Le mal des yeux

Djamel Rouai

La nuit se hâte, traverse ma fenêtre en un flot coulant et doux; Leila l'amante insoupçonnable se donne tout entier en offrande chaude et nue dans sa nuit de noce à l'amant que je suis.
L'olivier couve la nuit de ses cheveux blond argenté, symbole de sagesse et d'immortalité, me souhaite, en un bon soldat en garde-à-vous, bonne route.
Qu'est-ce que la nuit sinon qu'elle porte cette étincelle qui de loin à elle m'appelle...
J'avance téméraire, le roseau à la main, vers ce feu en quête d'un bonheur ou perdition...
Ce fin roseau qu'on trouve aligné non loin de la ville, se précipite et s'incline à mon passage...
Qu'est-ce que la ville dans la nuit d'un voyageur si ce n'est ces couleurs prompts, l'œil capte à l'assaut, et le ficus aux cheveux ébouriffés et en tablier blanc...
Moi je vois les choses qui elles me parlent un langage ineffable que moi seul je peux comprendre.
L'aube fait son entrée spectaculaire et avance en un salut long et profond; les étoiles se ferment les paupières tour à tour et s'inclinent majestueusement à reculant...
Bousculade bestiale
au sein des toilettes publiques,
vous payez d'avance!
Les corps fument des odeurs puantes et aveuglantes...
La gare est un cœur battant le matin à quatre heures...
L'accordéon roule vers la capitale en grinçant de douleur...
Au petit jour, ni les mosquétaires, ni les hommes d'affaires ne se voient dehors mais ces mille-misères en haillons que remuent les lits-cartons...
Des spectres le jour grouillent, grognent, me lorgnent. Je me tiens coi sachant qu'ils ont les sens développés...ils peuvent me mettre en pièces s'ils savent que je suis différent.
Les pêcheurs, en bottes, quittent le port, les paniers lourds, laissant derrière leurs chalutiers somnoler au roulis imperceptible du port. Un coup de fouet vibrant aux mille paillettes les surprend venant de Phébus le blanc.
Une troïka de fête,
au port drapeaux et couleurs,
pêcheurs ne daignent monter.
Le centre ville, des arcades lépreuses et des trottoirs noircis, au coin, on vend les "Mhadjebs": une patte farcie à la tomate rougeâtre, oignon et beaucoup de chaleur..., je mange et je siffle...pas de temps la faim me tiraille...
Le barbu, dans sa berlingot neuve, compte et mâche en s'humectant ses lèvres fines comme des lames. Les mâchoires se libèrent, travaillent sans commande. Le barbu devient un hachoir capable de broyer l'os et la chair.
Le tramway vomit ses entrailles puis revient les prendre. Le salon de livre, Sindbad traîne beaucoup sur les étagères et quelques migrateurs étrangers...Les personnages de Yasmina Khadra sont tous là sauf ce Hadj Saad Hamerlaine qu'on craint beaucoup et qui fait peur...probablement occupé sur les mur de la capitale à surveiller ces spectres du jour et de la nuit.
Café de la gare
glisse sur le comptoir lisse
le patron m'écœure.
"J'ai dit pas de café pour ceux qui n'apportent pas de monnaie", hurle le patron.
La fatigue s'empare des passagers déjà affalés sur leurs bagages,l'œil hagard...
Je quitte la capitale, les spectres, l'ennui .....vers la nuit qui m'attend.

Rouai Djamel:02/11/2014

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