Le mal-aimé du Titanic.
astrov
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(Le 14 avril 1912 à 23H40 le Titanic percute bêtement un iceberg. Mais, dix minutes avant, bien loin de là, voici ce qui se passe, à Paris, dans le boudoir d'un douillet appartement des beaux quartiers. Deux personnages: Sophie, et Ludivine.)
(Sophie est en train de lire, vautrée sur son divan. On frappe à la porte.)
Sophie: Quoi? A onze et demie du soir? qui est assez audacieux?! Entrez! Et avec un très bon motif j'espère! (Ludivine entre, toute excitée) Ludivine, ma chérie, la plus audacieuse célibataire de mes amies! Dis, tu as vu l'heure?
Ludivine (toujours remuée) Oui Sophie, oui. Onze heures et demie du soir. Tu veux la date aussi? 14 avril 1912. Oh Sophie, j'ai bien failli ne pas venir, tu sais!
Sophie: J'adore cette phrase, venant de toi toujours si décidée. Tu n'as pas failli, tu es là. Alors, tu me dis tout de suite ce qui te rend si affolée et ébouriffée, ou bien je vais me coucher et tu me réveilles quand tu es prête à te confesser?
Ludivine: Voila, Sophie... Tu vas m'en vouloir... C'est au sujet de Gilbert.
Sophie: Mon mari? Mais, à cette heure, il vogue, tu sais bien, il a embarqué sur le Titanic pour ses affaires en Amérique. D'ailleurs le bateau doit se trouver en plein océan, dis donc Ludivine, il doit faire froid là-bas!
Ludivine: (frissonne avec grâce) Oh oui! Brrrr! Et l'eau, tu te rends compte de l'eau?
Sophie: Glaciale, l'eau!
Toutes les deux ensemble: (très chattes) Brrr!
Sophie: Bon... Donc mon mari?
Ludivine: Ben... Je ne l'aime plus, il ne me plaît plus du tout, mais alors plus du tout.
Sophie: ( met quelques instants pour assimiler et comprendre, puis:) Parce qu'avant il te plaisait? Tu...as couché avec lui? Nous parlons bien de ça?
Ludivine: (approuve de la tête, puis, sincère:) Mais c'est fini,, tu sais! Je le croyais plus... Plus amoureux, quoi... Enfin, tu comprends!
Sophie: Oh oui! Je comprend, je suis bien placée pour vérifier ce genre de détail. Donc, Gilbert, tu lui as offert tes faveurs. Souvent? Trois fois? Quatre fois? (Ludivine,timidement, montre une main ouverte) Bon, cinq fois. Et tu viens, tard ce soir, m'annoncer sans préambule que tu n'en veux plus.
Ludivine: C'est ça! Dis, ma chérie, tu es très fâchée?
Sophie: (fait semblant d'être furieuse, puis elle éclate de rire) Mais non, Ludivine! Bien sûr que non ma belle! Ce qui m'amuse, c'est qu'il ait réussi, même pour cinq... entretiens... seulement, à trouver une maîtresse. Je n'aurais jamais cru un tel exploit possible.
Ludivine: (un peu vexée) Eh! Oh! C'est moi l'exploit, hein!? (Coquette) Joli exploit, non?
Sophie: Oh voui! Gilbert a du goût. Ell se désigne du doigt) La preuve, c'est moi l'exploit principal, hein! (Elle rit) Je ne t'en veux pas du tout, sais tu pourquoi? Parce que, dès que Gilbert sera revenu, je vais demander le divorce. Eh oui! Moi aussi je ne l'aime plus, nous n'avons plus rien en commun, à part les convenances.
Ludivine: Divorcer... Tout de même... Quand vas tu lui annoncer ta décision? Tu pourrais lui envoyer un télégramme sur le Titanic, au moins il aurait le temps de digérer la nouvelle!
Sophie: Oh... Non, franchement non. D'abord, lui apprendre cela par télégramme le 14 avril 1912 à presque 23H40, il risque d'avoir un gros choc. Et puis, à cette heure, il dort.
Ludivine: Oui... Oui... Ou bien il est en train de chercher le septième ciel avec une passagère ne mal de tendresse et de gros câlins. Bref, en train de te, et de me, remplacer.
Sophie: (choquée) Aaah oui? Il retomberait dans la débauche sous prétexte qu'il est loin de moi et de ma meilleure amie (tu es ma meilleure amie, si! si! Je te le jure!)? Et dans une cabine de luxe en plus? Car c'est certainement une passagère de luxe. Gilbert n'irait pas poser les yeux et les mains sur une dévergondée de classe moyenne, ou plus basse encore! (soudain féroce, façon requin) Alors... Qu'il profite bien de sa traversée, le bougre, et s'il veut des maîtresses flottantes, qu'il en prenne, qu'il vagabonde de cabine en cabine. Parce qu'à son retour, paf! Divorce. Pas de télégramme annonciateur! Ah Ah! Fini l'Atlantique, je vais mettre Monsieur en cale sèche. Et à moi la vie libre!
Ludivine: (un peu étonnée tout de même) Mais, le divorce... Il te laissera de quoi vivre? Tu es habituée au luxe, comme moi. Il te faut un solide train de vie...
Sophie: Mais oui! D'abord j'ai une fortune personnelle et puis je saurai obtenir une grosse pension alimentaire, il en a les moyens. Je ne suis d'ailleurs pas contente qu'il aille en Amérique. Ici, il est très riche, mais il veut investir de l'argent à New York, je te demande un peu! Il va prendre des risques inutiles. Vraiment ce voyage est idiot. S'il pouvait abandonner son idée d'investir en dollars avec sa belle monnaie de France... Enfin, le Destin le fera peut-être renoncer à son projet! (elle marque un petit temps, songeuse, et se décide) Et puis, veux-tu que je te dise? Divorcée, j'aurais déjà beaucoup d'argent, mais... Si j'étais... (elle s'arrête)
Ludivine: (met un moment avant de comprendre, puis, stupéfaite) Quoi? Si tu étais... Veuve, c'est ça?
Sophie: Eh bien oui! Veuve! Alors là, j'hériterais de tous ses biens et avoirs. Là je serais une veuve très fortunée. Je te choque?
Ludivine: Mais non! Tant que tu ne trucides pas ce pauvre Gilbert pour aller plus vite... Ma chérie, je suis si contente que tu prennes ma très courte liaison avec ton mari d'une façon si...
Sophie: Désinvolte, rigolarde et je-m'en-foutiste! Allons Ludi, laissons ce cher homme occupé au milieu de l'Atlantique dans son paquebot grand style. De toutes manières, jamais un passager n'aura été moins... réclamé, par nous en tous cas. Quand je serai divorcée...
Ludivine: (imitant une voyante en transes) Ou veuve! (un peu honteuse, mais pas trop) Oh Sophie, ce que nous sommes garces!
Sophie: Il faut bien être quelque chose, hein! Alors allons y pour garce. Quand je serai divorcée, donc, ou...
Toutes les deux: (de façon muette, articulent en souriant) Veuve!
Sophie: Tu feras partie de mes confidentes et conseillères amorales... Vénéneuses!
Ludivine: Amorales mais franches, hein! Alors il faut aussi que je te dise... Tu vas être surprise!
Sophie: Encore? Elle est à tiroirs ta confession, gourgandine! Toujours Gilbert, je suppose?
Ludivine: Oui, Gilbert. Sais tu qu'il m'a proposé de l'accompagner à New-York sur le Titanic? Mais alors, là, le grand jeu, cabine de luxe, soirées de rêve, dîner à la table du Capitaine, j'aurais tout çela, à c'theure, si j'avais accepté. Je serais moi aussi sur l'Atlantique à danser sous les lustres de ce palace des flots. La Sirène du Titanic!
Sophie: (outrée) Ce culot qu'il a eu mon mari! A moi il n'a pas proposé. Bon, en fait, comme ça, je n'ai pas eu à trouver une excuse pour dire non. Mais tout de même! Et toi Ludi, mon ange de vertu, toi tu as dit non au voyage de ta destinée.
Ludivine: Ce n'est pas du remord, ni de la vertu, qui m'ont fait refuser de devenir sa Vénus de paquebot. Simplement, il me l'a demandé après notre cinquième...
Sophie (un peu acide) entretien dévêtu...
Ludivine: C'est ça. Mais l'entretien ne m'avait pas... convaincue. J'étais restée sur ma soif, comme les deux précédents d'ailleurs. Alors je ne me voyais pas coincée avec lui pendant toute la traversée, encore coincée ensuite en Amérique. Ah non, tu sais, cette idée m'a refroidie, glacée même.
Toutes les deux ensemble: (toujours chattes) Brrr!
Ludivine: Voilà pourquoi je suis là devant toi ce soir, moi, pauvre pécheresse repentante.
Sophie: (gentiment) Fiches toi de moi en plus! Et tu ne t'es pas dit que, sur ce superbe paquebot tout neuf, tu pouvais trouver quelques superbes messieurs expérimentés qui auraient eu à coeur de te distraire une fois arrivée à New-York, pendant que mon mari aurait vaqué à son business? Non? Tu as choisi la Destinée de la terre ferme et française, bonne patriote!
Ludivine: Je ne me voyais pas patriote comme ça, en fait. Tu comprends, je ne parle pas l'anglais, ni l'américain ni aucune langue d'ailleurs. Alors, même si ces superbes messieurs que tu évoques n'auraient pas compté totalement sur le langage pour me prouver leur intérêt, malgré tout, en amour, il faut un peu causer. Oui, la débauche muette, moi, cela ne me convient pas. Oh Sophie il est tard, tu veux sans doute te coucher, je vais te laisser!
Sophie: Tu plaisantes pécheresse! Tu restes, on va faire un petit médianoche pour fêter ça. (elle prononce médianotché, à l'italienne).
Ludivine: Médianotché?
Sophie: Ma belle, nous sommes à un tournant du Destin, tous les trois: Toi, libre de tes sentiments, moi déjà dans le divorce, Gilbert... Bon, lui, il navigue, laissons le suivre sa route maritime. Et, comme mon garde-manger est très bien garni, nous allons faire un festin nocturne, ma Ludi!
Ludivine: (ravie, enthousiaste) Ouiii! Un festin pour deux affamées, deux mouettes en partance pour d'autres nids! Un média-notché, c'est ça?! Et après, on ne se couche pas, on sort, par les rues de fortune avec pour seul rendez-vous le Soleil dont nous serons les adoratrices! Les prêtresses de l'Aurore sur le bateau de Râ, le dieu solaire! (Sous le regard amusé de Sophie, elle reprend son calme) Où est ce que je vais, moi... C'est ta faute avec ton divorce ou ton veuvage, tu me fais perdre le peu de morale que j'ai gardée de mon éducation stricte! Et ce festin, dis moi tout!
Sophie: (avec gourmandise) D'abord les amuse-bouche: Un peu de saumon fumé des océans, du melon au gingembre (tu vas adorer!), des crevettes au ginseng (ça vient de Corée, excellent pour la santé), puis de fines tranches de rôti froid, une salade au foie de canard, enfin des sorbets bien glacés arrosés de l'alcool que nous choisirons, et bien sûr du champagne frappé. Et, pour finir, des fruits frais car il faut prendre soin de notre régime.
Ludivine: (aussi frétillante que Sophie) Tu me donnes faim, et soif! Vite! Et pour l'apéritif, on boit quoi?
Sophie: (va chercher une bouteille, un seau à glace, deux verres) Hommage tout de même à l'Amérique, Ludi! A la santé de Gilbert et de notre nouvelle vie, on va se prendre deux bons whiskies bien tassés. (elle remplit les verres, en effet bien tassés. Chacune prend son verre et le lève).
Toutes les deux ensemble: A la Vie! Au Bonheur! A nos Anges Gardiens!
Sophie (sursaute) Oh mais... Attends un peu! On allait oublier un détail capital: la glace! ( elle met dans chaque verre des glaçons qui s'entrechoquent avec bruit)
Ludivine: Quelle heure est il? Trinquons!
Sophie (regarde sa montre) 23H40. Trinquons!
Toutes les deux (souriantes, avec un ensemble charmant) Trinquons! A la Destinée!
(Elles boivent, tandis que tombe le Rideau).
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