Le Journal intime d'une Sirène
maelle
Un cahier déposé sur un rocher. Une plume cherchée dans une épave. De l'encre volée. Voilà le début de ce carnet dont les pages sont mouillées par les vagues. A ceux qui le liront, je suis une sirène. Je m'appelle Meï. Quand j'ai vu ce carnet aux pages vierges séchant au soleil, j'ai frissonné. Je l'ai pris avec douceur. Une fois les pages séchées, je me suis dit que je pourrais l'utiliser. Pour raconter ma vie, mes tourments et tout le reste…
Je suis née il y a deux cent cinquante ans. Je suis encore assez jeune. Notre Père, lui, a huit cents ans environ. Il commence déjà à se faire des écailles blanches. Quand j'y pense, ça m'amuse. Il ne faut pas. Père a toujours été colérique. Ma main tremble. C'est bien la première fois que j'écris sur un vrai cahier. J'aime bien le grattement de la plume sur le papier. Ce chuchotement me fait penser à la mer, au roulement des vagues sur les galets.
Père et Mère se douteraient de quelque chose si je restais trop longtemps ici. Je vais cacher ce cahier, dans un trou du rocher que je suis la seule à connaître. Je sais que les vagues n'y pénètrent jamais, même à marée haute, même par temps de tempête. Je cache le cahier, la plume et l'encre. Je saute. Je disparais.
2eme jour :
Où ai-je appris à écrire ? C'est une question importante. En fait, secrètement, pendant près d'un siècle et demi, rassemblant bout à bout quelques papiers, je me suis débrouillée. Hélios et quelques goélands me sont venus en aide. Je ne savais pas qu'écrire, c'était si étonnant.
J'ai souvent observé les humains. Je regardais de loin les bateaux qui passaient. Je demandais aux poissons volants de me rapporter leurs paroles. Pour une raison que j'ignore, ils me fascinent. Mais ils sont dangereux. C'est Père qui nous le dit. C'est Mère aussi. Je les crois. Mère a toujours raison. Mais je ne lui ai pas soufflé un mot à propos de ce carnet. Je n'en ai parlé à personne. Quelles seraient leurs réactions ? Je préfère ne pas y penser.
Le soleil a touché l'horizon. Je dois partir.
3eme jour :
Ce n'est que la troisième fois que je reviens sur ce rocher pour écrire mais mes sœurs commencent déjà à se poser des questions. Il faut dire que je n'écris pas vite. Il faut dire que j'ai beaucoup de choses à raconter.
J'espère qu'aucun humain ne me verra. On raconte souvent l'histoire d'une sirène qui se consumait d'amour pour l'un des leurs et qui a fini transformée en écume. On nous interdit de nous en approcher. Les humains ne doivent jamais nous voir, ils ne doivent même pas connaître notre existence. Transgresser cette loi, c'est trahir sa famille et son peuple. Je suis la seule à avoir désobéi. Maria me dit souvent que je suis trop curieuse et parfaitement déraisonnable. Mais étant donné qu'elle se précipite vers chaque ondin qui passe, je ne la prends pas tellement au sérieux. Maria, c'est la quatrième sœur. Elle a des cheveux blonds, très longs, très lisses, qui ondulent autour d'elle et qui s'emmêlent facilement. Mais Maria refuse de les attacher, pour plaire. Les ondins, ce sont les sirènes mâles. Aucun ne me fascine vraiment. Et je suis trop jeune. C'est à trois cents ans que les sirènes choisissent un ondin.
J'admire Télès, la sœur aînée, la sœur parfaite. Télès, elle a un ondin, c'est Priam. Il est très beau. Il est aussi admiré, doux et fort… En fait, c'était pour lui que j'avais appris à lire. Je voulais tellement l'impressionner. Mais il ne m'a jamais remarquée. Comme si j'étais une vive camouflée dans le sable. Priam, il aime les grandes et belles sirènes comme ma sœur. Il est plus collé à elle qu'une balane à son rocher. Je me répète souvent qu'ils s'aiment, qu'ils sont heureux et que c'est tant mieux. Mais au fond, mon cœur est trop serré. Je me demande si je ne l'ai pas idéalisé, depuis toute petite…
4eme jour :
Je suis contente d'avoir trouvé ce carnet. Il me permet de me libérer, de me confier. Je ne l'avais jamais fait auparavant. Du moins, pas de cette façon…
Je parle surtout à Mère, et un petit peu à Hélios. Nous nous promenons souvent au dessus des récifs.Tout le monde sait qu'il est amoureux de moi. Il cherche toujours à me rendre heureuse. Il est assez mignon. Moins que Priam, mais très mignon. Et il est gentil. Je ne sais pas pourquoi je ne l'aime pas. Il a des cheveux noirs mi-longs, des yeux verts, une pierre sombre autour du cou et une queue bleue, parfois violette. Il m'apporte souvent du corail. Il m'apporte les plus beaux coquillages qu'on puisse trouver. Il m'apporte tout ce qu'il peut m'offrir. Maisces cadeaux ne veulent rien dire à mes yeux. Pourquoi est-ce que je l'attire autant ? Mes douze sœurs sont toutes plus belles les unes que les autres. Elles utilisent plus d'onguent que moi, elles portent plus de bijoux. Elles s'intéressent aux ondins. Pourquoi Hélios n'aime-t-il pas plutôt Molpé, Ligie, ou même Maria ? Je ne comprends pas.
Nous sommes treize. Treize sirènes. Un chiffre qui porte malheur. Moi, je suis la douzième sœur. Et Mère et Père attendent un nouvel œuf. Il devrait éclore d'ici une dizaine d'années. Il sont très occupés, mais c'est mieux s'ils ne remarquent pas mes absences prolongées.
J'ai besoin de l'eau de la mer. La lumière me brûle les yeux. Pourtant je reste. J'ai envie de le voir. Le soleil couchant. Il est là. C'est beau.
5eme jour :
J'ai réussi à partir malgré la présence de Père. On profitait tous ensemble des dunes salées. C'est un endroit magnifique mais il faut nager longtemps pour y parvenir. C'est ce trajet qui le rend si précieux. Nous y restons toute la journée pour dévorer des yeux l'étendue de sable, pour s'amuser à en faire des nuages ou pour dormir dessus. Ce sable est fin comme un cheveu, doux comme l'écume et chauffé toute la journée par le soleil. J'aimerais tellement en ramener pour mon coquillage. Je préfère quand mêmemes algues rouges. Légères, ondulées et douces, elles me caressent la peau avec lenteur quand je me repose, contrairement à celles vertes et piquantesde ma sœur Alexia.
J'ai une anémone à côté de mon coquillage. Je crois que c'est Hélios qui me l'a offerte. J'aime caresser ses tentacules, même si ça colle un peu. Je me suis…
7eme jour :
Ma sœur est venue. J'étais en train d'écrire et elle est venue. C'était Leucosie, la sixième sœur. Et elle menace d'en parler à Père. Si ce dernier apprend que j'écris dans un carnet venant des humains, si près de la côte, je n'ose même pas imaginer sa colère. Le ciel s'assombrirait, les flots se soulèveraient. La foudre frapperait l'océan. Et je serais au milieu des éléments déchaînés. Leucosie, ça veut dire « peau blanche ». Espérons que son cœur soit aussi pur que sa peau.
Je vis une silhouette plonger. Je n'aperçus que sa queue. Terrifiée, je rangeai le cahier, la plume et je rebouchai le flacon d'encre. Je plongeai à mon tour. Et je vis que c'était Leucosie à la peau blanche, aux yeux gris, aux cheveux et aux lèvres noires. Elle m'attendait. Je pris l'air le plus coupable que je pus, pour qu'elle me laisse tranquille. Mais elle me dit :
— Que faisais-tu ?
— Rien. Je regardais le ciel.
— Si près des humains ? Sur un rocher ? Entièrement émergée ?
— Oui.
— Ne me prends pas pour une idiote. Tu tenais quelque chose. Qu'est-ce que c'était ?
— Je regardais un caillou.
— Ah oui ? Et où est-il ? Sur le rocher ? Allons voir !
— Non !
— Alors dis-moi. Qu'est-ce que tu caches ? Tu ne t'absentes pas chaque jour pour t'asseoir sur un rocher et regarder un caillou ?
— Si.
— Ce que tu peux être têtue, encore plus qu'Aglaé ou bien que Raidné ! Je vais voir.
— Non, s'il-te-plaît, Leucosie !
— Alors dis-le moi !
— C'est… j'ai trouvé un cahier. J'écris dedans.
Leucosie était effrayée. Puis elle se mit en colère. Elle semblait surprise aussi. Mais elle ne me croyait pas, d'après elle, je l'avais volé aux humains. Heureusement, Leucosie ne savait pas lire. Elle ne chercha donc pas à savoir ce qu'il y avait marqué dedans. Mais la suite de notre dialogue me fit frissonner :
— Il faut prévenir Père.
— Non, surtout pas !
— Pourquoi ? C'est le mâle de la famille.
— Il ne faut pas !
— Je ne vois pas pourquoi, Meï.
— Si Père découvre l'existence de ce cahier, il risque de le mettre en pièce !
— Et alors ? Je pense que ce serait bien pour toi.
— Non.
— Bon, donne-moi ce carnet.
— Non !
— Attention, Meï ! Je suis ta grande sœur, et toi, la petite. Donne-moi ce carnet.
— Je ne peux pas.
— Et pourquoi ?
— …
— Il faut pourtant prévenir quelqu'un ! Je t'aime, je m'inquiète pour toi, petite sœur. Il ne faut pas utiliser ce que les humains fabriquent. Sinon, tu risques de finir comme eux.
— Je sais. Mais ne préviens pas Père.
— Alors j'informerais au moins Télès ! C'est l'aînée de la famille. Elle saura quoi faire.
— D'accord.
Le lendemain, je ne suis pas revenue. Je me méfiais, j'avais peur d'être de nouveau surprise. Mais la tentation était trop forte. Que ferais-je si ce carnet disparaissait de ma vie ? Est-ce que je saurais en trouver un autre ? Car je m'en rends compte à l'instant : il m'est devenu indispensable. Il faut prier.
Leucosie a raison, je me mets à me comporter comme un humain.
8eme jour :
Ma grande sœur a tenu sa langue. La frayeur d'il y a trois jours a disparu, ou presque. Il ne se passera rien. Leucosie a seulement prévenu Télès et j'espère qu'aucune autre sirène ne sera au courant. Suis-je à découvert sur ce tas de caillou ? Sans doute. Mes cheveux roux doivent se voir de loin. Il faudrait que je sois plus prudente.
Pourtant, ce cahier… J'ai l'impression que c'est comme lorsque les poissons clowns se réfugient dans leur anémone. La même chose qu'une sirène se réfugiant dans ses pensées. Et en ce moment, mes pensées vont tellement vite :
Une sirène qui écrit. Sur un carnet d'humain. Mais les humains sont dangereux pour toutes les créatures de la mer. Même les grandes baleines bleues sont terrifiées. Alors la sirène prie. Mais elle ne veut pas devenir humaine. Alors elle arrête. De prier. D'écrire. De penser.
Elle écoute les vagues clapoter contre le rocher. Elle voit le soleil qui se rapproche de l'horizon, qui donne une atmosphère si apaisante et si mystérieuse, comme à chaque fin de journée. Elle contemple l'océan qui miroite de couleurs chaudes. Le vent qui souffle. Et elle caresse le ciel rouge.
Cette sirène, c'est Meï qui rêve.
9eme jour :
Ma Mère, quand j'étais petite, me racontait souvent nos origines. Elle disait que nos ancêtres avaient des plumes à la place des écailles. Pourvues d'un corps d'oiseau et d'une tête de femme, les anciennes sirènes chantaient pour attirer les marins. Il paraît qu'elles mangeaient leur chair. Mais ce n'est qu'une histoire à raconter aux petites sirènes, avant que ne passe l'épandeur de sable. Un seul homme a profité du chant de nos ancêtres sans mourir. Ulysse.
Les dieux se fâchèrent. Il y eut une grande dispute entre Poséidon, notre père à tous, et Zeus, le roi des dieux. La mer subit cette grande colère des dieux lors d'une immense tempête. Des journée de foudres et d'éclairs, beaucoup de pluie… C'est ce que les humains appelèrent le Grand Déluge. Poséidon perdit la bataille. Beaucoup de sirènes furent tuées mais certaines se cachèrent et survécurent. Nous nous sommes transformées en femme à queue de poisson, pour échapper à la mort. Zeus finit par accepter notre existence.
Ma Mère raconte aussi que les sirènes d'autrefois avaient gardé leurs chants fabuleux et qu'elles continuaient d'attirer les marins pour les noyer. Les tritons, des hommes à queue de poisson, ont délaissés Poséidon pour nous rejoindre en ondins. Et ce dernier ne se manifesta plus jamais. Peut-être avait-il disparu. Ce n'est qu'une légende.
10eme jour :
La dixième, c'est Aglaopé, à la belle figure. Tout le monde admire la beauté de son visage. Des yeux noisette et doux, un petit nez, une bouche douce et sucrée comme une anémone de mer, des joues roses, de grands cheveux bruns attachés gracieusement dans son dos… Tout cela, c'est Aglaopé. Une foule d'ondins attendent ses trois cents ans, une dizaine. Et elle ne se vante pas comme Maria. Malgré tous ces présents de la mer, Aglaopé reste modeste.
Je l'aime beaucoup. Elle me ressemblait, toujours plongée dans de longues rêveries. Mais les jours, les années, les siècles ont changé ma sœur. Elle est devenue de plus en plus belle. Mère disait qu'elle avait mûri, qu'elle était devenue une merveilleuse sirène. Mais je ne l'écoutais pas. Je suis sûre qu'il reste une part de l'Aglaopé que j'ai connue autrefois. Enfouie sous les épaisses couches d'onguent.
Je guette la prochaine fête. Tout le monde se réunit, ma famille etles sirènes des alentours. On apporte des bigorneaux, des moules, des huîtres… On mange, on ritet j'aime sentir que tout le monde est heureux. J'arrive enfin à oublier mes problèmes, l'insouciance règne. Une question m'est venue au cours du dernier festin : Comment est-ce possible que les sirènes se nourrissent si peu ? Irène a formé une théorie très originale là-dessus. Elle explique que nous nous nourrissons de l'imagination des hommes. Ainsi, même si nous les craignons, ce sont eux qui nous feraient vivre. Je ne sais pas quoi en penser.
12eme jour :
C'était le soir. J'avais fini mon récit de tous les jours. Je refermai alors le flacon d'encre, cachai le cahier dans le trou de la roche, trop haut pour les vagues. Je posai la plume. Je plongeai et aussitôt une foule m'entoura. Des sirènes. Onze sirènes, exactement. Mes sœurs.
Ligie à la voix claire m'expliqua : Leucosie, après avoir confié mon secret à Télès la parfaite, avait proposé de prévenir tout le monde. Seule Raidné, celle qui progresse, n'était pas au courant, à cause de son jeune âge sans doute. Presque toutes mes sœurs se tenaient devant moi. J'étais comme le poisson dans l'antre du grand requin blanc. Piégée.
Psinoé, la persuasive, s'approcha de moi et elle me dit.
— Donne-moi le carnet.
Mais je ne pouvais pas. Même si ma queue se fanait au soleil, même si ma tête tournait, même si le vent salé piquait ma peau, ce journal de bord était devenu indispensable. Et je ne ne voulais surtout pas que mes sœurs le lisent.
— Donne-moi ce carnet, s'il-te-plaît. Il le faut.
— Non.
— Je te l'avais dit, ajouta Leucosie, elle est encore plus têtue qu'Aglaé !
Cette dernière jeta un regard noir à la sixième sœur.
— Merci Leucosie, reprit Psinoé. Meï, il faut que tu nous donnes ce cahier.
— Non.
— Pourquoi ?
— Parce qu'il… Je ne peux pas.
Psinoé, la cinquième sœur, aux cheveux bruns qui flottaient autour d'elle, au cou orné d'un collier de coquillage étincelant et aux yeux marron qui lançaient des éclairs. Psinoé m'avait toujours intimidée. Et elle arrivait à persuader une baleine d'attaquer une montagne et un congre de devenir végétarien. J'avais peur qu'à force, je finisse par céder à ses exigences et par écouter ses paroles rassurantes. J'avais peur qu'à force, je lui livre mon journal intime. Elle me dit :
— Meï, il faut nous le donner. Ta peau commence à bronzer et se dessèche, ton regard se durcit face au soleil et tu as parfois des difficultés à respirer. On dirait que tu commences à te transformer en humaine ! Nous nous inquiétons pour toi, tu sais. Donne-nous ce cahier, grâce à cela, nous parviendrons à rompre le charme.
Psinoé avait oublié de préciser que l'eau me devenait froide. Pourtant, je n'arrive pas à m'arrêter. Je pense que je veux devenir quelqu'un d'autre que la douzième sœur. Je veux trouver ma vraie personnalité et toutes ces soirées me rapprochent du but. Elle rajouta :
— Meï, il ne faut pas écrire dans ce carnet. C'est dangereux. Imagine que ce cahier soit l'œuvre d'une magie maléfique. Ou pire encore, imagine que ce carnet tombe entre les mains d'un humain. Imagine que ce dernier utilise les informations confiées là-dedans pour toutes nous tuer ! C'est un objet sinistre. Nous sommes tes grandes sœurs, tu peux avoir confiance en nous, alors remets-nous le cahier, s'il-te-plaît.
À ce moment, je faillis accepter. Parce que c'était Psinoé. J'avais oublié toutes les soirées passées sur le rocher, les sentiments et les souvenirs qui traversaient mon corps pour s'accrocher sur la feuille. À ce moment, je voulais juste lui faire plaisir. Mais je répliquai :
— Psinoé, écoute-moi. Je n'ai pas peur de me transformer en humaine. Ensuite il est très bien caché, ne vous inquiétez pas, chères sœurs. Et surtout… ce cahier n'est pas maléfique ! Grâce à ce cadeau, j'ai découvert l'écriture et je m'évade à chaque soleil couchant pour un monde paisible qui est le mien. N'avez-vous pas, mes sœurs, chacune votre jardin secret ?
C'est ce que j'aurais aimé leur expliquer. À la place, ma voix se perdit en balbutiements au sens obscur. Après ma fascinante tirade, Psinoé se retourna et dit :
— Meï est ensorcelée. Ce n'est pas de sa faute. Mais il faut arrêter cela. N'avions-nous pas dit qu'au besoin, nous utiliserions la force ? Il faut à tout prix détruire ce carnet.
Détruire ce carnet... C'était bien ce que mes sœurs avaient prévu depuis le début. Cinq de mes sœurs se sont alors jetées sur moi. Maria et Irène s'élancèrent pour immobiliser ma queue, Ligie et Molpé mes bras et Aglaé enroula les siens autour de mes hanches. Je me suis débattue, de toutes mes forces, mais avais-je une chance contre cinq sirènes plus âgées que moi ? Je les détestais mais je me rends compte désormais que, à leur place, j'aurais agi de la même manière.
— Non, Psinoé ! Je vous en prie, non…
Si on était à la surface, mes sœurs auraient vu des larmes couler. Je paniquais tandis que Psinoé se dirigeait vers le rocher. Je hurlai :
— ARRÊTEZ !
Mes cris furent entendus. C'était incroyable. Une escouade de requins foncèrent sur nous. Ils étaient une dizaine, des requins blancs avec des dents pointues prévues pour déchiqueter les poissons. Ils filèrent vers mes sœurs. Une terrible bataille s'ensuivit. Les requins montraient leur gueule redoutable tandis que mes sœurs s'enfuyaient à vive allure.
Pourquoi une armée de requins intervenait-elle si près des côtes ? Pourquoi à ce moment précis ? Je reçus un coup de queue sur la tête et je perdis connaissance. Un noir plus obscur encore que les fonds marins m'envahit.
Quand je me suis réveillée, j'étais sur la plage. Les vagues léchaient ma queue de poisson. La nuit était tombée et le vent salé de la mer faisait bruisser les herbes des dunes. Je suis rentrée, dans l'eau, dans mon monde, tout doucement…
Cette nuit-là, je ne suis pas retournée dans mon coquillage. Mes sœurs ont raconté à Père l'attaque des requins, sans préciser l'existence de mon carnet. Ils jugèrent le comportement des squales inquiétant et restèrent sur cette conclusion. Mes sœurs me regardent toutes avec mépris, sauf Raidné qui meurt de curiosité. Finalement, je suis revenue écrire. Je pense que mon journal est la clé qui pourrait m'aider à remonter à la surface. Pourtant, quelque chose qui m'échappe. Une sorte d'ange gardien. J'espère qu'il continuera à veiller sur moi. J'ai peur. C'est la première fois. Car ce soir, le vif du soleil couchant projette sur moi la couleur du sang.
13eme jour :
Je n'ai rien remarqué d'inhabituel. Je devrais être rassurée, mais ça m'inquiète. Mes sœurs m'ont rendue tellement méfiante. Un calme apaisant et troublant à la fois m'enveloppe. Comme le calme plat avant la tempête.
Je crois que je m'habitue à l'écriture. Pourtantla rédaction de ce cahier commence à devenir dangereuse. Je ne pourrai pas résister éternellement. Mais je ne laisserai pasmes sœurs le détruire. Souvent, j'ai l'impression que plus rien n'a d'importance, à part ce fabuleux moment, le soir, quand le soleil effleurela mer, quand chacun rentre et que je reste. J'écoute quelques instants le bruit des vagues sur les rochers. Ça m'apaise.
Molpé la huitième sœur dit souvent que les chants sont présents partout, dans l'eau ou à l'air libre, et même sous terre. Molpé, c'est la musicienne. Son timbre est aussi pur que celui des baleines, ses mélodies aussi belles que les perles d'huître et elle pourrait tenir un rythme toute une semaine. J'admire son chant limpide. Il force l'admiration, personne ne chante aussi juste et aussi intensément qu'elle. Moi, je ne chante pas. J'ai parfois la mélodie mais les paroles me manquent. Une chanson vient doucement en moi. Il suffit d'écouter, de la saisir au bon moment et de nager dessus. Je fredonne une chanson soufflée par le vent…
Et, tous les soirs, en nageant, je vais à mon rocher.
Et, tous les soirs, en flottant, je m'y rends pour rêver.
J'empoigne ma plume, la marée est mon encre.
J'empoigne mon cahier, les algues brunes sont mes pages.
Je me laisse emporter, les mots sont comme des vagues.
Je m'endors, à moitié, le soleil me regarde.
C'est mon carnet, mon journal de bord.
Mon secret, ma chère île au trésor.
Mais bientôt, le soleil descendra.
Mais bientôt, le soleil se couchera.
Et moi, je serai toujours là.
14eme jour :
Je sais. J'aurais du m'en douter. Mais je ne peux pas l'expliquer. Je peux juste rapporter ses paroles. Cet ondin est venu me voir. Il hésitait, ses yeux verts n'osaient pas me fixer. Ses joues s'empourprèrent. Et Hélios me dit :
— C'est moi.
— Oui ?
— Pour tout.
— Ça veut dire…
— Tu ne t'es jamais demandée pourquoi une bande de requins t'avait sauvée l'autre jour ? Pourquoi tes parents ne sont toujours pas au courant ? Et pourquoi tu as eu autant de chance jusqu'à aujourd'hui ?
— C'était… toi ?
— Oui. J'ai ordonné aux requins de te sauver et j'ai intimidé tes sœurs pour qu'elles tiennent leur langue. Je t'aidais en secret.
— Depuis quand ?
— Depuis le premier jour.
À ce moment, Hélios eut un sourire bizarre. Seul un coin de sa bouche se tordait. Un voile noir s'abattit sur ses yeux verts et les assombrit. Il reprit :
— J'étais ton « ange gardien ».
— Mais comment…
— Meï, j'ai lu ton carnet, ton journal intime comme tu l'appelles. Tous les soirs, après ton départ, je lisais. Et depuis j'ai compris que je ne serai jamais ton ondin.
— Mais…
— Tu aimes Priam, n'est-ce pas ? Tu l'aimes. Et surtout… Tu préfères te confier à un carnet d'humain plutôt qu'à moi. J'abandonne la lutte. De toute évidence, je ne serai jamais parfait pour toi. J'aurais dû le comprendre plus tôt. Pardon. Adieu Meï.
— Attends…
— Ne t'inquiète pas. Je ne lirai plus ton journal intime. Et je continuerai à te protéger. Au fait… tu as une très belle écriture.
Et Hélios partit. Je le revois encore, à quelques bras de moi, remuant doucement la queue. Je n'ai même pas tenté de le rattraper. Je ne pensais qu'à moi, à ce qu'il m'avait dit et non à ce qu'Hélios pouvait ressentir. Je ne voulais pas qu'il l'apprenne de cette façon. Pas comme ça. J'ai honte. Après, je suis allée me cacher et j'ai pleuré. « Adieu Meï ».
15eme jour :
Je ne veux plus écrire. Je m'en veux.
Mes balades avec Hélios me manquent déjà. Je me sens seule ; la journée, je ne pense plus qu'au carnet. Je m'ennuie. Ce journal intime vaut-il la peine de tout gâcher ? Mes sœurs, la confiance de mes parents, Hélios, et ma vie de sirène ? Car je me métamorphose peu à peu en humaine. Deux jambes se forment au travers de ma queue de poisson. Il y a d'autres signes…
Je voudrais que ce cahier disparaisse, qu'il tombe à l'eau et soit détruit, déchiqueté en mille morceaux, je voudrais que la plume se casse et que l'encre s'évapore ! Je ne veux plus de ce cahier qui détruit mon entourage !
Je suis trop lâche. Je ne peux pas. Il suffirait de m'enfoncer doucement dans la mer, le carnet contre mon cœur. Je sentirai le texte se dissoudre. Les vagues s'occuperaient d'effacer l'encre. Je me répète que, après, ce ne serait qu'un cauchemar déjà oublié. J'aimerais retrouver ma vie d'avant… Je pourrais m'excuser auprès d'Hélios et de mes sœurs. Mais ça ne fonctionne pas ainsi. Je suis liée à ce journal de bord. S'il meurt, je mourrais également.
Ce carnet représente tout ce qui me reste. Je n'arrive pas à me consoler. Je dois reposer la plume.
16eme jour :
Raidné pose des questions à toute la famille, sans succès. Raidné, c'est la plus jeune et petite sœur. C'est aussi le progrès car elle a toujours de bonnes idées. On raconte que les sirènes apprennent vite. Je l'aime beaucoup car malgré ses douze sœurs aînées, elle a réussi à s'imposer grâce à ses nombreux efforts. Même si, comme la mienne, son éclosion s'est mal passée.
D'habitude Mère pond un œuf puis elle le protège, sans jamais le quitter des yeux. Au bout de trente ans, il éclot et Mère lui donne la tétée. Quand elle naît, une sirène est difforme. Elle ressemble à un petit hippocampe. À la fin de l'allaitement, on distingue les bras et la queue. Les cheveux viennent ensuite. Au bout d'une journée, la sirène est capable de manger tout seule. Au deuxième jour, elle parle et nage correctement. Alors les parents peuvent faire un nouveau œuf.
J'ai éclot au bout de la cinquantième année. Quand je suis née, Mère n'avait plus de lait. On m'a raconté que j'étais presque semblable à ce que je suis. Père a dû trouver un mammifère marin, lui demander du lait et me…
Message pour une sirène
Jolie sirène, c'est donc toi que je voyais écrire sur un rocher. J'avais aperçu tes cheveux roux. Je t'observais, tu ne devais pas me voir.
Je suis désolé, mais j'ai imité Hélios. J'ai tout lu. De la première page à la dernière ligne. Deux fois même. C'est fabuleux, je n'arrive toujours pas à y croire. J'étais loin de me douter que tu avais une famille, des amis, un ondin. Le monde que tu décris me fait rêver. Et toi, tu m'impressionnes.
Je voulais te dire que je garderais ce secret au fond de moi. Je te le promets. J'ai tellement envie de te connaître. Est-ce que tu pourrais m'accorder cette faveur ? Je t'ai peut-être épouvantée hier soir, en me montrant, ou alors tu ne veux pas me répondre. J'aurais alors écrit pour rien. Ce message n'est ni un ordre, ni une mission. Il porte juste un brin d'espoir envers un être magique. C'est tout. Au revoir, ou peut-être adieu Meï.
Anthonin
19eme jour :
Mon carnet marin était posé sur la plage et les pages se soulevaient lentement à cause du vent. Il n'y avait aucun signe de l'humain. La nuit, je l'ai repris et je l'ai remis à sa place. J'ai vu le message qu'il a laissé. J'ai décidé de ne pas le lire. Trop de choses importantes ont déjà été englouties.
À présent, je comprends mieux. C'est parce que j'ai mûri. Ma vie était vide de sens. Enfin, ma vie de sirène insouciante. Mais je peux enfin servir à quelque chose et c'est la première fois que je m'y consacre avec toute mon âme. C'est cela que mes sœurs ne comprennent pas. Je risque ma vie pour créer. Ce carnet, c'est non seulement une œuvre que je veux finir à tout prix mais aussi un moyen de me démarquer et de prouver que j'existe. Aucune sirène n'a jamais tenté ce que je fais aujourd'hui : un immense voyage dans le papier parfumé, avec l'odeur de la mer, du bout de la pointe de la plume jusqu'à l'encre des pieuvres. J'explore la mer de l'intérieur. Et j'adore ça.
20eme jour :
Irène, l'originale, s'est perdue lors de l'une de ses longue exploration, qui peuvent durer plusieurs jours. Désorientée depuis un moment, elle a alors vu surgir une tortue de nulle part, de l'océan. Sa façon de nager a séduit ma sœur, elle l'a imitée, l'accompagnant durant un long moment. Finalement, Irène s'est rendue compte qu'elle connaissait les lieux. Et la tortue disparut lorsque la troisième sœur la remercia.
L'humain n'est toujours pas revenu sur la plage. Il est sans doute parti. En laissant ce maudit « Message pour une sirène ». Il ne sait rien de notre peuple. Les siens savent à peine que nous existons. Ils racontent que boire notre sang les rendraient immortels. Personne n'a jamais essayé. Aucun humain n'a réussi à ramener une sirène à terre. Plusieurs d'entre nous ont été capturés, par erreur, dans les filets. On raconte que les sirènes et les ondins, pris par les bateaux de pêche, se sont sacrifiés. Ils se sont changés en une larme, perdue dans l'océan. Une goutte d'eau salée…
Les sirènes sont en « voie d'extinction ».Est-ce à notre tour de partir pour toujours ? Je sais que chaque espèce se bat, chaque jour, pour ne pas disparaître de l'océan. Et nous, nous attendons, les jours se succédant avec la même platitude. Nous n'essayons même pas de survivre à tout prix. Nous attendons. Dire que nous étions une vingtaine de familles quand Alexia, la septième, est née. Il n'en reste que huit. Les humains détruisent notre vie, on nous l'a dit, répété. Et personne ne fait rien.
Je fais pire. Si j'avais un minimum de fierté, j'aurais jeté ce cahier à l'océan, ce carnet d'humain, comme maigre vengeance de tous les problèmes qu'ils nous causent ! Je suis sûrement folle. J'ai lu la première phrase de son message.
21eme jour :
Ma queue de poisson est bleue avec quelques reflets verts. Les couleurs sont un peu plus ternes que dans l'eau. Elle ne supporte pas d'être exposée ainsi. Celle des sirènes est plus fine que celle des ondins. J'essaye de m'imaginer avec deux jambes, en train de courir, sauter, marcher. Mon imagination déborde de tous les…
Je n'arrête pas de penser au message de l'humain qui m'attend dans ce carnet. Je ne pense d'ailleurs à rien d'autre. J'ai l'impression que… c'est beaucoup plus qu'un simple message. Il y a sûrement une réponse à toutes les questions que je me pose.
J'ai tout lu. Deux fois. Le message de l'humain. Et j'ai pleuré. Je ne sais pas pourquoi. Pourtant, c'est la première fois que je ris de cette manière. C'est la première foi que le soleil couchant est aussi beau. C'est la première fois que je suis autant en paix avec moi-même. C'est la première fois que… j'apprécie un humain.
22eme jour :
Mon monde s'écroule. Est-ce que je compte vraiment sur… lui ? Je ne peux pas. C'est juste que je me sens seule et qu'il n'est pas si mauvais que ça. Je suis désespérée en ce moment, mes sœurs m'évitent, je n'ai plus revu Hélios, Mère est occupée et Père s'inquiète pour l'œuf.
Pourtant j'ai vu un poisson lune ce matin. Il était magnifique, presque de ma taille. J'ai nagé avec lui. Je l'ai même caressé. Cela faisait si longtemps. Je ne dors plus beaucoup alors j'en profite pour vivre mes aventures. Je crois que je me suis enfin trouvée et que les autres m'ont découverte. J'ai toujours eu envie de prendre ma place et de crier « Je suis là ! ». Je suis une Meï qui, après deux cent ans, rêve vraiment.
À présent, j'aspire à construire un nouveau songe où je ne craindrais pas Père, où Hélios et mes sœurs m'aimeraient pour ce que je suis et où les sirènes écriraient dans des carnets marins et humains. J'aimerais réaliser ce dessein pour être avec Anthonin. Un tel monde pourrait-il vraiment naître ? La méfiance des hommes est trop présente parmi notre peuple. Je ne peux rien faire en petite sirène… Si les humains détruisent, ils peuvent sûrement construire. Il faudrait que j'aille là-bas.
Une sirène
Fille de Poséidon
Joue avec sa vie à elle
Pour te dire « Je t'aime ».
Est-ce le soleil qui enfonce ses rayons dans mon crâne ? On cogne dans ma tête, comme si un poisson cherche par tous les moyens à sortir. Mon corps réclame silencieusement l'eau de...
23eme jour :
J'aurais dû rejoindre l'eau. Mais je restais bloquée sur place, je ne pouvais pas bouger. Je n'arrivais plus à regagner les profondeurs. Je finis par perdre connaissance.
— Meï, réveille-toi ! Je t'en prie !
— Anthonin ?
Ce n'était pas l'humain. Ni mes sœurs. C'était Hélios. On était dans l'eau. Il me secouait tandis que j'avais l'impression de couler vers le fond. Sa peau était griffée par les rochers quand il était venu me secourir. Je voyais son visage pâle, inquiet. J'étais encore étourdie. J'ai grimacé. Je ne sentais plus ma queue de poisson, brûlante. J'essayai de le dissimuler mais Hélios s'en rendit compte :
— Meï, qu'est-ce qui t'arrive ?
Il me tenait toujours par les bras. Aveuglée par la douleur, je finis par fermer les yeux. Hélios paniqua et me secoua à nouveau. Je crachais des bulles. Je faillis perdre connaissance. Puis la sensation de brûlure s'affaiblit.
— Meï !
J'essayais de sourire à Hélios. Un faible sourire, encore crispé par la douleur. J'aurais voulu le rassurer. Hélios tremblait, ses yeux trahissaient une peur immense. Il ne voulait pas me lâcher, de peur que je ne tombe encore une fois. De peur que je lui échappe.
— Meï, il faut que tu arrêtes ça immédiatement !
— Je ne peux pas.
Je ne souriais plus.
— Il faut que tu arrêtes ça, Meï… S'il te plaît, arrête ! Arrête…
Hélios était désespéré. Je ne l'avais jamais vu comme ça.
— Je ne peux pas.
Je n'osais même pas le dire à voix haute. Mais j'avais décidé de ne pas mentir à Hélios. Non, je n'arrêterais pas. Il aurait tellement voulu que je lui dise que, oui, je stopperais cette folie. Il aurait pu me prendre dans ses bras, sans inquiétude, sans soucis à se faire. Je pense qu'il aurait préféré que je lui mente. À ma réponse, il devint encore plus pâle. Ses bras tremblaient et il semblait prêt à éclater en sanglots.
— Meï, écoute-moi… Tu dois arrêter d'écrire dans ce carnet. Veux-tu vraiment devenir une humaine, une créature maudite ? Tu… tu te transformes peu à peu en cette espèce ! Ta vue floue, ton nez qui saigne, tes affolements la nuit et tout le reste… Et quand je t'ai trouvée sur le rocher, ta queue brûlait tellement que je n'osais même pas la toucher ! Meï, je t'en prie…
Je faillis pleurer.
Je suis désolée.
Hélios devint plus pâle que jamais. Il comprit que je n'abandonnerais pas. Il comprit que j'irais jusqu'au bout, quitte à tout sacrifier. Il comprit, mais ne voulait pas y croire. Je répétais :
— Je suis désolée, Hélios.
— Non, non, non ! Meï, non ! Tu n'as pas le droit ! Écoute, je… je t'ai aimée dès le jour où je t'ai aperçue. Je suis tombé amoureux, ça ne m'était jamais arrivé auparavant. Et quand je te parlais, j'étais tellement heureux, tu ne peux pas savoir à quel point. J'aimais tout en toi, tes cheveux roux, tes yeux noirs, ta queue de poisson… Je passais des nuits à me demander comment te faire plaisir. Je voulais tellement te voir rire, te savoir heureuse et…
Hélios éclata en sanglots. Il pleura longtemps, ses larmes se mélangeaient à l'océan. Je pleurais aussi. J'étais désolée de n'avoir jamais essayé de le comprendre et d'avoir été si dure avec lui. Hélios, j'étais contente avec toi. Il me prit dans ses bras et réussit à articuler, entre deux sanglots :
— Je vais essayer de t'oublier, Meï. Surtout quand tu partiras dans le monde des humains.
Je ne répondit pas et il me serra plus fort contre lui.
— Réponds à son message, murmura Hélios.
Puis il s'éloigna. Il ne voulait pas que je le voie davantage dans cet état. Je ne veux plus qu'Hélios s'oppose à ma famille pour moi. J'ai décidé de changer et de tourner la page. Je veux essayer. Anthonin, demain, je réponds à ton message.
Anthonin,
Je t'interdis de lire mes derniers écrits. Je t'interdis de venir sur la plage quand le soleil se couche. Je t'interdis de parler de moi à quiconque. Je t'interdis de venir jusqu'au rocher où j'écris. Tu devras déposer le cahier sur la plage, quand le soleil est haut.
Si tu ne respectes pas une seule de ces consignes, si je me sens menacée, je noierai ce carnet et je disparaîtrai à jamais. Les humains sont dangereux. C'est une règle fondamentale du peuple des sirènes. Je ne sais même pas pourquoi je t'écris ce message. C'est sans doute parce que je suis attirée par la terre et ses habitants depuis que je suis toute petite. Mais ça ne change rien.
Meï.
Meï,
Je suis heureux, si heureux ! Je voudrais d'abord te remercier. Pour avoir répondu à mon message, et tout le reste. Je n'y croyais pas. Ce fut une immense surprise pour moi quand je reconnus le carnet posé sur le sable. La réponse tant attendue est finalement arrivée, portée par les flots, telle une bouteille jetée à la mer. J'ai bien sûr une foule de questions à te poser mais je n'ose pas.
J'aimerais te rassurer sur ce que tu penses des humains. Je sais ce que nous infligeons à la mer. On la salit, la pollue et pêche malgré des interdictions. Mais pas tous. Il existe des associations qui essayent de protéger la mer. Moi, je me contente d'espérer que les autres feront mieux que moi.
Quand j'ai lu ton carnet, je ne sais pas pourquoi mais je me suis tout de suite attaché à toi. Je voulais t'aider à tout prix, faire quelque chose, n'importe quoi ! Alors je t'ai écrit le message, pour te montrer que j'étais là. Tu es en quelque sorte devenue une bonne raison pour sortir.
C'est une correspondance hors du commun, féerique, un lien qui ne pouvait exister, et qui s'est tout de même créé. Ce carnet, il relie l'océan à la terre, le sol à la mer et une sirène à un humain. C'est magnifique. J'attends ta prochaine réponse avec impatience.
Anthonin.
26eme jour :
Le mot d'Anthonin me redonne le moral et confiance pour la suite. Mais si Psinoé avait raison ? Et si je me faisais manipulée ? Je me rends compte que je ne maîtrise rien, cette histoire est trop dangereuse et trop compliquée pour moi seule. Quelques fois, j'aimerais tout oublier, ne plus être responsable de ce désastre. Qui suis-je réellement ? Une sirène ? Parfois, je me surprend à penser comme un humain. Ça me fait peur…
Quand j'écris, j'ai l'impression d'oublier ce qui m'entoure, comme si le reste n'existait plus. Et si je n'en sortais jamais ? Je m'évade. Mélangeant l'encre noire et les pages blanches, la joie de l'écriture et la peine de l'isolement… les humains et les sirènes.
Je recommence à douter. Comment être sûre que je ne suis pas en train de commettre une folie ? Il faut que j'en parle à quelqu'un. Sous l'eau, il y a bien des méduses à qui se confier. Des tortues qui gardent en elles tous les secrets du monde. Des centaines de sardines prêtes à écouter. Dans la mer aussi, des milliers d'êtres vivants sont là. Un brin d'espoir venu de l'océan s'engouffre dans mes cheveux. Je lève les yeux. Je crois en l'avenir. Mère. Elle me comprend. Ce carnet ne suffit plus.
27eme jour :
J'y renonce. Je n'ai pas pu lui dire. L'humain ? Plus jamais. Il faut se méfier de cette espèce. Mon dialogue avec Mère m'a ouvert les yeux.
Je suis allée la voir dans son nid. On nage entre des rochers couverts de mousse de mer, entourés par de longues algues vertes. Un sourire bienveillant éclairait son visage malgré les profonds cernes de ses yeux.
— Tu as mauvaise mine, maman.
— Toi aussi.
Je n'ai pas répondu. Ma Mère avait repéré du premier coup d'œil ma pâleur et ma fatigue, les marques rouges sur mes épaules ainsi que ma respiration entrecoupée de bulles. Sa présence me rassurait. Elle ne m'avait jamais comparée à mes sœurs et je lui en étais reconnaissante. Au moment où j'allais commencer mon récit, elle murmura :
— Viens Meï, je vais te montrer quelque chose.
Nous avons nagé jusqu'au nid. Un calme absolu y régnait. Un œuf de couleur rose pâle, aussi rond qu'une perle d'huître, était posé sur le sable blanc et doux. La lumière s'yreflétait en tâches mouvantes.
— Il est beau, non ? me dit Mère d'une voix remplie de douceur.
— Oui…
— Malheureusement… je me demande si cet œuf survivra.
— Comment ça ?
— Il devrait bientôt éclore. Pourtant, il n'a même pas blanchi. Je me demande s'il n'est pas déjà trop tard.
J'avais une boule dans la gorge. Je me souviens d'une question, que je n'osais pas poser : Survivrons-nous ? J'aimerais décrire les sirènes comme inaccessibles, perdues dans leur monde de rêverie, de beauté et de créatures marines. Quelqu'un se souviendrait-il de notre peuple ? Les humains nous ont oubliées depuis longtemps. La théorie d'Irène l'originale est fausse, nous ne nous nourrissons pas de leur imagination, car ils n'en ont plus. Leur seul rêve consiste à tuer. Ne peuvent-ils s'empêcher de détruire leur entourage ? De se détruire eux-mêmes ? Car un jour, tout retombera sur eux. Comme une immense vague qui les noiera tous.
Tout est réduit en poussière, en sable. Un vide. Pas le moindre poisson, ni la moindre crevette. Le silence de la mer. Il n'y a plus rien. Je fais partie de cette nature effrayante. Je respire et pourtant j'étouffe. Où est la surface ? Il n'y a que le noir des profondeurs. On n'entend pas les vagues. Je veux parler. Deux bulles sortent de ma bouche et remontent. J'essaye de les suivre. Je nage, je m'arrête. Je les ai perdues. J'essaye alors de distinguer les alentours. Le moindre faisceau de lumière est englouti par la noirceur de l'océan. J'arrive enfin à prononcer un son. L'écho me le renvoie.
Mère m'a sourit. Elle se forçait, Mère était bien trop fatiguée pour sourire de cette façon. J'ai eu honte de moi et je me suis enfuie. Je n'avais pas le droit d'être dans son nid, avec l'œuf et Mère. Je ne voulais pas les décevoir. Je me souviens de sa maigreur. De ses mains qui tremblaient légèrement.Je dois arrêter de me mentir. Ce ne sont pas les humains que je déteste. C'est moi.
28eme jour :
Je me surprends à rêver qu'Anthonin soit un ondin. Je pourrais alors mieux le connaître. Il n'y aurait plus de problèmes, tout aurait disparu. Envolé. Il me raconte beaucoup de choses qui viennent de son monde. Je ne comprends pas tout mais j'aime bien. J'essaye d'imaginer son univers, ses proches. J'essaye de l'imaginer, lui. Je divague.
Anthonin m'a laissé un morceau de papier. Je l'ai chiffonné et jeté à la mer. Je ne veux pas de lui. Qu'il m'abandonne comme les autres. Car je ne veux pas que le carnet enjôleur le prenne lui aussi.
Je crois que… j'ai toujours admiré mes sœurs. Télès, la parfaite ainsi qu'Aglaé, la têtue. Elle aurait tellement voulu naître en première. À la place, Aglaé a hérité du caractère de Père. Elle ne cède jamais. Elle n'a jamais cédé. Même Psinoé, la persuasive, n'a pas réussi à prendre le dessus. Et elle est tellement obstinée qu'elle pourrait même refuser de mourir. C'est pour ça que je l'admire. J'admire aussi Irène, l'originale, parce qu'elle est si différente des autres et pourtant aimée de tous. Maria a de beaux cheveux blonds. Psinoé, la persuasive, est très sage et Leucosie, à la peau blanche, a un grand caractère. Alexia est toujours de bonne humeur, Molpé la musicienne nous enchante par ses chants surnaturels. Métiline est mignonne. J'admire Aglaopé, au beau visage, car elle ressemble à Mère, de cœur et de corps. Ligie, à la voix claire, est enthousiaste. J'admire même Raidné, celle qui progresse, pour sa distinction à son jeune âge, et l'œuf qui n'éclora sans doute jamais. J'admire chacune de mes sœurs pour leur rire, l'attention qu'on leur prête et leurs défauts. Je les admire toutes pour une seule et même chose :
Elles veulent vivre heureuses.
Meï, j'aimerais te parler à nouveau. Désolé.
Anthonin.
Je m'inquiète pour toi. Fais moi un signe de ta présence, je t'en prie.
Anthonin.
Il s'est passé quelque chose, je le sais. J'ai peur.
Anthonin.
Meï, je ne pense plus qu'à toi. J'espère qu'il ne t'est rien arrivé.
Anthonin.
Tu n'as pas lu mes anciens messages. J'ai peur que tu ne reviennes plus jamais.
Anthonin.
Meï,
J'ai déjà désobéi à ta règle. J'ai nagé jusqu'au rocher. Mais je te jure, je te le promets, je n'ai pas lu une seule ligne. Je m'inquiète trop pour toi. Sirène, reviens, je t'en prie. J'ai besoin de toi.
J'espère que les problèmes qui t'empêchent de venir ici se dissiperont et que ça ne durera pas. Malheureusement je ne peux rien faire pour t'aider. Je suis désolé.
Je suis désolé de venir sur ton rocher de l'écriture. J'imagine que ça ne va rien arranger. Mais je ne savais pas quoi faire d'autre. Je veux juste que tu saches que je m'inquiète beaucoup pour toi. Désolé. Je suis un humain. Je l'avais oublié. Maintenant que j'écris ce message, je sais que ce que je fais est stupide.
Pourtant, j'ai une grande nouvelle que je veux t'annoncer ! Je me suis engagé comme bénévole dans une association qui nettoie et protège la mer, dans mon village. Tout le monde est sympa, et j'ai le cœur plus léger. Je me sens beaucoup plus… digne de t'écrire. Je ne suis plus irresponsable, j'essaie enfin de sauver l'océan. En fait, c'est surtout ton peuple et ses légendes que j'aimerais sauver.
Tu es réellement en train de sauver mon quotidien. Grâce à toi, je change. Un grand merci, vraiment. J'espère ton retour.
Anthonin.
37eme jour :
Je dois raconter ce qui s'est passé. En rapport avec moi. Avec ce carnet. Avec ma vie. Ma plume ne se taira pas. Les souvenirs remontent brusquement en moi, sans que je ne puisse les arrêter. Mon bras gauche me fait encore souffrir, mais je tiens bon. Je… j'ai besoin de courage.
Pour Anthonin. Pour qu'il comprenne. Car je ne pourrais jamais le lui dire. Jamais. Il le faut pourtant. Il faut consigner à jamais ce jour. Je prends mon courage à deux mains. Je trempe la plume dans l'encre. J'écris :
C'était le matin. J'étais de bonne humeur. Je me suis longuement étirée dans mon coquillage. Je remarquai que mes sœurs avaient le regard fuyant. Aucune d'elles n'osait m'approcher, y compris Raidné. On s'était, comme tous les matins, coiffées et parées. Je ne comprenais pas. J'étais la seule à ne pas comprendre.
Soudain, un long cri me fit trembler. Puissant comme un tsunami. Dévastateur comme une tempête. Rauque comme un ouragan. Mes sœurs partirent aussi vite que possible. Il n'y avait que moi qui restais sur place, immobile. Père entra violemment. Son énorme bras saisit mon poignet et m'entraîna dehors, me jetant contre une pierre.
— MEÏ, TU ME FAIS HONTE ! OÙ AS-TU EU CE CARNET ?
Terrifiée, j'essayais de me fondre dans la roche. Celle-ci me rejetait, par crainte de finir brisée en mille morceaux. Aucun son ne sortait de ma bouche. Seulement quelques bulles. J'étais incapable de bouger. Père tremblait de peur et de fureur.
— ILS TE L'ONT DONNÉ ?
— Ce n'est pas vrai, je...
Une gifle vola, cinglante. Je retombai contre le sol. Tout tournait autour de moi. Ma joue brûlait.
— JE T'INTERDIS DE LES FRÉQUENTER ! CE NE SONT PAS DES ÊTRE VIVANTS, CE SONT DES MONSTRES, DES BÊTES !
— Mais...
Une autre gifle me réduisit au silence. Je tentais tant bien que mal de reprendre mes esprits. Je n'avais jamais vu Père dans un tel état. La colère déformait chaque partie de son visage. Télès s'était approchée avec prudence et elle dit :
— Père, il ne faut pas en vouloir à Meï. Ce n'est pas de sa faute. Elle a été charmée par un humain et…
— Elle a rencontré un humain…
Je regardais ma grande sœur, incapable de bouger. Ses mains plaquées sur sa bouche. Télès, la parfaite… ne l'était plus. Ma grande sœur venait de signer mon arrêt de mort. Père s'avança lentement vers moi. Je mis mes bras en signe de protection. Je savais que c'était inutile.
— Il faut tuer cet humain.
Anthonin ! Je voulais crier, réagir, mais mon corps endolori refusait de bouger. Si cet humain mourait par ma faute, je ne me le pardonnerais jamais. Père le détruirait sans hésiter, lui et tous ses rêves. Il ne hurlait plus, il n'était plus déformé par la rage. Il m'effrayait encore plus. Soudain, une voix douce, mais autoritaire retentit :
— Ça suffit !
Mère était arrivée. C'était la seule capable de l'arrêter. J'étais sauvée. Tout rentrerait dans l'ordre.
— Sors tout de suite te défouler sur un volcan ! Laisse ma fille tranquille !
En temps normal, Père aurait obéi. En temps normal. Mère fut propulsée contre un rocher. Mes sœurs, qui observaient la scène de loin, se dépêchèrent de la mettre à l'abri. Plus rien ne pouvait l'arrêter. Alors je fis quelque chose. Quelque chose d'extraordinaire. De dangereux. De complètement fou. J'allai me poster devant lui en écartant les bras. Je ne comprend pas d'où venait mon courage, ou ma folie. Qu'espérais-je vraiment ? Anthonin allait mourir et moi, j'allais le précéder. La peur m'avait poussé à agir.
— Aaaah !
La douleur me fit monter les larmes aux yeux. Père passa au dessus de moi, me laissant souffrir au sol. Je ne le reconnaissais plus dans sa folie. Père avait saisi mon bras et l'avait violemment tourné. Je m'étais effondrée sur le fond de la mer. Alors Raidné, celle qui progresse, fonça sur lui. Mes onze autres sœurs suivirent immédiatement. Père en gifla une, en propulsa deux mais il y en avait à chaque fois quatre qui revenaient à la charge, dans un seul et même but : garder Anthonin en vie.
— LÂCHEZ MOI ! IL FAUT LE TUER !
Un requin fonça et commença à aider mes sœurs. Puis un autre. Encore un. Hélios !
— Meï, fuis, va-t'en ! Je t'en prie, ne reviens pas ! Nous allons tenter de calmer ton père !
Ses yeux fixèrent les miens pendant une seconde puis il fila en nageant précipitamment. Je fis ce qu'il m'avait dit. Tenant mon bras avec ma main valide, je fuyais mon Père. Je fuyais ma Mère, mes sœurs. Je fuyais ma vie.
J'ai attendu neuf jours avant de nager à nouveau dans ces eaux-là. La montée sur le rocher m'a paru plus difficile que jamais. Je ne me souviens presque de rien. Je me cachais, je pleurais, je dormais peu. Je ne bougeais pratiquement pas. J'étais terrée au fond du sable. J'aurais voulu m'y fondre, y disparaître, que l'on ne me voie plus. Je ne me considère même plus comme une sirène. Je veux me noyer.
38eme Jour :
Merci Métiline. Merci. La neuvième sœur vient de me sauver la vie. Et je pars demain. C'était dans la journée. Je tressais distraitement mes longs cheveux en rêvassant. Métiline s'est doucement approchée de moi :
— Meï…
— Oui ?
— Personne ne sait que je suis venue te voir. J'ai eu très peur pour toi. Que comptes-tu faire ?
— Je ne sais pas. Je… Comment est Père ?
Elle ne répondit pas. Je faisais un tas de sable avec ma main droite, je traçais des sillons. J'évitais de penser à la question de Métiline.
— Il ne faut pas que je revienne, c'est ça…
— Meï, tu ne peux plus revenir. Père t'a bannie de la famille.
J'ai fixé Métiline sans un mot. Elle était devenue blême, tandis que je devais être aussi blanche que Leucosie. J'ai mal encaissé le choc. Mes mains tremblaient. Elle m'a prise dans ses bras ; je digérais toujours la nouvelle.
— Il faut que tu nous oublies. Pars. Rejoins l'humain, si tu peux.
— Je ne peux pas. Et…
— Meï, je comprends que tu ne veuille pas t'éloigner, mais… regarde-toi ! Tu n'as plus rien ici.
— Mais Mère…
Ma voix tremblait.
— Je garderai un œil sur elle.
— Et vous, mes sœurs ?
— Elles comprendront.
— Et toi…?
Métiline laissa passer un silence avant de continuer.
— Moi ? Tu sais Meï, même si on n'était pas très proches, je me souviendrais toujours de toi. La douzième sœur, celle qui écrit.
Elle avait prononcé ces mots avec fierté, mais j'en avais honte. Elle semblait pressée de partir. J'étais bannie…
— Merci. Pour ça, et pour tout le reste. Est-ce que tu peux… veiller sur Hélios ?
— Tu sais, j'avais déjà des vues sur lui.
Elle me sourit. Moi aussi.
— Adieu.
Métiline s'éloigna doucement, sans se retourner. C'était la dernière fois que je voyais une de mes sœurs. C'était fini. Ma vie était finie. Sa fine silhouette se fondait dans l'eau. L'océan ne veut plus de moi. Et je suis libre. Ma dernière journée dans l'océan… c'est demain.
39eme jour :
J'ai compris. J'ai tout compris. Et ce trente-neuvième jour est le dernier. Celui de mon départ. Ce journal intime n'a jamais été dangereux. Il est magique. Je l'ai senti dès que je l'ai touché. Il m'aidait. Il m'a ouvert les yeux sur moi-même, sur ma famille, sur les sirènes. Je voulais comprendre. Il m'a aussi ouvert sur les humains. Anthonin a été mon nouveau courant, un espoir auquel s'accrocher.
Je ne peux plus être une sirène. Je sais, je vois ma vie, notre peuple autrement. Sûrement comme une humaine. Les sirènes, c'est… fait pour cela. Ça vit heureux. Ça vit, tout simplement, sans se poser de questions. Je n'étais pas faite pour cette vie là et tant pis si la mienne est plus courte. Je veux agir.
J'ai toujours peur. Mais je suis prête. Pour abandonner ma queue de poisson, ma vie dans l'eau, les baleines et l'océan. Je laisse tout derrière moi. Je ne reviendrai pas.
Le peuple des sirènes renaîtra-t-il grâce à ce carnet marin ? Grâce à ce carnet capable de faire revivre les légendes ? Ce cahier, c'est une goutte d'eau salée venue de Poséidon. Il ne nous a pas abandonnées. Son peuple doit survivre. Grâce à ce carnet. Le journal intime d'une sirène.
Depuis que j'ai commencé à écrire… j'ai voulu de toutes mes forces rejoindre le monde des humains. Et inconsciemment, j'ai changé. Je me demande si je suis plutôt humaine ou sirène, mais tout ça n'a plus d'importance. Je suis moi. Et Poséidon va exaucer mon dernier vœu…
Je repense une dernière fois à la découverte du cahier sur le rocher. À l'interruption de Leucosie et à la menace de Psinoé. Je me souviens de la peine d'Hélios, de l'humain et de nos messages.Ma tête fourmille de souvenirs. Nous avons sauvé Anthonin, haï des sirènes.Il ne le saura jamais. Je veux tout oublier.
Adieu.
Aujourd'hui, je pars.
Un jeune homme se dirigeait vers la plage. Son visage trahissait de l'inquiétude. Ça faisait trop longtemps qu'il n'avait pas reçu de nouvelles. Anthonin enfonça ses chaussures dans le sable. Soudain, une chevelure rousse comme le soleil couchant attira son regard. Non, c'était impossible… Le jeune homme courut.
— Meï, non !
Anthonin s'arrêta brusquement, à quelques mètres de l'être roux. Il avait en face de lui un être humain.
— Meï, c'est toi ? C'est bien toi ?
Au bout de quelques secondes, l'humaine se réveilla.
— Qu'est-ce qui…
— Meï, je te rencontre enfin ! C'est merveilleux !
— Aïe !
Anthonin la serra dans ses bras, il enfouit son visage dans les cheveux de l'humaine. des larmes de joie coulaient dans son cou. Dans son empressement, il n'avait pas fait attention au bras blessé de la jeune fille. Anthonin ne voulait pas la lâcher. Mais elle lui demanda :
— Qui es-tu ? Et… Meï ?
Il desserra enfin son étreinte et lui répondit, tremblant :
— C'est… c'est Anthonin. Et c'est toi, Meï…
— Anthonin ?
Le jeune homme la regarda plus attentivement. Les yeux noirs de la jeune fille étaient vides. Anthonin comprit.
— Tu as perdu la mémoire ? Tu ne te souviens plus de rien ?
Elle secoua la tête de droite à gauche. Anthonin soupira, et sa voix se fit plus grave :
— Tu t'es transformée en humaine…
— Je ne comprends pas…
— Je crois que moi, si. Tiens.
Elle enfila le blouson qu'Antonin lui tendait.
— Je t'expliquerai. Mais pour l'instant, je peux te dire que ta nouvelle vie commence maintenant. Avec moi.
Anthonin aida la jeune fille aux jambes blanches à se redresser. Soudain elle sembla entendre quelque chose. Elle se tourna vers la mer. Son visage demeura impénétrable tandis que les émotions défilaient dans ses yeux sombres.
— Meï ?
La jeune fille ne répondit pas. Elle se contenta d'avancer vers l'écume qui se retirait déjà du sable. Elle semblait perdue, l'eau lui arriva jusqu'aux chevilles.
— Meï, qu'est-ce que tu fais ? S'inquiéta Anthonin. Où vas-tu ?
L'humaine ne l'entendait plus. Et malgré tout ce que put lui dire Anthonin, elle continua le long de la plage. La jeune fille partit.
C'est le début d'une humaine disparue, Meï, aux cheveux roux comme le soleil, aux yeux noirs et aux jambes blanches
Un immense merci aux lecteurs qui ont lu cette nouvelle jusqu'à la fin ! Je vous adore ! je compte présenter cette histoire à des concours et des appels à texte donc j'ai un énorme besoin de vos commentaires ! Je prends en compte absolument toutes les remarques ! Merci encore et bonne lecture ^^
· Il y a plus de 7 ans ·maelle