Le maître d'école
aile68
J'ai jamais eu peur du maître d'école, au contraire j'avais envie d'être son amie. Une mauvaise note? Qu'importe! J'aurai mon bon point une prochaine fois, pour la dictée, en français, trop fortiche! J'aurais pu être première de la classe une fois mais comme les maths c'est pas mon fort! Le maître n'était pas content, mais moi je pris ça avec placidité, une certaine bonhomie qui me caractérisait pendant les cours de maths et que je nageais complètement. Une léthargie me prenait et je sentais que je souriais tranquillement comme si le fait de ne pas comprendre ne m'atteignait pas. Un jour je me souviens le maître m'a secouée comme un sac de pomme de terre, je n'ai rien dit, il ne devait pas comprendre mon comportement. Y en avait une comme ça mais elle c'était pire que moi, elle n'était pas bonne élève du tout, Anne-Lise, elle souriait comme moi quand elle ne comprenait rien, elle disait qu'elle avait compris le cours de maths, quand le maître l'envoyait au tableau, elle ne savait pas faire l'exercice. Je ne sais pas s'il m'a fait ce coup là, tiens! Moi en tout cas je l'aimais bien. J'étais même amoureuse, tiens! Il s'appelait Etienne, je n'aimais pas son prénom mais il était beau. Un matin, je ne devais pas être bien réveillée, je n'arrêtais pas de le regarder pendant la leçon, je ne sais plus quelle question il nous a posée, il m'a dit que ce n'était pas écrit sur le bout de son nez. Moi je devais avoir mon éternel sourire qui devait l'énervait. Une fois c'était en classe de neige, les oeufs étaient en panne, on est descendu ensemble en ski parce que j'étais à la traîne comme d'habitude, ah oui un truc dont je ne vous ai pas parlé, c'est ma lenteur quasi légendaire! Mais bon je me débrouillais toujours pour rendre mes copies à temps, à force on connaît ses défauts, ou on se connaît tout simplement. Voilà! Tout ça c'était à dix ans. Je n'était qu'une enfant, sympa aux dires des autres, mais fallait pas me chercher noise. Je pouvais être alors coriace et je ne cédais pas avant d'avoir régler son compte à mon ennemi, même si c'était un garçon.
Je regrette un peu ce temps-là, les compositions qui tenaient lieu d'examens, l'adrénaline que j'avais ressentie une fois pendant une fiche de lecture sur Delphine et Marinette. J'étais à l'aise, je me sentais comme chez moi, la passion pour ce que je faisais me portait, je me sentais intelligente, sûre de mon fait. C'était mon grand bonheur à moi. Je n'ai pas un grand souvenir des images qu'on nous donnait je me souviens surtout des bons points qu'on mettait dans une boîte d'allumettes. La fierté quand ça m'arrivait! Je repense de temps à autre à ce maître d'école. J'en rêve même mais toujours dans le contexte de l'école. Je le revois dans la cour d'école avec son vieux cartable en cuir qui lui donnait l'air jeune. A la fin du CM2 on s'était tous cotisé et je ne sais pas quel parent, lui a offert un cartable horrible, vieux jeu, lui avait l'air content, tant mieux. Ses beaux yeux en amande, je m'en rappelle encore, c'était un gentil avec sa barbe brune.
C'est les vacances depuis une semaine, le temps tourne à la pluie, l'heure de la sieste est passée depuis longtemps. Un dessin traîne sur mon bureau, un paysage aquatique, avec de drôles de poissons. Cela dit je n'aime pas la mer, je préfère la montagne et les vieilles pierres. Où est mon maître à cette heure-ci? En vacances, à la retraite, dans mes souvenirs en tout cas. Au final, il n'a jamais été mon ami mais quand j'y repense c'est une idée du beau qui revient, quelque chose de clair et frais comme les matins où les leçons commençaient et que nous étions sages comme des images.