Le lourd poids du passé

Jade Dorcier

Je marchais depuis une éternité dans ce désert de cendres infini. Les fines particules carbonisées me brûlaient les poumons et asséchaient ma gorge. J'avançais péniblement vers un horizon incertain. Une chaîne lourde et encombrante entravait mes mouvements et rattachait ma cheville à un énorme boulet dont je ne pouvais me défaire. J'étais comme un mort-vivant dans cet endroit aride, comme une âme damnée, condamnée à errer pour toujours en enfer. Je n'avais plus que la peau sur les os, mes blessures ne cessaient de saigner, du sang séché recouvrait mes lèvres gercées et le trou béant dans ma poitrine me lancinait. On m'avait laissé pour mort, persuadé que je ne me relèverait pas. Et pourtant j'étais là, utilisant le peu qu'il me restait de volonté pour avancer encore et encore. Ne pas se rappeler, oublier, tourner le dos à la mort, leur montrer qu'ils ne gagneront pas et toujours l'espoir fou de trouver le paradis. Chaque pas, chaque souffle, chaque battement de cœur était un effort considérable. Un cœur. Le mien n'était plus que chaire putride en lambeau. Mais il continuait de battre. Je l'entendait son imperceptible "toudoum toudoum". De temps à autre j'entendais la voix des anges là haut me demander: "Pourquoi as-tu fais ça?", "Qu'est-ce qu'y t'as pris?", "Je ne te comprends pas...". Dans ces moments là je souris. Vous ne me comprenez pas, moi non plus avec le temps. Quelles étaient mes motivations? Elles devaient être pleines de promesses pour que j'en devienne fou et aveugle. Lentement, douloureusement, je levai la tête. Depuis combien de temps étais-je là? Est-ce qu'un jour je trouverai mon salut? Comment suis-je arrivé ici? Non, ne pas se rappeler, oublier, tourner le dos à la mort, leur montrer qu'ils ne gagneront pas et mettre un terme à cette partie d'échecs interminable. Un arbre mort, fétiche et calciné. Voilà ce qu'y se trouvait devant moi. J'avançai, toujours aussi lentement et pesamment vers lui. Peut-être était-il encore assez fort pour me porter le temps que je reprenne mon souffle. Je me laissai tomber contre son tronc, le front posé sur son écorce. Je mis mes mains autour de ce frêle bout de bois comme s'il avait été un vieil ami que je n'avais pas vu depuis longtemps. Non, il n'était pas mort. Je pouvais sentir un mince filet de sève couler sous mes doigts. Je plantai mes ongles crasseux et cassés dans l'écorce comme pour l'absorber. Une vague de colère, de chagrin et de douleur s'empara de moi comme un démon voulant me posséder. Il fallait que ça sorte, sinon tout ça allait me détruire. Alors je me mis à chanter. Une chanson qui semblait venir d'une autre dimension. Cela me faisait bizarre d'entendre ma voix. Des larmes se mirent à couler sur mes joues. Un brasier venait de s'allumer dans ma poitrine et me brûlait. Mes mains me faisaient mal, ma cheville enchaînée me faisait mal, ma gorge me faisait mal, ma tête me faisait mal, tout me faisait mal et j'en avais assez. Assez de souffrir, assez d'être dans cet endroit hostile, assez d'entendre ces voix qui répétaient sans cesse les mêmes questions, assez de cette chaîne qui m'empêchait d'être libre. Je me mis à hurler les paroles. Cela me faisait un bien fou. J'avais l'impression de revivre. Les larmes continuaient de rouler jusqu'au sol laissant un sillage brûlant sur ma peau. A bout de souffle, je tombai à genoux. Je fermai les yeux et pris une grande inspiration. Quand je les rouvris, tout avait changé. De l'herbe tendre et chatoyante avait remplacée les cendres, l'air était pur et frais, mon arbre était devenu un chêne immense cachant le soleil avec ses feuilles; mes blessures avaient disparus et l'énorme boulet aussi. J'étais libre et guéris à présent et j'avais enfin trouvé mon jardin d'Eden. Il ne me restait que deux cicatrices. Tant mieux, elles me rappelleront dans quelle folie je me suis entraîné et ce qu'il en a résulté.

  • Intriguant, faisant ressortir des sensations, ricochant. Tes phrases se répercutent. Quelles sont les deux cicatrices?

    · Il y a plus de 10 ans ·
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    oriana

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