Le miroir d'une autre dimension 11-12-13-14-15

Violette Ruer

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Remémoration douloureuse 

            Dès qu’il fut chez Marie-Christine, Olympe s’effondra. La jeune femme ne comprenait pas pourquoi il était si impressionné par les paroles de Charlotte. Cette fille était une éternelle insatisfaite qui avait besoin de haïr pour exister, et cette haine était un moteur puissant de son comportement. Elle jalousait le bien-être observé chez les autres  et comme elle n’arrivait pas à l’obtenir pour son compte elle avait recours à la destruction. Olympe lui avait fait comprendre qu’il n’aurait jamais de relation autre qu’amicale avec elle et cela ne lui suffisait pas alors elle essayait de le détruire moralement. Pourquoi Olympe n’en parlait-il pas au commissaire ? Le harcèlement de cette fille cachait peut-être autre chose de plus grave…

Olympe haussa les épaules, quand même pas le meurtre ! Il ne faut pas exagérer ! Elle avait envie de dominer ceux qui l’entouraient, elle était un peu cinglée mais de là à…. Il trouvait Marie-Christine trop dure dans ses propos… Décidément il avait toujours des œillères ! 

          Olympe fixa le miroir de l’entrée et une nouvelle fois une sensation de malaise l’envahit. Son visage était trouble, ce qu’il voyait ce n’était pas un adulte mais un enfant, un enfant craintif que tout le monde bousculait dans la cour d’une école privée catholique. Il n’avait alors que dix ans et déjà pleuvait des hallebardes de quolibets : pédé, tantouze, gonzesse, toutes sortes de noms d’oiseaux lui tombaient sur la tête et le rendait malheureux et sans défense. Pourtant, rien n’était de sa faute ! Il subissait des choses qu’il ne comprenait pas. Quand un adulte lui soulevait son chandail et lui caressait le dos, il ignorait que ce n’était pas normal, la tendresse d’un père lui manquait tant qu’il se persuadait que ces gestes en étaient une certaine forme, même s’il avait des nausées comme une femme en début de grossesse. Cependant Il n’en parlait pas…. Jamais un geste tendre de son père, pas une once d’affection, toujours tranchant dans ses paroles alors il était devenu adulte avec un lourd bagage difficile à porter. Il avait la réputation d’être difficile à vivre, toujours sur la défensive et susceptible. Mais qui pourrait vivre en toute quiétude avec un wagon de douloureux souvenirs ? Lui si peu confiant avait pourtant fait des confidences à Charlotte un soir de profonde tristesse. Comme il le regrettait à présent ! Depuis l’aveu d’un court chapitre de sa vie, elle se croyait tout permis et lui donnait des conseils invraisemblables. Ne serait-il pas mieux pour lui de chasser l’attirance qu’il avait pour les hommes car c’était écoeurant aux yeux de beaucoup de monde ? Elle ne comprenait rien ou ne voulait pas comprendre…. Cela irait-il vraiment mieux s’il était hétéro ? Pas le moins du monde, il préférait être lui-même, du moins du mieux qu’il le pouvait avec son environnement guindé aux principes d’un autre âge. Devrait-il toujours croiser le fer avec sa famille ou ses amis ? 

          Ohé Olympe, où es-tu parti ? Il s’arracha à ses pensées pour répondre à Marie-Christine : J’avoue que je ne sais pas, tout comme je ne sais pas où est ma place aujourd’hui… Quand tout n’est pas noir, cela reste quand même gris….J’aimerais du bleu sans nuage…..Juste un petit répit de bonheur…. Un léger arc-en-ciel… Une éclaircie de joie dans ma vie… Il évita soigneusement de retourner devant le miroir et décida également qu’il n’irait pas au rendez-vous forcé de Charlotte…

          La sonnerie du portable d’Olympe résonna en pleine nuit. Charlotte ! Incroyable ! Il fut tenté de ne pas répondre mais il savait qu’elle n’abandonnerait pas…. Je crois que tu m’as oubliée, je t’ai attendu… Puis ses paroles devinrent incompréhensibles, elle radotait… Elle avait bu ! Elle voulait le voir tout de suite ! A minuit ! Elle rêvait tout éveillée ! Elle avait besoin de libérer sa conscience ! Mais de quoi ? Elle ne lui dirait que de vive voix…Qu’avait-elle encore inventé ! Marie –Christine était sortie avec des amis alors qu’elle vienne, lui ne sortirait pas….

           Elle débarqua une demi-heure plus tard, toute échevelée ou du moins pas coiffée, un horrible pull gris sans forme sur les épaules. Olympe regrettait un peu de l’avoir laissé prendre sa voiture dans un état d’ébriété certain. Avant qu’elle n’ouvre la bouche il alla lui faire un café. 

         Elle se lamentait : pourquoi est-ce que tu ne m’aimes pas… Si on faisait l’amour tu ne penserais plus à tes mecs…. Elle n’allait pas recommencer son cirque ! Même hétéro, il n’en voudrait pas ! Alors, qu’est-ce qui était si important qu’il fallait en parler au beau milieu de la nuit ! Elle savait qu’il s’était disputé avec Pierre-Yves et que dans la bagarre il était tombé à l’eau… Qui ? Lui ? Elle allait cesser immédiatement  ses divagations, il n’était pas sorti… Le commissaire pourrait se poser des questions si elle lui parlait… Bon sang qu’elle y aille, il faudrait alors qu’elle explique ce qu’elle faisait devant le bar cette nuit-là !

          Charlotte se tut un moment. Il était coriace le bougre ! Elle avait l’art de mettre ses idées en conserve et d’ouvrir la boite quand personne ne s’y attendait. Si ce n’était pas lui… car évidemment elle n’avait pas vu le visage de l’homme dans l’obscurité, qui était-il ? Pas question qu’elle perde l’emprise qu’elle avait sur Olympe. Il fallait le remettre en confiance, mais comment ?  D’abord en le fragilisant sur le sujet sensible : Si ce n’était pas toi, ton cher Pierre-Yves te trompait… Pauvre Olympe, toujours aussi crédule….  Oui Pauvre Olympe, un Bisounours qui ignorait encore qu’il allait se faire une nouvelle fois rouler dans la farine !

Sa dépression ne risquait pas de s’atténuer ! La température montait dangereusement et la météo n’annonçait rien de bien réjouissant  avec l’imagination débordante de Charlotte! Le repos ne se profilait pas à l’horizon !

          Charlotte se leva et fit mine de s’en aller espérant qu’Olympe lui demanderait de rester mais le regard de Marie-Christine, venant de rentrer, annonçait l’orage ! Fiche le camp ! Je ne veux pas te voir chez moi !  Charlotte haussa les épaules : Cela ne durera qu’un temps, bientôt il sera chez lui et tu ne pourras plus rien dire ! Et pour information, c’est lui qui m’a invitée…. Et elle quitta l’appartement en claquant la porte ! Pour la première fois Olympe et Marie-Christine se disputaient… C’était chaud ! Derrière la porte la casse-pied fulminait… elle avait réussi son coup !

 

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Triste découverte

 

          Marie-Christine poussa un ouf de soulagement après le départ de Charlotte. L’emprise de cette dernière sur Olympe, vulnérable et sensible, était maléfique. Véritable génie de la fourberie par sa fausse empathie, elle parvenait, à l’aide de sous-entendus, de calomnies sans prendre de risque car restait évasive et prêchait le faux pour extirper le vrai, à retourner la cafetière du pauvre jeune-homme en manque de lucidité.

          Alors que Marie-Christine tentait de remonter le moral à Olympe, Charlotte au contraire, le culpabilisait, travaillait négativement dans les zones d’ombre de son existence. Elle utilisait les confidences pour le convaincre que toute négativité de a vie était l’œuvre de son propre comportement. Elle le mettait en état de souci permanent. Sa source d’inspiration était sa propre haine d’elle-même. Avoir une victime à martyriser compensait, dans son esprit dérangé, sa laideur. Elle avait vraiment un grain cette fille ! 

          Elle vivait dans un foyer où l’instruction et l’éducation faisaient loi, rien ne lui manquait financièrement et pourtant elle ne faisait rien pour prendre soin d’elle. Un pull mauve avec une jupe verte, des collants noirs et des chaussures blanches aux talons usés au point d’en remonter le cuir, ne la gênaient pas. Comment ses parents pouvaient-ils ne pas avoir honte de ses accoutrements ? Il est vrai qu’avoir une mère qui lavait les sacs poubelles pour les économiser alors qu’elle avait les moyens d’en acheter une tonne ne devait pas aider ! Cela embaumait la radinerie ! 

          Marie-Christine soupirait encore à l’évocation de ce détail raconté pat Charlotte à Olympe ! Qu’y avait-il de vrai dans cette confidence ? Difficile à savoir car elle distillait le mensonge avec une senteur de vérité incontrôlable.

          Attendue chez ses parents pour le souper, Marie-Christine demanda à Olympe de l’accompagner. Il répondit poliment qu’il préférait rester seul et de plus il serait de mauvaise compagnie…Elle partit en le prévenant qu’elle l’appellerait pour savoir si tout allait bien.

          Dès qu’il fut seul, Olympe se dirigea vers la salle de bains aux effluves fraicheur lavande. Il choisit une huile relaxante aux arômes d’agrumes et se laissa couler dans l’eau tiède. Il se sentait bien… Anormalement calme mais bien…

          Au quatrième appel sans réponse, Marie-Christine décida de rentrer chez elle. Elle frissonna en ouvrant la porte, il n’y avait pourtant rien d’anormal. Olympe, enroulé dans une couverture comme une momie, dormait sur le canapé. L’ordinateur ouvert affichait plusieurs messages de… Charlotte ! Que voulait-elle encore ? Marie-Christine hésita un peu puis lu le dernier : Je suis revenue après le départ de l’emmerdeuse et j’ai trouvé porte de bois. C’était dégueulasse de ne pas m’ouvrir… Tu agis comme un salaud depuis que tu es chez elle… Elle te monte le bourrichon…. Je t’en prie répond-moi ! Je ne me sens pas bien… Viens me voir… J’ai besoin de toi ! Olympe n’avait pas répondu. Marie-Christine s’approcha de lui et aperçut…Une bouteille de vodka et un tube de Temesta… vides tous les deux !….Le pouls d’Olympe était très faible… Elle appela aussitôt les pompiers.

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L’intruse

 

          Tonio Perlicchi, averti par le service d’urgence de l’hôpital Bon-Secours, s’y rendit aussitôt. L’affaire prenait une tournure inattendue et de plus s’étirait trop en longueur. Dans le couloir, Marie-Christine parla du mail de Charlotte au commissaire juste au moment où celle-ci montrait le bout de son nez. Avec son aplomb habituel, elle exigea de voir son ami et conclut par : Et personne ne pourra m’en empêcher sinon j’en parle à mon père, il est juge… 

          Tonio connaissait le juge Provost et cela ne l’impressionna nullement. Il appela deux agents et leur demanda de reconduire Charlotte vers la sortie. Quelle glue ! Elle était collée, tel un chewing-gum ramolli, à Olympe ! Il ne mâcha pas ses mots : Sans obtempération immédiate je vous mets en garde à vue !  La brebis galeuse râlait encore : Ah oui et pour quelle raison ? Devant la puce excitée, Le commissaire perdit patience : Pour incitation au suicide… Mais elle n’y était pour rien ! Elle oubliait certainement le traumatisme psychique provoqué par ses paroles blessantes, ses mails injurieux envers la victime affaiblie par la disparition de deux amis !

          Avec un manque total de sens moral et sans une once de culpabilité, elle reportait sur Marie-Christine la responsabilité de la tentative de suicide ! Libération pure de toutes actions vénales, le type même de la narcissique perverse ! La gomme de sa perversité effaçait toute responsabilité et toutes conséquences de ses actes. Tondre sa victime pour le mettre à nu n’avait rien de répréhensible à ses yeux. Elle dévoilait les secrets, les mystères d’autrui confiés, avec une désinvolture sans précédent, gardant comme dessert, cerise sur le gâteau, l’humiliation totale de ceux qui n’abondaient pas en son sens. Sale bonne femme dont Olympe devait vraiment se défaire !

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Réveil

 

          Olympe s’éveillait lentement, la mine très pâle mais il était vivant ! Etonnant avec tout ce qu’il avait avalé ! Il ne savait pas s’il devait en sourire ou en pleurer. Aucun preux chevalier à la lance défensive n’avait pu empêcher l’épée de Damoclès de tomber.

          La veille, en pleine détresse, sans pouvoir se reposer sur l’épaule d’un amour, las des déceptions, sans assurance d’un rare bonheur, il décida de supprimer la douleur qui marquait son cœur au fer rouge, d’effacer ces horribles images qui hantaient ses nuits. Sa vie ressemblait à un trou béant dans lequel il voulait s’enfoncer. Alors il enfourcha le cheval noir et galopa vers le néant. Charlotte n’était pas vraiment en cause mais son harcèlement continuel avait aidé à user sa volonté de vivre.

          Heureusement, son amie Marie-Christine, solide comme un roc, avait pris les bonnes dispositions. Il ferma les yeux quelques instants Avant que le médecin ne vienne lui rendre visite. Le sourire de celui-ci était un précieux atout pour attirer les confidences. Il se présenta : Pierre Cauvin, psychanalyste… Bel homme dans la quarantaine, cheveux bruns, haute stature d’environ un mètre quatre vingt cinq, yeux azur très clairs brillants comme des diamants, était la coqueluche des infirmières. Selon la rumeur, marié et fidèle, détails qui le rendaient encore plus attirant.

          Olympe subjugué, se confia à lui avec une facilité déconcertante. Partant d’un mot clé lancé par le médecin, Olympe parla de l’austérité de son père auquel il ne pouvait s’identifier puisqu’il ne l’écoutait jamais, comme s’il ne l’aimait pas. La Franc-maçonnerie prônait de grands principes mais ne favorisait pas la vie de famille. Le colonel d’Arcourt-Duquesnois menait son foyer d’une main très militaire, il ne s’embarrassait pas de sentiments, d’où le rapprochement d’Olympe vers sa mère, pierre gemme de ses émotions à l’inverse de son père véritable oxyde de carbone l’empêchant de respirer, l’étouffant de son autorité. 

          Pierre Cauvin caressa les cheveux d'Olympe en disant : Jeune-homme je reviendrai demain et nous tenterons une séance d'hypnose Ericksonienne.... Cela devrait vous aider....

          Devant le regard interrogateur d'Olympe, il poursuivit : Je vous expliquerai, rien à voir avec une séance d'hypnose habituelle..


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Confidence avortée


         A l’aube d’un autre jour, après une tentative de noyade psychique, proche de la chute définitive, alors que son esprit était totalement à la dérive, Olympe se surprit à penser que son attitude était une grossière erreur et qu’il ne recommencerait pas car la vie était un trésor à ne pas gaspiller.

          Le psychologue arriva vers dix heures et demanda à ne pas être dérangé pendant une heure. En quoi consistait cette fameuse séance d’hypnose éricksonnienne ? Tout d’abord Olympe pouvait s’asseoir dans un fauteuil, être allongé n’était pas nécessaire. Le patient n’était pas endormi. La méthode consistait en une approche indirecte, par métaphore, non dirigiste. Pierre Cauvin compara le cerveau d’Olympe à un disque dur d’ordinateur contenant un flux considérable de renseignements dont les mots couleraient, goutte à goutte comme si on défragmentait ce disque trop encombré.

          La gorge sèche, Olympe ressentit d’abord un trouble étrange puis il se laissa glisser dans les profondeurs de ses souvenirs. Le médecin prononça juste le mot : baignade… Comme pour le mettre dans le bain. Une cascade de mots sortit de la bouche d’Olympe sans qu’il ne s’en rendevraiment compte. Puis il s’arrêta brusquement, sans grand étonnement du médecin, il savait que la fontaine allait se tarir ou le débit s’atténuer lorsqu’un souvenir douloureux se présenterait. Olympe se tenait la tête comme s’il voulait empêcher son cerveau de continuer. Il criait « Non ! ce n’est pas vrai ! » Le psychanalyste ouvrit la fenêtre et la fraîcheur calma le jeune-homme. C’était assez pour une première séance. Il savait maintenant quel était le mot clé de leur prochaine rencontre…Il fallait séparer le grain de l’ivraie et cela n’allait pas être facile….

          Dans le couloir, le commissaire Perlicchi attendait. Le médecin lui murmura : Nous saurons bientôt… Soyez patient… Ne l’interrogez pas aujourd’hui… Une seule parole malheureuse pourrait totalement le bloquer…

A suivre...

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