Le lac

Sylvie Palados

La journée prenait son envol ! Enfin le soleil nous montrait la voie vers la civilisation, la vie...

La pente était abrupt mais c'était quand même bon de deviner sous les nuages les toits des maisons. C'était doux de sentir le vent léger nous balayer le visage et se dire que bien que fourbus, nous retournions à nos petites vies d'avant !

Avant quoi direz-vous, avant ce que je ne souhaite à personne !...

Le week-end devait être parfait pour cette petite excursion en montagne. Juste le temps idéal, pour se désintoxiquer de la ville et filer respirer le bon air de nos sommets. Prévoir le matériel pour déjeuner, envisager la soirée fraiche, peut-être une nuit arrosée plus que de raison et un retour éventuel aux aurores, prévoir quoi !!

Ne jamais partir seul est le maître mot de la montagne. Un bon groupe de copains, il n'y a rien de tel pour s'aérer et passer un agréable moment, tous ensemble dans l'effort. La montée fut agréable, le temps commençait à être chaud, les casquettes n'étaient pas de trop pour nous protéger, et dire que nous n'étions qu'en mai ! Trois amis au diapason sur ce lieu magique, cet univers grandiose !

La marche n'était pas évidente, il fallait éviter les cailloux instables par moment, mais nous connaissions notre route. Quelques haltes aux torrents glacés qui zigzaguaient sur notre chemin et nous repartions rassérénés jusqu'au prochain arrêt, la pause déjeuner. Plus de travail, plus de stress, la liberté vraie, celle qui vous envahit en présence d'une nature si belle, si sauvage qu'on en oublierait presque qu'elle est indomptable !

Les pieds s'échauffent mais tant pis, surtout ne pas retirer les chaussures au risque de finir pieds nus sur ces chemins austères. Le repas n'est pas frugal mais il tient au corps. Accompagné d'un petit vin qui rafraichis les gosiers et l'après-midi devrait nous voir aborder la dernière montée avec entrain !

Enfin le voilà ! Il est superbe ! Majestueux ! Irréel ! C'est là que nous passeront la nuit.

Juste sur le surplomb qui laisse à ses pieds clapoter ce lac magnifique. Les couleurs du ciel semblent être absorbées par son énergie. Il reste sombre malgré le ciel si clair. Le vent fait vibrer ses flots comme le son d'une harpe. Cette mélopée nous endormirait presque tant le silence est respectueux. Les oiseaux ne nous ont pas suivis jusqu'ici. Nous devons faire trop de bruit à leurs goûts !

La tente est installée. Le réchaud est en train de nous préparer une bonne boite pendant que nous observons à l'horizon le soleil se coucher dans ce lac auréolé d'un feu rougeoyant. La température tombe d'un seul coup ! La nuit laisse apparaître ses mille feux dans les cieux, mais la lune n'est pas encore levée.

Le repas s'éternise autours de blagues plus ou moins graveleuses. C'est ça aussi la vie de copains ! Le silence ravive nos peurs d'enfants, alors pour faire passer le malaise nous rions et buvons peut-être un peu trop.

Pourtant la nuit se fait mordante. Le froid s'insinue sous nos pulls. Il nous traverse comme des fantômes. Le ciel est magnifique mais le froid s'intensifie alors qu'aucun courant d'air ne semble exister ! Un peu éméchés nous décidons de rentrer nous coucher au chaud sous les duvets. Mais le froid nous poursuit. Il s'accompagne d'un silence si parfait que la chair de poule nous prend. Goguenards on rigole, mais d'un rire nerveux. L'un de nous alors se met à chanter ce qui lui passe par la tête. Nous lui emboitons le pas. Tout plutôt que ce silence de mort !

Le froid ne nous lâche pas. Il persiste le bougre, malgré nos duvets, malgré le fait de s'être serrés tous les trois il nous envahit. Il nous traverse, nous caresse les visages. Il soulève d'un coup nos cheveux comme si une main invisible voulait nous bercer. Le sommeil nous gagne. Nous n'aurions jamais dus boire autant ! Qu'est-ce qui nous avait pris de vouloir dormir en ce lieu fantastique. Qu'est-ce qui nous était passé par la tête de croire que ces contes pour enfant ne nous effrayaient pas. Quels idiots nous faisions maintenant à vouloir résister à ces macabres avances qui avaient défrayées tant de chroniques !

Le froid s'accentuait, il s'arrêtait presque sur chaque poil de ma peau. Je le sentais passer silencieusement sans un souffle. Ma barbe s'accrochait à ses doigts glacés. Jamais je n'aurais cru avoir autant de duvet tant je le sentais trembler, se courber, se redresser, se courber de nouveau sous une main experte. Un glaçon parcourait mon échine, passant avec délicatesse sur ma nuque. Quelle sensualité, quelle tendresse, quelle horreur ! Ne pas s'endormir, ne pas fuir, ne pas risquer de disparaître dans la nuit. Supporter sa danse, supporter ses élans amoureux, ne pas tomber, résister. Je devais secouer mes compagnons, chanter encore et toujours, résister à ce sommeil tentant qui nous prenait d'un coup et nous entrainait vers une noirceur sans fond...

Le soleil dût avoir pitié de nous car j'aperçus ses rayons touchant l'entrée de notre tente alors même que des doigts légers m'enveloppaient tendrement. Le sursaut fut salvateur, il parcourut mes congénères et d'un bond, nous fûmes dehors à respirer cet air cinglant qui nous avait tant aimé cette nuit !

Jamais nous ne fûmes aussi pressés de partir. Le lac immobile ne reflétait pas les doux rayons du soleil. Sa couleur sombre semblait encore plus noire qu'hier, le vent avait fuit ce lieu sinistre lui aussi. Nous déguerpîmes sans un regard sur ce paysage pourtant si beau, si coloré soudain, si sauvage, si effrayant !

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