Le langage

Laurent Ottogalli

Vous voulez que je vous dise ?

Alors j’vais vous dire : j’peux plus…

J’veux dire : j’peux plus rien dire, vous dire…

Je ne peux plus mot dire, vous, vous allez me maudire,

Médire, mais dire quoi ?

Que voulez-vous que je vous dise ?

 

En fait, j’ai plein de choses à vous dire,

Des doses de choses pas très chouettes

Mais les grandes douleurs sont muettes,

Et des muettes pas rieuses, trop sérieuses…

Alors que dire, que faire dans cet enfer ?

Terminer mes rimes en mime ?

Une philosophie Marceau ?

Laurent le Lorrain

Devenu le Bayonnais bâillonné,

Condamné aux chansons de geste

Et au langage des signes,

Que voulez-vous que je signe avec ce qu’il me reste ?

À peine un chant du cygne,

Un slam en rose mais que ma larme arrose :

Laurent à Roncevaux, et son corollaire,

Le corps à l’air, en vain.

 

Joindre le geste à la parole,

Ma parole, obligé d’en venir aux mains !

Mettre des coups de poing sur les « I » ?

Au point où j’en suis, allez-y…

Remarque, parler avec les mains,

Normal pour un Rital, pas mal…

Mais vous m’voyez faire mon cinéma, en noir et blanc, muet ?

Et si je parle avec les mains, arriverai-je à vous toucher ?

Car est-ce avec les mains que l’on émeut le mieux ?

Trouverez-vous ma gestuelle majestueuse ?

Je veux bien faire un geste envers vous,

Mais verrez-vous ce que je veux dire ?…

(N’vous inquiétez pas, même si vous n’voyez pas,

J’s’rai bienveillant avec les mal-voyants)

Si je vous tends les mains, m’entendrez-vous ?

Vous m’entendriez mieux en tendant l’oreille…

 

J’pourrais jongler avec les mots,

Envoyer des paroles en l’air,

Mais elles pourraient retomber dans l’oreille d’un sourd…

Car il n’est pire sourd, rappelez-vous :

Le langage est source de malentendus, c’est entendu,

Surtout pour les malentendants (c’était tentant...),

Pas de sous-entendu, j’vous sens tendus…

 

J’pourrais parler avec les yeux,

Dire des mots durs en faisant des yeux doux,

Mais en plein deuil, peu enclin aux clins d’œil,

La diction risque d’être salée,

Et puis, entendrez-vous la larme ?

Palpitant, j’pourrais laisser parler mon cœur,

Mais, moqueurs, vous allez faire la sourde oreille !

Vous en battre tous en chœur…

Entendrez-vous ce bruit sourd qui sourd,

Ce silence qui élance dans l’oreillette ?

Tout retourné,

J’pourrais baisser mon pantalon,

Vous laisser voir les talons,

Mais vous allez m’remonter les bretelles !

Si certaines voudront m’détailler, m’juger sur pièces, s’approcher,

D’autres voudront me juger, me tailler en pièces, un procès…

 

« Un procès, Messieurs Dames ! »

Alors par méfiance, par avance,

Parole d’honneur, j’donne la parole à ma défense :

À mon corps défendant de parler,

Je reprends les choses en mains…

Je me fais l’avocat du diable, « Au diable la vocale ! »

Des effets de manche, pour que la revanche soit belle…

Mais là, pris en flagrant délit au bord des lits des belles,

Tiens, j’vais m’arrêter, …mais promis, j’dirai rien :

Pas la peine d’essayer de m’tirer les vers du nez,

Juste écouter ma peine à peine prononcée…

Condamné à ne plus faire de discours,

La sentence est sans appel : au secours…

 

J’vous l’avais dit, j’peux plus rien dire,

Alors autant donner ma langue au chat,

Plus la peine de parler… surtout pour ne rien dire…

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