LE LECTUNEURONE

     Le lectuneurone me rend admiratif et inquiet. Le professeur FIOLÉPROUVETTE, directeur du laboratoire expérimental TAMALOU, atteste que la découverte est un progrès fondamental révolutionnaire de la cinquième dimension. Le comité scientifique L'APPRENTISORCIER conseille l'usage de cette technique au seul profit exclusif de la médecine dans le traitement des maladies de l'esprit sous couvert de l'absolu secret médical. Pourquoi pas ? Mieux qu'un sérum de vérité, qu'une confession, que des aveux ou qu'un scanner, cette nouvelle technologie de communication est le révélateur de la pensée, des émotions, des sentiments et du subconscient de chaque être humain.

      Intégrant un émetteur et un capteur microscopiques, une bille est maintenue au-dessus de la fontanelle grâce à une coupole de cuivre ajustée par un ruban jugulaire réglable ; l'interrupteur placé dans le bracelet de cuivre à un poignet permet la marche ou l'arrêt du système ; ainsi le patient est-il équipé ! Le concept ne fonctionne que sous les cinq conditions sine qua non : 1°- Le patient signe la thérapie que l'on peut stopper à tout moment. 2°- Le médecin est appareillé du même dispositif. 3°- Les deux interrupteurs sont ouverts ; la transmission est en mode full-duplex. 4°- Le médecin et le patient debout tendent l'un vers l'autre le bras au bracelet en pointant l'index tendu avec le poing fermé ; les autres doigts de la main au bracelet sont inopérants ; si un bras ou un index se détend, si un poing s'ouvre ou si un interrupteur est sur arrêt, la relation est interrompue. 5°- La distance entre les deux index ne peut excédée trois mètres ; au-delà de deux personnes et de trois mètre la communication est vaine.                                  C'est précisément la distance qui calibre la teneur des informations révélées ! Le traitement se fait en 7 paliers décroissants de cinquante centimètre : plus les index se rapprochent jusqu'au dernier stade de la distance zéro du touche à touche, plus les renseignements saisis dévoilent les quintessences des deux personnes.

     L'expérience que j'ai testée a été réalisée à trois mètres de distance avec le professeur ; ce dernier a refusé le rapprochement car je n'étais pas malade. Il a eu raison ! Ce que j'ai capté sur lui m'a troublé et restera confidentiel ; ce qu'il a dû recevoir de moi doit l'être tout autant pour lui. Énorme !Impressionnant ! Incroyable ! Dangereux ! Démoniaque !  Aussi risqué pour lui que pour moi ! C'est la réciprocité égalitaire et fraternelle des informations divulguées qui ne passe pas. Les psychologues et les psychiatres en veulent à l'unique condition que la transmission ne se fasse que dans le sens du patient vers le médecin. Alors que le ministère de l'intérieur semble intéressé en voulant la même garantie, la justice et les avocats ont transmis une fin de non-recevoir : la présomption d'innocence ne peut être annihilée. Par ailleurs les associations pour la défense des droits et des libertés exigent une législation règlementée sur l'emploi de cet instrument. Enfin les religions ont montré leur opposition œcuménique intransigeante ; notamment le christianisme et le judaïsme ont réaffirmé que la Genèse demeure la seule foi historique et scientifique valable.

      Ce que le professeur FIOLÉPROUVETTE m'a glissé à l'oreille et autorisé à divulguer est extraordinaire : au touche à touche des index – grâce à l'exploration infinitésimale de l'ADN des chromosomes – le lectuneurone peut remonter les deux arbres généalogiques jusqu'à leur origine. Sous le contrôle de L'APPRENTISORCIER, l'expérience avec un autre chercheur s'est arrêtée au deuxième stade, à deux mètres cinquante de distance : « - Depuis nous sommes en froid ! Les vérités et la réalité des personnes ne doivent jamais être connues à égalité dans les deux sens ; la tolérance a ses limites ! Nous allons réorienter nos recherches dans le sens unique de transmission sollicité.» Certes ! Mais je n'écarte pas non plus d'autres emplois moins éthiques.