Le Lion.

Christophe Hulé

Un bond en avant, on avait quitté Granville. Promis, je referai des bonds en arrière, si je n'oublie pas. Moi, j'étais en mi-4ème et ma sœur du dessus en mi-3ème.

On est arrivé en pleine nuit, il pleuvait des cordes. On est entré sous un grand porche à l'ancienne avec la grosse SIMCA 1301 et la remorque derrière pour les affaires urgentes. Le camion de déménagement devait arriver le lendemain.

La maison s'étendait dans les arrières comme une ferme d'autrefois. Il y avait des greniers partout. Les plinthes sculptées faisaient un mètre de haut au moins. Pareil, aux plafonds, très hauts, il y avait des moulures plutôt classes près des bords et autour des lustres. La maison avait appartenu à un vétérinaire qui avait fait partout des cloisons. Mes parents savaient y faire, on était habitué aux déménagements. Toutes les cloisons ont sauté. On était pas des cochons d'Inde quand même.

En plus des greniers, un véranda ancienne de 9 mètres de long.

Le grand luxe, chacun sa chambre et finis les lits superposés et le frangin qui s'amusait à me cracher dessus.

Une fois, pour l'anecdote, il traînait un peu trop dans les toilettes. Il savait très bien que je trépignais et pouvais à peine me retenir. Il ne s'est pas amusé longtemps, lui aussi a eu droit à la douche dès qu'il a enfin ouvert la porte. J'étais bon tireur.

L'achat de la maison comportait une clause essentielle. Les propriétaires devaient accepter un ravalement total de la façade payé par la mairie. Un problème d'espace et de perspective je crois. Pourtant le bled, c'était pas Versailles.

Pendant des ses semaines, on s'était replié dans l'aile arrière. Tout l'avant était ouvert sur la rue, comme à Beyrouth. Pour ma mère allergique, ça a été très dur.

Mais alors, l'avantage c'est qu'on prenait tous nos repas à l'auberge du village.

Ma sœur, qui n'avait pas du tout accepté le départ de Granville, traversait exprès le village en pyjama en répétant qu'on était chez les ploucs.

Il y avait un champ de courses très célèbre. Bon, c'était pas mal quand même. On allait s'y promener en famille assez souvent.

Mon père n'était pas vraiment un grand sportif, pourtant il était militaire de carrière avant de changer de voie.

Juste après notre départ d'Algérie, à la débâcle en 62, il avait quitté l'armée au bout de 13 ans sans attendre les 2 ans supplémentaires qu'il lui aurait permis de toucher sa retraite de militaire. Il gérait l'épicerie et le bar des soldats et n'avait rien d'un tortionnaire. On n'a jamais su ce qui l'avait traumatisé, d'ailleurs, il ne nous parlait jamais de l'Algérie.

Bon, j'y reviendrai peut-être, mais ça fait beaucoup de trucs à ne pas oublier. Il va falloir que je prennes des notes.

Bref, une fois seulement, on l'a vu s'inscrire à un club de basket. Il est revenu avec un gros pansement. Retour aux activités dans son bureau (un mystère à vrai dire, même aujourd'hui). Il y a les sportifs et les méditatifs.

Revenons au haras du Lion d'Angers. Il était temps que je vous dise où on avait atterri.

Dans l'allée principale, le long du champ de couses, il y avait une grande chaîne qui barrait le passage. Mon père a voulu faire le malin (il n'avait toujours pas compris qu'on était pas dupe). Il a foncé tout droit sur la chaîne et au dernier moment a coupé son élan pour une position de saut en ciseaux. Il s'est retrouvé allongé sur la chaîne et a pivoté d'un coup.

Mon frangin du dessous avait l'habitude de saigner du nez. Allez savoir pourquoi.

Eh bien on a traversé le bled avec le père devant qui boitait sérieusement et le frangin en fin de peloton, soutenu par ma mère, qui saignait du nez.

Pas besoin de vous faire un dessin sur la façon dont les rumeurs circulent dans ce genre de patelin.

  • j'avais lu "La maison s'étendait dans les arrières comme une femme d'autrefois." ce doit être une déformation misogyne, de ma part.
    Autrement, elle est bien ton histoire, toute inventée. :o))

    · Il y a presque 3 ans ·
    Photo rv livre

    Hervé Lénervé

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