Le mal à visage humain

bobo29

Le meilleur hommage à rendre aux victimes : penser. La pensée est la voie qu'ils ont abandonné, elle doit être notre voix.

L'heure est à l'émotion. La mort a un visage, nous savons qui elle est mais nous savons aussi qu'elle peut frapper n'importe où et n'importe quand. Il est vrai que la peur nous assaille, il est vrai que l'effroi nous enveloppe de ses draps glacés et humides du sang des victimes. Malgré cela, nous autres, êtres de raison ne pouvons pas nous arrêter de penser et de réfléchir sur ce qu'il vient de se produire. Traiter ces hommes de monstres, de barbares, d'inhumains ce serait s'empêcher de penser. Emile Chartier, dit Alain, philosophe du XXe siècle disait très justement que « réfléchir, c'est nier ce que l'on croit », alors réfléchissons, ne posons pas n'importe quel mot sur n'importe quelle situation. Quand j'entends dire, par exemple, que ce sont des animaux, des êtres inhumains, je dis non. Avez-vous vu ne serait-ce qu'une fois dans votre vie un animal être cruel, monstrueux dans ses actes ? Non. L'animal répond à des instincts naturels de survie. La cruauté, le mal ne nait que chez l'être pensant. Ce qui, justement, est d'autant plus effroyable c'est que ces gens qui ont commis ces actes partagent notre humanité, ne tentons pas de les en détourner ! Ils sont humains et, à ce titre ont pu être odieux. S'ils avaient étaient loups, chiens, chats, ours etc.. jamais ils n'auraient perpétré d'attentats.

Ils sont humains, je viens de vous le montrer. Hannah Arendt, dans un ouvrage qui a fait grande polémique de son temps (Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal), tient la théorie suivante que le système totalitaire nazi s'est fondé sur des hommes des plus médiocres, des fonctionnaires zélés qui suit une étiquette morale que toute la société s'est employée à accepter par l'absence de pensée. Eichmann est selon elle un homme tout à fait médiocre qui n'a pas commis ses crimes par perversité morbide mais bien par obéissance ne distinguant plus le bien et le mal mais oeuvrant pour sa carrière dans un système qu'il avait accepté. Il n'est pas excusable pour autant ! En effet, c'est une absence de pensée mais une  absence de pensée choisie, de l'ordre de la démission  ce n'est pas une fatalité imposée par des forces extérieures, insurmontable sinon tout le monde pencherait in fine vers le mal ! Il en va de la responsabilité de nos actes de ne pas démissionner et de perpétuellement continuer à penser, c'est-à-dire s'interroger sur soi, sur ses actes, sur les normes sociétales.

Pourquoi dire ça ? Il est vrai que nous ne vivons pas dans un régime à proprement parlé totalitaire comme le fut le régime hitlérien mais la théorie conceptuelle peut s'appliquer à d'autres. Nous sommes en face de personnes qui par démission, ont arrêté de penser (dans le sens que j'ai donné plus haut). Ils ont accepté un ordre moral quasiment inversé qui de «  tu ne tueras pas ton prochain » devient «  tu tueras ton prochain ». Fanatisés, sujet à une pensée inversée et maitrisée par une organisation de type totalisante ces hommes n'ont plus aucune distinction du bien et du mal comme nous les concevons. Pour eux, ils sont même convaincus de faire le bien ! Je vous l'accorde c'est ahurissant mais c'est un phénomène psychologique profondément humain. L'inhumanité est humaine et nous ne devons pas, par des détours de langage éviter cette réalité.

Leur concéder une inhumanité, une folie, une monstruosité qu'ils n'ont pas c'est excuser leurs actes, c'est  les déresponsabiliser. Au contraire, ils partagent notre humanité, effroyablement et cela les rend responsable de leurs actes et jugeable par la société comme des meurtriers. Faisons attention aux mots, ce n'est pas futile, un mot n'équivaut pas un autre. L'heure est à l'émotion, les familles pleurent leurs morts, nous les soutenons et par notre soutien nous avons la responsabilité de ne pas démissionner, nous devons continuer à penser car ce qui a fait plonger ces hommes dans l'horreur peut nous arriver à nous tous aussi. Le mal a plusieurs visages, pas seulement celui du terrorisme de l'Etat Islamique. Notre devoir est de questionner ces événements, de les comprendre d'essayer, par une méthode de réflexion, au sens de retourner la question sous toutes ces facettes et non au sens d'un retour sur soi, de comprendre les origines de ce mal qui gangrène le monde moderne. L'ennemi est dans nos murs, dans nos maisons, dans nos écoles et dans nos rues. Il est d'autant plus urgent de commencer à comprendre l'ennemi, comprendre sa formation et son développement psychologique pour mieux le cerner, l'acculer et lutter contre lui. Se tourner vers le repli identitaire, la folie sécuritaire et le déshumaniser  ne lui rendront qu'un service : le rendre plus fort.

Mes condoléances vont aux familles qu'elles soient de Paris ou de Beyrouth ou Bagdad, villes elles aussi touchées par le mal radical.

 

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