Le Jour du Seigneur
Joseph De Chateauvieux
Le jour du Seigneur
Le soleil rougit les dunes de sable, là bas au loin. Le long des maisons, sur les pierres mal taillées, une traînée pourpre laisse entrevoir le jour naissant sur Le Caire. Dans le calme de l’aurore, le chant du coq se mêle à celui du muezzin. Il est six heures du matin, et Tarik se lève. Pas de petit déjeuner, pas de café, rien. Silencieusement, la mine dure, le jeune homme enfile un grossier vêtement de toile grisâtre. Rien d’ostentatoire, rien qui ne puisse le différencier des autres dans les ruelles.
Tarik est un égyptien courageux, le front haut, les cheveux courts, aucune crainte ne semble pouvoir l’atteindre. Pourtant, ce matin, comme tous les dimanches, il a peur. Tarik n’est pas un habitant du Caire comme les autres, il est copte, chrétien d’orient. Et dans la plus grande ville d’Egypte, ce nom résonne presque comme un délit.
Il y a trois semaines, Ali, son cousin, était resté prier après l’office, seul. Il n’était jamais. Sur le chemin du retour, cinq fanatiques l’avaient pris en chasse, des adolescents, ivres d’islamisme et d’alcool. La course-poursuite avait été brève, vaine. Coincé dans une impasse, Ali avait subit les injures, les crachats, les outrages, sans rien répondre, Christ moderne. Et puis, tout avait basculé. Une première pierre avait volé, puis une autre, puis encore une autre. Il n’avait pas tenu longtemps. La lutte était bien trop inégale. Un ultime coup au thorax et le copte s’était écroulé, les « Allah wakbah » de ses assaillants couvrant l’écho de sa chute. Tarik avait trouvé le corps sans vie du martyre quelques heures plus tard. Son visage, meurtri et sanguinolent, dégageait une expression de sérénité, de calme, de pardon. Ali était mort en paix, il n’avait pas failli. Fier de sa foi, jusqu’au bout.
La communauté avait été profondément ébranlée par ce nouvel incident. Un de plus. La spirale de violence qui se déchainait sur les fidèles de la cathédrale du Caire était intolérable, et pourtant, on ne pouvait rien y faire. Certains restaient à présent chez eux, terrés dans leur maison, par crainte de subir le même sort. Mais Tarik avait promis d’honorer la mémoire du défunt, et c’est pourquoi les dimanches qui avaient suivi, la peur au ventre, la foi au cœur, il avait repris le chemin de l’église.
Un claquement sourd, étouffé avec soin. Un coup d’œil à droite, puis à gauche, puis encore à droite. Le concierge dort, un broc de thé à la menthe git sur la table basse. Un léger bruit de paroles accompagne ses ronflements. Al-Jazeera est restée allumée toute la nuit. La voie est libre.
Quinze minutes de trajet, des mouvements répétés maintes et maintes fois, totalement intégrés. Nécessaire routine pour éviter une mauvaise surprise, une mauvaise rencontre.
***
Une routine. Rien de plus. Mais pourquoi le réveil est-il toujours si brutal ? Pourquoi la tête cogne-t-elle si fort ? Les cloches sonnent à la volée, appelant les fidèles à la messe. Pour Maximilien, ce doux carillon est un insupportable bourdonnement. Les curés devraient penser à changer un peu leur style musical, se dit-il.
Il y a quelques heures à peine l’ambiance était pourtant bien différente. La chaleur de l’alcool, le son électro d’un bar-dancing parisien, un DJ en grande forme, et puis cette danse… la soirée avait été parfaite. Ses amis avaient encore fait des merveilles en découvrant cet endroit. Pour cela, ils sont imbattables.
« Maximilien dépêche toi, on va être en retard ».
La réponse du jeune homme disparaît dans un grommellement inaudible et une effroyable quinte de toux. La fenêtre est encore restée grande ouverte toute la nuit pour chasser les odeurs de whisky et de cigarettes. Un petit rhume pour dissimuler un aspect secret de sa vie, ça vaut le coup.
Râlant et baillant à moitie, Maximilien enfile un pull à capuche miteux et un jean troué. Ca fera enragé la vieille. Dix huit ans maintenant à subir la même corvée, la même litanie, chaque dimanche. Les premières années, cela ne le dérangeait pas. Sa mère lui donnait de l’argent pour la quête, ou pour aller acheter le pain après l’office. Il arrivait toujours à en garder une partie. Et puis même, les gestes du monsieur en habit blanc, que tout le monde regardait avec des grands yeux, l’amusait. Mais petit à petit, les choses avaient changé. D’abord, il s’était pris de passion pour le football. La messe tombait pile au moment de son émission sportive préférée. Il enrageait de ne pas pouvoir voir le résumé des matchs. Longtemps, il avait voulu jouer dans un club, comme ses copains. Ses parents, qui préféraient de loin l’équitation, avaient finis par céder. Mais les matchs étaient tous le dimanche matin. Impensable d’avouer au coach qu’il ne pouvait jouer parce qu’il allait à la messe. Tout le monde se serait foutu de lui. Du coup, il avait mis au point une série d’excuses, qu’il variait avec une grande habileté.
Et puis, était venu le temps des folles soirées, les longues sorties nocturnes, de plus en plus arrosées. Le dimanche matin était bien plus propice à la gueule de bois qu’à l’évangile. Pourquoi ne puis-je pas dormir jusqu’à midi comme tout le monde ? Alors bien sûr, il pouvait ne pas venir, refuser cet ordre familial. Mais, il ne pouvait pas se permettre de se brouiller avec ses parents. Ils le finançaient tous les mois, et ses petits trafics douteux le mettaient parfois en difficultés. Il avait besoin de cet argent. Bon gré mal gré, il s’adonnait à se pensum hebdomadaire, les yeux brouillés, la mine dure, la gorge pâteuse.
« On part, rejoins nous dans l’église »
Ouf, encore un trajet avec la famille évité. Un petit regard dans le miroir. Les vestiges de la soirée sont décidément bien dur à effacer. Un tour de clef et Maximilien se retrouve dans la rue. A peine trois cent mètre séparent la maison familiale de l’église, c’est déjà trop pour lui. La pluie tombe à fine gouttes sur le trottoir régulier et fleuri, les parapluies sombrent semblent former une immuable procession vers le clocher de pierre qui domine la large place Saint Marc. Immuable. Chaque vieille dame accrochée à son ombrelle d’un autre temps fait partie de cet acte social. Pour Maximilien, ce ne sont pas quelques fidèles venant honorer leur Dieu, mais bien plus une communauté sur le déclin perpétuant une habitude multiséculaire. Rien de plus qu’une habitude. Pour ne pas se mêler au défilé des pieuses en noir, l’adolescent marche de l’autre côté de la rue, la tête baissée, bien rentrée dans son épais manteau. Pourvu que personne ne me voit.
***
Pourvu que l’on ne m’ait pas vu. Pour Tarik, impossible de détacher complètement son regard de la ruelle qui serpente entre les murs blancs, juste derrière lui. Si jamais un fondamentaliste mal intentionné a surpris son périple, il est probablement perdu. Devant la cathédrale, un modeste bâtiment carrée, identique à tous ceux du quartier, un homme surveille les alentours. Sans bouger de son observatoire, il adresse un petit geste discret à Tarik. La voie est libre.
A l’intérieur de l’église, pas de vitraux colorés, pas d’orgue monumental. Une simple statue de la Vierge dans le chœur, un autel en pierre mal taillée, quelques affiches en papier noircies sur les murs décrépis. Sans un bruit, le jeune égyptien s’assied au premier rang, tout au bout du frêle banc de bois clair, à sa place. Un simple coup d’œil pour parcourir l’assemblée. Comme chaque dimanche, Tarik peut lire sur les visages de tous les paroissiens une vraie crainte, la crainte du martyr. Qui sera le prochain sur la longue liste des persécutés ? Mais derrière ces profondes marques d’effroi, ces visages marqués, se cache une foi extraordinaire, un rayonnement intérieur exceptionnel, des regards brillants d’espoir. Le regard du martyr.
Pas de conversations bruyantes, mais un silence angoissant, pesant. Pas de mondanités. Ici les informations s’échangent d’un coup d’œil, les nouvelles de la famille d’un haussement de sourcils, une mine grave, un léger sourire. Rompant un recueillement tendu, la porte de la sacristie s’entrouvre dans un grincement sinistre.
***
La grande porte en chêne est grande ouverte. Le prêtre et son armée d’enfants de cœur sont déjà là, prêts. Les voix aigues de la chorale résonnent dans les hautes voutes du bâtiment dix-huitième. Maximilien opte pour l’entrée latérale. Discrètement, il descend l’allée secondaire garnie de lys éclatant. Au premier rang, tout au bout du banc, une place reste libre. Sa place. Un coup d’œil sévère de sa mère. Il est en retard, encore une fois.
Peu importe. Evitées les salutations interminables, la fausse sollicitude, les sourires superficiels. Evitée aussi la répétition de chants. Comment peut-on appeler chants ces cantiques ringards à peine bons à bercer un enfant ? Déjà je viens à la messe qu’on ne me demande pas de faire du rab.
Derrière Maximilien, l’assemblée semble endormie, léthargique. Pourtant pas un n’était au bar avec moi hier soir. Sous une apparente dévotion angélique, le jeune homme décèle dans l’attitude de ses voisins de toutes autres dispositions. La grand-mère et son fichu gris semble bien plus pensé au baba au rhum qu’elle ira acheter après l’office, à moins que cela ne soit un mille-feuille cette fois ci, qu’au saint-sacrement exposé dans le chœur. Le père de famille à côté d’elle –pull en V, chemise à carreaux fins boutonnée au col, cheveux biens court, encore un militaire- paraît bien plus affairé à calmer sa quatrième fille d’à peine deux mois qui braille qu’à méditer sur les écritures. Et que dire de Priscille, l’adolescente de quinze ans qui scrute une à une les chaussures des paroissiennes pour faire sa revue de mode hebdomadaire…
Progressant lentement dans l’allée centrale, le jeune prêtre, lunettes carrées d’un autre temps devant les yeux, est heureux, lui. Ca doit être une de ses premières messes, il est encore frais. Son visage poupon, illuminé, détonne avec la foule des fidèles, morne, sombre. De son regard brillant, le pasteur couve l’ensemble de ses brebis. Et puis, la chorale s’arrête, l’écho d’une flûte traversière s’estompe peu à peu.
***
- Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit commence solennellement l’évêque du Caire.
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- Amen, grommelle Maximilien.
merci! non c'est fait exprès en fait, je répète ce type de construction plusieurs fois dans le texte
· Il y a presque 12 ans ·Joseph De Chateauvieux
Bonjour,
· Il y a presque 12 ans ·J'apprécie votre texte autant pour sa tenue que pour sa retenue.
En revanche, il semble qu'il y ait un hiatus entre le bas de la page 4 et le début de la page 5.
luv-sdrow