Le Manoir des Ombres

Dominique Capo

Première Partie

Aujourd'hui, je prends la plume afin de mettre par écrit l'histoire de ma vie. Or, me direz-vous, quel est l'humain qui ne souhaiterait pas raconter son histoire. Chacun a une foule de récits à raconter, nombre de péripéties à évoquer. Chaque vie peut sembler intéressante, passionnante même. Chaque existence porte en elle matière à roman.

Je suis tout à fait d'accord avec ceci, s'il se trouvait que je sois un être humain. Or, ce n'est pas le cas. Evidemment, j'en ai l'apparence et les attributs. Comme n'importe lequel d'entre eux, mon visage possède des yeux ; ils sont d'un bleu profond glissant parfois vers le gris. J'ai des cheveux d'un noir corbeau ; leurs reflets bleutés ont toujours fasciné. Ils s'étalent jusqu'au creux de mes épaules, et leurs mèches les plus longues se terminent par des boucles argentées. Mon nez est finement ciselé, et mes lèvres sont charnues et pleines. Comme certains hommes que j'ai croisés au cours de mes divers voyages à travers le monde, une cicatrice rougeâtre se dessine sur une partie de ma joue gauche. Elle forme un demi-cercle presque ovale qui se prolonge aux abords de mon cou. Elle m'a été faite au cours d'un combat mémorable dans les bas-fonds de Vienne autour des années 1860 ; j'aurai peut-être l'occasion de revenir sur ce qui m'a conduit à la recevoir au cours de mon récit. Enfin, des veinules azurées courent le long des pommettes les plus saillantes de mon visage.

Bien entendu, le reste de mon corps ressemble également à celui d'un être humain. La seule différence, qui ne se voit pas à l'œil nu à moins d'être particulièrement perspicace, viennent de mes mains. Les doigts de celles-ci sont légèrement plus longs et effilés que ceux de personnes normalement constituées.

Mais, que suis-je dans ce cas, me demanderez-vous ? Déjà, vous devez savoir que je me prénomme Nathanÿel et que je suis issu d'une très vieille Famille Française. J'appartiens à la Lignée des Montferrand, dont les origines remontent aux Premières Croisades. Mais je sais que celle-ci remonte en fait à bien plus longtemps que cela. En fait, d'après ce que je sais, d'après les recherches que j'ai débuté dans les années 1890 afin d'en savoir davantage sur mes Frères, mes Sœurs, et ceux qui se disent être mon Père et ma Mère, les racines de notre Maison se perdent dans la Nuit des Temps. J'en ai en effet retrouvé des traces disparates à Tolède aux alentours de 1150 par exemple, sous le patronyme de « Ferrantès »

Évidemment, cela ne répond pas à la question. De fait, pour vous l'avouer franchement, je ne le sais pas réellement moi même. La seule chose dont je sois absolument certain, c'est que mes Frères, mes Sœurs, ainsi que mon Père et ma Mère, tout comme moi, détiennent des capacités qui sortent de l'ordinaire. Ce sont des Pouvoirs que n'ont pas les gens du commun. Ainsi, Anthëus, mon Père, aussi nommé « le Patriarche » par la plupart d'entre nous, a parfois des visions qui lui permettent d'entrevoir l'avenir. Généralement, il devine des événements qui vont survenir dans les jours ou les semaines suivantes ; jamais plus loin. Il sait aussi manipuler la matière brute à son avantage. Combien de fois je l'ai vu s'emparer d'un livre de son immense Bibliothèque alors qu'il se tenait à deux ou trois mètres de celle-ci et qu'il lui était impossible de l'atteindre physiquement ? Il lui suffit alors de tendre son bras en direction de l'ouvrage qu'il souhaite consulter, de murmurer les « Mots » appropriés, et ce dernier quitte son emplacement environné d'un halo bleuté. Il flotte dans les airs et rejoint mon Père sans qu'il n'ait à fournir le moindre effort. Et il s'agit là que d'un des multiples Dons dont il est le détenteur.

En ce qui concerne mon propos, je pourrais longuement disserter sur les découvertes que j'ai faites dès la fin du XIXème siècle. Elles m'ont, c'est sûr, apporté des réponses. Mais, surtout, elles m'ont ouvert les portes de nombreuses autres questions. C'est pour cette raison que, depuis, je n'ai pas arrêté de sonder la Biographie de notre Lignée. Et je me suis progressivement rendu compte que celle-ci était souvent rattachée à la grande Histoire. Il semble en effet que les membres de notre Race aient régulièrement participé d'une manière ou d'une autre à celle-ci. Malgré tout, au fur et à mesure de mes investigations, et ce, jusqu'à aujourd'hui - alors que nous abordons le Troisième Millénaire dans un climat d'incertitude et de bouleversements ; autant chez les Humains qu'en ce qui concerne les membres de ma Dynastie -, le seul fait incontestable que j'ai appris, c'est que je suis le plus jeune des Montferrand.

Je ne me souviens pas réellement des premières années de ma vie. Anthëus et Vÿvien – ma Mère – ne les ont jamais évoquées devant moi, d'aussi loin que ma mémoire me permette de remonter le fil des ans. La première image qui ressurgisse, lorsque je replonge dans mon passé, se situe aux alentours des années 1820. Lorsque je la visualise, j'ai la même apparence qu'à l'heure actuelle. Je porte des vêtements similaires : un pantalon de soie noire orné sur ses bords d'entrelacs dorés, une chemise à jabots, des chaussures de cuir d'excellente facture. Je m'appuie sur une canne sculptée de haut en bas de motifs ésotériques dont je n'utilise la Puissance qu'en cas d'extrême danger. Son pommeau d'argent représente nos armes : une Hydre à sept tète assoupie aux yeux vermeils, aux écailles et aux ailes d'or prête à bondir à l'assaut de ses ennemis au moindre danger. D'ailleurs, ces armes se retrouvent sur moi également en deux autres endroits : elles apparaissent sur la gemme taillée de l'anneau familial que je porte à l'index de ma main gauche ; et elles se distinguent sur la broche de diamant ciselé accrochée en permanence sur l'habit que je porte actuellement.

Cette image me fait apparaître dans la pièce où je me trouve tandis que j'écris ces lignes. Pour vous dire toute la vérité, il s'agit de ma chambre personnelle au sein du Manoir Montferrand. Outre lorsque je voyage de part le monde, c'est la seule que je n'aie jamais eue. Et encore, je ne déambule plus de pays en pays aussi souvent que par le passé, et notamment, lorsque je suis parti à la recherche des Origines de ma Lignée dans les années 1890. A cette époque, il est vrai que je n'ai pas été très présent auprès de mon Père, de ma Mère, de mes Frères et de mes Sœurs. Et ma chambre a été inoccupée plusieurs mois durant de nombreuses années, jusqu'à ce que je m'avoue vaincu, et que je mette fin à cette Quête initiatique que la plupart des autres membres de la Famille jugeaient stérile.

Comme maintenant, j'avais l'apparence d'un jeune homme d'une vingtaine d'années. Sauf qu'à ce moment là, je ne portais pas la cicatrice qui se dessine sur ma joue gauche. J'étais vêtu de la même tenue qu'en ce moment ; sauf qu'en plus, j'arborais une robe de chambre de satin mauve qui a disparu lorsque mes appartements ont été incendiés il y a une trentaine d'années. Et j'étais penché sur un amoncellement de livres évoquant la Chute de l'Empire Romain je ne sais plus exactement pour quelle raison. Je devais sûrement les lire afin de résumer les événements importants de cette Période à Anthëus, puisqu'il était aussi mon précepteur au cours de mes études.

Mais, avant cela, je ne me souviens de rien. Je ne sais pas où je suis né. Et malgré mon Pouvoir me permettant d'accumuler et de manipuler un nombre considérable de Connaissances, je ne sais pas si Anthëus et Vÿvien sont mes véritables parents. Je ne sais pas depuis combien de temps ils habitent cette demeure en compagnie de mes Frères, de mes Sœurs, et de moi. Et j'avoue que je n'ai jamais vraiment osé les interroger à ce sujet. Ils ont toujours été au courant, évidemment, dès les années 1890, que je cherche à en savoir plus au sujet de notre Ascendance. Ils savent que, dès cette époque, que je me suis aventuré aux quatre coins du monde afin de retrouver la trace de nos Origines. Ils sont au courant du fait que j'ai appris que nous ne sommes pas les seuls de notre Race. Lors de l'un de mes passages au Manoir au cours de cette période, mon Père m'a même sondé mentalement afin de pénétrer les indices que j'avais réussi à glaner. Il s'est alors très vite aperçu que mes informations étaient d'une pauvreté affligeante. Et il n'a pas poussé plus loin son évaluation de ma conscience. Heureusement pour moi et ce dont j'ai été instruit au cours des décennies suivantes.

De fait, il m'est extrêmement difficile de vous détailler à quelle Race j'appartiens. Je peux juste vous parler de ma Famille. Je suis juste capable vous parler de mon Père, de ma Mère, de mes Frères et de mes Sœurs, et des relations étroites – et parfois difficiles - que nous entretenons les uns avec les autres. Je suis apte à vous décrire juste le Manoir Montferrand. J'ai toute latitude à vous faire partager cette partie de l'Histoire de ma Lignée que je connais. Or, pour l'instant, et à moins que des découvertes ultérieures viennent bouleverser mes certitudes actuelles, je ne peux pas aller au-delà.


Malgré tout, avant d'entrer dans le détail de ma vie quotidienne au sein du Clan Montferrand, je souhaiterais vous décrire succinctement le lieu où je passe le plus clair de mon temps. Comme je l'ai dit un peu plus tôt, la plupart de mes journées depuis mon retour de mes excursions aux quatre coins de la planète au tournant des années trente, se déroulent dans ma chambre. Ce n'est que le soir, pour le repas, que je rejoins le reste de ma Famille. Elle se situe au premier étage du Manoir, au bout de son couloir se trouvant le plus à l'Est. Elle est en fait constituée de trois salles. La première est une antichambre. Celle-ci fait également office de première enclave bibliothécaire de mon lieu de résidence ; c'est là que sont entreposés une partie des ouvrages que j'ai lu au cours des ces 200 dernières années.

Dès qu'on ouvre la porte qui y mène, apparait un sol dallé couleur de nuit ; il est constellé de veinules bleuâtres ressemblant à celles qui parsèment les fossettes de mon visage. Un tapis que j'ai rapporté d'Orient dans les années 1920, à l'époque où je parcourais l'Egypte de long en large en compagnie d'Archéologues tels que le fameux Howard Carter, recouvre une partie de sa surface. Un peu plus loin, est installé un petit coin « lecture » composé de plusieurs tables basses encombrées de livres que je n'ai jamais le temps de ranger sur les étagères auxquelles elles font face. A coté de ces tables basses se trouvent deux gros fauteuils ; c'est là que je fais asseoir la plupart des invités qui viennent me rendre visite dans ce que l'un de mes Frères – Sanäel, pour ne pas le nommer – appelle « mon Antre ». Mais, pour l'instant, ces sièges disparaissent sous des dizaines de livres et de feuillets. Les pages qui y sont disséminées sont certainement celles que je cherche depuis plusieurs jours : elles appartiennent au manuscrit sur Platon et son passage sur la disparition de l'Atlantide dans « la Timée » que je suis actuellement en train de rédiger. J'étudie en effet le texte de ce grand auteur de l'Antiquité depuis plusieurs semaines. J'ai décidé d'en écrire une synthèse afin de décortiquer ce qui est sûrement l'un des plus grands Mythes de l'Humanité. Et j'y consacre énormément de temps et d'énergie.

Je pensais avoir égaré une partie de mon manuscrit. J'ai fouillé ma chambre et mon bureau de fond en comble sans avoir pu remettre la main dessus. Je n'ai pas imaginé un seul instant que ces documents pouvaient être exposés à la vue de tous. Je me demande d'ailleurs comment ils ne sont pas tombés entre les mains d'Ycäel, puisque c'est lui qui vient le plus souvent me rendre visite dans mes appartements. Il aime bien y flâner, examiner les bibelots que j'ai ramené de mes voyages en Orient. Il s'attarde devant mes étagères croulant sous ces livres que je chéris tant. Il m'emprunte parfois certains d'entre eux ; il semble me souvenir que cela fait deux ou trois mois qu'il y a pris un traité de botanique que j'ai acheté en 1909 à Atlanta. Il ne me l'a pas encore rendu ; il faudra donc que je règle cette question avec lui, car il est fréquent qu'Ycäel oublie – délibérément ou non – de rendre les objets que ces amis ou autre lui ont prêté. Une fois, je me souviens, il a fallu environ trente ans à Luvinia pour récupérer un des flacons de parfums dont elle fait collection, et dont les formes inspiraient celui-ci ; il souhaitait les reproduire dans un de ses dessins.

Pour en revenir à la description de mon lieu de vie, ces tables basses et ces fauteuils côtoient un mur entièrement recouvert d'étagères, comme je l'ai déjà dit. Des centaines de recueils, ainsi que divers objets achetés dans les nombreux pays que j'ai visités s'y entassent. S'y côtoient, entre autres, des statuettes chinoises de la Dynastie Ming, un masque Rituel Ethiopien, des vases Sumériens, un coffret de bois sculpté Inca. Mais, bien que tous ces bibelots soient rares et précieux, ce ne sont pas ceux qui me sont les plus chers. Ceux-là, je les garde religieusement dans la salle suivante ; qui se trouve être mon bureau personnel. J'aurai donc l'occasion d'en reparler un peu plus tard. A leurs cotés, s'amoncellent des centaines d'ouvrages explorant quelques unes des sciences humaines qu'il me plait de pénétrer. Il y en a qui concernent l'Histoire des Etats-Unis, les sciences Occultes en Occident au début du XXème siècle, les Philosophes du temps de la Grèce Antique. Et, il y a quelques auteurs romantiques Français tels que Gérard de Nerval, Chateaubriand, Lamartine ou Alfred de Vigny, que j'apprécie particulièrement, même si ce ne sont pas mes préférés.

  • Bonjour! j'ai lu la 10ème partie et je suis venue découvrir du début : c'est captivant!

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Loin couleur

    julia-rolin

    • Merci, ce n'est pas grand chose pourtant, mais cela me fait plaisir et m'encourage à poursuivre ; actuellement, je suis en plein dans mes "Questionnements" - déja plus de 170 pages, et je n'en suis quà la moitié environ - ; ensuite, corrections de ceeux-ci avant d'ètre, peut-ètre, publiés. Et ensuite, retour au Manoir des Ombres afin d'étendre et d'enrichir cet univers si particulier où je me sens si bien en tant qu'écrivain...

      · Il y a plus de 8 ans ·
      4

      Dominique Capo

  • Bonjour Dominique, j'ai lu avec attention l'extrait de votre roman et je vais me permettre quelques remarques. Je précise par avance que je ne suis qu'un amateur et que cet avis n'engage que moi, libre à vous d'en tenir compte ou non, et il n'y aura aucune espèce d'animosité dans mes propos. :)

    - "d'après les recherches que j'ai débuté dans les années 1890" => que j'ai débutées.
    - "les racines de notre Maison se perdent dans la Nuit des Temps" : "racines ... maison" deux mots qui ne vont pas ensemble, même si on comprend le sens, évidemment, ça fait un peu bancal. "dans la nuit des temps", est une expression trop passe-partout, cliché.
    - "Malgré tout, au fur et à mesure de mes investigations, et ce, jusqu'à aujourd'hui - alors que nous abordons le Troisième Millénaire dans un climat d'incertitude et de bouleversements ; autant chez les Humains qu'en ce qui concerne les membres de ma Dynastie -, le seul fait incontestable que j'ai appris, c'est que je suis le plus jeune des Montferrand." => Passage pas assez fluide, trop "cassé", qui donne envie de "zapper".
    - " sept tète" => têtes.
    - juste après "aux ailes d'or" => Une hydre à des ailes ? Pourquoi pas, nous sommes dans le registre du fantastique.
    - "auprès de mon Père, de ma Mère, de mes Frères et de mes Sœurs" => phrase à rallonge, que vous répétez souvent je trouve. Pourquoi ne pas dire "famille" tout simplement ou trouver une autre expression pour éviter la lourdeur et la répétition ?
    - "dès les années 1890, que je cherche à en savoir plus au sujet de notre Ascendance." => vous dites plus haut que votre personnage a mis fin à cette quête, l'imparfait correspondrait donc plus que le présent dans cette phrase, non ?
    - "Ils savent que, dès cette époque, que je me suis aventuré" => un "que" de trop.
    - "du fait que j'ai appris que" => un peu lourd comme formulation.
    - "Je suis apte à vous décrire juste le Manoir Montferrand" => un peu maladroit, léger, comme formulation.
    - "les objets que ces amis" => ses.
    - De très nombreux mots communs avec une majuscule. Pour certains, ça peut se comprendre, mais là il y en a beaucoup qui ne le méritent pas.

    Pour conclure ma critique, je dirais qu'on voit tout de suite que vous maîtrisez l'écriture du genre fantastique, on sent bien l'habitude des scénarii de jeux de rôles dans votre style. C'est bien, mais c'est parfois trop. Dans le sens où ça en devient presque une caricature de jeu de rôle. Nous ne sommes pas dans une partie sur table où vous êtes le maître du jeu et où vous devez tout nous décrire en détail. Je pense notamment au passage de l'Antre du héros. Vous devriez peut être faire plus dans le subjectif que l'objectif.

    Je "m'abonne" à vos écrits et je lirai la suite avec tout autant d'attention. :)

    · Il y a presque 9 ans ·
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    tabellion

    • Je suis au courant de toutes ces imperfections ; je les corrigeraient plus tard, puisque en ce moment, je suis uniquement concentré sur mes "Mémoires d'un Enfant des Ages Obscurs" qui me prend tout mon temps.

      · Il y a presque 9 ans ·
      4

      Dominique Capo

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