Le manoir

Nathan Perry

Une exploration tragique d'un bâtiment mystérieux


            Au sommet de la colline, par delà les arbres aux figures spectrales, se tenait le manoir maudit. Les anciens le disaient hanté tandis que les plus jeunes n'y croyaient pas, mais aucun ne tentait de s'y aventurer malgré ce que l'insouciance de la jeunesse peut parfois amener à faire.

            Cependant, en dépit des craintes locales et de la forte désapprobation qui s'en suivit, je décidai de percer le mystère et de me rendre au fameux manoir de Barmeath. Était-il vraiment hanté ?

            Après une longue marche pesante et solitaire sur les routes de campagnes et de forêts, accompagné seulement par les nuages noirs qui masquaient le soleil et par le bruit d'un sinistre vent glacial, je parvins enfin à un vieux portail gagné par la rouille et la végétation. Le vieux cadenas ne me résista pas longtemps. Une fois le portail franchi, l'atmosphère était plus pénible encore. La brume, qui jusque là était plutôt mince, s'épaissit brusquement au point que j'eus du mal à m'orienter dans cet espace fait d'une blancheur malsaine. Plus je m'approchais, plus le sentiment de terreur pure que je ressentais depuis le début montait. J'entrais dans une sorte de paranoïa et j'avais le sentiment d'être épié par des yeux invisibles à chaque mouvement.

            Un deuxième portail, visible après avoir traversé un long chemin de terre bordé d'arbres sinistres, gardait le manoir derrière lui. En réalité, la construction ressemblait plus à un petit château qu'à un manoir à proprement parler. La grille qui gardait l'entrée de la cour du manoir était accompagnée de chaque côté de deux tours en pierre d'une douzaine de mètres environ. Entre ces deux tours, sur l'arche qui les reliait, se trouvait l'inscription en français « tout d'en haut ». En tant que français, je ne pus qu'être fier de voir un manoir irlandais avec une devise française, avant de me rappeler la mauvaise réputation de ce lieu.

            Curieusement, une fois dans la cour du manoir, mon sentiment de malaise disparu, et la brume devint quasiment inexistante, comme si quelqu'un ou quelque chose tentait de me souhaiter la bienvenue. Bien que le lieu semblait être abandonné depuis des dizaines d'années, comme en témoignait la végétation plus qu'envahissante et les carreaux brisés, c'était un très beau manoir. Je connaissais peu de choses à propos de ce lieu, seulement qu'il avait été habité jusque dans les années 1890 par la même famille et ce, depuis 1750 : la famille Belauw, qui apparemment serait de souche française, et dont le nom « Belauw » viendrait du français « belle eau ».

            Je me dirigeais alors vers la partie qui me semblait la plus ancienne. En poussant la petite porte qui me faisait obstacle, j'éclairai un couloir sombre et poussiéreux ; des têtes d'animaux empaillés me fixaient d'une manière déplaisante avec leurs yeux de verre. Je m'avançai prudemment dans cette sinistre galerie. L'atmosphère était très particulière, on aurait dit qu'une entité malveillante mettait tout en œuvre pour que je continue l'exploration du manoir, car un sentiment plus fort que la simple curiosité me forçait à aller toujours plus loin.

            Au détour d'un couloir, une porte m'intrigua plus que toutes les autres. Elle n'avait rien de spécial, c'était une porte en bois comme il y en avait tant d'autres dans ce manoir. Mais ma main, comme prise d'une pulsion incontrôlable, s'agrippa à la poignée de la porte et l'ouvrit. Un souffle glacial me fouetta alors le visage. J'aurais aimé m'enfuir mais mes jambes ne m'obéissaient plus, je payais le prix de ma trop grande curiosité. Le couloir était très large, et la brume m'empêchait de voir mes pieds, si bien que j'aurais pu tomber dans une crevasse à tout moment.

            Tout au bout du couloir qui me semblait incroyablement long, je distinguai une faible lumière, peut-être la lumière de la rédemption… J'avais le sentiment profond que si je parvenais à atteindre cette lumière sans devenir fou, mon âme serait sauvée. J'étais convaincu d'être au purgatoire. Une ombre bondissante m'apparaissait parfois et me récitait tous les pêchés de ma vie passée. C'était l'ange du jugement dernier, ce Jack Talon-à-Ressorts. Mon âme sombrait dans la folie quand, avant de m'évanouir à quelques pas de la délivrance, je vis, dans de grandes prisons de verre, l'ombre des damnés qui n'avaient pas réussi à affronter leurs erreurs passées…

 

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