Le Journal Intime de Théodore Lampris
Déborah Bora
Le 11 Janvier 2009
Cher journal,
Je me souviens du jour où j'ai reçu une proposition pour devenir membre de Facebook. J'ai essayé de m'inscrire, mais j'ai mis comme pseudo "fuckyou" et il m'a refusé.....Tant pis! Je crois que je devrais remettre les lettres à la mode, j'inscrirais mon action dans une lutte contre la modernité et le virtuel, et les gens me paieraient pour écrire les lettres qu'ils ne prennent pas le temps d'écrire eux mêmes, ces gros fainéants superficiels. En suite, avec l'argent que j'ai placé pour pouvoir vivre de presque rien, je pourrais vaquer à mes occupations créatives diverses. Je créerais un mode de vie à mon image, ni en marge, ni conspirateur, avec un certains décalage, de l'humour, de la poésie, et un sens de l'esthétisme irréprochable....
Le 22 Janvier 2009
Cher journal,
Aujourd'hui je suis allé voir un psychologue pour la première fois. Et j'ai pris une grande décision. Voilà exactement ce qui s'est passé :
« Quand j'étais petit, mes parents m'ont initié à l'érotisme d'une façon très subtile. Au lieu de ranger les films pornos et les Fluide Glacial en haut de la bibliothèque, ils les plaçaient à ma portée, sur les étagères du bas, de sorte que je les découvre par moi-même, secrètement, lors de mes explorations. Sans que je sache qu'ils le savaient, et pire encore sans me douter qu'ils puissent savoir que je pensais qu'ils ne savaient pas qu'ils avaient chez eux de tels objets. Je croyais être le seul à les avoir découverts, à les voir et à y avoir accès. Je détenais le mystère de la sexualité entre mes mains. Mes parents ne se doutaient pas le moins du monde du génie qu'ils avaient engendrés. De toute façon, à l'époque, j'avais du mal à comprendre ce que c'était que des parents. Je me demandais fréquemment ce que je faisais là avec eux. Enfin surtout, ce qu'ils faisaient. Parce que pour mon cas, je me contentais de vivre simplement, ça ne me tourmentais pas vraiment. Parfois je grignotais du gruyère caché par terre entre deux fauteuils en me prenant pour un écureuil. Tout ce que je faisais avait un sens. Mais ces deux grandes personnes autour de moi étaient vraiment bizarres...
-Vous digressez, restez concentré sur votre éveil sexuel. Quel genre d'adolescent étiez-vous ?
-Je voulais grandir plus que tout. A l'adolescence j'avais une libido enragée. J'avais besoin d'épanouissement. J'aurais pu sauter tout ce qui bouge. Le problème c'est que j'étais moche. Or dans notre société, plus t'es beau, plus tu baises. Alors j'ai entrepris une transformation. J'ai regardé les acteurs, les mannequins, les sportifs, écouté leur interviews. J'ai vraiment fait tout ce qu'ils disent : régimes, sports, massages, piscine, crèmes hydratantes. A force de mimétisme, en trois ans j'étais devenu une bombe latine ! Ils ne disent pas que des mensonges commerciaux vous savez ! Ca a été une des mes plus étonnantes découvertes avec la tondeuse profilée pour oreilles et narines. Par contre, le truc d'un litre d'eau par jour c'est des conneries. Je peux le dire maintenant que j'en suis un : les beaux gosses peuvent boire du coca et de la bière à volonté, sans prendre un gramme. Leur métabolisme est tellement parfait qu'il optimise tout ce qui lui est donné et ne prend que les bons apports de chaque chose....
-Pouvez-vous établir un profil type de vos partenaires sexuelles ?
-Et bien au début, je n'avais aucune limite. Entre 15 et 17 ans j'ai tout essayé. J'avais l'impression que ce nouveau pouvoir de séduction allait disparaitre d'un moment à l'autre, alors j'ai foncé. Mon comportement excessivement et incontrolablement lubrique, combiné à mon nouveau corps d'Apollon a fini par être remarqué. Un agent m'a abordé en boite de nuit et m'a proposé de gagner ma vie en exploitant mon sex appeal. C'est comme ça que j'ai intégré l'underground. Et là, ça a été la fête ! Que des gens aux petits soins pour moi, des filles sublimes, qui ont souvent une histoire similaire à la mienne, et du coup, qui ne pensent qu'au sexe aussi. Bref, le paradis. L'agence prélevait 30% de bénéfices sur mon travail. J'ai marché pendant 5 ans comme ça. Puis après, à 23 ans, j'étais devenu moins rentable et je m'étais tapé tout le monde. Le milieu de la mode est pas très grand vous savez, on en fait vite le tour. Alors pour essayer d'éviter l'ennui, j'ai changé d'air. Sauf que tout l'air d'ailleurs était plus chiant. Les gens étaient moins beaux, les filles plus petites, les culs plus plats. Bref, j'ai raté ma reconversion. Je m'ennuyais comme un rat mort. Et en discutant avec un ami, j'ai pensé que peut être j'avais une maladie. Pour avoir organisé ma vie en donnant priorité à la satisfaction de mes besoins sexuels, je devais être une sorte de sexopathe ou d'obsédé. Alors j'ai décidé de venir vous consulter.
-Si je vous confirmais cette intuition vous en penseriez quoi ?
-Bah que vous avez raison. C'est votre métier non ? Moi mon job c'était juste d'être désirable, alors vous savez à force d'être dans la luxure tout le temps je ne serai pas étonné d'avoir quelques dérèglements comportementaux.
-Hum hum. Vous avez des fantasmes ?
-Pardon ?
-Des fantasmes, des idées, des envies sexuelles inopportunes, inhabituelles, extravagantes ?
- Bah...
-Etant donné votre naturel débridé, il serait assez normal en fait, que vous n'en ayez pas. Puisque vous ne vous interdisez rien. Mais c'est justement votre outrancière liberté qui, selon moi, est la cause de votre ennui. Vous devriez essayer d'être plus dur avec vous-même. »
Pff. Restriction. Bon soit, de toute façon j'ai rien d'autre à faire. Je suis, beau, riche, célèbre, en bonne santé, j'ai l'impression d'être immortel et je m'ennuie. Au moins ça me fera passer le temps. C'est un comble quand même ! Après tous ces efforts pour devenir si parfait, maintenant je suis contraint d'en faire pour avoir des imperfections.
La vie est d'une ironie.
Le 2 Février 2009
Cher journal,
Il faut se rendre à l'évidence. Je suis nul. Je suis incapable d'avoir des fantasmes parce que je vis déjà dans un fantasme. Je fuis la réalité. Je m'en suis rendu compte aujourd'hui. Pendant l'entracte au théâtre, mon voisin à engagé la conversation :
« -Alors vous en pensez quoi ?
-Pas terrible. La fille est pas mal...
-C'est chiant hein ?
-Oui.
-Ca m'ennuie parce que je vais encore devoir mentir. Cette pièce est nulle et je dois écrire un article élogieux pour que les gens aillent la voir quand même. Vous faites quoi dans la vie si ça n'est pas indiscret ?
-Rien. En fait... J'écris aussi.... Je suis journaliste.
-Ah ah. On se comprend alors. Désolé si je vous ai choqué. Je suis du côté des vendus. Je n'ai jamais voulu sauver le monde. Vous écrivez dans quels journaux ?
-Dans mon journal intime. »
Voilà.
Le type a rigolé.
Pas moi.
Ca m'est venu tout seul de lui raconter ça. C'est marrant.
A partir de maintenant c'est fini. J'arrête.
Le 12 Mars 2011
Ca a duré 1 an. J'ai vécu dehors. Dans la rue. Maintenant je sais ce que je veux : du confort. Je préfère être névrosé, seul et au chaud qu'affamé et frigorifié.
Je suis sorti de chez moi sans mes clefs, avec rien dans les poches. J'y ai glissé les mains. Au bout de deux semaines j'ai commencé à avoir vraiment besoin de protéine. Je suis allé m'en fournir par procuration. C'est là que j'ai compris ce qu'on pouvait entendre dans le mot fantasme : au supermarché. Je suis resté devant les rayons poulets puis gâteaux, et je les ai regardés avec grande attention jusqu'à que l'impression d'être rassasié arrive. Quand on est doué, ça coupe l'appétit en cinq minutes de concentration. Nota Bene : Ca marche aussi avec les menus des restaurants. A la caisse, une grande fille très maigre. Top model ? Anorexique ? SDF ? SDF. Je n'ai jamais compris la stratégie de faire ses courses où c'est le plus cher et de n'acheter que des trucs inutiles, et pas nourrissants : eau, bière, chocolat. Avec les grosses marques. En tout cas, elle faisait n'importe quoi genre « nous vivons sous un régime de peur et d'oppression et vous êtes tous des collabos. » Je connais tous les points d'eau potables en accès libres. La bière, je risquerai de devenir désagréable. Et le chocolat... même pas grand jury! Comme ces obèses assis avec un carton «J'AI FAIM». Ils sont plus gros que moi ! J'ai envie de prendre leur carton et d'écrire dessus «J'AI ENVIE DE FAIRE CACA» ou «VOUS ME FAITES CHIER» ce serait déjà plus plausible. Toujours est-il que pour la première fois de ma vie, cette grande fille cruche et maigrelette a réveillé en moi un désir libidinal sauvage et primaire. Je n'avais pas juste envie de son petit cul de mannequin Russe et prépubère. J'avais envie de perpétuer l'espèce. De la mettre dans une grotte, de partir à la chasse et de ramener le gibier. De la culbuter, de faire du feu, et de manger mon butin de viande en ayant l'impression d'être le mâle reproducteur indispensable à la procréation. Sauf que je n'avais plus rien de préhistorique en moi car je m'étais employé depuis longtemps à correspondre aux canons de beauté imberbe du XXIème siècle. J'étais glabre, fin, lisse et brillant comme une couverture de ELLE. Je n'avais aucune chance de séduire cette beauté anarchiste.
« Oui, mais mon physique d'éphèbe puceau m'a permis d'étoffer mon compte en banque ! Je vais pouvoir subvenir aux besoins de cette belle pauvresse sans le sous, la sauver de son destin, la sortir des ruelles et faire d'elle une princesse ! » Voilà ce que je me suis dis en rassemblant ce qui me restait de virilité pour l'aider à porter ses sacs.
J'aurais du m'abstenir.
Sans même me regarder en face elle m'a portée le coup de grâce : « Non merci Mademoiselle, ça va aller. »
Mademoiselle.
Même pas Madame.
Je suis rentré chez moi.
Je n'en suis plus sorti. J'ai écrit trois best-sellers.
Comme quoi, la frustration est productive.
Excellent!
· Il y a plus de 10 ans ·arthur-roubignolle