Le mal du siècle

Jérémy Gallet

Nous devons vivre des temps sacrément pathologiques pour que, par décret, un certain nombre de symptômes soient affublés de la fameuse périphrase : « le mal du siècle ». L’expression, vaste fourre-tout, convoque à la fois la physiologie, les troubles de l’humeur (récemment un titre-choc du Nouvel Obs’ sur la bipolarité), la peur de l’avenir, l’addiction au scrabble dans les maisons de retraite … selon les modalités de l’hyperbole, révélant surtout une tendance réactionnaire ou un goût de la phrase-slogan que la réalité valide globalement assez peu. On se souviendra qu’à l’origine, « le mal du siècle » désigne un sentiment d’ennui ou d’inadaptation de la jeune génération romantique au début du XIXème siècle, parce que « vague des passions » ne faisait pas clignoter les voyants de la révolte. Ou pas assez.

 On n’ose imaginer ce que nos ancêtres, condamnés à une vie mutilée d’au moins quelques décennies, auraient pu dire des terribles épidémies qui décimèrent l’Europe. Qu’auraient titré les gazettes, si elles avaient existé pendant la guerre de cent ans ? « Peste : le mal du siècle » ? Le petit bourgeois occidental qui se plaint d’une douleur au dos a beau jeu de brandir la sacro-sainte expression quand une autre partie du monde, bien moins prolixe parce que réduite au silence, rêverait sans doute de la verbaliser. L’on s’étonnera enfin qu’en ce siècle à peine naissant le slogan péremptoire se hasarde à la prospective, puisque d’autres le chasseront bientôt, au gré des modes.

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