LE JOURNAL DES SOURDS ET DES MALENTENDANTS
franck75
Le journal des sourds et des malentendants
Dimanche dernier, j'ai vécu une expérience troublante devant mon téléviseur. Levé tôt, suite à une soirée, la veille, un peu calamiteuse, je suis tombé après un quart d'heure de zapping soutenu sur le générique du Journal des sourds et des malentendants.
Tiens, me suis-je dit, je vais regarder le début. Les émissions d'handicapés, ça peut être drôle parfois, je me souviens avoir déjà passé des bons moments avec le Téléthon. Et puis en ces temps d'indifférence générale, rire du malheur des autres demeure une forme d'altruisme, non ?
Lâchant ma télécommande, je me suis donc calé contre l’oreiller en attendant que la misère du monde vienne distraire un peu mon ennui dominical. Et là, oh surprise, au lieu du présentateur sinistre que j'imaginais, nous racontant par le menu le malheur de ses semblables, je vis apparaître à l'écran une superbe brune, pulpeuse à souhait, qui selon la formule consacrée, faisait bien plus envie que pitié. Waouh, ai-je fait en me redressant, quelle heureuse surprise! La fille ressemblait en mieux à la petite joufflue du cinéma sur Canal +.
Comme en plus elle est muette, ai-je pensé, on n'y perd vraiment pas au change.
Tout de suite, ça a été un ballet incroyable de bras, de mains et de doigts. A la voir utiliser avec autant d'aisance ce mystérieux langage des signes, j'ai eu par moments la curieuse impression que c'était moi l'handicapé. Pour se faire comprendre des non-initiés, la jolie présentatrice était assistée d'une interprète. J'ai remarqué qu'elle l'avait choisie plutôt moche et insignifiante, pour ne pas trop détourner l'attention du téléspectateur sans doute, ce qui fonctionnait parfaitement.
Petite précision sémantique: sourds et malentendants, ce n'est pas du tout la même chose même si on a tendance à les regrouper. Si la propriétaire de l'appartement que vous convoitez vous assure que tout l'immeuble est occupé par des familles de sourds et muets, prudence. Assurez-vous qu'il ne s'y trouve pas aussi des malentendants. Car si le sourd-muet constitue pour des raisons évidentes, un rêve de voisin (l'idéal étant le sourd-muet paraplégique, mais il ne court pas les rues) le malentendant, lui, a la vilaine habitude de mettre la télé et la chaîne HI FI à fond ; de plus il hurle pour parler et oblige son entourage à faire de même.
Bref, revenons à l'émission. Le sujet principal était l'alimentation des séropositifs. Etonnement de ma part. Je ne suis pas fort en statistiques mais à mon avis, les sourds et muets séropositifs ne doivent pas être plus d'une vingtaine en France. Je me suis alors demandé pourquoi la présentatrice ne leur écrivait pas ; elle doit tous les connaître personnellement. Ou alors peut-être bien que les sourds ont une vie sexuelle débridée, et que la proportion des séropositifs y est plus forte qu'ailleurs. Après tout, c'est une habitude chez eux de parler avec leur corps.
Cette hypothèse fut étayée lorsque la présentatrice accueillit sur le plateau une diététicienne en lui adressant un baiser avec la main. En la voyant exécuter ce geste à haute teneur affective, je me suis dit que les rencontres avec l'autre sexe devaient s'en trouver facilitées. Il m'a aussi paru évident que chez cette fille souriante à l'air libéré, l'onanisme n'était sans doute pas, contrairement à ce que l'on dit souvent, à l'origine de son handicap.
D'ailleurs, un peu plus tard dans l'émission, on en arriva logiquement à la question du préservatif. Un médecin, lui aussi sourd et muet, vint se joindre à notre appétissante présentatrice pour aborder ce sujet délicat. Le geste miniature qu'ils firent tous deux afin d'expliquer l'utilisation dudit objet me laissa perplexe:
Je me suis alors demandé s'ils ne visaient pas à cet instant les sourds et muets séropositifs d'origine asiatique. Comme selon moi, les individus entrant dans cette catégorie devaient être au plus deux ou trois en France, j'ai pensé qu'il était dommage de ne pas les avoir invités sur le plateau.
Lorsque enfin, le chapitre des pratiques sexuelles à risques fut ouvert, je fus attentif à ne pas manquer les moments où les mots les plus crus seraient traduits en gestes explicites, mais hélas, juste à ce moment on a sonné à ma porte : c’était des témoins de Jéhovah que j’ai mis cinq bonnes minutes à éconduire. De toute façon, cette émission commençait à m'énerver. Le médecin se montrait exagérément familier avec la jeune femme. S'il était sourd, à l'évidence, il n'était pas aveugle et cette petite garce ne semblait pas non plus insensible à ses avances.
A la fin, quand je suis revenu devant l'écran, les deux infirmes pervers avaient sorti des préservatifs de leur emballage et les brandissaient devant la caméra en échangeant des sourires entendus ; des sourires entendus ! ça m'a semblé un comble pour des sourds. Ecœuré, j'ai éteint la télé et je suis allé faire un footing pour me calmer les nerfs.