Le mesureur de nuages

J. Miromensil

Petit texte inspiré d'une statue :)

Debout sur mon socle, mes bras infatigablement levés vers le ciel, moi, statue aux traits grecs et aux muscles bandés, je mesure les nuages. Figure élancée dans un mouvement gracile, mes yeux figés ne peuvent embrasser les immensités. Ma règle suspendue en l'air jamais ne s'abaisse. Mon vain effort tend à calculer les nuages qui passent et trépassent ; je suis un mémorial dressé en l'honneur de la folle inventivité humaine.


Pourtant je ne suis pas seul. Je me tiens sur une esplanade entre terre et mer. Les appartements des buildings ont une vue imprenable sur moi, en même temps que les plages de l'autre côté m'observent platement. Mon présent est un lieu de villégiature fort fréquenté. 
Les foules me frôlent. Leurs mélodies anonymes parviennent à mes oreilles pourtant sourdes. Qu'ils soient hommes pressés que même en vacances leur travail hante ou bien flâneurs de la petite semaine savourant la brise, tous me côtoient. Je pense pouvoir dire que je les connais un peu. Leur tête tourne facilement en direction de la mer, je sais que certains voudraient s'y abandonner tout entier. Mais leur présent, qu'ils y prêtent attention ou pas, les ramène toujours à leurs occupations. 

Mais j'ai aussi un peu de peine. Si je pouvais frissonner, ce serait en hommage à leur temps éphémère. Ils viennent s'asseoir à la plage et craignent les nuages qui s'amoncellent à l'horizon. Un jour viendra où ils diront à leurs enfants que leur grand-mère défunte fait désormais partie du ciel, qu'elle est une étoile. Je voudrais tant leur dire qu'on est tous des vacanciers.

Je ne suis qu'un anachronisme de bronze dans le décor moderne des juillettistes. Toutefois, quand le temps est occupé à autre chose qu'à m'altérer, je pose ma règle et descends de mon socle. Alors, je franchis les quelques mètres qui me séparent de la plage. Je descends le menu escalier et finis par marcher sur la sable. Je me tiens face à la mer.

Certes, mesurer les nuages peut paraître insensé. Pourtant c'est ma raison d'être. Et elle ne m'empêche pas de m'asseoir au bord de la mer, les pieds dans l'eau.

Signaler ce texte