Le jardinier de Monsieur

Jonathan Penglin

Petite nouvelle policière, où l'on ne parle pas du crime et on ne cherche pas le meurtrier.

« J'étais son jardinier. Enfin, entre autres. Son majordome aussi. Son homme à tout faire, si vous voulez.

Mais c'est par le jardin que je l'ai rencontré. Une histoire improbable. J'aime les plantes, vous voyez. Or, à chaque fois que je passais à côté de chez lui, l'état de son jardin me mettait hors de moi. Un vrai désastre, c'était. Des arbustes qui n'en finissait pas de crever et des herbes qui poussaient partout et n'importe comment. Aussi, une fois où je passais devant ses grilles au moment même où il rentrait chez lui, je n'ai pu m'empêcher de le tancer pour un tel laisser-aller.

À ma grande surprise, il a ri. Enfin, ri, c'est un bien grand mot. Il a souri. Et puis, comme ça, de but en blanc, il m'a proposé de m'en occuper. De m'occuper de ce jardin laissé à l'abandon. Contre salaire. J'étais sans emploi à l'époque, j'ai bien évidemment dit oui. Même si le bonhomme avait l'air un peu bizarre, c'était une occasion que je ne pouvais pas laisser passer.

Elle ne s'est jamais dissipée d'ailleurs, cette impression. Avec les années, j'ai fini par bien connaître ses habitudes, ses petites manies, mais sans jamais bien comprendre d'où elles venaient. Nos relations étaient strictement professionnelles, même si, Monsieur ne sortant guère, j'étais probablement la seule personne à laquelle il parlait.

Des exemples ? Et bien, par exemple, il refusait de porter une montre, ou d'avoir la moindre horloge chez lui. Sans que je sache pourquoi, cette interdiction ne s'appliquait pas à moi. Pire ! je me devais porter une montre afin que dès qu'il avait besoin de l'heure il puisse me la demander.

Il marquait les choses, aussi, avec une craie jaune qu'il avait toujours au fond de la poche. Tout et n'importe quoi, mais le plus souvent des arbres, et des murs.

La loupe ? Oh oui, chaque endroit qu'il marquait était toujours scrupuleusement scruté auparavant. D'où la loupe.

Il n'aimait pas sortir, cela dit. Le monde extérieur le terrifiait je crois. Trop de vie, trop de bruit, de mouvement. C'était un misanthrope, assurément. Mais pas seulement. Rien ne le faisait fuir plus vite que les animaux ou les enfants. Tout ce qui bougeait trop ou faisait trop de bruit, en fait. Son monde se réduisait au minéral et au végétal.

Lui-même avait une apparence peu commune. À rester cloîtré, sa peau était devenue diaphane. Il fuyait la lumière, ne sortant que la nuit ou quand le ciel était gris et bas.

Non, ce comportement ne m'a jamais vraiment inquiété. Chacun ses manies, n'est-ce pas ? Et puis c'était un aristocrate, un type de personne plus fréquemment sujet à ce genre de petites… facéties. Elles n'avaient rien de préoccupant par ailleurs.

Peut-être aurais-je dû être plus méfiant, vous avez raison. Mais comment aurais-je pu deviner ? Je ne pensais pas que son esprit était si sensible. Tout est arrivé si vite ! Je savais que les gens parlaient, surtout avec ce qui se passe en ce moment, mais je ne pensais pas qu'il prêterait attention aux rumeurs.

C'est terrible, terrible. Malgré ses travers, c'était un homme charmant, qui n'aurait jamais fait de mal à une mouche. Bien sûr qu'il n'était pour rien dans ces disparitions, je n'en ai jamais douté. Vous l'avez bien vu, tout est en ordre dans la maison. Les mauvaises langues ont beau jeu maintenant de jouer les effarouchées, je les tiens pour responsables de cette tragédie !

Je sais, je sais, on ne peut rien y faire. Mais c'est tout de même très triste qu'on puisse pousser quelqu'un à de telles extrémités sans que les responsables soient jamais jugés. Ah ! J'en pleure ! Excusez-moi, excusez-moi…

Comment ? Le jardin ? Oui, il est magnifique, c'est ma fierté. Il a bien changé depuis l'époque où je suis arrivé. J'y travaille sans relâche.

Vous jardinez vous aussi ? Oh, ne dites pas ça ! C'est vrai que la terre est pauvre par chez nous, il est difficile de faire pousser quoi que ce soit.

Comment je fais ? Pour tout vous dire, je ne sais pas. J'ai la main verte, probablement. Ha ! Ha ! Non, plus sérieusement, c'est juste du travail, beaucoup de travail.

Les tilleuls ? Oh ils ne sont pas bien grands, mais c'est vrai qu'ils ont déjà fière allure. Quand est-ce que je les ai plantés ? Oh il y a trois semaines, je crois. Pourquoi ? »

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