LE LUXE EST PRESERVATION
Olivier Parent
Qu’ont en commun la biodiversité et les patrimoines immatériels de l’humanité ?Ils sont tous en voie de disparition... Et, y avoir accès est devenu un luxe alorsque ces diversités biologiques et culturels sont indispensables à l'avenir del'humanité. Le nombre des entreprises qui se consacre à la préservation de cespatrimoines sont là pour témoigner de cette nécessité.
Alors, quand, à grand renfort de plans médias, un nouvel acteur annonce vouloirprendre part au grand œuvre de cette préservation, on ne peut que s'interrogersur la finalité de ce nouveau projet surtout quand on apprend que les capitauxseront exclusivement privés. Le nom du projet lui, annonce clairement unecertaine pompe : les Sanctuaires du Monde. Dans un esprit d'apaisement, lespromoteurs de ces Sanctuaires précisent d'emblée que leur projet ne viendraen aucun cas concurrencer les actions préexistantes. Bien au contraires,les Sanctuaires souhaitent mettre à la portée du grand public les bénéficeshautement spécialisés issus des programmes tels que l’Arche du Spitzberg(dans laquelle, depuis plusieurs décennies, on rassemble les patrimoinesgénétiques des formes de vie de notre planète), ou les Volontaires des Îles dela biodiversité (qui s’engagent à préserver les dernières terres sauvages) oubien, encore, le Champ Zoo-Ethnographique Virtuel (une gigantesque simulationde notre planète dans laquelle vivent ou revivent des animaux aussi bien quedes sociétés disparues...). Si le pitch tient en trois lignes : “Les Sanctuaires proposeront une expérience intime et unique. Ils mettront en œuvre l’excellencehumaine enfin mise au service la lutte pour la préservation des écosystèmesen perdition !” les simulations, elles, sont splendides. Grâce la réalité virtuelleen immersion, l'expérience est des plus complètes : On se promène dans unÉden virtuel où l'on croise à loisir toutes sortes de formes de vie dans desenvironnements paradisiaques... Il faut aussi croire que les promoteurs desSanctuaires savent être convaincants car, depuis peu, au cœur de la plupartdes mégapoles de la planète, on voit se dresser d’immenses constructions d’oùsortirons bientôt ces fameux Sanctuaires.
Pour les populations qui n'ont jamais connu la planète que dans l'état dedécrépitude contemporain, les Sanctuaires, une fois achevés, pourraient biendevenir ce que furent, en leur temps, les grands zoos du XIXe siècle. Là, lesfoules occidentales pouvaient voir des exotismes, à l'époque, difficiles d’accès.Les Sanctuaires rappelleront qu’il y a peu le monde se baignait dans l'eau bleuedes lagons aujourd'hui submergés, qu’il se mirait dans des banquises fonduesou se perdait dans des forêts aujourd'hui rasées... Ces zoos ultramodernespermettront à notre présent de voir, à nouveau, un bout de ces paradis perdus...Contenues dans des unisphères (contraction d'univers et sphère), ces zoosrassembleront des écosystèmes reconstitués. Rayé de la surface de la planète,chacun de ces écosystèmes sera choisi pour son caractère exceptionnel.Ce pourra être un lagon des Seychelles, une forêt primordiale de Bornéo,
une savane Dogon, un glacier et son alpage, des palétuviers de Floride, unebanquise, un haut plateau himalayen... Les équipement des sanctuaires serontdotés de ce que les dernières technologies peuvent apporter de plus novateur.Un exemple : les parois des unisphères seront faites de verre photo-actif : photo-électrosynthèse, photo-absorbtion de polluants, catalyse de nutriments à partird’éléments chimiques présents dans les écosystèmes...
Ce que le grand public sait moins, c'est que ces Sanctuaires ne seront pas àdestination que de nos seuls faunes et flores, souvent ramenées du néant àgrands renforts de genèse génétique. Une simple volonté de sauvegarde mêmealimentée par un fort sentiment de culpabilité n'aurait pas suffit à financer ceszoos du dernier espoir ! D’autres trésors se cacheront au cœur des Sanctuaires,bien à l’abri des regards des simples visiteurs des zoos. D’ailleurs, si l'envie vousen prend et, surtout, si vous en avez les moyens, vous pouvez dès aujourd’huidécouvrir cette autre manière de jouir de ces lieux, manière qui, même si ellen'est pas occultée dans les communications officielles, ne s’y trouve guèrequ'effleurée... Il suffit de vous rendre à Dubaï. C’est là que vient d’ouvrir lepremier Sanctuaire du Monde. C’est là que vous pourrez vous isoler pour vivredes moments de luxe rares par les temps qui courent !
Client spécial des Sanctuaire du Monde, vous pourrez y jouir d'une hôtelleriede luxe issue d'un artisanat d'art exceptionnel. Ces savoir-faire culturels, bienimmatériels de l’humanité sont tout aussi délicats à préserver que la biodiversité.Ces artisanats fleurissent en puisant, avec parcimonie, directement dans lesfruits de la sauvegarde de l'écosystème dont ils sont originaires ! Marqueterie dubois, d'os, travail du cuir, du fer ou de la pierre, tissage de draperies délicates,vannerie, joaillerie, orfèvrerie, ébénisterie et menuiserie... Tout ce que lesartisans d'art du monde entier font de plus précieux se trouve à portée de votremain fortunée. Chacun des objets mis à votre disposition est une pièce tout à faitunique... Au Sanctuaire de Paris, en phase de finition, Képhas Quasghett, sondirecteur, a sa propre vision : "Le luxe réinventé !" Il compare son établissementau luxe des thermes de Monaco ou des complexes hôteliers tels que celuidu Normandie, à Deauville, quand ils ouvrirent leurs portes, au cours de ladeuxième moitié du XXIe siècle. Ces établissements existent toujours, ils ontété rénovés, bien que, s'empresse-t-il d’ajouter, leurs capacités écologiquesn'atteindront jamais la qualité et le rendement en “équivalent carbone” desSanctuaires du Monde. “Ce sont des lieux sélects, soit, mais ils restent désuetsen terme de conception” conclu monsieur Quasghett.
Malgré ces portraits alléchant, les opposants aux Sanctuaires existent. Ilsaffublent les Sanctuaires du Monde du sobriquet d’AristoLand. Qu'ils soientsyndicats ou associations familiales, beaucoup doutent des intentions altruistesdes promoteurs des Sanctuaires. Ces réfractaires - ils revendiquent cetteappellation - s'opposent farouchement à ces futurs "zoos low cost" dans lesquelsle grand public sera cantonné une frange congrue de ces univers clos danslesquels les nantis bénéficieront d'un luxe inaccessible, le tout sous couvert
de protection de la biodiversité ! Mais la mode est lancée... le marché, une foisencore, semble imposer sa loi.
© Olivier Parent - prospective.lecomptoir2.pro
Rappel des articles INfluencia précédents :
- Le corps : Du sacré au marché
- Le luxe se sanctuarise
- Quel avenir pour les objets du luxe
- Vivre Djeuneer
- Media total ou immersion totale ?