Le miroir de l'autre dimensions 16 - 17 et Fin
Violette Ruer
16
Le temps des secrets
En arrivant à l’hôtel de police, Tonio Perlicchi trouva le juge Provost dans son bureau et dans une colère noire, à la limite de la déraison. Comment avait-il osé mettre sa fille en garde à vue ? Mais tout simplement parce qu’elle était une des causes de la tentative de suicide d’Olympe d’Arcourt-Duquesnois. Le juge sourit et dit : Il est gay alors comment aurait-il pu se suicider par amour pour ma fille ! Il ne doutait de rien celui-là ! Tonio Perlicchi répliqua aussitôt : oh mais rassurez-vous, ce n’était pas par amour mais par dégoût et à cause de son harcèlement alors dorénavant miss Charlotte Provost a l’obligation formelle de demeurer loin de ce jeune homme, suis-je assez clair ?
Pantois devant l’assurance du commissaire, le juge Provost demanda à voir sa fille. Celle-ci s’énerva et voulut absolument rendre visite à Olympe et son père devait l’aider ! A sa grande surprise, le juge lui intima de se taire et de se conformer aux ordres, elle avait fait assez de bêtises pour ne pas encore rajouter entrave à une enquête de police ! Il voulait bien protéger sa fille mais il était juge avant tout et Charlotte ne pouvait pas ouvertement bénéficier d’un régime de faveur. Si elle tenait à sa liberté il valait mieux qu’elle se calme.
N’ayant rien de vraiment concret contre Miss casse-burnes, il serait hasardeux de la garder plus de vingt quatre heures alors le commissaire l’autorisa à rentrer chez elle.
Une rage sourde envahissait Charlotte, tout ses sens étaient en ébullition. L’aventure ne pouvait pas se terminer ainsi ! Interdit ! Comment cela interdit ? Elle avait horreur des tabous et des barrières ! Elle trouverait bien le moyen de rencontrer Olympe en privé. « la vengeance était un plat qui se mangeait froid »
Pendant ce temps, le docteur Cauvin se remémorait les confidences d’Olympe. La découverte de l’inceste subi par le jeune homme dans son enfance le troublait étrangement. Ce n’était pourtant pas la première déclaration de ce genre dans son métier mais leurs histoires se ressemblaient tellement ! Voilà pourquoi il se sentait si proche de lui ! Devait-il en parler au commissaire ? Non, secret médical obligeait et c’était du passé donc aucun lien avec les crimes. La honte d’Olympe s’était transformée au fil du temps en introversion et culpabilité mais sans qu’il ne sache vraiment de quoi il se sentait coupable. Il ne s’aimait pas tout comme il détestait la couleur rouge synonyme de violence à ses yeux. Le hangar de sa mémoire était encombré d’une foule de phobies qui l’empêchait de vivre normalement.
Un élément durant la dernière séance perturbait le psychologue. Olympe semblait vivre dans un monde parallèle, d’un côté le bien, de l’autre le mal. Les révélations hallucinantes démontraient effectivement une double personnalité mais où était la réalité ? S’il en parlait au commissaire il en résulterait une véritable catastrophe…. Seul Olympe pouvait changer la donne… Miroir, mon beau miroir, dois-je te briser en menus morceaux pour faire éclater la vérité ?
17
Premières couleurs de l’arc en ciel
Une nuit entre la lumière et les ténèbres avait suffit à Olympe pour se rendre compte de l’absurdité de son geste. Il savait maintenant qu’il fallait se débarrasser de tous ces oiseaux de mauvais augures faisant obstacles à son chemin de vie. Un retour à une existence bousculée mais importante était nécessaire. Heureusement une âme charitable inversa la fatalité.
Le téléphone résonna dans la chambre. Sa mère sans doute… Mais non… Charlotte… Elle commença à se plaindre de ne pas pouvoir lui rendre visite… Il pensa « tant mieux »… A aucun moment elle ne se préoccupa de sa santé. Elle se maintenait dans le fantasme d’amie alors que visiblement elle se moquait bien des désirs et des besoins de son si grand ami ! Centrée sur son propre horizon, sa petite vie en barreaux de chaise, sur ses envies refoulées, sur l’insatisfaction de tout ce qu’elle faisait, elle voulait une nouvelle fois passer outre toutes les conventions et ordres du commissaire. Mais… et oui mais… Olympe n’était plus sous l’effet du LSD de la compassion, la drogue de la pitié avait disparue de son organisme. Il était totalement conscient de la folie de Charlotte. Il dit simplement et d’un calme qu’il n’aurait jamais cru possible : Tu n’aimes que toi-même, ton amitié n’était qu’une fiction, tu avais besoin de martyriser quelqu’un pour combler ton existence monotone. Je ne serai plus jamais cette victime alors oublie-moi. Et il raccrocha. Cette rupture définitive le rendait léger comme une plume même s’il savait d’avance que Calamity Jane allait tenter une autre approche. Il était serein à présent et prêt à la faire disparaître de sa vie.
Pierre Cauvin passa dans la matinée pour annoncer à Olympe qu’il pouvait rentrer chez lui en accord avec le médecin traitant. Oui, la santé physique du jeune-homme était correcte et il pouvait se rendre chez lui… dans le deux pièces que lui avaient loué et aménagé sommairement ses parents… Cependant, toute l’euphorie de la présence du psychologue disparut de l’âme d’Olympe. Pierre Cauvin s’en aperçut tout de suite et le rassura : J’ai un cabinet en dehors de l’hôpital et si vous le désirez, nous pourrions poursuivre les séances…
Olympe accepta immédiatement ! Son cœur battait la chamade ! Pierre Cauvin se sentit en liesse devant cet enthousiasme. Il ne comprenait pas bien la raison, ou peut-être n’osait-il comprendre…. Cette dualité en lui le perturbait depuis son adolescence. Il s’était marié, un peu par obligation, un mariage de convenance et sa femme avait fini par en être satisfaite. D’ailleurs depuis quelques mois elle sortait beaucoup et il ne se posait aucune question quant à ses absences parfois prolongées. Il passait pour un homme sérieux et fidèle, insensible aux avances des infirmières, et pour cause… Il caressa la joue d’Olympe, lui tint la main tout en lui disant avec un large sourire : A très bientôt Olympe…Le trajet semble long jusqu’à une certaine connaissance de nous-mêmes, mais nous y parviendrons…
En début d’après-midi, madame d’Arcourt-Dusquenois vint chercher son fils. Elle s’attendait à le trouver morose, déprimé, devant faire face à la solitude et fut surprise de retrouver un homme plein d’entrain, impetieux, pressé de déposer ses valises dans cet appartement dont il avait entendu parler toute la semaine ! Quel revirement ! Les séances de psy lui faisaient vraiment du bien… Elle ne croyait pas si bien dire !
Immortel amour renaissait des cendres incandesentes alors que rien ne le présageait après cette tentative d’autodestruction programmée sur un coup d’égarement. Les couleurs de la vie se fondaient dans un joli arc-en-ciel et des larmes de joie brillaient dans les yeux d’Olympe.
Charlotte bien décidée à entonner le chant de la victoire sans retard, se rendit à l’hôpital malgré toutes les interdictions. Surprise de l’absence de « son ami », elle apprit par une infirmière son départ. Etait-il rentré chez ses parents ? Non… chez lui… Il avait donc une résidence bien à lui…. Avait-elle l’adresse ? Non… Mais le docteur Cauvin peut-être….Olympe l’aimait bien. Rassurez-vous, votre ami est sorti avec un très bon moral. Le psy a vraiment fait des miracles, il va d’ailleurs continuer à le suivre régulièrement… Une petite retraite dans un environnement calme ne pourra que lui faire du bien.
Décidément cet homme exceptionnel devenait gênant. Et si… Elle devait s’en assurer… Docteur Cauvin est-il gay ? L’infirmière faillit s’étrangler en répondant : Bien sûr que non ! Il est marié ! Comment pouvez-vous poser une telle question ? Pourquoi s’offusquer ainsi ? Quelle mette un mouchoir sur cette question et tout serait oublié. Il n’y avait pas de quoi en faire un drame ! Quelle neuneu cette fille !
Bon, il fallait trouver l’adresse d’Olympe maintenant. Par Marie-Christine ? Inutile d’y songer. Un moyen simple : à la sortie de son bureau, le suivre… Rien ne l’arrêterait ! Donc d’abord connaître le jour de la reprise du travail, rien de mieux que de téléphoner. Se faisant passer pour une cliente, elle apprit par la secrétaire que monsieur d’Arcourt-Duquesnois rentrerait de voyage en fin de semaine. Et voilà, trois jours à attendre puis destination la sortie du bureau et filature… Pourquoi cette folle dingue avait-elle dit qu’il était en voyage ? Certainement pour cacher la vérité aux yeux du patron…. Ah il avait osé la rembarrer comme une malpropre ! Et bien il allait vite se rendre compte que la partie n’était pas finie !...
18
Triste fin ? Non pas pour tous…
Olympe se sentait bien, parfaitement en osmose avec tout son être et toutes ses pensées. Grâce à Pierre Cauvin, le voile se levait peu à peu sur les parties d’ombre de son existence. Tout son univers changeait. Il aimait, il était aimé,. Bien sûr pour l’instant il fallait faire avec les convenances mais l’avenir s’annonçait plein de promesses de bonheur.
Pierre était venu dîner à la maison la veille et la nuit fut merveilleuse.
Olympe fut tiré de ses pensées par la sonnette d’entrée. Charlotte à 20 heures! Il n’en revenait pas de son audace ! Qui donc lui avait donné son adresse ? Sans se démonter le moins du monde elle lui dit : J’ai cherché et j’ai trouvé…. Tu sais bien que j’arrive toujours à savoir ce que tu fais… Quelle glu ! Que voulait-elle ? Lui parler parce qu’elle avait un gros problème. Comme d’habitude, certainement une nouvelle invention…. Elle s’assit sur un fauteuil et se mit à pleurer et à lui raconter : J’étais enceinte suite à un viol… Je me suis fait avorter et je ne me sens pas bien du tout… C’était triste mais en quoi était-il concerné ? Elle continua : J’ai appris que le psy que tu consultais était excellent et j’aimerais que tu lui parles de mon cas…. Je ne peux le demander à mes parents sinon ils me demanderaient pourquoi…. Personne n’est au courant de ce qui m’est arrivé, sauf toi maintenant… Tu es le seul à qui je peux faire confiance.
Vérité ? Intox ? Elle n’irait quand même pas jusqu’à inventer une histoire pareille ! Promis il en parlerait à son psy et il prendra rendez-vous pour elle. Elle lui sauta au cou pour le remercier ! Il eut un recul immédiat, elle sentait l’alcool. Il le lui fit remarquer et elle répondit très vite : J’ai bu deux whiskies pour me donner le courage de venir chez toi pour te raconter… et nouvelle crise de larmes…. Elle lui demanda si elle pouvait passer lA nuit chez lui car elle ne se sentait pas le courage de prendre la voiture….. Elle l’avait pourtant prise pour venir ! Il réfléchit un instant, s’il lui arrivait quelque chose il s’en sentirait responsable et il ne voulait plus culpabiliser pour quoi que ce soit. Pierre lui avait bien ancré cela dans son cerveau. Pierre ! Il devait le prévenir de ne pas venir ce soir ! Il partit donc dans la chambre pour téléphoner.
Lorsqu’il revint dans le salon, une odeur nauséabonde flottait dans l’air, ce n’était pas l’alcool… Il fixa les baskets de Charlotte et comprit aussitôt… Bon sang, ne passes-tu jamais ces tennis dans la machine ? Pourquoi ? Elles ne résisteraient pas au lavage… C’était sûr, du beau bas de gamme mais quand même, ne pouvait-elle en changer ? Il fixa les pieds de Charlotte, noirs aux talons… Il ne put en supporter davantage et lui demanda de passer dans la salle de bain car elle risquait de tacher la moquette claire de son appartement…. Il ouvrit ensuite largement la baie vitrée de sa terrasse… Maniaque il ne supportait pas la moindre mauvaise odeur et surtout pas celle de poisson pourri ! Il entendit la douche et poussa un soupir de soulagement.
Dans la salle de bain, Charlotte remarqua que tout était en double : brosse à dents, peignoir… Son ami ne vivait pas seul… Une sourde colère l’envahit quand elle entendit des voix dans le salon….
En effet, Pierre, qu’Olympe n’avait pu joindre, qui n’avait pas lu ses messages, se trouvait devant lui avec un bouquet de roses rouges. Il sentit aussitôt le malaise mais n’eut pas le temps de parler, Charlotte sortait de la salle de bains vêtue de… son peignoir ! Connaissant cette fille par les dires d’Olympe, il ne comprenait pas ce qu’elle faisait là, à moitié nue.
La situation amusait Charlotte qui dit tout à coup avec un air ludique: Olympe, peux-tu me prêter une chemise ou un tee-shirt pour la nuit ? Je n’avais pas prévu… Devant l’embarras de son compagnon, Pierre posa les fleurs sur la table et repartit en claquant la porte !
Olympe était effondré. Pierre se faisait une fausse idée de la situation. Maudite Charlotte ! Une fois de plus elle perturbait sa vie. Il vit rouge et lui demanda de partir immédiatement ! Elle se rebella : Ne me dis pas que tu couches avec ce mec ! Je suis sûre que c’est ton psy, il me semble reconnaître le médecin de l’hôpital, t’es dingue ou quoi ! Il est marié et se fiche de toi !
C’était plus qu’il ne pouvait en entendre ! Il prit les vêtements de Charlotte et les lui jeta à la figure : Fiche le camp avant que je ne fasse un malheur ! Tu pars… et tu oublies définitivement cette adresse !
Colle-forte Charlotte n’abandonnait pas : Si tu me renvoies maintenant, je téléphone à la femme du psy et je lui raconte tout !
La méchanceté qui ne l’avait jamais quittée refaisait surface, mais elle ne put continuer. Pierre se doutant d’un traquenard, était revenu et avait tout entendu. Il appela la police. Charlotte eut un rictus et ricana : Bien sûr la police ! Comme çà j’avouerai tout ce que j’ai fait pour Olympe et il ne pourra jamais prouver ne pas être complice…
Cette phrase cloua sur place les deux hommes. Qu’avait donc fait cette fille ? Pierre comprit aussitôt qu’il fallait la pousser à bout pour connaître la vérité. Quelques minutes plus tard, il aperçut le commissaire dans l’entrée et continua à provoquer la jeune-fille. Charlotte, hors d’elle, hoquetait : Eh oui Olympe ! Je t’ai débarrassé de tous ces hommes qui t’avilissaient et qui se servaient de toi pour leurs horribles fantasmes.. J’ai même arraché les couilles du dernier tellement cela me mettait en colère ! J’ai fait tout cela pour toi et tu oses me traiter comme une moins que rien !
Tonio Perlicchi, en avait assez entendu. A l’aide de deux agents il passa les menottes à Charlotte qui se débattit comme une folle furieuse, en griffant et mordant tous ceux à sa portée ! Quelques minutes plus tard, une ambulance l’emmenait, immobilisée dans une camisole de force.
Elle fut condamnée pour meurtre et sa peine convertie en asile à vie. Son père n’essaya même pas de la défendre, son cas était désespéré. Il était surtout préoccupé à défendre sa réputation.
Tonio perlicchi était content de partir en retraite sur une affaire résolue. Quant à Pierre et Olympe ils avaient encore quelques petits détails à régler pour vivre ensemble mais les nuages disparaissaient peu à peu…
FIN