titre personnel ».  Thomas lui rendit son sourire. « Exact, Doc. Je trouvais ces sujets plats et sans intérêt. J’ai demandé à la prof. si je pouvais choisir un sujet qui n’était pas dans la liste. Elle a accepté et puis voila ». Ellington hocha la tête. Ils continuèrent de parler jusqu’à ce qu’ils arrivent devant le lycée ». Ellington freina pile devant la porte. « Te voilà rendu, Thomas ». Celui-ci prit son sac, ouvrit la porte et bondit dehors. « Ok, à plus tard, doc. » Ellington sourit dans sa barbe et démarra.

           Le jour dit arriva très vite. Thomas était excité. Le docteur Ellington vint le chercher une demi-heure avant. Aucun des deux ne parla.  Aristobald vint les accueillir. « Vous voila. Je vois que vous êtes arrivés tôt. »  Bien qu’il ne fit pas encore nuit, le jardin, malgré sa beauté, parut lugubre à Ellington. Thomas sembla, lui, ne pas s’en apercevoir. Aristobald le leur fit visiter. « Vous connaissez bien ce jardin » ; remarqua Ellington. Aristobald ne répondit pas. Son sourire ressemblait à une grimace. Soudain, un brouillard opaque s’abattit sur eux. « Que se passe-t-il ? » ; s’exclama Thomas. Ellington aurait voulu le rassurer, mais il ne sut que dire. « Où est Aristobald ? », demanda Thomas lorsque le brouillard s’effaça. Ellington regarda autours de lui. Ils étaient seuls. Un bruit lugubre résonna soudain. « Qu’est-ce que c’était ? » ; demanda Thomas, effrayé. Ellington ne répondit. « Doc., on s’est fait avoir » ; dit-il.                                                                                                                                                             Ellington trouva cela étrange. Soudain, Thomas hurla. Ellington sursauta. « Ah, au secours ! Doc, il y a un truc qui m’attaque ! »  Levant la main, Ellington s’aperçut que Thomas n’était plus à côté de lui. Bon sang. « Aaaaaah !  Aaaaaah !» ; criait Thomas.                                                                                                                             

Ellington s’approcha. Thomas semblait être à une éternité. Mais qu’est-ce qui se passe ici ? Soudain, il se sentit happé aux chevilles. Il bascula en avant et se coupa le menton. Du sang gicla. Il essaya de se dégager, il vit avec terreur des mains agripper ses chevilles. Une tête immonde surgit du sol. Ellington crut qu’il allait s’évanouir. « Qu’est-ce que … ? » Soudain, il vit une silhouette surgir devant lui, affolée. Horrifié, il reconnut Thomas. Le garçon était couvert de sang. « D…doc… ». Le malheureux s’effondra. Ellington se sentit enlacé par la taille. La créature le tenait. Mais Ellington savait se défendre. D’un coup de coude, il se dégagea. Il prit Thomas et le porta sur son dos.

             Soudain, il entrevit des silhouettes surgirent dans l’obscurité. « Ce sont les Allongés » ; comprit-il.  « Ils sont sortis de leur tombe ». Bien vite, il sentit qu’ils étaient encerclés. Levant la tête, il vit que c’était la pleine lune. Il se souvint alors de la légende. Soudain, une voix qu’il connaissait trop bien, parvint à ses oreilles.  « Je vois que vous avez enfin compris, Ellington ». Il reconnu la silhouette. « Aristobald ! Que signifie cette mascarade ? ». Un rictus étira les lèvres d’Aristobald. Il n’avait plus rien d’humain. « Bienvenu dans mon royaume, Ellington. Vous arrivez juste à tant pour le sacrifice ». Ellington se demanda si Aristobald était fou. Soudain, il vit un autel. Il comprit que ceux qui allaient être sacrifiés, c’étaient lui et Thomas. « Aristobald ! Arrêtez, cette folie ! ». Celui-ci éclata de rire.  « Adieu, stupide humain ». Mais Ellington refusa de se laisser faire. Tête baissée, il fonça sur Aristobald. Surpris, ce dernier s’écarta, laissant le champ libre à Ellington qui s’enfuit avec Thomas.

           Aristobald bondit sur lui. Ellington avait lâché Thomas. Ce dernier fut happé par les créatures. « Non ! Laissez-le ! » ; Hurla le docteur, furieux. « C’est à vous d’en décider, Ellington » ; lui dit Archibald. Ellington comprit ce qu’il devait faire. « Laissez Thomas....et je m’offre à votre sacrifice ». Aristobald éclata de rire. « Très bien. Enfin, je te tiens ». Ellington baissa les yeux. C’est la seule solution ; pensa-t-il. « Mais j’ai votre parole qu’il n’arrivera rien à Thomas et qu’il peut quitter le jardin ». Aristobald hocha la tête. Les « Allongés » s’approchèrent et s’emparèrent du docteur qui ne leur opposa aucune résistance. Thomas ne sut rien de tout cela. Lorsqu’il ouvrit les yeux, il se trouvait  hors du jardin et il était seul. Hagard, il regarda autours de lui. Puis, il se souvint. « Bon sang ! » ; s’exclama-t-il, en se levant. « Doc ! » ; appela-t-il. Personne ne lui répondit. « Doc ! Doc ! Où êtes-vous ? ». Thomas savait qu’il connaissait la réponse. « Mon dieu, il est resté dans le jardin ! ». Thomas essaya d’ouvrir le portail. Mais celui-ci resta fermé. « Maudite porte ! Ouvre-toi ! » Le grillage était rouillé. Le portail semblait condamné depuis des lustres.

          Un homme passa. « Que faites-vous là, jeune homme ? »; lui demanda-t-il. Thomas se tourna vers lui et l’apostropha. « Hé, vous ! Aidez-moi ! Mon ami, le docteur Ellington, est resté enfermé dans ce jardin ». L’homme le regarda comme s’il était tombé sur la tête. « Vous n’avez pas autre chose à faire ? » Et l’homme s’en alla. Thomas lui courut après. « Vous êtes sourd ? Je vous ai dit que mon ami était enfermé là-dedans. J’ai besoin d’aide pour le délivrer ». L’homme se tourna vers lui, en colère. « C’est absurde ! Le docteur Ellington est mort, il y a trois ans, d’une pneumonie ». Thomas le regarda d’un air abasourdi. « Quoi ? Qu’est-ce que vous dites ? » L’homme secoua la tête. « Et ce jardin est condamné depuis des années. Vous avez dû rêver ». Il regarda le jeune homme d’un air suspicieux. « Qu’est-ce qu’un jeune gaillard comme vous fait devant un tel endroit ? Ne savez-vous donc pas quelles horreurs s’y sont produites ? »

               Thomas ne répondit pas et s’en alla. Il entra chez lui. Il trouva sur sa porte un papier. Il n’y avait pas de nom, mais Thomas reconnut l’écriture. « Cher Thomas, lorsque tu trouveras ce papier, je ne serais plus de ce monde. Je me suis sacrifié pour que tu puisses sortir du jardin. Pour que tu n’essaies pas de me trouver, j’ai demandé à Aristobald de le faire fermer pour toujours. Ne m’en veux pas, c’est pour le mieux. Aristobald ne fera plus jamais de mal à personne. Le jardin condamné, il est mort, lui aussi. Je te demande d’être heureux et de continuer ta vie. Je l’ai fait pour toi. A l’heure qu’il est, tu ne serais plus de ce monde. Thomas, le « jardin des allongés » n’a jamais existé. Oublie ce qui s’est passé. Oublie-moi. Ellington. ». Thomas baissa la tête et commença à pleurer. C’était de sa faute si le docteur Ellington était mort. « Pardon, Doc., c’est à cause de moi si vous êtes resté là-bas ». Il essuya ses larmes. « Je ne vous oublierais pas ». Il rangea la lettre dans un tiroir et se jura de ne plus jamais la lire. « Vous êtes mon héros, Doc. » ; murmura-t-il.

           Thomas obtint la meilleure note à son exposé. Il écrivit un texte sur le docteur Ellington pour que tous les gens sachent qui il était. En fin d’année, il eu son bac L. Le temps passa. Un après-midi, il se décida à retourner devant le « jardin des Allongés ». Il n’avait jamais oublié cette terrible nuit. Il arriva devant le portail et s’arrêta. A sa grande surprise, il s’ouvrit devant lui. Thomas hésita. Cela ressemblait à une invitation. Surmontant sa peur, il entra. Il fit le tour du jardin. Il arriva jusqu’à une statue. Bouche bée, il reconnut le docteur Ellington. Thomas tomba à genoux. Soudain, il vit une grande dalle et devina ce qu’elle contenait. Le docteur Ellington avait sa place au « jardin des allongés ». Thomas se releva, marcha vers le portail et s’en alla. Il avait trouvé la paix.

FIN.

             

             

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