Le lien
Brigitte Delaperelle
Ceux qui me disaient tu ne peux pas comprendre, tu n’as pas d’enfant me faisaient doucement ricaner. Je les voyais devenir de doux imbéciles dès qu’il s’agissait de leur marmaille. Un nourrisson, pour moi, avalait à un bout, évacuait de l’autre et au milieu les pleurs à tout bout de champ. De vous à moi, je trouvais ça assez moche, un nourrisson. A tous points de vue. Esthétiquement, mais, aussi par le temps que ça prenait et l’espace que ça envahissait alors qu’il ne s’agissait que d’une toute petite chose insignifiante finalement. Et je trouvais moche la vie de mes amis, centrée autour du brailleur.
Un jour je fis ce que tout le monde attendait de moi : un bébé. Je suis tombée enceinte. Dans mon cas, le terme tomber est tout-à-fait adéquat bien que ce bébé ait été conçu de plein gré. Je l’ai vécu comme un moment de plénitude physique, couvant mon œuf, mais l’amour n’était pas présent, pas vraiment. Je vivais l’état que des millions de femmes vivent de par le monde. Je le vivais dans de meilleures conditions matérielles que certaines mais je ne ressentais pas le lien qui m’unissait au bébé. C’était un peu comme si je jouais un rôle, le rôle de la femme enceinte, la femme fragilisée et capricieuse, sans trop abuser. Ce rôle me plaisait et le statut qu’il me conférait aussi.
Il y avait le bébé et il y avait moi, deux entités distinctes. Un bébé que j’aimais en dehors de moi, un être à part entière, déjà. A aucun moment je ne me suis sentie squattée. C’est juste que je me sentais comme une bouteille pleine qui va se vider.
Et la bouteille se vida. Fatiguée par l’effort, j’étais satisfaite du travail bien fait.
Dans la nuit, quelques heures seulement après mon accouchement, bébé pleura. Je pris le petit corps cramoisi et l’installait le long de moi, bien que ce fût interdit. Protégé par mes bras l’enlaçant, calmé par les battements de mon cœur, son visage tourné vers moi, bébé était à ma merci, si fragile. Puis vint le flash, comme un éblouissement, une révélation. J’ai distinctement senti le lien qui nous unissait. Un lien qu’on ne peut pas expliquer, une connexion, on ne voit rien mais c’est là, puissant au-delà de ce qu’on peut imaginer. Le bébé et moi communiquions, communions. Il était si fort ce lien que je sentais comme des vibrations dans l’air. Nul langage, nulle demande à satisfaire. Bébé me transmettait un amour en devenir et une confiance en l’avenir. Ce lien ne nous a plus quitté pendant de longues années.
Si vous n’avez pas d’enfant, vous ne pouvez pas comprendre…
Je t’aime, ma fille.