Le maître du jeu

Caroline Morello

Tu es là ? Réponds-moi ! Tu te caches, j'en suis sure, comme toujours. Tu m'épies. Tu attends patiemment, tapi dans ton coin, que j'éteigne la lumière et que je m'assoupisse. Alors tu me rendras visite, ou pas, c'est pour ça que je te crains tant. Tu choisiras le moment, tu es le maître du jeu.

Quand tu l'auras décidé, que tu voudras t'amuser, tu apparaitras, comme ça, de nulle part, au moment-même où je serai sur le point de m'endormir. Bien sûr, tu ne diras rien, tu resteras immobile et tu veilleras à ce que je sente ta présence malfaisante. J'ouvrirai les yeux, je ne verrai pas ton visage mais je devinerai ton rictus lorsque tu m'observeras tenter de bouger, en vain. Aucun de mes membres ne me répondra, je serai paralysée par l'effroi. Dans ton rire pervers que je soupçonnerai, j'y percevrai toutes mes peurs, toutes mes angoisses, celle de mourir, en particulier. En possédant mon esprit pour qu'il ne puisse plus commander mon corps, je ressens comme une petite mort. D'ailleurs, le jour où je te rejoindrai, tu devras m'expliquer comment tu réussis à avoir cette emprise sur moi. Tu me devras bien ça après toutes les fois où tu es venu et celles où je t'attendais, terrifiée. Si tu savais toutes ces nuits d'insomnie que j'ai passées par ta faute, ne trouvant pas le sommeil, guettant ton arrivée. Suis-je bête, évidemment que tu le sais.

Tu me laisseras un bref instant de répit où, éreintée par ma lutte pour me défaire de ton entrave, j'abandonnerai et me laisserai aller. Je fermerai les yeux, vaincue et serai entrainée dans une chute effrénée à l'intérieur d'une sorte de puits que j'imaginerai sans fond mais qui ne sera autre que le chemin qui mène à ton antre. Alors, tu poseras ta main sur mon épaule et je sentirai ton souffle glacial sur mon visage. Je reviendrai à moi et tenterai de me débattre, de briser ces chaines invisibles que tu as mises autour de moi. Un hurlement de rage mêlé d'effroi mourra dans ma gorge, mué en un faible râle.

Quand tu te seras assez joué de moi, tu t'en iras, comme tu es venu, hanter d'autres âmes en peine. Je reprendrai possession de mon corps, allumerai la lampe de chevet, le cœur battant à tout rompre. Je saurai alors que tu n'es que le fruit de mon imagination, l'incarnation, de mes angoisses et de mes cauchemars. Pourtant, tout me levant pour aller me chercher quelque chose à boire, la bouche desséchée par la peur, je ne pourrai pas m'empêcher de regarder derrière moi.

Je retournerai me coucher légèrement apaisée mais je saurai que tu reviendras, quand je m'y attendrai le moins, lorsque tu seras resté assez longtemps invisible pour que j'aie presque pu t'oublier.

Tu choisiras le moment, tu es le maître du jeu.

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