Le Monde de la Dame -04- Fantômes

Ver Du

Un couple hérite de la maison d'une grande tante un peu excentrique. Ce qu'ils vont y découvrir va ébranler leurs certitudes sur eux mêmes et sur le monde...

La Porte S'Ouvre

 

Les deux amants sortaient de l'autoroute pour s'engager sur les routes secondaires en direction du village où se trouvait la maison léguée à Elisabeth par une grand-tante qui n'avait jamais eu d'enfants. Cette bâtisse est la propriété de la famille d'Elisabeth depuis des siècles et bien des générations.

— Le GPS indique encore une bonne heure de route, lança Paul à sa compagne. Veux-tu que nous nous arrêtions pour déjeuner dans le prochain village car ensuite je ne sais pas ce que nous trouverons, nous allons traverser un coin quasi inhabité.

—Oui je sais ! Répondit la jeune femme en riant, ma famille a toujours eu un faible pour les lieux insolites et a toujours détesté le monde, de vrais misanthropes...

— Le notaire nous avait dit que la maison était dans un coin perdu mais là c'est pire que tout...

— Tu ne vas pas te plaindre, sans cet héritage, nous n'aurions jamais pu nous offrir une telle demeure. Arrête de râler !...

— Attendons de voir l'état de la maison, elle est inhabitée depuis une quinzaine d'années, ça va être le royaume des araignées.

— Tu es encore en train de râler ! Tiens ! Regarde cette place, il y a un resto avec une terrasse sous les platanes ! Arrêtons-nous là pour manger.

Grommelant dans sa barbe, Paul gara la voiture à l'ombre des platanes séculaires et les deux jeunes gens sortirent du véhicule climatisé pour se retrouver dans la chaleur à peine atténuée par un léger souffle d'air. Main dans la main, ils se dirigeaient vers le restaurant qu'ils avaient repéré et s'installèrent à la terrasse.

Un serveur d'un âge avancé vint leur proposer la carte et les conseilla sur les spécialités régionales préparées par la maison.

— Pourquoi pas ! dit Paul. Puisque nous serons peut-être amenés à revenir souvent autant découvrir les spécialités locales.

Ils choisirent donc leur menu en fonction de leur goût et des conseils du serveur qui engagea en même temps la discussion sur les raisons de leur visite dans cette région assez éloignée des zones touristiques. Elisabeth lui expliqua alors qu'elle venait d'hériter de son arrière grand tante d'une maison située dans un hameau perdu au fond d'un vallon étroit.

Le serveur la regarda avec étonnement.

— Vous êtes l'héritière de la bâtisse de Janis ? Je la connaissais bien, dit-il avec un air nostalgique. Mais on continue à raconter qu'elle est hantée ! Certains disent que le soir, on entend des gémissements et des cris provenant de la maison. Mais aucun n'a encore osé s'y aventurer de plus près. Dans la région, cette maison fait peur.

Elisabeth s'esclaffa de rire devant la mine déconfite du serveur.

— Vous ne devriez pas rire mademoiselle, ici, nous croyons aux fantômes...

-Nous irons le constater par nous-mêmes, déclara Paul, sûr de lui et convaincu que les gens devaient être effrayés par des bruits ou des lumières inexpliquées dans une vieille demeure.

— Soyez prudents ! Leur souffla-t-il.

Les deux amoureux finirent de manger tranquillement en s'amusant de cette superstition.

— La vieille tante n'est pas morte dans cette maison, ce ne peut pas être son fantôme qui y rode. En tout cas j'espère que nous n'y arriverons pas trop tard, j'aimerai dépoussiérer et aérer un peu la chambre pour que nous puissions malgré tout dormir entre quatre murs et ne pas avoir à planter la tente dans le jardin.

Une fois leur café bu, ils ont remercié le serveur pour son accueil et reprirent la route vers la maison.

Paul posa alors à sa compagne une question qui lui trottait dans la tête depuis qu'il avait vu le notaire.

—Comment se fait-il que cette maison se soit toujours transmis de mère en fille, on ne voit aucun homme en hériter ?

— C'est une particularité de la famille, mes ancêtres n'ont pratiquement eu que des filles et quand il y eut des garçons, ils sont tous mort avant d'hériter de la propriété, comme mon arrière grand-oncle Pierre et ils n'ont même jamais eu d'enfants…

— C'est bizarre…

— Ce qui est encore plus bizarre, c'est qu'Il n'y a quasiment eu que des filles uniques. Les sœurs sont très rares et quand il y en a, ce sont des jumelles, comme Janis et ma grand-mère… et là encore, seule une des jumelles à une fille…

— Ta famille est vraiment bizarre…

— Oui ! Je sais, dit-elle en rigolant. Tiens, c'est là sur la droite vers le plateau…

Paul bifurqua sur une route étroite et sinueuse. Après une longue montée, ils débouchèrent sur un plateau désertique recouvert d'une végétation éparse ou paissaient quelques troupeaux de moutons. Au bout de longues minutes silencieuse, alors Paul était concentré sur sa conduite et Elisabeth plongée dans ses pensées sur la manière de réaménager la maison pour en faire un endroit douillet et confortable, ils aperçurent enfin la bastide, blottie dans un vallon resserré non loin d'un ruisseau. Une énorme demeure de pierres sèches sur deux niveaux avec un toit de tuiles à la romaine. Il leur fallait encore descendre par un chemin empierré à peine plus large que leur voiture de location.

— Dans mon souvenir, elle ne semblait pas si énorme et isolée, dit-elle. Mais je me souviens très bien de ce ruisseau qui serpente pas loin de la maison mais la végétation ne me semblait pas si touffue.

— Cela fait plus de dix ans qu'elle n'est plus habitée régulièrement. Ma mère et le voisin n'ont plus le temps de s'en occuper, la végétation a repris ses droits dans le jardin.

Ils franchirent lentement la grille rouillée qui avait fermé la propriété pendant des années, les roues de la voiture crissèrent sur les graviers de l'allée bordée d'arbres et ils s'arrêtèrent devant l'escalier qui conduisait à la porte d'entrée.

En sortant de la voiture, ils prirent quelques minutes pour regarder cette demeure qui les dominait de sa masse. Elle semblait les attendre. Plus un souffle d'air ! Même les oiseaux et les insectes semblaient avoir cessé de chanter. Le silence se fait oppressant. Elisabeth lance alors :

—Je vais ouvrir, j'ai hâte de redécouvrir cette maison... elle doit avoir besoin d'être aérée.

Elle grimpa les escaliers et fit tourner la grosse clé dans la serrure qui s'ouvrit sans aucune difficulté. La porte grinça sur ses gonds.

— Il faudra une goutte d'huile ! dit Paul en souriant. Où se trouve le tableau électrique que je rétablisse le courant ?

— Je crois qu'il est dans la cuisine...

Lentement, ils entrèrent dans la maison obscure et silencieuse. Les rayons du soleil illuminèrent alors la pièce.

— Tu m'avais dit que ta tante était un peu excentrique et illuminée mais je vois que tu n'avais pas exagéré.

Il examinait la pièce et découvrait des tentures aux motifs psychédéliques, dans un angle un Bouddha de jade avec des bruleurs d'encens et à sa surprise dans les autres angles des statuettes représentant Ganesh, Shiva et une Vierge à l'enfant.

— Je trouvais les attrape-rêves sous la tonnelle, décoratifs mais là, elle y va fort ! Il ne manque que la poupée vaudou et le tableau serait complet.

— Oh ! Janis avait créé sa propre religion à partir de ses différents voyages. Au bout d'un moment, on n'y fait plus attention, ils font partis du décor. On verra ce qu'on fait de tout cela quand nous aurons pris notre décision de la garder ou pas. Mais pour le moment, aérons-la et prenons possession de ce qui sera peut-être chez nous.

— Oui tu as raison, nous verrons plus tard, dit-il en l'embrassant.

Paul se dirigea ensuite vers la cuisine tandis qu'Elisabeth ouvrait les fenêtres pour faire enfin entrer le soleil dans les pièces.

— J'ai trouvé le compteur, je remets l'électricité ! lança Paul, alors qu'elle commence à monter l'escalier de pierre pour se rendre à l'étage. Elle est surprise de ne pas découvrir plus de poussière et de ne pas sentir cette odeur de renfermé habituelle dans les maisons qui sont restées longtemps inhabitées.

Elle entra alors dans ce qui avait été la chambre de sa lointaine tante et encore avant, la chambre de ses aïeux. Au moment où elle franchissait le seuil, elle ressentit un frôlement et un souffle d'air qui lui caressa ses bras et ses jambes nus. Elle se sentit enveloppée par une présence fantomatique mais elle mit cela sur le compte de l'ancienneté de la maison et de ses possibles courants d'air.

Arrivée à la fenêtre, repoussant les lourds volets de bois pour les ouvrir, elle fut obligée de se pencher outre mesure. Et là, le doute n'était plus permis, elle sentit de nouveau une caresse appuyée sur ses fesses. Elle se redressa en sursautant faisant volte-face, pensant découvrir Paul qui serait monté subrepticement pour lui faire ce genre de blagues. Il en était assez coutumier surtout lorsqu'ils étaient seuls.

— Paul ? Où es-tu ? Dit-elle surprise de ne pas le voir.

Elle regarda partout dans la pièce et ne vit personne, elle semblait juste apercevoir à la limite de son champ de vision un rideau qui remuait doucement. S'approchant de la tenture de velours, elle ne découvrit qu'une porte donnant sur la chambre voisine. Elle allait aérer cette chambre, mais cette fois-ci, rien ne se passa quand elle se pencha. Elle se dit qu'elle se faisait des idées même si elle ne pouvait pas s'empêcher de repenser à ce que leur avait dit le serveur dans le restaurant. Cette histoire de fantômes, il devait bien y avoir une raison qui expliquerait les bruits et les lueurs aperçues par les promeneurs. Tout en pensant à cela, elle finit d'ouvrir les pièces de l'étage avant de rejoindre Paul au rez-de-chaussée qui venait lui aussi de tout ouvrir sur le jardin.

— Ah Elisabeth ! dit-il en la voyant arriver dans le salon. Je me demandais où tu étais et si tu avais aussi ressenti ces courants d'air ?

— Oui ! Je pense que c'est parce que la maison est restée fermée longtemps et que le fait d'ouvrir a permis à l'air de se renouveler.

Elle n'osait pas lui raconter sa sensation de caresses sur les fesses craignant qu'il ne se moquât d'elle.

— Finalement la maison semble en bon état. On ne va même pas être obligé de monter la tente, et dans la chambre qui nous est apparemment dévolue, les lits et matelas semblent d'équerre pour accueillir nos ... ébats... Finit-elle d'un air malicieux.

— Oui et à ce niveau c'est la même chose, un bon coup de balai pour ôter la poussière, une remise au goût du jour au niveau de la décoration et la maison semblera ne jamais avoir été fermée, répondit-il, faisant mine de ne pas avoir noté la remarque de sa compagne mais ayant malgré tout l'œil brillant.

— Nous serons toujours plus à l'aise que dans la tente.

Ils se posèrent enfin à l'ombre d'une tonnelle avec une boisson fraîche.

— Profitons un peu car si on veut pouvoir dormir dans une chambre correcte, on a du boulot.

—Tu as entendu ce bruit ? dit soudain Elisabeth en se tournant vers la maison.

— Mais non ! Ton imagination te joue encore des tours… il n'y a que nous ici.

Il se leva malgré tout et se dirigea vers l'endroit où Elisabeth venait de lui dire avoir entendu quelque chose bouger.

En entrant dans la cuisine, il découvrit un couvercle de casserole sur le sol.

— J'ai trouvé ce qui t'a fait sursauter, un couvercle est tombé !

-Ce n'est pas possible, ce que j'ai entendu n'était pas un couvercle.

Elisabeth rejoignit son compagnon. Elle regardait et observait.

— Tant pis ! Ce n'est pas grave. Allons-nous occuper de la chambre.

Elle lui attrapa la main et l'entraina derrière elle dans les escaliers.

Il découvrit alors l'étage et les différentes chambres.

— C'est beaucoup plus grand que je ne le pensais et la déco ne fait pas si excentrique que cela. Nous pourrons transformer une des chambres en bureau et avec une connexion internet tu pourrais travailler depuis la maison, je te rejoindrais les week-ends, ce qui ne changera pas grand-chose à ce que nous vivons actuellement vu que je suis souvent par monts et par vaux. Au lieu de rentrer en ville, je rentrerai à la campagne, dit-il en posant les mains sur ses épaules, lové tendrement contre son dos.

Elle se retournait pour lui déposer un tendre baiser sur les lèvres en lui disant :

— Attends, sinon nous allons être obligés de planter la tente.

Il se recula en riant et brancha l'aspirateur pour nettoyer la chambre en déplaçant les meubles au fur et à mesure, surpris de ne découvrir que très peu de poussières et de moutons.

— Es-tu sûre que cette maison est inhabitée depuis deux ans ? On dirait que le ménage a été fait la semaine dernière.

— Oui j'en suis certaine, mais j'ai la même remarque pour le linge de maison, je viens d'ouvrir l'armoire et le linge sent le frais comme s'il avait été plié et rangé hier. C'est à n'y rien comprendre.

— Tant mieux nous aurons des draps propres et frais pour le lit au lieu de nos sacs de couchage." Dit-il en clignant de l'œil.

— Toi, tu as une idée derrière la tête ! Lui répondit-elle en lui jetant une paire de drap à la figure. Il se recula et se retrouva les quatre fers en l'air sur le lit.

— Allez aide-moi à refaire le lit, on verra ensuite, lui lança-t-elle en riant. Il se releva et quelques minutes plus tard, le lit était prêt à les accueillir.

— Maintenant que nous savons où et comment nous allons passer la nuit, si nous allions découvrir les environ de cette maison. Tu as vu que le chemin se prolonge vers le bois et le sommet de la colline.

— Je les connais, j'y viens depuis toute petite, dit-elle. Je suis aussi sûre que tu vas aimer découvrir le ruisseau qui dévale depuis le fond de la combe. Et pour mon travail, ces bois et vallons encaissés regorgent de légendes, je pourrais m'en inspirer. Un petit tour aux toilettes et j'arrive.

Il attrapa un bâton de randonnée déposé contre le mur près de la porte, il regarda intrigué, les gravures sur le morceau de bois qui semblait très ancien. Cet objet ne semblait attendre que lui et il sortit avec, les yeux vers la falaise visible au-delà des bois.

Après l'espace herbeux dégagé, se trouvait le ruisseau dans lequel Elisabeth lui avait dit aimer s'ébattre quand elle passait ses vacances d'été avec sa grand-tante. Elle lui avait même avoué s'être baignée nue afin de mieux ressentir la puissance de la nature. Vu l'isolement de l'endroit cela ne l'étonnait pas. Qui aurait bien pu surprendre d'éventuelles baigneuses ? Et après la description que lui avait faite Elisabeth de la grand-tante, cela collait bien avec le personnage qui avait gardé l'esprit libertaire de la grande période hippie.

Il profita de l'attente pour observer plus attentivement le vallon qu'il n'avait pu qu'apercevoir en arrivant, les parois semblaient assez raides et il se disait que par endroit il devait bien y avoir des sites possibles pour faire de l'escalade.

— Je demanderai à Elisabeth quand elle me rejoindra, marmonna-t-il. Il entendit alors comme un sifflement près de son oreille gauche et sursaute.

Inexplicablement, il fut attiré par le torrent qui courrait au-delà du pré à la limite de la forêt. Il s'en approcha alors qu'Elisabeth pressant le pas le rejoignait.

— Que t'arrive-t-il ? demanda Paul en voyant arriver Elisabeth un peu énervée.

— Je ne comprends pas ! lui répondit-elle. Alors que j'étais assise au toilettes j'ai d'abord senti un courant d'air sur les épaules or le vasistas était fermé et ensuite sans que je ne fasse rien, la chasse d'eau s'est mise en route. Je me suis retrouvée trempée.

Paul ne put se retenir de rire.

— Ça t'a rafraichi au moins ! Puis reprenant son sérieux, il lui dit : je regarderai cela quand on rentrera.

— Tu as vu que le soleil va bientôt passer derrière les sommets, nous allons vite nous retrouver dans l'ombre, je suppose que cela doit permettre de passer des nuits relativement fraîches malgré la chaleur de la journée.

—Oui, il n'était pas rare que nous devions mettre une petite laine le soir sur la terrasse.

Ils continuèrent de parler et se retrouvèrent au bord du ruisseau.

— Nous aurions dû prendre les maillots, je ne pensais pas que l'eau pouvait être si profonde malgré ce que tu m'avais raconté de tes baignades d'enfance

— Oh ! Tu sais, le maillot n'est pas une obligation ici ! Il ne vient jamais personne.  Je te montrerai ça demain ! Un clin d'œil à l'appui. Remontons un peu plus haut et nous trouverons un petit sentier qui nous mènera à la source. Et un peu plus loin, il y a l'entrée d'une grotte, mais ma mère, Janis et le vieux voisin m'ont toujours interdit de m'en approcher.

— Bah ! Tu auras tout le temps pour aller la voir maintenant, lui dit-il en l'embrassant.

— Hé ! Attends ! Reprit-elle en interrompant le baiser, je n'ai pas parlé de la légende de cette source… On raconte qu'une fée réside dans la source. Mais selon les récits, elle est bénéfique ou maléfique. Pour ma part, j'ai toujours trouvé que cette clairière est baignée d'une ambiance mystérieuse.

— Tu sais avant l'époque chrétienne, beaucoup de sources avaient des divinités protectrices, je pense que ta légende vient de là. Et que raconte-t-elle d'autre  

— On l'appelle la source des amants, il paraît qu'autrefois, il y avait une pierre magique et que les amants qui venaient s'embrasser en touchant la pierre en ayant les pieds dans l'eau de la source étaient unis pour la vie. Mais je n'ai jamais vu de pierre là-bas, la source jaillit depuis une souche couverte de lierre.

— La pierre a pu exister et être enlevée ou déplacée. Les prêtres ont souvent détruit des sanctuaires païens quand ils ne pouvaient pas les christianiser ou quand les légendes et traditions antiques restaient trop vivaces. C'est peut-être le cas ici.

— Une légende parle de la visite de la fée Mélusine qui serait venue se baigner dans la source et dans le trou d'eau à côté de la maison. Et qu'elle apparaîtrait encore certaines nuits de pleine lune.

— Nous pouvons traverser ici ! Ajouta-t-elle, Il suffit de passer de pierre en pierre et le sentier est juste là ! Regarde. Il est encore bien tracé. Je pense que les chasseurs l'empruntent toujours à l'occasion pour chasser les sangliers qui pullulent dans ces bois.

Avec quelques sauts sveltes, elle rebondit sur les rochers qui tentent de barrer le passage de l'eau et se retrouva de l'autre côté, sous les arbres. Paul la rejoignit en quelques sauts un peu moins assurés, il avait toujours été un peu maladroit, mais pour une fois elle ne put pas se moquer de lui gentiment car il avait réussi à traverser sans se mouiller.

— La source est à une dizaine de minutes de marche. Maman et tante Janis n'aimaient pas que j'y aille seule, elles avaient peur qu'il ne m'arrive quelque chose.

Elle lui prit la main et ils commencèrent à suivre le sentier étroit qui serpentait entre les arbres, la pente commençant à devenir raide.

— Je ne regrette pas d'avoir pris ce bâton de marche.

Elisabeth regarda alors intriguée le bâton que Paul tenait dans sa main.

— Où l'as-tu trouvé ? C'est le bâton de marche de l'oncle Pierre. Il l'utilisait quand il allait aux champignons. Il a disparu un jour, au grand soulagement de la famille m'a-t-on dit, on n'a retrouvé de lui que ce bâton planté dans l'eau de la source.

— Il était à côté de la porte, je ne savais pas qu'il était si vieux sinon je l'aurais laissé en place. Mais j'avoue que les inscriptions gravées m'intriguent elles ressemblent à des symboles préceltiques.

— Oh, ce n'est rien, de toute manière, l'oncle Pierre ne t'en voudra pas et depuis le temps, il doit être mort et enterré.

Souriant Paul enlaça alors Elisabeth et l'embrassa tendrement sur les lèvres. Au même moment, les feuilles des arbres semblèrent parcourues par un frémissement, les oiseaux se turent et certains s'envolèrent. Les deux amants pris par leur baiser ne se rendirent pas compte du changement d'atmosphère dans les bois qui les entouraient. Même la lumière avait changé, comme si les rayons du soleil devaient traverser une vitre dépolie pour leur parvenir.

Ils se désunirent au bout de quelques minutes et continuaient leur progression.  Elisabeth précédait Paul de quelques pas, connaissant le chemin, elle le prévenait des pièges qui jalonnaient le chemin. Soudain elle sursauta, car une branche morte qui retenait un rameau épineux venait de rompre et détendue, cette tige élastique vint lui cingler l'arrière des cuisses avant que Paul n'eut pu la prévenir. Elle se frotta les cuisses et les fesses striées d'un trait rouge.

— Ça va ? Interrogea Paul.

— Oui ça va aller, ça surprend sur le coup mais ce n'est rien continuons, nous ne sommes plus très loin.

Après un dernier effort, ils parvinrent à la clairière située sur un replat du coteau. La source se trouvant à l'autre bout jaillissant comme Elisabeth le lui avait dit d'une sorte de tas de lierre et faisant un petit bassin peu profond de quelques pas de diamètre. Il s'en approchait tandis que les rayons du soleil éclairaient la souche. Un reflet qui semblait jaillir de sous le lierre l'intrigua. Il se pencha et gratta le lierre.

— Elisabeth ! Viens voir, ce que tu prenais pour une souche n'en est pas une. C'est une pierre ! Aide-moi à la dégager, elle semble porter des inscriptions.

Elisabeth s'approcha les pieds dans l'eau et aide son compagnon à retirer la végétation qui recouvrait le bloc de roche. Après de longues minutes d'effort et les mains sales, ils observaient avec attention et il remarqua alors les signes inscrits dans la roche. Il regardait le bâton de l'arrière grand-oncle et lança surpris et excité.

— Ce sont les mêmes symboles. Je vais les prendre en photos et de retour au bureau je chercherai à quoi ils correspondent. Je demanderai à Laurence de m'aider et Thibault pourra peut-être les décrypter. Excité, il mitrailla la pierre avec son téléphone.

— Je reviendrai avec un bon appareil plus tard.

Autour d'eux, un courant d'air passa sur l'eau et fit onduler la surface du bassin. Elisabeth sursauta lorsque le souffle enveloppa ses jambes et ses cuisses et lui remonta sous sa robe légère, elle sentit même l'air remonter contre sa peau jusqu'à sa poitrine.

— C'est magique, lança Paul. Cela semble confirmer ce que je pressentais.

Il attrapa sa compagne et il lui montra les gravures. Il lui dit de les caresser du bout des doigts.

— Tu vois, je ne rêve pas, elles sont bien réelles.

— Oui je les sens bien

Ils se souriaient et leurs mains frôlant toujours la pierre, les pieds dans l'eau, ils échangeaient un long baiser.

Soudain, un éclair les enveloppa, le dernier rayon du soleil avant qu'il ne passât derrière la colline frappa le miroir d'eau et éblouis, ils virent six formes diaphanes se matérialiser près d'eux et se mettre à tourner autour d'eux dans une farandole rapide et hypnotique.

Entrainés pars les spectres, Elisabeth et Paul tournaient de plus en plus rapidement autour de la pierre et du bassin. Toute notion de temps et d'espace semblait avoir disparue et ils perdirent conscience.


 

Découvertes

 

Un rayon de soleil pointait à travers une fente des persiennes et vint chatouiller le visage de Paul. Il se retourna en grimaçant dans son sommeil mais il finit par entrouvrir un œil.

— Où suis-je ? se dit-il en se redressant sur le lit. Il regarda autour de lui et vis sa compagne endormie, il lui caressa les cheveux du revers de la main tout en douceur pour ne pas la réveiller. Puis il décida de se lever. Il ne souvenait de rien de bien précis après cette folle farandole dans la forêt. Des images de leur retour plus ou moins titubants et arrivés à la maison, ils sont montés rapidement dans la chambre pour se dévêtir. La position des vêtements dans la pièce traduisait cette hâte, il en rougit en voyant où les sous-vêtements d'Elisabeth avaient atterri, mais il ne se souvenait vraiment de rien ensuite. Attrapant son jean et un polo, il descendit silencieusement à la cuisine.

— Il faut que je remonte à la source. Je dois comprendre ce qui s'est passé. De plus, ces inscriptions m'intriguent.

Il prit son téléphone et regardait les images prises la veille.

— Elles ne sont pas assez détaillées, il faut que je les fasse avec l'appareil photo. Laurence saura bien me dire de quoi il en retourne.

Tout en réfléchissant aux implications de la présence de ces gravures sur cette pierre, il préparait le café et tout ce qu'il fallait pour Elisabeth lorsqu'elle se réveillerait.

Il prenait son café debout en préparant un petit sac à dos, sans oublier l'appareil photo.

Il laissa un petit mot à l'attention de son amie et attrapant le bâton de marche du vieil oncle, il se dirigea vers le sentier qui grimpait vers la source. Il appréciait cette balade matinale en respirant à pleins poumons les odeurs de la nature endormie qui s'éveillait doucement. Il était attentif au chant des oiseaux et aux stridulations des grillons qui se réveillaient grâce à la chaleur du soleil. Encore une chaude journée en perspective, pensa-t-il.

Connaissant les pièges du chemin, il observait plus attentivement les alentours cherchant des indices de vestiges cachés, son instinct l'avait rarement trompé et là, il se dit que la pierre ne pouvait pas être isolée. La végétation touffue de cette fin de printemps ne lui permettait pas de bien distinguer les variations du sol et il faudrait presque ratisser cette forêt centimètre par centimètre pour découvrir des indices qui ne semblaient pas avoir laissé de souvenirs dans la mémoire collective des habitants, à part cette légende liée à la source.

Il arriva enfin à la clairière, il retrouva l'arbuste couvert de baies noires qu'ils avaient mangées juste avant de s'approcher de la source, Elisabeth lui ayant dit qu'elles étaient délicieuses. Il se rendait compte que ce qu'ils avaient vécu la veille n'était pas un simple rêve. Ils étaient bien arrivés jusqu'ici et ils avaient piétiné le sol de nombreuses fois. Les herbes étaient couchées en formant un cercle autour de la pierre.

Il s'en approcha et s'agenouilla devant elle. Les inscriptions étaient bien là. En prenant ses précautions, il la dégagea bien de toute la végétation qui la recouvrait encore et alors qu'il arrachait une liane de lierre, un fragment se détacha, il le ramassa et le mit dans son sac. Il dégagea aussi sur quelques dizaines de centimètres autour en espérant découvrir quelques indices.

Cela lui prit quelques dizaines de minutes pendant lesquelles il était penché, accroupi sur le sol. Sentant son dos endolori par la position, il se releva et regardait à nouveau la clairière autour de lui son regard fut accroché par un morceau de tissu rose fuchsia suspendu à un buisson, il était surpris car il ne lui semblait pas l'avoir vu en arrivant. Il s'en approcha et découvre ébahi qu'il s'agissait du soutien-gorge qu'Elisabeth portait la veille. Il le ramassa en se demandant vraiment ce qui s'était passé car il n'en gardait aucun souvenir. Cela le travaillait.

— Je poserai la question à Elizabeth, elle se souviendra peut- être mieux que moi.

Il mit ses pensées de côté pour prendre de nombreux clichés du site, sous tous les angles et avec le plus de détails possible.

Regardant l'heure, il rangea alors le matériel et redescendit vers la bâtisse, Elisabeth devait être levée et l'attendre. Ils avaient prévu de commencer un rapide inventaire des lieux.

Sur le chemin du retour, il fut attentif à la nature autour de lui, il remarqua une chose étrange, il avait beau entendre les oiseaux au loin, il n'en entendait aucun autour de lui. Comme s'ils se taisaient à son passage, il notait aussi des frémissements dans la végétation alors qu'aucun souffle d'air ne le caressait.

Il dut aussi reconnaître qu'il avait l'esprit préoccupé par la pierre et il se dit qu'il n'avait sûrement pas été attentif à tous ces menus détails.

Tout en marchant, il en profitait pour observer le paysage autour de lui, cherchant des indices qui indiquerait la présence d'autres pierres, ce qui pourrait signaler la présence d'un ancien sanctuaire.

— Quand Laurence aura identifié avec certitude les glyphes sur la pierre nous en saurons plus. Je devrais revenir avec elle, pensait-il en redescendant le sentier.

En arrivant à la maison, il aperçut Elisabeth prenant son petit déjeuner, elle s'était installée sur la terrasse profitant du soleil matinal. Elle lui fit un signe en le voyant approcher et se leva pour venir vers lui. Ils s'embrassèrent tendrement et main dans la main, ils s'installèrent à table où Paul reprit un café.

— Je suis remonté à la source et regarde ce que j'ai trouvé, dit-il en montrant le soutien-gorge à Elisabeth.

Elle le prit, étonnée, je ne comprends rien, je me suis réveillée ce matin, nue dans le lit. Avec des douleurs comme si j'avais couru un marathon.

Mais elle n'osa pas raconter ses rêves à son compagnon.

— Nous avons dû être victime d'une hallucination hier soir. Peut—être ces baies que nous avons grappillées en montant ?

— Je ne pense pas, même si elle ne pousse qu'ici, j'en mangeais enfant et dans mon souvenir, je n'ai jamais été prise d'hallucination après mais peut-être que fatigués nous étions plus sensibles. Et pris par le charme du site, nous nous sommes laissés aller. Ce qui est dommage c'est de ne plus s'en souvenir.

Elle lui sourit malicieusement en se caressant le ventre.

— Pas grave, cela nous reviendra ! lui répondit-il en la serrant tendrement contre lui et passant à l'autre sujet qui le préoccupait. Il enchaîna sur la pierre et la source.

— J'en ai profité pour prendre des photos du site, je vais les montrer à Laurence en rentrant, je suis sûr qu'elle saura nous dire l'origine de ce site. Et même si nous avons oublié ce que nous avons fait hier soir, l'herbe autour de la source est bien piétinée. Ce que je ne comprends c'est comment nous sommes rentrés et couchés et j'ai dormi comme une masse d'un sommeil sans rêve.

— Oui moi de même ! Murmura Elisabeth rosissant un peu.

— Il ne faut pas que nous trainions si nous voulons explorer la maison, le grenier est rempli de malle et je ne sais pas ce que renferme la cave.

— Oui ! J'imagine que ta tante a dû accumuler des souvenirs de ses voyages, c'était une vraie globe-trotter.

— Je sais qu'elle a parcouru le Népal dans sa jeunesse et ensuite à fait de nombreux voyage dans les Andes, au Mexique et en Australie. Mais à part les quelques statuettes présentes dans le salon, je n'ai jamais vu grand-chose d'autre. Peut-être que le grenier nous livrera-t-il ses secrets ?

— Qui sait ?

Pendant qu'Elisabeth se rendit dans la salle de bain pour se doucher et enfiler une tenue pratique pour leurs explorations, Paul rangeait le petit déjeuner tout en tentant de mettre de l'ordre dans sa tête.

Il lança à sa compagne.

— Au fait ! J'ai aussi pris des photos de l'arbuste et des baies, je regarderai ce que c'est à la maison.

— Janis et maman les appelaient les baies du diable, elles m'interdisaient de les manger, mais je le faisais quand même en cachette. J'en mangeais une ou deux dans leur dos. Hier soir nous en avons peut-être dégusté un peu trop, répondit-elle depuis la salle de bain dont comme à son habitude elle avait laissé la porte ouverte.

En se douchant, elle remarqua que son dos et ses fesses étaient couverts de griffures laissées par de la végétation, comme celle qu'elle s'était faite sur les cuisses en montant à la source. Son rêve n'était peut-être pas totalement une hallucination mais pourquoi Paul n'en avait-t-il aucun souvenir. Songeuse elle finit de se préparer et sortit de la salle de bain en short et t-shirt. Elle montra ses griffures à Paul qui faisait la vaisselle. Il lui dit qu'elle avait dû faire une sacrée glissade dans les ronces en rentrant la veille au soir.

Elle alla prendre la clé du grenier qu'ils avaient laissée sur la commode du salon.

— Je suis prête !

— J'arrive, je finis la vaisselle, monte, je te rejoins !

Elisabeth, un peu nerveuse, ouvrit la porte du grenier et montait lentement les marches de bois qui grinçaient à chaque pas. Baigné dans la lumière des vasistas poussiéreux, l'endroit semblait magique. Elle était émerveillée.

Un nombre incroyable de malles jonchaient le sol, toutes aussi poussiéreuses que le vasistas, mais terriblement attrayantes par les secrets qu'elles pourraient renfermer. A la différence du reste de la maison, on voyait clairement que le grenier n'avait pas été visité depuis des années.

— Il faudra donner un bon de balai la prochaine fois que nous viendrons.

Elle souleva le dessus d'une des premières près d'elle, rien de particulier : des vêtements de toutes sortes et de tous pays, des breloques et des souvenirs. La dernière, la plus attrayante, était fermée par plusieurs dispositifs, un gros cadenas, une chaîne et ensuite un code.

Elisabeth passa sa main pour enlever la couche de poussière qui cachait le mécanisme de la malle. Elle cherchait fébrilement comment l'ouvrir. Elle se mit à quatre pattes pour mieux observer l'ouverture et sentit un frôlement contre ses fesses. Elle se retourna, surprise mais ne vit rien.

Le mécanisme était simple, il suffirait juste d'en trouver le code à quatre chiffres, mais elle ne le connaissait pas, elle décida d'en essayer quelques-uns avant de se dire que ça devait se trouver dans les cahiers de sa tante. Puis, se souvenant que sa tante avait eu énormément d'affection pour elle, elle tenta sa date de naissance et… Bingo ! C'est à ce moment que Paul la rejoignit.

— Regarde ! Lui dit-elle toute excitée, je viens de découvrir la malle la plus importante.

Elle l'ouvrit le regard attisé par la curiosité de savoir ce qu'ils pouvaient y découvrir.

La malle renfermait entre autre un grand nombre de cahiers dont les pages étaient recouvertes de la fine écriture de tante Janis. Et sous une couverture, ils trouvèrent divers objets insolites, voir mystiques. L'inventaire leur prendrait plus de temps qu'il n'y paraissait au premier abord, à en oublier l'heure du repas. Mais leur estomac leur rappela qu'il fallait se nourrir pour pouvoir continuer. Ils allèrent déjeuner et le débat tourna autour des objets et des carnets. Ils firent un lien entre la source, la pierre et les voyages de Janis. Le déjeuner terminé, une trempette dans le ruisseau fut la bienvenue. Leurs ablutions ne purent qu'inévitablement tourner en câlins sur l'herbe.

Alors qu'ils se remettaient doucement, Elizabeth ayant posé sa tête sur l'épaule de Paul, un frisson étrange les parcourut, créant un amalgame étrange entre malaise et bien-être. Ils se rendirent aussi compte qu'il n'y avait plus de bruit autour d'eux et ils remarquèrent le frémissement des feuillages comme la veille lors de leur montée à la source.

De retour à la maison, ils commencèrent à préparer leur départ. Paul hésitait à emporter le bâton de marche pour mais il se dit sans réellement en connaître la raison qui l'y poussait, qu'il serait un appoint pour accompagner le déchiffrage des clichés.

Elizabeth quant à elle, embarqua son vieux doudou confectionné par sa tante. Ils décidèrent d'un commun accord de prendre les cahiers qui tiendraient dans une valise de cabine car elle comptait bien les compulser dans l'avion du retour, elle en était même arrivée à l'impatience d'en lire un sur le chemin de l'aéroport.

Dans la voiture, Elizabeth éprouva à nouveau ce sentiment de "dérangement" dont elle ignorait l'origine, elle ressentait des choses étranges sans réellement les comprendre.

Pendant le vol, Paul qui avait transféré les photos sur sa tablette et les regardait avec attention pendant qu'Elisabeth était plongée dans le déchiffrage de l'écriture fine et régulière de sa tante, ils ne remarquaient pas les regards intrigués et un peu malaisés des hôtesses qui sursautaient à chaque passage à proximité du couple. Néanmoins, Elizabeth avait de nouveau des frissons qui la parcouraient à chaque frôlement qu'elle attribuait à la proximité de son ami. Elle le regardait avec insistance, intriguée par son flegme et sa concentration sur les clichés de la source et de la pierre.

Plongée dans sa lecture, elle constatait que certains passages étaient écrits en latin, d'autres dans des langues inconnues ou d'origines incertaines, sur certaines pages, il y avait des sigles, des dessins et autres bizarreries qui la perturbaient un peu, mais elle ne laissait pas transparaître son trouble. Elle venait de faire le rapprochement entre les objets découverts sous la couverture et ce qui était retranscrit dans les cahiers. Elle referma le cahier qu'elle tenait dans les mains, ferma les yeux et des images dansaient dans son esprit un peu embué par tant de lecture. Elle réfléchissait au meilleur moyen d'optimiser son temps pendant son prochain voyage.

C'était décidé, elle ferait également des recherches sur son prochain lieu de travail, sur les origines de son aïeul, celte d'origine qui a émigré dans la région suite à son opposition au régime anglais au début du vingtième siècle.

De retour chez eux, la première chose qu'elle fit en déballant ses affaires fut de sortir le vieux doudou et de le déposer sur la commode de leur chambre. A côté de lui, elle posa délicatement les précieux carnets dont elle avait compris l'importance de la teneur mais pas encore vraiment le sens car sa tante, dans sa hâte d'écrire, avait mélangé toutes les informations.

Mais il était temps de se reposer pour repartir au travail le lendemain matin, Paul avait ramené de quoi manger sur le pouce vu l'heure tardive et, avant de se coucher, ils firent un petit point sur leur mésaventure à la source sans parvenir à trouver ce qui n'allait pas dans leurs souvenirs communs

Le lendemain matin, Paul arriva au bureau. Dans sa hâte de montrer à sa collègue Laurence, toutes les photos qu'il avait prises, il en avait oublié d'emporter la canne. Elle en connaissait un brin sur les écritures anciennes et ses symboles allaient la passionner.

— Je suis intriguée de voir ce genre de graphisme aussi loin au sud-ouest de la France, mais je te promets de m'y pencher.

— Tiens ! Lui dit-il en tendant sa main, voici un fragment de la pierre qui s'est décrochée quand je l'ai dégagé de la végétation.

— Elle a quelque chose de spécial, cette pierre ?

— Je ne sais pas, je l'ai prise à tout hasard et j'aimerais que tu regardes aussi, j'en ai un autre éclat à la maison.

Quand Laurence prit la roche dans la main, elle sursauta et regarda Paul surprise. Elle avait ressenti une sorte de choc électrique.

Pendant ce temps, Elizabeth, occupée par ses traductions, reçut un appel de sa mère, Natacha, la nièce de Janis.

— Oh maman, je suis contente de t'avoir au téléphone, tu n'imagineras jamais ce qui nous est arrivé en allant chez tante Janis.

— Ma chérie, je te propose de déjeuner ce midi même afin que tu me racontes tout cela, répond-elle malicieusement.

A priori, elle n'était pas aussi surprise qu'Elisabeth l'espérait. Ce qui la perturbait encore plus, d'autant qu'elle avait encore ressenti ces frôlements contre ses fesses et le haut de son dos alors même que Paul était parti au travail.

Pendant qu'elle se préparait doucement à sortir, elle ressentit une nouvelle fois un profond malaise. Elle sentait une "présence" indéfinissable autour d'elle. Prenant peur, elle sortit avec précipitation en claquant la porte d'entrée, comme si elle fuyait quelqu'un… ou quelque chose.

Elle courut presque pour arriver au point de rendez-vous et arriva essoufflée, pouvant à peine parler, elle baragouina quelques mots qui rendirent sa mère perplexe.

Dans sa hâte de lui narrer leur redécouverte de la maison familiale, elle mélangeait les mots, les phrases et les événements.

Natacha lui proposa de se calmer avant tout chose car même si elle avait deviné ce qu'il se passait, il fallait remettre les choses en ordre.

Après quelques instants et un petit apéro-maison, Elizabeth fut enfin en mesure de pouvoir s'exprimer dans un langage plus ou moins correct.

A l'écoute de son récit, Natacha devint de plus en plus blême, jusqu'à devenir d'une pâleur extrême.

— Vous n'avez touché à rien, j'espère ! Arrive-t-elle à exprimer avec beaucoup de difficulté.

— Non, je te rassure, nous avons tout laissé en place, les grigris de Janis, j'ai juste emporté les cahiers que nous avons trouvé dans la malle fermée de plusieurs mécanismes.

— Vous avez bien fait de ne pas toucher aux grigris, il ne faut pas jouer avec le feu ! Dit-elle d'un air mystérieux, le regard soudain voilé mais soulagée.

Elizabeth, un peu décontenancée par les yeux et les propos énigmatiques de sa mère, décida de ne pas en dire plus pour l'instant. Elle se résolut à parler de tout autre chose en attendant d'en connaître plus à travers les cahiers et les objets, bien décidée à retourner au plus vite dans cette maison pleine de mystère et de secrets.

— Bientôt l'été, s'exclama Elizabeth, je me réjouis de partir faire ces traductions en Irlande, je sens que je vais pouvoir profiter de ces instants privilégiés pour faire plus connaissance avec nos ancêtres.

— Comment cela ? Nous n'avons pas d'ancêtres irlandais, juste un écossais.

— Oui je sais, mais j'ai trouvé dans les cahiers de Janis des tas de notes parlant de lui et d'autres personnages de notre lointaine famille également. Je compte bien faire un regroupement de tous ceux qui ont eu affaire de loin ou de près à la maison dans laquelle j'ai passé une grande partie de mon enfance et toi, Natacha, la plus grande partie de ton temps.

Natacha sourit et elle lui dit qu'elle risquait d'être surprise en lisant ces carnets, sa tante avait souvent mélangé ses rêves et la réalité.

Le repas terminé, elles se baladèrent pour profiter des rayons du soleil de cette fin de printemps. Flânant de boutiques en boutiques, elles rentrèrent dans une échoppe de produits naturels car Natacha était très attachée à son bien-être et au respect de son corps, chose qu'elle avait réussi à transmettre à sa fille.

Elles firent quelques achats et au comptoir, le regard d'Elisabeth fut irrésistiblement attiré par une pile de carte de visite au nom de Madame Rose, énergéticienne, rebouteuse et guérisseuse. Elle rangea sa carte-bleue dans son étui ainsi que la carte en se promettant de se renseigner sur cette personne qui se dit énergéticienne en rigolant intérieurement des gogos qui croyaient à ces fadaises, en fit part à sa mère.

— Tu sais ! Ce n'est peut-être pas si farfelu que ça, lui fit-elle remarquer. Beaucoup de personnes sont convaincues de l'existence du surnaturel, ne néglige jamais cette option de pensée.

— Ah bon ! Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

— Tu le découvriras sûrement par toi-même, si tu t'intéresses à l'histoire familiale...

Elizabeth était de plus en plus intriguée par les propos de sa mère, mais celle-ci se tut et elle ne put pas en savoir davantage.

Pourquoi ne lui en a-t-elle jamais parlé auparavant ? Elle savait plus de chose qu'elle ne le laissait croire. Elle devait en avoir le cœur net, pour cela elle devait terminer de parcourir, du moins survoler, les cahiers de Janis, se disait-elle en son for intérieur. Natacha interrompit ses pensées :

— Regarde, nous sommes arrivées près du lieu de travail de Paul, on peut s'installer à une terrasse et boire un café en l'attendant.

— Oui ! Tiens ! Il ne va pas tarder à arriver justement.

Paul se dirigea vers le café en les apercevant à la terrasse. Ils discutaient passionnément avec Laurence, sa collègue de la signification des glyphes sur la pierre.

— J'ai mis Laurence au courant de tout ce que nous avons vu autour de la pierre et nous étions justement en train d'en discuter. Elle s'y connaît bien en écrits anciens… Laurence ! tu connais déjà Elizabeth et voici Natacha, ma future belle-mère…

Ces mots firent sourire Natacha et rougir Elisabeth.

— Drôle de manière de faire sa demande en mariage, pensa-t-elle. Mais elle se leva et elle enlaça son amoureux avec tendresse et passion.

Laurence était traversée par un sentiment de jalousie exacerbée. Elle qui n'éprouvait d'habitude pas de sentiments négatifs aussi fort, s'inquiétait de cette sensation et ne comprenait pas la raison de cette colère. Elle aurait dû être réjouis pour son collègue et ami.

Ils commandèrent une bière et Paul exposa son projet au sujet de la source. Natacha les écouta, attentive au moindre détail mais ne jugea pas utile d'intervenir dans la conversation pour l'instant. Captivée par les événements relatés, elle était surprise d'entendre parler de cette pierre et de ses inscriptions, selon elle, la source jaillissait d'une souche pleine de lierre.

— Je veux fouiller de manière méthodique le site, Laurence veut bien m'y accompagner, on peut toujours compter sur ses connaissances approfondies.

— Oui, la pierre et ses inscriptions sont un grand mystère et les photos ne sont pas suffisamment bonnes pour pouvoir tout déchiffrer d'une traite, disait Laurence véhémente.

— Et puis, il y a cette source dont vous décrivez les effets et ça pour moi, c'est imparablement lié. Je pense également que les pierres font partie d'un ensemble formant un sanctuaire. Donc, il faut trouver les autres. Et Thibault qui vient de rejoindre notre équipe, se passionne pour les différents lieux magiques en France, c'est son sujet de thèse. Il a créé un algorithme d'analyse pour vois s'il pouvait mettre en évidence un lien entre ces lieux et les différentes légendes dans un cadre de l'évolution sociale de notre culture. C'est un geek, dès qu'il voit un site archéologique et des inscriptions, il fait mouliner ses machines.

— Bien ! dit Natacha, le terrain et sa maison appartiennent désormais à Elizabeth, c'est à elle de décider de ce que vous pouvez faire dessus.

— C'est une très bonne idée, ces fouilles, mais on ne peut pas attendre que je sois revenue de mon voyage pour les réaliser, j'aimerais bien être présente pour les découvertes...

— On peut peut-être attendre ton retour… commença Paul, mais de suite interrompu par Laurence.

— Il est urgent de commencer les fouilles le plus tôt possible, car tu pourrais ainsi les présenter au congrès, à l'automne, sur le néolithique de l'Europe du Sud-Ouest.

— Oui ! Je trouve ça parfait, dit Elisabeth. Donc, vous partez avec Thibault sur le domaine pour des fouilles pendant que moi, je serai en Irlande. Je vous rejoindrai dès mon retour, directement là-bas.  Foncez ! Vous pourrez profiter au mieux de la maison, tous ensemble.

Laurence jubilait, elle arriverait à ses fins avec Paul, c'est clair. Elle ne comprenait pas pourquoi elle avait ses pensées.


 

Voyage

 

Elisabeth préparait activement son prochain voyage en Irlande. Avec Paul, ils avaient effectué plusieurs allers-retours dans la maison de tante Janis. Lors de ces week-ends, ils en avaient profité pour faire du tri dans la grange attenante, encombrée de nombreux vieux objets accumulés au fil des ans et dont beaucoup étaient tellement endommagés qu'ils en étaient irrécupérables.

A chaque voyage, elle ramenait quelques carnets afin d'avoir la collection complète à proximité pour les consulter facilement, fréquemment des écrits faisaient références à des évènements ou des croquis relatés dans des carnets qui bien évidement étaient restés dans la malle du grenier.

La veille de son départ, faisant sa valise, elle y fourra sans trop bien savoir pourquoi le vieux doudou récupéré là-bas. Elle décida également de prendre les carnets qu'elle comptait bien consulter après ses journées de travail, le fait d'être seule à l'hôtel ne lui pesait pas trop mais elle souhaitait les décrypter, surtout les dessins que Janis avait joints à ses écrits.

Paul l'accompagna à l'aéroport et lui souhaita un bon séjour à la découverte de ses origines.

— Fais attention à toi, méfie-toi des fantômes ! lui murmura-t-il amusé.

— Ne t'inquiète pas, je sais me défendre ! Bonne fouilles à toi !

Ils se séparèrent après un long baiser romantique et elle le vit lui faire un signe de la main au moment de franchir la porte du hall d'embarquement.

Le vol n'était pas très long mais Elisabeth se rendit compte, en triturant le doudou devant le premier cahier, que quelque chose cloche également au niveau de l'équipage qui la regardait étrangement du coin de l'œil. Mais tout à coup, son esprit s'éclaira, elle reconnut les traits familiers d'une des hôtesses. Son visage s'illumina, un besoin pressant l'oblige à se lever et elle se dirigea d'un pas mal assuré vers le fond de la cabine. A peine sortie des toilettes, elle croisa à nouveau le regard de ce qu'elle était sûre maintenant être une amie d'enfance, Virginie, c'est toi ?

— Oh, Elisabeth, il me semblait bien t'avoir reconnue mais tu sais, on ne peut pas se permettre d'alpaguer tous les passagers sous prétexte qu'on semble reconnaître quelqu'un." Rapidement elles s'échangèrent leur numéro de portable afin de pouvoir rester en contact.

Arrivée à destination, Elisabeth se rendit au comptoir pour récupérer la voiture de location et se mit en route jusqu'à la petite ville où elle avait réservé une chambre dans une petite pension de famille des environs.

Une étrange familiarité la submergea une fois la porte franchie. Elle ressentait comme une "présence" réconfortante lorsqu'une dame d'âge moyen arriva vers elle. Elle la détaillait des pieds à la tête, c'était une irlandaise bien ancrée dans ses traditions.

Une fois installée dans sa petite chambre aux allures victoriennes, elle s'allongea avec un des carnets afin de se détendre du voyage et avant une journée chargée, le lendemain.

Beaucoup d'idées tourbillonnaient dans sa tête à la lecture des premières pages. Heureusement, elle avait emmené avec elle plusieurs guides des environs et l'hôtesse avait mis à la disposition des clients un panel de dépliants plus alléchants les uns que les autres.

Une petite promenade s'imposait. Comme elle avait un peu de temps avant le dîner qu'elle prendrait dans les environs, elle se renseigna auprès de la propriétaire, au demeurant très gentille, qui lui indiqua que vu l'heure, elle lui conseillait un jardin commémoratif à proximité.

— Comme je ne connais rien au coin, vous pouvez m'en dire un peu plus sur cet endroit ?

— Vous allez pouvoir le constater par vous-même, c'est un très beau jardin, une oasis de calme et de tranquillité. Si vous aimez les plantes, les fleurs, la quiétude, vous pouvez trouver des endroits pour vous relaxer, méditer et vu qu'il ne fait pas trop mauvais, ça devrait pouvoir vous convenir.

— Pouvez-vous également me conseiller un endroit où je pourrai prendre une petite collation rapide après mon petit tour ? A dire vrai, je suis un peu fatiguée de mon périple de la journée et je ne voudrais pas trainer longtemps ce soir, demain, j'ai une grosse journée.

-Alors là, vous ne serez jamais déçue ici, vous êtes sans aucun doute une des villes des plus animées d'Irlande, relax et décontractée. Vous n'aurez que l'embarras du choix et tout dépend de vos goûts.

— Oh je mange de tout ! J'aimerais découvrir quelque chose de typiquement irlandais, sans tomber dans le stew classique, donc un pub pas trop loin d'ici que je puisse faire un petit tour au bord de l'océan avant de rentrer.

— Alors ! Allez plutôt vers le centre-ville ! Comme nous sommes en bord de mer privilégiez un plat à base de poissons.

Elizabeth remercia chaleureusement Mme O'Meara n'ayant pas envie de perdre trop de temps et ressentant tout de même une certaine fatigue, la voiture fut la bienvenue.

Le parc était effectivement facile d'accès et une fois arrivée sur les lieux, elle se sentit envahie par un sentiment de plénitude extrême. La propriétaire ne lui avait pas menti. Cela foisonnait de plantes et de fleurs en tout genre, toutes répertoriée. Elle avançait lentement sur les petits chemins bordés de pierres arborant différents blasons. Elle arriva à un emplacement où chaque partie de l'Irlande y était représentée par une pierre particulière.

Ses pas la guidaient comme automatiquement vers un endroit spécifique du jardin, elle se sentait comme "dirigée". Elle s'assit un instant pour se relaxer. Une sculpture captiva son regard. Irrémédiablement attirée par ce qui se dégageait cette représentation de femme victorienne, elle s'en approcha, inspectant scrupuleusement la texture du matériau, passant doucement sa main sur la pierre lisse, puis, s'attarda sur le visage et, troublée, remarqua avec stupeur qu'il ressemblait beaucoup à celui de sa grand-tante. Elle fut prise d'un étourdissement et retourna s'asseoir afin de reprendre ses esprits, avant de quitter le jardin pour se diriger vers un pub, conseillé par Mme O'Meara, près du port.

Elle en poussa la porte pub et fut de suite charmée par l'ambiance chaleureuse qui y régnait. Un serveur s'approcha d'elle et lui proposa de patienter quelques instants au bar pour avoir le temps de lui débarrasser une table, ce qu'elle fit avec plaisir. Elle commanda une pinte de Guiness, jugeant que cela lui suffirait jusqu'à la fin du repas.

A côté d'elle, un jeune homme d'une trentaine d'année sirotait un whisky. Il grommelait quelques mots en anglais pour lui souhaiter la bienvenue, un habitué apparemment. Elle le remercia. Perdue dans ses pensées, elle ne remarqua pas de suite que l'inconnu essayait d'engager une conversation, pour finalement comprendre que c'est à elle qu'il adressait la parole. Elle se tourna vers lui dans l'idée de le remettre à sa place, quand elle se rendit compte qu'il lui parlait de bières du pays et elle se résolut à lui répondre.

— Je ne connais que la Guiness que je pensais être le véritable symbole de l'identité irlandaise incontournable des manifestations du pays, bien entendu, mais je suis ouverte à toute proposition de dégustation d'autres spécialités.

— La prochaine fois que vous entrez dans un pub, je vous suggère de tenter d'autres spécialités, je trouve que la Guiness a perdu de sa superbe malgré sa renommée, il y a tellement d'autres façons de déguster les produits locaux. La Guiness ! Vous la trouvez partout, alors qu'une bonne stout…

Elisabeth fit dévier la conversation sur la culture du pays, le jeune homme semblait s'y connaître tellement bien qu'elle mourait d'envie d'en savoir plus sur ces anecdotes historiques auxquelles il faisait référence et qui semblaient bien plus précises que celles qu'elle avait pu lire dans les livres.

— J'attends mon amie qui va arriver d'une minute à l'autre, nous pourrions dîner tous ensemble, je vous raconterai l'histoire du manoir de ma famille.

— Vous semblez plein de bon sens, je suis un peu fatiguée et comptais manger sur le pouce mais vous m'alléchez avec vos histoires, répondit-elle en repensant au trouble ressenti à la vue de la statue

Matthew demanda au serveur de leur préparer une table plus grande et Caitlin se joignit à eux, un peu surprise de voir son fiancée avec une autre femme mais quand elle croisa le regard d'Elizabeth, une confiance mutuelle s'installa immédiatement.

— Vous savez, je suis issu d'une longue ligne irlandaise, mes ancêtres habitaient déjà le manoir de mes parents, c'est une bâtisse que l'on s'est transmise de père en fils, j'en hériterai également quand le moment sera venu, si je vous racontais tout ce qu'on en dit dans la région, vous n'en croiriez pas vos oreilles. Ils prétendent que plusieurs manoirs sont hantés, dont celui de mes parents. Pour moi, ce sont des foutaises.

— Hantés ?

Elle ne put réprimer un intérêt certain.

Elizabeth repensa à leur séjour chez Janis et se disait que ces phénomènes étranges ne pouvaient pas avoir une grosse incidence sur son psychisme si vraiment ce qu'on racontait était vrai.

Elle finissait cette journée bien remplie par une balade digestive au bord de l'Atlantique en compagnie des deux amoureux à qui elle donna congé pour s'en retourner à l'hôtel pour un repos bien mérité. Matthew lui donnait son numéro en lui faisant promettre de le rappeler le lendemain afin de pouvoir continuer cette conversation au plus vite. Elizabeth avait hâte de visiter la maison qu'il lui avait décrite ainsi que ses parents.

De retour dans sa chambre, son cerveau était tellement en ébullition qu'elle sut quelle n'arriverait pas s'endormir aussi vite qu'elle l'avait espéré. Elle essayait de focaliser son attention sur la décoration de la chambre mais peine perdue. Elle se releva et ouvrit la mallette de bijoux fantaisie pour en refaire l'inventaire. A peine étalés sur la petite table, elle fut prise d'un bâillement et le lit king-size, moelleux à souhait, lui rappelait qu'il était là pour lui offrir une nuit réparatrice.

Une première journée de travail plus tard, l'organisation de ses visites commençait. Elle n'avait pas de temps à perdre car les lieux qu'elle souhaitait découvrir étaient nombreux et elle bouillait d'impatience d'être au week-end pour rencontrer les parents de Matthew et le passer en leur compagnie.

Le soir, épuisée par sa première journée, elle se reposait en feuilletant les carnets de sa grand-tante quand son téléphone sonna. Paul lui racontait sa journée de travail et lui décrivait les préparatifs qu'ils faisaient avec ses collègues pour essayer de percer le mystère de la pierre de la source. Elle lui raconta sa rencontre avec Matthew et Caitlin et son excitation à l'idée de rencontrer cette famille d'aristocrate irlandais. Ils lui permettraient peut-être d'augmenter son carnet d'adresse.

Les jours suivants, elle alla à la rencontre de ses clients potentiels pour se faire connaître. Elle enchaînait les rendez-vous pris avant son départ et le soir avant de rentrer se coucher, elle s'arrêtait dans ce pub où elle avait rencontré ses nouveaux amis. Elle les y retrouvait et appréciait de partager les débuts de soirée avec eux. Il lui confirme l'invitation du weekend. Et le vendredi soir, ils l'attendaient devant son logement pour l'emmener dans le domaine familial.

Après une bonne heure de route dans la campagne, ils arrivèrent devant un manoir qui semblait défier l'océan. Les lumières du coucher du soleil sur les pierres et la végétation subjuguaient Elisabeth qui ne savait dans quelle direction tourner son regard. Caitlin ne put s'empêcher de rire.

— J'ai fait la même tête que toi en arrivant ici. Matthew fait toujours ce coup à ses amis quand il les emmène au château familial.

— C'est magnifique ! Je n'avais jamais rien vu de si féérique.

— Nous sommes au pays des fées et des leprechauns ! Ajouta Matthew d'un air malicieux.

— On dirait un château écossais.

— Mes ancêtres étaient originaires d'Ecosse et ont reçu cette terre du roi d'Angleterre il y a quelques siècles. Ils ont construit le château dans le style écossait pour se rappeler leur terre natale.

Il disait cela en garant la voiture au pied de l'escalier monumental qui conduisait à la porte d'entrée. Les parents vinrent à la rencontre des jeunes gens et les embrassèrent affectueusement. La petite troupe entra dans le manoir et ils s'installèrent autours de la table pour le repas du soir en l'honneur de leur invitée française.

Ils ont échangé sur leur vie, leurs histoires leur passion et ils furent curieux quand Elisabeth leur raconta qu'elle avait, elle aussi un lointain ancêtre écossais. Elle put leur donner son nom car elle venait de lire le carnet de Janis qui racontait la généalogie de la famille et en particulier l'histoire de cet aïeul.

— Mais c'est le frère cadet de Stuart notre ancêtre ! S'exclama la mère de Matthew.

— Quelle coïncidence ! Décidément, le hasard a bien fait les choses.

Après le repas, Daïreen, la cadette de la famille proposa à Elisabeth de se rendre aux écuries pour s'occuper des quelques chevaux qu'ils possédaient. Celle-ci accepta avec plaisir cette invitation, cela faisait des années qu'elle n'était plus montée et elle se souvenait avec bonheur de la période où elle se rendait au centre équestre avec sa mère.

— Sera-t-il possible de faire une petite promenade à cheval ?

— Oui bien sûr ! Je serais ravie de te montrer les environs, nous pourrons y aller demain matin si tu veux ! lui répondit la jeune irlandaise. De plus, je pense que Matthew et Caitlin ne seront pas très matinaux demain, si tu vois ce que je veux dire ! Ajouta-t-elle avec un petit sourire mutin.

Elisabeth sourit à son tour, elle avait saisi l'allusion de sa compagne, mais elle ne releva pas, après tout, ils avaient le droit de vivre comme ils le voulaient. Ce n'était pas elle qui allait les juger. Elle aurait bien aimé partager ce week-end avec Paul.

Elles finirent de vérifier que les chevaux étaient bien pour la nuit et elles regagnèrent le château en discutant comme deux vieilles amies qui se connaissaient depuis toujours. Lorsqu'elles se séparèrent sur le pas de la porte d'Elisabeth, Daïreen lui déposa un troublant baiser au coin des lèvres.

Elle y pensait encore quand elle se plongea dans la lecture d'un nouveau carnet de tante Janis. Tout dans cette pièce se prêtait à la lecture de ce carnet, l'architecture, l'ameublement et la décoration. Sa chambre ressemblait à un cabinet de curiosités où la famille de Matthew aurait exposé les objets rapporter par tous leurs ancêtres de leur voyages autours du monde.

Le cahier qu'elle lisait racontait un des nombreux séjours de Janis en Inde et au Népal. Au fur et à mesure de la lecture, elle plongeait dans le récit envoûtant de sa grand-tante à la découverte des sages hindous puis bouddhistes. Elle s'endormit en imaginant ces personnages, ces paysages. Elle se promit qu'un jour, elle irait là-bas avec Paul, peut-être en voyage de noces. Elle sentit à peine un frôlement passer dans ses cheveux quand le sommeil vint la prendre.

Ce fut les légers coups sur la porte de Daïreen qui la sortirent de ses rêves. Elle se souvint qu'elles avaient prévu de partir en promenade et elle enfila rapidement ses vêtements pour aller prendre son petit-déjeuner qui allait être copieux.

— Tiens ! Je t'ai apporté de quoi t'habiller pour monter, je pense que ce pantalon t'ira et pour les bottes nous verrons dans la sellerie.

— Merci ! Lui répondit-elle. Elle fut surprise de sa réaction en voyant sa lointaine cousine en face d'elle. Elle ressentait la même chose que la première fois qu'elle s'était retrouvée en face de Paul lors de cette soirée chez des amis communs.

— Le petit-dej' est prêt ! Lui lança-t-elle malicieusement.

— Je finis de me préparer et je te rejoins.

Elisabeth se changea pour mettre le pantalon qu'elle venait de lui prêter avant de descendre rejoindre Daïreen et ses parents dans la pièce où le repas était servi.

— J'ai l'impression qu'il y a des courants d'air dans les couloirs du château ? Demanda-t-elle Elisabeth au court du repas, pendant que la conversation tournait autour de la construction de ce manoir.

— Certaines personnes ont cette impression, c'est possible et nous avons dû faire beaucoup de travaux d'aménagement pour l'isoler.

— Ce sont les fantômes de nos ancêtres qui viennent se rappeler à notre souvenir.

— Oh mamie ! Arrête un peu, tu sais bien que les fantômes n'existent pas !

Reprise par sa mère qui trouvait qu'elle manquait de respect à son aînée, Daïreen se tut en maugréant. Elisabeth posa sa main sur le bras nu de la jeune fille.

— On va aller monter, ça va nous faire du bien !

— Oui ! Allons-y !

Elle embrassa ses parents et bras dessus-dessous, les deux jeunes femmes se rendirent aux écuries pour préparer leur monture.

-Ce sont des chevaux que ma famille élève depuis des générations, ils sont adaptés au climat et au relief de la région. On n'en trouve pas de meilleurs dans la région.

-Je vois, ils sont magnifiques ! Dit Elisabeth en caressant le flanc d'une jument alezan.

-Viens essayer les bottes et prendre une bombe !

Elles se mirent en selle dans la cour et Daïreen les entraîna vers la forêt tout proche. En chemin, elles se racontèrent leur vie et Elisabeth lui parla de sa tante et de ses carnets. La jeune irlandaise l'écouta avec attention et quand elles sortirent du couvert de la forêt, elle lui proposa de venir découvrir un monument qui dominait le paysage.

— C'est magnifique ! S'exclame Elisabeth.

— Oui ! C'est l'un des plus vieux ensembles mégalithiques de la région. Laissons nos chevaux ici et finissons à pied.

Les deux jeunes femmes grimpèrent sur le sentier étroit au milieu d'un pré où pâturaient de nombreux moutons.

— Voici une allée couverte où selon la légende le premier roi du Connaught serait enterré.

Elisabeth s'approcha, elle posa sa main sur une pierre et la retira aussitôt en sursautant.

— Qu'est-ce qu'il se passe ?

— La pierre vibre !

— Vraiment ? Tu as de la chance car certaines personnes disent que cela leur est arrivé mais je ne l'ai jamais ressenti.

— Je ne sais pas si c'est de la chance, mais j'ai senti des picotements dans les doigts.

— Surprenant ! Mais peut-être que cela signifie quelque chose. Il faudra que tu demandes à grand-mère, elle connaît toutes les légendes de la région et même si elle m'énerve parfois avec ses histoires de fantômes, de temps en temps, elle n'a pas tort.

— On verra quand on rentrera.

Elisabeth qui avait fait quelques pas sous les pierres pouvait voir en contre-jour, la chevelure flamboyante de sa nouvelle amie qui s'approchait d'elle. Elle frissonna mais ne recula pas quand à l'abri des regards du monde extérieur, elle vint la serrer dans ses bras et lui posa un baiser sur les lèvres.

De longues minutes plus tard, les deux jeunes femmes rejoignaient le manoir au galop pour être à l'heure pour le repas de midi.

 

Après avoir passé l'après-midi, à découvrir la côte non loin du château, Elisabeth apprécia de se poser dans sa chambre pour se replonger dans les carnets de Janis après avoir raconté sa journée à Paul mais sans parler de ce qu'elles avaient partagé avec Daïreen. Elle était toujours troublée par ce moment sous l'allée couverte. Elle ne savait qu'en penser. Au moment où elle continuait la découverte du voyage au Népal de sa tante, quelqu'un frappa à la porte de sa chambre.

— Oui ! Dit-elle en relevant la tête.

— Je peux entrer ? Demanda Daïreen en passant la tête dans l'ouverture de la porte.

— Bien sûr ! Lui dit-elle en souriant. Entre ! Elle l'invita à venir s'assoir à côté d'elle sur le lit.

— Tu es dans les carnets de ta tante ?

— Oui, elle raconte sa rencontre avec une chamane tibétaine.

— Que raconte-t-elle ?

— Elle dit comment cette femme lui a donné le moyen d'entrer en contact avec le monde des esprits. Il y a des recettes.

— Ce doit être intéressant.

— Oui ! Mais apparemment, il faut faire attention pour ne pas se laisser entrainer dans ce monde et surtout faire attention à la manière d'invoquer les esprits.

— Cela me semble évident, non ? N'est-ce pas ce que l'on rencontrer dans toutes ces histoires ?

— Oui c'est vrai ! Répondit Elisabeth en riant. Cela ne nous apprend pas grand-chose.

Daïreen regarda la pile de carnet posée à côté de son amie.

— Tu découvriras peut-être des choses plus intéressante dans ceux-ci !

Sa main frôla la cuisse nue d'Elisabeth qui frissonna en approchant son visage. Un rayon de soleil les trouva enlacées le lendemain matin.

 

La semaine suivante, Elisabeth tentait de faire sortir de son esprit le visage de Daïreen et se plongea dans ses rendez-vous et évita le pub où elle avait rencontré Matthew. Elle rentrait chez Mme O'Meara pour prendre un léger repas et se plonger dans la lecture des carnets dont le contenu devenait de plus en plus étrange. Cependant, elle comprenait mieux le comportement de sa tante et les interdictions qui lui avaient été faites quand elle était enfant.

Elle était en train de boucler sa valise pour être prête le lendemain soir pour prendre l'avion quand son téléphone vibra. Elle s'attendait à un appel de Paul mais elle hésita un peu quand elle vit le numéro de Matthew s'afficher.

— Allo ! Elisabeth !

- Oui ! Dit-elle troublée en reconnaissant la voix de Daïreen.

— Ça te dirait de venir passer quelques jours au manoir ? Mes parents sont en voyage et nous serons seules.

— Je devais prendre l'avion demain soir…

— S'il te plait…

La supplique et la voix charmeuse la fit craquer et elle accepta l'invitation. Elle appela Paul pour lui expliquer qu'elle avait fait des découvertes sur les carnets de Janis. Elle trouverait peut-être des explications en Irlande et elle allait rester quelques jours de plus chez ses lointains cousins. Elle tomba sur son répondeur et laissa donc son message.

Le vendredi de son départ, au lieu de demander au taxi de la conduire à l'aéroport, elle lui donna l'adresse du manoir de Daïreen. Son amie l'attendait en haut de l'escalier et le chauffeur avait à peine franchi le portail de la propriété que les deux jeunes femmes s'embrassaient comme si cela faisait des années qu'elles s'étaient quittées.

Elisabeth passa deux semaines avec son amante qui filèrent aussi brièvement qu'une étoile filante traversant le ciel.

Pendant que leurs journées se passaient à se promener à pied, à cheval ou en voiture dans la campagne alentour, elles lisaient et décodaient les carnets de Janis en fin de soirée. Leurs nuits d'amour et de tendresse leur semblaient trop courtes. Elles durent se rendre à l'évidence, Elisabeth devait rentrer en France mais elles se promirent de se revoir rapidement.

Elle était triste de quitter l'Irlande et les bons moments qu'elle y avait passé. Elle sentait poindre une angoisse au creux de son ventre. Une inquiétude qui semblait lui venir de l'extérieur. Une force invisible lui intimait l'ordre de se rester loin de Paul, de se méfier de lui.

En montant dans l'avion, Elisabeth se demandait si elle allait revoir son amie, hôtesse de l'air. Pour ne pas trop penser à tout cela, elle se replongea dans les notes qu'elle avait compilées après avoir réussi avec l'aide de Daïreen à déchiffrer les carnets. Elles avaient fait des découvertes surprenantes sur la maison, son environnement et les anciens occupants de la bastide. A leur grande surprise, le choix fait par les aïeux de Matthew et Daïreen pour construire leur manoir avait été murement réfléchi.

Comme la maison de Janis, ce château était bâti non loin d'un point de passage entre les mondes. En Irlande, ce passage se trouvait dans l'allée couverte et en France, à la source dans laquelle avec Paul, elle avait été emportée dans un tourbillon de sensualité. Pour se protéger de ses influences qui pouvaient maléfiques, sa tante avait placé des objets venant de toutes les régions du monde. Ces objets avaient été fabriqués par divers magicien, chamanes ou encore prêtres. Lors de leur élaboration qui pour certains avait pris plusieurs mois, ils avaient été chargés de sorts de protection.

Avec l'aide d'une pierre, elle avait pu prendre conscience que le manoir étaient hantés par plusieurs fantômes de ses ancêtres. Si la plupart étaient inoffensifs et espérait simplement trouver le chemin qui leur ferait quitter définitivement les mondes des vivants, il y en avait deux qui semblaient plus nocifs.

Elle avait souvent entendu parlé de ce vieil oncle Pierre qui avait eu une jeunesse trouble et qui avait disparu dans ces circonstances mystérieuses au grand soulagement de la famille. Elle n'avait jamais compris pourquoi sa tante avait toujours gardé cette canne que Paul avait trouvée près de la porte. En lisant le carnet, elle avait blêmi et elle avait pris peur. Elle avait voulu prévenir Paul du danger d'utiliser cette cane, mais depuis plusieurs jours il ne répondait plus au téléphone. Son angoisse ressurgissait dans l'avion maintenant que la présence de Daïreen s'estompait doucement.

D'après ce qu'elles avaient décrypté, l'oncle Pierre se serait perdu entre les mondes avec une de ses conquêtes qui n'avait pas voulu céder à ses avances. Il se serait emporté et alors qu'ils étaient au abord de la source, les hurlements de la malheureuse auraient réveillé l'esprit d'un autre spectre de la maison, Emiliette. Emiliette avait été retrouvée morte violée à côté de la source. Elle survit sous une forme spectrale afin de protéger les femmes de la famille de l'emprise des hommes. Cette soirée là quand elle prit conscience du mal que voulait faire l'oncle Pierre à cette toute jeune fille, sa colère fut si forte qu'elle put se matérialiser et projeta le jeune homme violent contre la pierre. Sa tête la heurta violemment et la pierre s'ébrécha. Une partie de sa malignité fut chargée dans ce fragment de pierre, le reste de son esprit fut enfermé dans la canne et son corps disparut par le portail qui s'était ouvert. Quand Paul avait sorti la canne de la maison, il avait rompu les sorts de protection qui retenait les fantômes. Ceux-ci étaient maintenant libres de quitter les lieux où Janis les avait enfermés mais le plus grave était que la partie maléfique de Pierre se trouvait dans le fragment qu'ils avaient donnée à Laurence pour qu'elle l'étudie.

Elisabeth craignait qu'elle ne fût tombée sous l'emprise de Pierre.

— Elisabeth, tu es dans cet avion !

Elle leva les yeux de son carnet et découvrit le sourire de son ancienne camarade de classe.

— Oh ! Je suis ravie que tu sois là aussi. Tu es radieuse ! Les deux jeunes femmes s'embrassèrent et Elisabeth senti un picotement parcourir son corps quand leurs joues se frôlèrent

— Merci ! je n'ai pas beaucoup de temps car je suis en plein travail mais si tu veux, voici mon numéro. Appelle-moi demain, et nous pourrons déjeuner ensemble si tu veux.

— Avec plaisir !" Dit-elle en prenant la petite carte que lui tendait Virginie.

Elle la regarda s'éloigner, sans comprendre pourquoi son esprit était attiré par ce sourire et ces formes féminines.

Elle replongea dans ses notes. Elle commença à relire celles qui concernait les environs de la maison sans se rendre compte qu'elle avait sauté le carnet qui parlait d'Emiliette. Un carnet dont Daïreen avait omis de lui en révéler le contenu.

Elle passa la fin du vol à lire ce carnet et elle comprit comment elle pourrait débarrasser la maison de ses fantômes et surtout permettre aux spectres de trouver la sérénité. Mais ce qu'elle découvrait l'effrayait un peu. Elle allait devoir faire appel à des forces occultes que maîtriserait un homme que sa tante décrivait comme un vieillard au charisme surnaturel. Cependant, rien dans le carnet ne permettait de savoir comment le rencontrer ni où le rencontrer. Sa tante disait simplement qu'il apparaissait au moment où l'on ne s'y attendait pas et là où il n'aurait pas dû être. Peut-être était-ce ce mystérieux voisin dont Paul lui avait parlé au téléphone.


 

Fouilles

 

Après plusieurs heures de route avec le van transportant du matériel léger pour commencer les fouilles autour de la source, Paul s'engageait dans le chemin qui menait au domaine. Laurence assise à ses coté était plongée sur l'écran de son téléphone.

— Nous devrions être gâté par le temps pour les prochaines semaines, l'anticyclone s'est bien installé.

— Heu ! Quoi ?... A oui ! J'ai vu ça. Tant mieux ! Lui répondit-il sans quitter des yeux la route étroite.

Il était plongé dans ses pensées par rapport à l'attitude d'Elisabeth ces dernières semaines. Plongée dans ses carnets, l'esprit obnubilé par sa famille irlando-écossaise, c'est tout juste si elle prenait le temps de lui faire un câlin. Il négocia le dernier virage et lentement il s'approcha de l'entrée de la propriété. Il était parcouru d'un frisson étrange, ébloui par un reflet du soleil sur un vasistas du grenier. Cela l'étonna car vu la position du soleil, il lui semblait impossible que le reflet puisse atteindre le chemin.

— Elle est superbe cette maison ! lança Thibault, du fond du van. On la dirait sorti d'un roman de Gabriel Garcia Marquez.

— Oui et l'intérieur est encore plus surprenant, mais il y a une règle importante ! Surtout ne touchez à rien. Il ne faudrait pas réveiller les fantômes ! dit Paul en riant. Natacha semblait très attachée à ce que tout reste en place. Elle a l'air de croire sincèrement à ces histoires de spectres et de malédiction.

— Nous sommes au cœur d'une région marquée par les superstitions de tout ordre, de nombreuses légendes se réfèrent à des bois sacrés, des sources envoutées et des lacs magiques, précisa Laurence alors que Paul achevait sa manœuvre pour ranger le van près de la grange afin de décharger facilement le matériel.

— Lors de notre dernier passage avec Elisabeth, nous avons fait du rangement dans la grange. Nous devrions pouvoir facilement y stocker le matériel à l'abri.

— Qui veux-tu qui soit intéressé par notre matériel ? Et vu l'isolement du site, on ne risque pas de déranger grand monde. Je suis même quasiment certain que l'on ne va pas pouvoir se connecter au réseau... Les téléphones captent au moins ? grogna Thibault

— Tu pourras te désintoxiquer de tes jeux en réseau, je suis sûr que ta copine appréciera cela à ton retour ! Répondit Laurence de manière glaciale. Fusillant du regard le jeune homme qui passe le plus clair de son temps libre greffé à son ordinateur.

— Vous allez vous calmer tous les deux, intervint alors Paul connaissant les rapports parfois houleux entre ses deux collaborateurs. Je vous rappelle que nous allons devoir vivre ici pendant quelques semaines, donc faites un effort pour ne pas vous entretuer.

Les jeunes gens sortirent du véhicule et commencèrent à le vider en faisant attention à ne pas bousculer le matériel fragile qui leur permettrait de sonder le sol autour de la source. Pendant que les garçons s'affairaient, Laurence se proposa pour aller chercher de quoi manger le soir.

— J'ai repéré un camion pizza et un petit traiteur asiatique lors de la traversée du dernier bourg que nous avons traversé. Par quoi êtes-vous tentés ce soir ?

Après une brève discussion, ils se mirent d'accord pour un repas à base de sushis et autres sashimis qu'elle partit chercher.

— Allez finissons de ranger ces caisses dans la grange, elles seront à l'abri pour la nuit. Et demain nous pourrons commencer nos allers-retours avec le matériel vers la source. Il faudra commencer par faire des images aériennes avec le drone, nous remarquerons peut-être des choses invisibles depuis le sol.

Une fois le matériel à l'abri, Paul proposa alors à Thibault de monter à la source pour lui montrer la pierre.

— Nous avons bien une heure avant son retour, la source est à peine à dix minutes de marche, et cela nous fera du bien de nous dégourdir les jambes après ce trajet en voiture.

Paul attrapa son bâton de marche et suivi du jeune homme se dirigea vers le ruisseau et le sentier qui grimpait au travers le bois vers la falaise.

Comme à chaque montée, Paul se sentait observé mais il pensait cela était dû à la lumière du soir au travers du feuillage touffu des arbres qui recouvraient le chemin.

— Ces bois sont étranges ! remarqua Thibault. Plus on monte et plus on a l'impression de s'enfoncer au cœur d'une forêt primitive.

— Oui j'ai remarqué ce fait, mais le chemin qui monte semble avoir toujours été là, il n'y a pas un brin d'herbe et pourtant il n'est pas empierré et il est assez peu fréquenté puisqu'il part de la propriété et qu'il n'y aucun accès ouvert au public.

— Bah ! Un mystère de plus autour de ces sources "magiques".

— Pourquoi la qualifies tu de magique ?

— J'ai étudié les glyphes sur la pierre. Et j'ai découvert que l'on en trouve de similaire un peu partout dans le monde à côté de sources ayant des propriétés magiques. Pour certaines, on parle de source miraculeuse comme à Lourdes ou les sources de la Seine. Pour d'autres, ce sont des sources portails vers un autre monde comme le lac de Viviane en forêt de Brocéliande. Et pour d'autre enfin il se pourrait que ce soit des sources qui permettent d'entrer en contact avec les dieux. Je te montrerai cela en rentrant sur l'ordi.

Tout en continuant de discuter, ils arrivèrent à la source, Paul lui montra la pierre. Il se pencha dessus et acheva de bien nettoyer les marques gravées. Puis, il erra aux alentours se laissant guider par son instinct, dégageant le sol par endroit avec le bâton. En grattant de la mousse, il tomba sur des pavés.

— Thibault ! Viens voir ça !

Le jeune homme accourut et resta ébahi par la découverte de son mentor.

— Cela ressemble au pavage d'une voie romaine. Et elle semble se diriger vers cette partie du bois. Tu sais ce qu'il y a là-bas dans ce fourré de ronces ?

— D'après Elisabeth cela doit mener à une grotte dans falaise mais cela fait à peine deux mois que je connais cette maison et nous n'y sommes pas encore allés et sa mère et sa grande tante lui interdisait d'y aller.

Thibault écoutait la réponse de son chef pensif, il était de plus en plus persuadé que sa théorie des portails était juste et que ces fouilles pourraient lui en donner la preuve.

— On risque de ne pas pouvoir cacher cette découverte longtemps. Car si ce que je suppose est vrai, nous serons obligés de demander de l'aide.

A ce moment- là, derrière eux, une vois les interpella.

— Alors les jeunes ! On explore ?

Ils sursautèrent et en se retournant ils découvrirent un homme grisonnant.

— Qui êtes-vous ? demanda Paul.

— Votre voisin ! répondit-il. J'aime me promener dans ces bois. Leur calme me permet de retrouver ma jeunesse.

— Je ne vous ai jamais vu.

— Je suis très discret mais j'ai remarqué que vous aviez redécouvert la pierre. Vous devriez vous méfier. Si la légende est vraie, cette pierre serait la porte de la "Source aux Esprits".

— De quelle légende parlez-vous ? Elisabeth, ne m'a jamais parlé de légendes sur cet endroit.

— N'en avez-vous pas été témoins, il y a quelques semaines ?

Paul se souvint alors de cette montée et de cette danse effrénée autour de la source et de leur réveil mystérieux dans la chambre au matin.

— Nous étions fatigués par le voyage et nous avions mangé de ces baies. Nous avons rêvé.

— Etes-vous sûr d'avoir rêvé ? Souvenez-vous de vos rêves, ne semblaient-ils pas si réalistes ? Et votre fiancée, vous a-t-elle dit ce qu'elle avait vécu dans ce rêve ?

Paul dut reconnaître qu'ils n'avaient jamais reparlé du rêve depuis ce matin-là, il se promit d'en toucher deux mots à Elisabeth lorsqu'elle reviendrait de son périple irlandais. Pendant ce temps, Thibault continuait son exploration du sous-bois très dense et poussa une exclamation en découvrant ce qui semblait être les vestiges d'une colonnade.

— Paul ! Viens voir ! Regarde ces pierres ! Ce ne peut pas être naturels, elles semblent avoir été taillées et en plus ce ne sont pas des pierres de la région. Je ne suis pas un géologue mais par ici la roche est plutôt ocre or celles-ci sont bien blanches.

— Oui en effet, dégage un peu le lierre qui les cache.

— Qu'avons-nous découvert ?

— Je ne le sais pas mais cela pourrait être plus important que je ne le pensais. Qu'en pensez-vous ? dit Paul en se tournant vers le vieil homme.

— Où êtes-vous ?... Paul regardait dans toutes les directions mais l'homme avait disparu.

— Où est-il passé ?

— Je ne sais pas. J'étais penché pour arracher le lierre et je ne l'ai pas vu partir.

Haussant les épaules, Paul dit à son étudiant.

— Tant pis ! Et il serait peut-être temps de rentrer, Laurence ne va pas tarder.

Ramassant leurs affaires, ils reprirent tranquillement la descente vers la maison tout en discutant sur ce qu'ils venaient de découvrir. Ils étaient très surpris car aucun sanctuaire ou monument antique n'était rapporté dans la région. Il y a bien quelques légendes qui parlaient de "Porte des Enfers" ou du "Portail des Fées" comme dans beaucoup d'endroits mais en général cela se rapportaient à des structures mégalithiques préhistoriques et non pas à des bâtiments d'origine romaine comme semblait être ces blocs de marbre usés.

Sans faire attention aux mouvements de la végétation qui les entoure, ils franchirent le ruisseau qui les séparait de la maison. Laurence les y attendait avec la commande de sushi et elle avait même préparé la table sur la terrasse.

— C'est incroyable ce que nous avons vu là-haut ! lança Thibault enthousiaste. C'est bien plus qu'une simple pierre gravée.

— Vous me raconterez tout cela en mangeant, répondit-elle en fixant Paul avec un grand sourire.

Tout excité, Thibault s'installa à table et commença à installer son ordinateur pour y introduire la carte mémoire de l'appareil photo afin de montrer leur découverte à sa collègue qui pour le moment dévorait son chef du regard.

Paul tentait de calmer l'excitation de son étudiant en modérant ses propos. Pour le moment, ils n'avaient rien de vraiment tangible à part la forme et la nature des pierres et ce qui semblait être le pavage du parvis d'un petit temple.

— Mais c'est passionnant tout cela ! J'ai hâte de monter voir cela demain matin.

Ils finirent tranquillement leur repas et tandis que Thibault s'éloignait pour aller fumer une cigarette dans le jardin Laurence se rapprochait de Paul qui achevait de ranger dans la cuisine. Alors qu'il avait le dos tourner pour préparer un café, elle se glissa près de lui et négligemment laissa sa main frôler sa cuisse, il sursauta sans rien dire et continua son rangement. Elle n'insista pas et s'éloigna.

— On le prend dehors, il fait encore bon et vu le ciel étoilé, nous verrons peut-être des étoiles filantes, ce sera l'occasion de faire un vœu.

— Oui, bien sûr !

Pensif, Paul respirait le fumet de son café. Elisabeth devait être installée à son hôtel. Il l'appellerait demain pour savoir comment son voyage et son installation s'étaient passés. Il faudrait aussi qu'il lui fasse part de leur découverte de ce soir.

— En voilà une ! Là ! S'exclama Laurence en pointant le ciel du doigt. Vous l'avez vu ?

— Euh ! Non ! Répondirent les deux hommes à l'unisson.

Elle plissa les yeux et leur lança. J'ai fait mon vœu.

Ils sourirent sans un mot.

Paul se leva.

— Je vais me coucher, mais vous pouvez rester.

— Non je te suis aussi ! Demain nous allons avoir du travail, je tiens à être en forme.

Seul Thibault veilla un peu plus longtemps, toujours plongé dans son ordinateur. Il ne réalisait même pas que les feuilles des arbres autours de lui frémissaient alors qu'il n'y avait pas un souffle d'air. Il finit par se décider à rentrer quand il commença sentir la fraîcheur de la nuit.

Il se dirigea vers sa chambre en montant silencieusement l'escalier de bois. Son regard fut alors attiré par une lueur blafarde bleuâtre à l'autre bout du couloir près de la porte de Laurence.

— Elle doit être sur son portable à jouer ou regarder ses messages, pensa-t-il.

De son côté, Paul, toujours pensif, repensait à leur découverte de la journée et à la discussion étrange avec leur voisin. Les écrits de la vieille tante ne lui semblaient plus aussi absurdes qu'avant, quand Elisabeth avait commencé à les lui résumer. Le folklore et la légende étaient souvent issus d'une réalité tangible mais il avait du mal à admettre leur réalité. Il passait et repassait sur son écran les photos qu'il avait prises lors de sa première visite et il les comparait avec celle prises par Thibault. Il y avait d'infimes différences mais il n'arrivait ni à trouver ni à comprendre le pourquoi de ces différences.

Soudain il entendit frapper doucement à sa porte.

— Oui !

— C'est moi ! dit Laurence. Est-ce que je peux entrer, je voudrais te parler de quelque chose.

— Bien-sûr ! Entre ! Répondit-il en enfilant rapidement un t-shirt et il se leva au moment où Laurence ouvrait la porte.

— Que se passe-t-il dans cette maison ?

Paul la regarda intrigué.

— Comment cela ? Que veux-tu dire ?

-Lorsque j'ai éteint la lumière, d'un coup la chambre s'est retrouvé éclairée par une lumière bleuâtre sortie de nulle part et les rideaux se sont mis à bouger alors qu'il n'y avait pas de courant d'air.

— J'ai bien vu de la lumière bleue sous ta porte mais je pensais que tu étais sur ton ordinateur.

— Non rien de tout cela. Je voulais dormir.

Paul remarqua alors que Laurence était debout devant lui en tenue très légère. Il rougit mais ne dit rien.

— Allons voir ! dit-il pour ne pas avoir l'air trop indiscret de la fixer ainsi. Il fallait dire que Laurence a des atouts non négligeables qui faisaient se retourner nombre d'hommes et même de femmes sur son passage.

Il la précédait dans le couloir sombre. La maison était silencieuse et on n'entendait que le craquement du parquet sous leurs pas.  Paul entra le premier dans la chambre et constata que l'un des gris-gris de tante Janis n'est plus à sa place. Il se retourna vers Laurence.

— C'est toi qui a déplacé ce grigri ? lui demanda-t-il ennuyé en montrant l'objet qui se trouvait sur la commode, au lieu d'être accroché près de la porte.

— Non ! Je l'ai trouvé par terre en entrant et je l'ai reposé sur la commode. Je ne savais pas où il était accroché avant. Il y a tellement de crochets vides dans cette pièce.

— Oui ! C'est vrai ! Moi-même, j'ignore sur quel clou il était fixé.

Il le fixa de nouveau au mur en espérant que ce soit le bon endroit.

— Elisabeth et Natacha ont été très claires sur ce point. Il ne faut surtout pas toucher à tous ces colifichets ésotériques positionnés par la tante Janis.

— Pourquoi, il y a des fantômes dans cette maison ?

Paul rigola.

— Non ! Je crois pas ! Mais la tante Janis avait des lubies parfois étranges, selon Elisabeth dont l'une des principales était de ne jamais déplacer ces objets chargés de mysticisme...

Alors qu'ils discutaient au milieu de la chambre, Laurence sursauta.

— Tu as senti ?

— Quoi donc ?

— Ce courant d'air. J'ai senti quelque chose sur les cuisses.

— Ton imagination te joue des tours. Je t'assure qu'il n'y a rien.

Paul regardait partout et rassura Laurence avant de la laisser seule dans la chambre.

Allongé, fixant le plafond, il se demandait ce qui avait bien pu affoler sa collègue à ce point, elle n'était pas du genre impressionnable. Il savait aussi qu'elle n'était pas non plus une adepte d'ésotérisme et elle ne croirait pas aux fantômes dès la première manifestation inexpliquée.

Il finit par s'endormir les pensées tournées vers sa bien-aimée, cela faisait à peine une semaine qu'elle était partie et elle lui manquait déjà. Ses derniers messages étaient assez encourageants, elle avançait bien sur son projet et elle avait des pistes de clients potentiels. Par contre il y avait un message qui le troublait davantage quand elle lui avait parlé qu'elle avait redécouvert par hasard une partie de sa famille éloignée. Elle allait donc rester en Irlande plus longtemps que prévu afin de les mieux les connaître.

Quand le matin arriva, ils se retrouvèrent tous les trois dans la cuisine pour prendre le petit déjeuner et parler du programme de la journée.

— Nous allons devoir commencer par bien baliser le site et débroussailler autour de la source et de la pierre comme nous avons commencé hier soir. J'ignore jusqu'où le pavage peut aller mais nous ne pourrons pas dépasser les limites de la propriété d'Elisabeth.

— Cela m'intrigue, répondit Thibault. Nulle part nous n'avons trouvé de référence à un quelconque sanctuaire ou autre dans tous les documents que nous avons pu étudier avant de venir. D'autant plus que ces pavés ne sont pas faits avec des pierres de la région mais elles proviennent de régions granitiques. Pourquoi ?

— Si nous arrivons à savoir où mène ce chemin peut-être auront nous un début de réponse. Nous savons déjà qu'il arrive à la pierre qui se trouve près de la source. Suivons-le le plus loin possible dans les bois. De toute manière, vu la falaise qui se dresse au fond de la combe, il ne doit pas être très long.

— C'est vrai et c'est ce qui est intriguant, pourquoi faire un tel chemin sur seulement quelques dizaines de mètres ?

— Bon ! Plus vite on sera là-haut, plus vite nous aurons la réponse. On prend les casse-croûte pour midi et de quoi se désaltérer et on y va.

Ils achevèrent de se préparer et chacun avec son sac à dos, ils commencèrent la montée sur le sentier.

Thibault partit devant, laissant Paul et Laurence seuls.

— La fougue de la jeunesse ! S'amuse Laurence.

— Oui tu as raison mais je crois aussi qu'il est impatient de voir si les glyphes de la pierre vont s'adapter à sa théorie et si l'algorithme sur lequel il a travaillé toute la nuit va répondre à ses attentes.

— Oui il nous bassine depuis hier soir avec sa théorie des portes permettant de passer d'un point à l'autre du globe en voyageant dans un monde parallèle. Son passage en Féerie comme il dit si bien. Pourtant, il ne se drogue pas.

— Non je ne crois pas, mais il a toujours été un rêveur.

En disant cela, Laurence se rapprochait de Paul et lui prit la main. Surpris, il la regarda mais au lieu de retirer sa main, il lui rendit son sourire. L'étroitesse du sentier les empêchait de continuer main dans la main et quand elle le lâcha, il remarqua une ombre passer derrière elle en même temps qu'un courant d'air fit frémir la végétation alentour. Troublé par l'attitude de Laurence, il ne comprenait pas pourquoi elle agissait de cette manière, ce n'était pas dans ses habitudes. Il en avait même été persuadé que les hommes ne l'intéressaient pas.

Thibault s'était déjà mis au travail et il avait achevé de débroussailler autour de la pierre, il était à genou en train de photographier l'ensemble des motifs.

— Pendant que je finis de rentrer ces images dans l'ordi, vous devriez peut-être longer le chemin et voir où il mène, ensuite nous pourrons peut-être dégager ce qui semble être des vestiges de colonnes.

— Oui tu as raison, suivre les pavés ne nous prendra pas beaucoup de temps nous sommes à environ une trentaine de mètres de la falaise. J'y vais avec Laurence et nous verrons bien ce que nous trouverons.

Laurence sourit et accepta avec enthousiasme de suivre Paul. Délestés de leur sac, ils progressaient sous les arbres. Plus ils avançaient et plus la trace des pavés était recouverte par la végétation. Pour être sûrs de suivre le chemin, ils devaient régulièrement s'arrêter pour gratter le sol afin de vérifier leur chemin, heureusement pour eux, à l'image des voies romaines, le tracé était rectiligne et comme ils s'y attendaient, il se dirigeait droit vers la falaise. Alors qu'ils n'étaient plus qu'à quelques mètres, Laurence remarqua que les arbres étaient vraiment anciens.

— Enfin ! Vous êtes là ?

Laurence et Paul se retournèrent surpris.

— Ah ! C'est vous !

— Qui est-ce ? demanda Laurence.

— Le voisin que nous avons rencontré hier soir lorsque nous sommes venus avec Thibault.

— Oui ! Jeune homme. Cela fait bien longtemps que personne n'était venu jusqu'ici.

— Qui a construit ce chemin ? demanda Laurence.

— Si je vous le dis, vous ne me croirez pas.

— Dites-nous ! Après ce que nous avons découvert sur la pierre, nous sommes prêts à tout entendre…

Prenant un air mystérieux, le vieil homme répondit, le plus grand magicien qui n'ait jamais existé !

Paul et Laurence se regardèrent intrigués et éclatèrent de rire.

— Merlin ? Mais c'est un personnage littéraire.

— Toute légende a une part de réalité. Regardez l'Iliade et l'Odyssée, la ville de Troie a réellement existé. Il y a une part de vérité dans les chevaliers de la Table Ronde.

— D'accord mais cela ne nous explique par le pourquoi de ce sentier aussi court. Pourquoi avoir pavé ce sentier avec des pierres aussi bien taillées pour une si courte distance entre deux points où personnes ne vient jamais ?

— Souvenez-vous de ce qui vous est arrivé lors de votre première visite ! Rien n'est figé dans notre monde. Et vous ! dit-il en regardant Laurence. Pensez à cette nuit !

Paul voit alors Laurence rougir et baisser les yeux.

— Ce que vous allez découvrir en fouillant la source et le long de ce chemin risque de bousculer vos certitudes.

— Que voulez-vous dire ?

— Simplement que vous allez devoir remettre en cause beaucoup de vos certitudes. Si vous le voulez, ce soir je peux passer et vous raconter ce que je sais sur ce lieu mais pour le reste il faudra que vous trouviez vous-même.

 

Après ces mots sibyllins, le vieil homme laissa Paul et Laurence à leurs réflexions et disparut dans les bois. Les deux jeunes gens arrivèrent enfin au bout du chemine et découvrirent qu'il s'engageait dans une sorte de grotte. N'ayant pas d'éclairage, ils ne pénétrèrent pas profondément sous la falaise mais ils purent apercevoir des gravures à l'entrée de la grotte qui ressemblaient aux formes sculptées sur la pierre de la source ainsi que des motifs que l'on peut trouver sur les pierres taillées existantes dans les pays celtes.

— Rejoignons Thibault mais je pense que comme je le pressentais hier, nous ne pourrons pas tout étudier à fond tout seul. Il va me falloir en informer Elisabeth et lui demander son avis car nous sommes sur sa propriété.

— Il faudra revenir ici quand même ?

— Oui bien sûr ! Au moins pour photographier l'entrée.

Ils sont redescendus sans un mot vers la source, et à nouveau Laurence prit la main de Paul. Elle resta près de lui jusqu'au moment où ils virent Thibault penché sur le socle d'une colonne qu'il avait dégagée.

— Alors, tu as trouvé autre chose ?

— Oh non, rien de spécial ! l'algorithme m'a simplement sorti une série de mot que je ne comprends pas. Une liste de noms.

— C'est déjà cela.

— Oui, mais cette liste correspond à des prénoms français transcrit en caractères runiques. Regardez si on les lit de haut en bas : Pierre, Elisabeth, Héloïse, Emiliette, Léopold et le dernier est illisible.

Paul était songeur à l'énoncé de ces noms.

— Qu'as-tu ? demanda Laurence.

— Ces noms ne me sont pas inconnus. Ils ressemblent aux prénoms d'ancêtres d'Elisabeth, je lui demanderai des précisions quand je l'aurais au téléphone ce soir.

A la mention d'Elisabeth, le regard de Laurence devint sombre et elle se renfrogna.

— Si nous nous mettions au travail, dit-elle sèchement.

— Oui tu as raison. Thibault a déjà bien travaillé en nettoyant cette pierre, je pense que nous devrions repérer les restes des colonnes ce qui nous donnerait une idée de la structure qui entourait la source.

Ils se mirent aussitôt au travail, et comme elle le faisait depuis le matin, Laurence s'arrangeait pour rester auprès de Paul. Thibault d'un côté et Laurence et Paul de l'autre, ils repérèrent les colonnes et balisèrent les positions où ils pensaient en trouver par rapport à la position des restes visibles.

De retour à la maison, ils rentrèrent les données dans l'ordinateur et rapidement Thibault réalisa un modèle à partir des clichés et des mesures prises sur le site.

— Cela nous fait un bâtiment rectangulaire d'environ cinq mètres sur huit. Je dirai vu sa position qu'il faisait face à la source.

— Pour en être certain, il nous faudrait creuser et voir si nous découvrons des murs ou des ouvertures.

— C'est évident, mais même alors nous ne pourrons être certain de son aspect et de sa fonction. Sanctuaire, abri ? Autre chose ?...

— Ne pourrions-nous pas le savoir sans avoir à creuser avec ces radars de sol permettent de découvrir s'il y a des structures enterrées ?

— Si bien sûr mais nous n'en avons pas avec nous, il faudrait demander à l'Institut si nous pouvons en emprunter un.

Paul réfléchit un instant.

— Thibault, tu iras le chercher demain, je vais envoyer un mail ce soir pour les informer.

— Oui ! Pas de soucis ! Mais qu'allez-vous faire pendant ces deux jours ?

— Ne t'inquiète pas ! répondit Laurence. Nous avons du travail à dégager la végétation pour que le sondeur ne soit pas trop perturbé.

Quand chacun eut regagné sa chambre, Paul appela Elisabeth pour lui donner des nouvelles sur l'avancement des fouilles. Elle accueillit avec joie ces informations et en particulier la découverte de la grotte qu'elle ne connaissait pas. Elle lui parlait en retour de ses rencontres et du plaisir qu'elle prenait à renouer le contact avec cette branche éloignée de sa famille.

— Je te ferais un mail te donnant l'autorisation de faire des fouilles plus approfondie, je pense que mon séjour ici va se prolonger, j'ai fait de nouvelles découvertes qui sont passionnante au sujet de ma famille et de nos origines. Le manoir de mes cousins éloignés est une véritable caverne d'Ali Baba.

— Merci mon cœur ! Bisous et bonne nuit !

Paul s'endormit tranquillement sans se douter que dans la chambre voisine, Laurence jubilait de se savoir seule avec lui pour les prochains jours.

 

Au petit matin, il fut réveillé par une odeur de café qui montait de la cuisine. Il descendit. Laurence avait préparé le petit-déjeuner sur la terrasse. Elle l'accueillit avec un peignoir de satin qui cachait à peine ses formes. Il était gêné mais en même temps, il avait encore l'esprit embrumé par les rêves étranges qu'il avait fait au cours de la nuit. Dans ceux-ci, ils exploraient la grotte avec Laurence et découvraient un monde surprenant de créatures irréelles mais surtout, il se voyait tromper Elizabeth avec elle. Il se disait que ce n'était qu'un rêve mais en voyant Laurence souriante s'approcher de lui pour l'embrasser, il prit peur.

— Que fais-tu ?

— Moi ? Mais rien, je venais juste te dire bonjour…

Il voulait reculer mais il ne pouvait plus bouger, lorsque ses lèvres se posèrent sur les siennes, il répondit à son baiser comme poussé par une force étrangère. Leur baiser dura longtemps et se mua en une douce étreinte, il ferma les yeux

Quand il sortit de ce qui lui semblait un rêve éveillé, il réalisa que sa collègue était à moitié nue et le regardait radieuse et détendu. Il secoua la tête en comprenant ce qu'ils venaient de faire, il se prit la tête entre les mains et commença à pleure. Il se demandait comment il avait pu tromper Elisabeth.

— Tu en avais envie tout comme moi, lui disait Laurence en venant le réconforter.

— Oui mais nous n'aurions pas dû.

— Ce qui est fait et fait et personne n'en saura rien.

— Oh si ! Nous, nous le savons… Entendirent-ils dire une voix caverneuse dans un coin de la pièce.

Ils se retournèrent mais ils ne virent qu'un simple halo dans l'ombre des rideaux.

— J'ai cru apercevoir un visage près de la fenêtre.

— Oui ! Moi aussi, mais nous sommes seuls.

— Oui ! Cet endroit est vraiment plein de mystères… Termina Laurence.

Ils reprirent leur petit déjeuner où ils l'avaient laissé afin de retourner explorer les alentours de la source et la grotte qu'ils avaient découvert la veille. Le travail n'avançait pas vite, Paul était perturbé par la présence de Laurence, il ne pouvait pas la quitter des yeux, il ne comprenait pas comment il avait pu céder si facilement aux avances de cette jeune femme. Il essayait de se concentrer sur ce qu'il faisait mais il laissait échapper ses outils.

— Je n'arrive pas à me concentrer, que dirais-tu de retourner à la grotte pour voir ce que nous pourrions y trouver ?

— Oui avec plaisir, dit Laurence en se relevant alors qu'elle était en train de dégager un fragment de céramique bleue.

Main dans la main, ils prirent le sentier vers la falaise comme lors de leur dernier passage, ils sentirent des frémissements sur leur peau et virent les feuilles remuer alors qu'il ne semblait pas y avoir de vent. Paul constatait qu'il pouvait bien voir les vestiges quasiment invisibles de la route pavé, en faisant attention, on remarquait la légère différence de végétation entre la zone où les pavés étaient recouverts et le reste de la forêt. Lorsqu'ils furent devant l'entrée de la grotte, Paul sortit les lampes torches qu'il avait pris soin de prendre le matin et ils avancèrent prudemment dans la semi-obscurité.

— On dirait que les parois brillent ! Remarqua Laurence.

— Oui cela m'avait frappé hier mais je ne pensais pas que cela allait si loin.

Ils s'étaient profondément enfoncé dans la falaise, le passage souterrain avait fait quelques coudes mais il était facile de suivre le couloir principal si on faisait attention aux motifs gravés sur les parois. Ils finirent par arriver au fond d'une immense chambre souterraine.

— Je crois que nous ne pouvons pas aller plus loin ! Dit Laurence en se rapprochant de Paul.

Il balayait les parois avec la torche mais nulle part, il ne voyait d'ouverture. Il distinguait bien quelques gravures sur les parois mais absolument rien qui laisserait présager la présence d'un passage dérobé.

— On n'est pas à Hollywood, il n'y a pas de passage secret, soupira Laurence.

— Oui je suis bien d'accord ! Mais alors pourquoi cette route pavée ? Elle n'a aucune raison pratique.

— Sauf ! Si cette pièce servait de salle de réserve pour le temple de la source. Il fallait bien transporter les marchandises en toute sécurité.

— Pour une distance aussi courte ! Faire une voie pavée aussi large !

— On ignore tout de ce qu'était ce sanctuaire et de son importance. Nous allons devoir attendre le retour de Thibault avec le sondeur pour nous faire une idée.

-Je le saisis bien mais… Oh regarde ce bas-relief !

Ils se rapprochèrent des motifs sculptés sur la paroi. Paul sortit son appareil photo afin de pouvoir les analyser tranquillement depuis la maison avec son ordinateur. Plus ils découvraient de choses et plus le site leur semblait mystérieux. Ils étaient passés d'un petit sanctuaire antique dédié à une divinité locale à quelque chose de bien plus majestueux. La route pavée, la colonnade autour de sanctuaire, le porche d'entrée de la grotte et peut être d'autres découvertes à venir leur faisait prendre conscience qu'ils devraient faire appel à des renforts supplémentaires.

En prenant les photos, Paul et Laurence se rendirent compte que les gravures décrivaient de petites saynètes, certaines de la mythologie antique en mêlant légendes celtes et gréco-romaine et d'autres des scènes de la vie quotidienne à diverses époques. Celle qui paraissait avoir été gravée le plus récemment montraient un homme en train d'importuner une jeune femme.

— Vous admirez le mur des fantômes ! Dit une voix derrière eux.

Le vieux voisin les avait rejoints sans qu'ils ne l'eussent entendu. Devant leur mine stupéfaite, il leur raconta alors que les gens de la région qui connaissaient ce site disaient que ce mur représentait les raisons pour lesquelles les morts devenaient des fantômes. Ces gravures exposaient aux yeux de tous et surtout du gardien des enfers les causes qui les empêchaient de trouver le repos dans la mort.

Il leur montra la scène qui illustrait le meurtre d'une jeune femme par un groupe de soudards.

— Vous voyez cette demoiselle ! Elle a été violée et assassinée par des soldats en bagaudes. Depuis son fantôme erre dans la région pour protéger les jeunes filles des hommes trop entreprenants…

— Une protectrice…

— Plus que cela, une vengeresse… vous voyez cette dernière gravure. Cet homme était un pervers qui s'en prenait aux très jeune filles. Un jour il a disparu au cours d'une de ses promenades matinales…

— Et alors ? Demanda Laurence.

— Elle l'a attiré jusqu'à la source que vous étudiez et il s'est noyé. Son corps n'est jamais remonté et sa famille connaissant ses travers n'a rien fait pour le retrouver, trop contente d'en être débarrassée. Depuis, il erre aussi, il ne pourra rejoindre les limbes que lorsqu'il aura réparé ses méfaits…

Les deux jeunes écoutaient le vieil homme qui leur expliquait chaque gravure. Pour plusieurs d'entre elles Paul fit le rapprochement avec des membres de la famille d'Elisabeth. Encore des questions à lui poser, connaissait-elle l'existence de cette grotte et de ses mystères.

Laurence s'était rapproché de lui et venait de poser sa tête sur son épaule.

Quand il eut fini de parler, le vieil homme se recula et les laissa seuls. Ils ne le virent pas disparaître tellement ils étaient pris par les histoires résumées sur la paroi.

Ce fut quand la main de Laurence s'attarda dans le dos de Paul que celui-ci sortit de sa torpeur. Il regarda la jeune femme qui l'accompagnait et une nouvelle fois, mû par une force invisible, il l'embrassa. Une lueur vive les enveloppa et ils perdirent la notion du temps.

Lorsque Thibault rentra avec le matériel qu'il était allé récupérer, il chercha ses deux chefs dans la maison. Aucun des messages annonçant son retour n'avaient reçu de réponse. Inquiet, il grimpa à la source.

Il fut surpris de découvrir du matériel installé et qui s'était arrêté faute de batterie. Ni Paul ni Laurence n'étaient visibles. Il regarda autour de lui, il ne trouvait aucun indice de leur présence. Il avait beau les appeler, il ne recevait aucune réponse. Quand il vit le chemin pavé, il se dirigea vers la grotte. Il lui sembla que les ronces et les autres herbes folles avaient été dégagées même s'il ne pouvait pas en être certain.

Il franchit le seuil du souterrain, intrigué par la sphère lumineuse qu'il voyait au fond. Il s'approcha lentement et il distingua deux personnes enlacés. Quand il fut près du couple, il tendit doucement le bras et du bout des doigts, il frôla la bulle bleue.

Aussitôt, la lueur disparut et il reconnut Paul et Laurence qui sursautèrent en le voyant.

— Thibault ? Que fais-tu là ? Fit Laurence

— Ce serait plutôt à moi de vous demander ce que vous faites là ! Cela fait deux jours que je vous ai dit que j'arrivais avec le radar et vous n'avez pas répondu…

— Comment ça deux jours ? Nous ne sommes là que depuis quelques minutes… dit Paul un peu honteux d'avoir été surpris dans cette position avec sa collaboratrice par leur étudiant.

— Je suis parti il y a cinq jours et je vous ai dit mercredi soir que je serai là dans l'après-midi… nous sommes vendredi.

— C'est impossible… nous sommes juste mercredi matin. Le vieux voisin venait de nous expliquer la signification des scènes sur ces gravures…

— Quelles scènes ? Je ne vois que des symboles abstrait typique du néolithique…

— Je ne comprends plus rien… pourtant Laurence tu les as vu comme moi ?

— Oui ! Tu as même fait des photos. Regarde !

Paul alluma l'appareil et montra les clichés à Thibault et la date indiqué sur l'appareil.

— L'appareil à du avoir un souci, il indique mercredi…

— Ben oui normal… Nous sommes mercredi…

— Non ! Nous sommes vendredi… Retournons à la maison et mettons cela au clair. D'ailleurs vous verrez les appareils autour de la source sont tous arrêtés par manque de batteries.

Quelques minutes plus tard, ils sont tous sur la terrasse de la maison. Paul a chargé les images qu'il avait prises afin de les examiner attentivement. Quand ils commencèrent à les afficher sur l'écran, ils ne prirent pas conscience du mouvement d'air qui se produisit derrière eux.

Ils étaient tous fébriles, aucun n'avait parlé pendant le retour. Ils avaient rangé le matériel laissé à la source afin d'analyser les enregistrements.

La situation dans laquelle Thibault les avait surpris rendait Paul et Laurence gênés. Si on ajoutait à cela, le décalage temporel entre eux et le jeune homme, ils étaient encore plus perdus.

Paul s'était rendu compte qu'Elisabeth lui avait laissé des messages auxquels il n'avait pas répondu. Que pouvait il lui dire après ce qu'il venait de faire avec son assistante.

Seul Thibault conservait l'esprit lucide et cherchait à comprendre ce qu'ils étaient en train de vivre.

— Vous vous souvenez qu'avant de partir, je vous disais que le fond de la grotte avec son porche sculpté dans la paroi me faisait penser à un portail…

— Oui ! mais rafraîchis-nous la mémoire !

— Eh bien ! Voilà…

Thibault leur expliqua qu'il avait profité de son retour à leur bureau pour lancer des recherches avec les photos qu'il avait en sa possession. Avec l'algorithme qu'il avait conçu, il avait lancé des comparaisons.

Il avait ainsi trouvé des motifs très proches de ceux trouvés dans la grotte et autour de la source, répartis un peu partout dans le monde.

Il avait ensuite ajouté divers éléments des mythologies qui parlaient de routes, de passages.

Il avait pu identifier ainsi trois sites en France dont un en plein centre de Paris. Il dit à Paul qu'Elisabeth était proche d'un de points de passage en Irlande et bien sûr, tous les grands sites archéologiques ou religieux en seraient aussi.

— Si comme tu le dis ce sont des points de passage, où mènent ils ? Demanda Laurence.

— Je l'ignore. Les éléments que j'ai trouvés ne sont pas clairs et proviennent tous de légendes. Dans certains cas, c'est vers la mort, les enfers ou le paradis, dans d'autres cas, le monde des fées ou des dieux…

Paul était pensif. Comment se faisait-il qu'aucun archéologue ou historien n'ait fait mention de ces ressemblances ? Pourquoi seul des textes mythologiques ou des contes pour enfants faisaient référence à ces lieux.

Ils regardaient avec attention les motifs et les gravures représentant les personnages. Celles-ci étaient clairement des instantanées de vie quotidienne à différentes époques. Au moment où ils détaillaient celle qui montraient l'incendie d'une ferme par des villageois en colère, il y eut une coupure de courant.

Sous leurs yeux incrédules, une puis deux formes se matérialisèrent. En quelques secondes, ce qui n'était que des formes vaporeuses devinrent des êtres de chairs. Ils étaient vêtus à la mode du dix-huitième siècle, un homme et une femme, d'apparence assez jeune. Même si leur visage montrait qu'ils avaient certainement vécus de pénibles épreuves.

— Qui êtes-vous ? Osa questionner Thibault, peut-être le moins impressionné des trois.

— Emiliette et Léopold… répondit le fantôme qui venait d'apparaître sous leurs yeux. Nous habitions cette maison, il y a bien longtemps et nous vivions tranquilles notre éternité depuis notre mort.

Paul n'arrivait pas croire ce qu'il voyait, il se souvenait qu'avec Elisabeth, il avait découvert dans les carnets de tante Janis l'historique de la propriété depuis la fin de la Renaissance. Ces deux personnes étaient de lointains ancêtres de sa fiancée.

Sidérés par cette apparition, ils restaient silencieux. On pouvait voir qu'ils tentaient de comprendre ce qu'ils étaient en train de vivre mais que l'effroi les frappait en raison de l'étrangeté de la situation. Laurence tremblait, Paul ne pouvait prononcer un mot disait rien. Thibault était le moins effrayé des trois. A la vue des fantômes, Instantanément les récits de son ami Gérald lui revinrent en tête. La possibilité d'un monde de l'entre deux lui avait été révélée déjà, même s'il en était resté dubitatif en raison de sa tournure d'esprit. Il réfléchissait, ce que Gérald racontait lorsqu'ils se retrouvaient avec des copains pour jouer ne seraient donc pas uniquement des histoires. S'il acceptait de croire aux fantômes, il devait donc accepter que les portails, les fées, les dieux, les démons et autres créatures fantastiques existassent.

Laurence fut la plus prompte à réagir. Depuis que Paul lui avait remis le fragment de roche provenant de la stèle de la source son esprit était plus sensible aux manifestations en provenance du sur-monde. Elle comprenait maintenant que ce qui leur avait semblé être des courants d'air était le passage des spectres auprès d'eux.

— Où est Pierre, je veux lui parler…

Aussitôt les deux apparitions frémirent et s'agitèrent. Elles semblaient vouloir leur dire quelque chose, elles étaient affolées et leur trouble devint si intense qu'elles ne purent conserver leur matérialité et disparurent.

Paul et Thibault la regardèrent intrigués.

— Qui est ce Pierre ? demanda Thibault.

— Tu te souviens de ces noms gravés sur la pierre que nous avons relevés le premier jour…

— Oui, bien sûr !

— C'est un arrière grand-oncle d'Elisabeth, répondit Paul. Un homme peu recommandable, il a disparu mystérieusement, au grand soulagement de la famille m'a-t-elle dit.

— Oui, renchérit Laurence. Paul, tu me pardonneras, mais j'ai découvert ce carnet sous une latte disjointe du parquet de ma chambre et je l'ai lu…

— C'est un carnet de Janis !

-Oui ! Et c'est un carnet qu'elle a tenu secret… Et je comprends pourquoi… Cette maison cache un lourd secret et les fantômes qui la hante en sont peut-être la clé.

— Que veux-tu dire ?

— Tu le sais Thibault… Ta théorie des portails, ce n'en est pas une… C'est une réalité…

Paul la regardait incrédule, Laurence la cartésienne, comment pouvait-elle sortir de telles énormités. Elle vit la stupeur sur le visage de son collègue.

— Lis ce carnet… et tu comprendras.

Thibault était tout aussi désemparé mais aussitôt, il se plongea dans ces notes et intégra cette nouvelle donnée à ses algorithmes de travail. Il avait oublié la présence du couple et pris son ordinateur et alla s'enfermer dans sa chambre.

Paul sortit sur la terrasse le carnet à la main, songeur. Laurence le suivait et elle se colla contre lui.

— Je ne comprends plus rien !

— Je crois que nous pouvons stopper les fouilles que nous avons commencé. Nous devrions même détruire ce que nous avons découvert…

Elle lui disait cela en lui caressant la poitrine et en cherchant les lèvres de son amant. Sous l'influence de l'esprit de la source, altéré par la perversité de l'oncle Pierre, Laurence était en train de soumettre Paul à son emprise. Une part de son être savait qu'il devait la repousser mais il en était incapable. Il voyait sa collègue comme une amante dont il n'aurait jamais imaginé qu'il en existât une aussi flamboyante. Il ressentait dans son corps la puissance d'un amour brut. Il plongeait dans cette amour, oubliant le reste. A nouveau, ils passèrent la nuit ensemble.

Si le fantôme de Pierre aspirait à la rédemption pour enfin connaître la paix et cesser son errance, le travail du fragment poursuivait son emprise maléfique. La perversion pénétrait de plus en plus profondément le corps de Laurence en libérant un besoin insatiable de prédation. Son trouble augmentait, il lui insufflait sa volonté de domination sur les personnes de l'autre sexe. Elle devait séduire pour dominer. Pendant qu'elle était avec Paul, elle réfléchissait à la manière de séduire Thibault pour le prendre dans ses filets.

Elle n'était plus là jeune archéologue réservée et timide. Elle ne pouvait plus contrôler son désir pour les hommes. Elle était mue par le besoin impératif de satisfaire sa soif de plaisir. Elle devenait une vampiresse se nourrissant de l'adoration que les hommes devaient lui porter.

Paul ne l'écoutait pas et s'il sentait la main de sa collègue lui caresser le torse sous son t-shirt, il ne s'en préoccupait pas. Il feuilletait ce carnet. Il était différent des autres qu'ils avaient trouvés avec Elisabeth, celui-ci était une liste de notes écrite au fur et à mesure sans ordre logique, sans aucune mise en forme. Comme si elle avait été trop pressée de retranscrire ses pensées et ses idées pour les rédiger plus tard, pour ne pas les oublier. Il releva la tête et ses yeux croisèrent ceux de Laurence. Il voulait lui parler mais il ne résista pas quand elle approcha son visage pour poser ses lèvres sur les siennes et il en oublia ce qu'il voulait lui dire.

Pendant ce temps, Thibault réussit à contacter son ami Gérald et il lui raconta les dernières péripéties qu'ils venaient de vivre. Plus il lui racontait et plus le regard de son ami se figeait.

— Tu me dis que vous avez vu des fantômes !

— Comment qualifier des personnes qui se matérialisent sous tes yeux et qui disparaissent presque aussitôt ?

— Effectivement… mais ce n'est pas cela ce qui m'inquiète le plus, c'est surtout le comportement de tes chefs. Tu me disais bien que Paul est fiancé ?

— Oui ! Enfin c'est qu'il nous a dit et quand on le voit avec Elisabeth cela semblait évident, mais en arrivant ce matin… Après les avoir surpris, je ne suis plus sûr de rien… Et ce soir encore, Laurence et Paul étaient vraiment très proches…

— Je crains qu'un esprit maléfique ait pris Laurence sous son emprise… Les images que tu viens de m'envoyer sont bien celle d'un portail trans-dimensionnel. Mais contrairement aux autres portail qui mène au monde des fées ou au sur-monde, celui-ci est l'entrée d'un monde bien plus mystérieux et peuplé de créatures bien plus dangereuses.

— Tu me parles de portails entre les mondes alors que jusqu'à présent quand je te parlais de mes théories tu te contentais de sourire…

— Tu ne faisais que d'émettre des théories à partir des résultats que ton ordinateur te sortait quand tu rentrais des données. Cela ne te mettait pas en danger… Mais là, tu es en danger…

— En danger comment cela ?

— Le sanctuaire que vous fouillez est un ancien sanctuaire dédié à Aphrodite, et si tu te souviens de ta mythologie, qui était l'époux d'Aphrodite ?

— Oui Héphaïstos, le dieu des enfers…

— Et là vous avez une source, une caverne avec un portail et une route qui relie l'un à l'autre… Le symbole de l'amour passion qui entraîne la mort…

— Mais comment Laurence a-t-elle pu changer comme cela ? Et Paul ?

— Que sais-tu des fantômes qui hantent cette maison ? Je suis sûr qu'ils sont là pour une raison bien précise…

— Je ne sais pas, ceux que nous avons vu nous ont dit qu'ils vivaient une existence tranquille jusqu'à notre arrivée et Paul nous a parlé d'un membre de la famille de sa fiancée qui aurait eu un passé assez louche avant de disparaître mystérieusement…

— Rien de plus ?

— A part que la tante bizarre était maniaque du rangement et qu'elle ne voulait que personne ne touche à ses breloques ésotériques…

— Et vous y avez touché ?

— J'ai fait tomber un attrape-rêve d'un mur mais je l'ai remis en place… et je crois que Paul se promène avec un vieux bâton de marche de cet oncle étrange…

— Il va falloir que je vienne rapidement… et encore, je ne sais pas si mon savoir sera suffisant, vous avez mis le doigt sur l'un des secrets les mieux gardé de notre monde… Moi-même je ne connaissais pas de passage vers ce monde même si je me doutais de leurs existence…

— Que risquons nous ? Demande Thibault soudain inquiet.

— Je ne peux pas te le dire exactement… Je vais me renseigner. Mais ! S'il y a des protections ou des sorts dans ta chambre, surtout n'y touche pas.

Pas franchement rassuré par ces mots, il eut du mal à s'endormir.

Au matin, il fit celui qui ne remarquait pas le manège de ses chefs et surtout la gêne affichée par Paul. Il tenta de détendre l'atmosphère en expliquant ce qu'il avait trouvé avec l'aide de Gérald pendant la soirée. Il demanda à Paul s'il pouvait lire le carnet.

— Oui bien sûr ! Lui dit-il en lui tendant négligemment le carnet tandis que Laurence s'activait dans la cuisine.

Comme Paul quand il le feuilleta, il fut surpris par son contenu, des dates, des lieux, des événements et des notes. Il le referma pensif, il devrait rajouter cela à sa base de données. Il y avait dans carnet plus d'informations que toutes celles qu'il avait pu glaner çà et là depuis que Gérald avait éveillé sa curiosité pour ces portails.

— Il serait temps de monter à la source pour voir ce que le radar de sol va nous révéler.

Paul avait dit cela d'un air décidé qui contrastant avec son aspect déprimé quelques minutes auparavant. Laurence fronça les sourcils, elle était toujours en tenue de nuit et ne semblait pas décidée à s'habiller. Elle tenta de convaincre les garçons de l'inutilité de leurs fouilles. Mais si son amant avait pu se laisser convaincre la veille au soir, il était revenu sur sa décision et l'enthousiasme de son étudiant lui permettait de lutter contre le pouvoir grandissant de sa collègue. Ils se retrouvèrent tous les deux dans la grange pour déballer et monter le matériel au sanctuaire.

A la fin de la matinée, tout était prêt et ils décidèrent de le mettre en place pour commencer les sondages dans l'après-midi.

Laurence de son côté n'était pas restée inactive, elle s'était penchée sur le déchiffrement des inscriptions dont elle en percevait maintenant le sens. Ses capacités de compréhension de ces mystères avaient été accrues par son contact avec le fragment de roche, une part de l'antique esprit de la source l'habitait

Sa perception de la présence des spectres autours d'elle s'était renforcée. Plusieurs fois, elle les interpella en vain mais quand l'un d'entre eux la frôla de trop près et de manière trop intime, en fin d'après-midi, elle se leva et leur ordonna de se montrer.

L'esprit de la source parlant par sa voix, elle vit quatre ombres se matérialiser devant elle. Elle reconnut les fantômes de Léopold et Emiliette, mais les deux autres restaient flous. Elle sut tout de suite que l'oncle Pierre n'était pas là. Léopold en gardien de la maison ne s'en éloignait jamais, Emiliette restait avec son protecteur quant aux deux autres, il s'agissait de très vieux fantômes qui commençaient à s'estomper. Leurs âmes erreraient bientôt pour l'éternité dans les limbes.

— Où est Pierre ? Demanda-t-elle une nouvelle fois. Lequel d'entre vous à oser me toucher ?

Elle les fixa l'un après l'autre. Léopold se préparait à répondre quand l'un des vieux spectres trembla et disparut, donnant le signal aux autres qu'ils étaient libres de partir.

Laurence ne maîtrisait pas encore le pouvoir naissant en elle qui lui permettait de contrôler les spectres. Irritée par cette interruption, elle sortit pour rejoindre les garçons qui travaillait sur le site.

Profitant de l'absence de la jeune femme, Thibault tentait de faire comprendre à Paul le danger qui les menaçait. Il avait beau lui expliquer ce que son ami lui avait dit la veille, Paul refusait de l'écouter. Il ne pouvait pas croire que sa collègue fut malveillante.

— Regarde, lui disait le jeune homme. Regarde comme tu es avec elle… Je ne suis pas aveugle. Vous avez couché ensemble.

Paul ne pouvait que baisser la tête, il lui était impossible de nier, il se savait fautif mais il ne savait comment exprimer à son étudiant qu'il lui était impossible de résister aux charmes de Laurence.

— Gérald, mon ami, voudrait venir pour examiner ce que nous avons découvert. Il m'a dit qu'il pourrait peut-être nous donner des explications…

— Il est historien ou archéologue ?

— Non…

— Alors que peut-il nous apporter ? Répliqua Paul d'un ton bourru qui ne lui ressemblait pas.

— Il est musicien et il est spécialiste des musiques ethniques et celtiques en particulier… Il a redécouvert de nombreuses musiques rituelles en interprétant des symboles gravés sur divers sites archéologiques… Et il est aussi un spécialiste de l'ésotérisme lié à cette culture…

— Je n'en ai jamais entendu parler…

— Normal tu ne t'intéresse qu'au jazz, dit Thibault en riant en espérant faire retomber la tension qui montait dans son chef. J'ai assisté un jour à un de ses concerts où il projetait des photos de menhir gravé et il jouait de la flûte de pan en suivant les lignes gravées.

— Il n'a jamais publié cela ?

- Non car comme tu viens le dire, il n'est pas historien… Juste musicien… Il préfère faire passer ses idées par l'art et la musique plutôt que dans nos obscures revues de spécialistes…

— Il n'a pas tort…

— Mais pour en revenir à Gérald, je suis certain que sa vision moins technique que la nôtre pourra nous aider.

Paul ne dit rien se contentant de regarder l'écran qui leur montrait une image du sous-sol en fonction de ce que le radar avait détecté dans la clairière entourant la source. Comme ils l'avaient supposé, ils étaient en présence d'une structure rectangulaire de taille modeste, une colonnade entourait un bâtiment avec une pièce unique et peut être une sorte d'estrade à une extrémité.  Au bord de la clairière il avait mis en évidence ce qui pouvait être l'angle d'un autre bâtiment.

Sans défricher, ils ne pouvaient pas en savoir plus. En passant l'appareil sur le sentier qu'il avait emprunté, ils se rendirent compte que la terre avait recouvert le pavage et que la chaussée atteignait surement la maison voir même au-delà. Ces découvertes les laissaient perplexes.

En l'absence de fragments de poteries ou de pièces de monnaies, il leur était impossible de dater les sites qui n'étaient mentionnés dans aucun texte qu'il connaissait.

Laurence les trouva dans cet état les yeux rivés sur l'écran.

— Que regardez-vous ?

— Les sondages indiquent qu'il y a bien plus qu'un simple temple…

Elle s'approcha et effleure Paul qui frissonne à son contact. Il la regardait à nouveau avec son air énamouré. La proximité de la source augmentait la puissance de l'esprit malin qui habitait la jeune femme. Cependant son professionnalisme prenait le dessus sur son envie de séduire les garçons, elle prit le temps de regarder l'écran.

Elle voyait le sanctuaire et les divers bâtiments se matérialiser autour d'elle. Ses sens aiguisés, elle savait comment l'ensemble du site s'organisait au moment de sa splendeur, il y avait de nombreux siècles.

Elle regardait autour d'elle, les arbres disparaissaient pour faire place au logement des prêtresses d'Aphrodite, la voie pavée qui se dirigeait vers la falaise était empruntée par des pèlerins qui faisait leur dernier voyage vers le royaume d'Hadès. Elle était submergée d'images du temple en pleine activités, elle voyait les servantes de la déesse de l'amour accompagnées de ses adorateurs, ils entraient dans les petites chapelles entourant le temple pour lui rendre hommage avant de rentrer chez eux ou de prendre le chemin de la falaise.

Absorbée par ses visions, elle n'avait plus conscience du monde qui l'entourait. Elle se sentait happée par une force invisible qui lui demandait d'entrer dans le temple. Elle avançait lentement, imprégnée par la magie du lieu et franchit le voile qui empêchait de voir l'intérieur du sanctuaire. Elle vit alors la statue de la déesse en majesté qui resplendissait grâce aux rayons du soleil de midi sur son visage qui pénétraient par le toit ouvert.  Elle eut l'impression que la déesse la regardait. Elle ne pouvait pas soutenir ce regard et tomba à genou.

— Laurence que t'arrive-t-il ? Demanda Paul en la voyant tomber à genou entre deux pieds de colonnes après qu'elle se fut éloigné de quelques pas.

Elle sursauta et le regarda le visage hagard.

— J'ai eu une vision…

— Une vision ! Comment cela ?

— Je voyais ce lieu tel qu'il était autrefois quand il était un sanctuaire dédié à la déesse de l'amour… et j'ai vu la déesse…

— Tu as rêvé.

— Peut-être mais regarde… elle montra l'écran. Là ! Cette tâche, c'est une estrade sur laquelle se trouvait une statue de la déesse. Ce mur à la limite de la clairière est celui d'un bâtiment ou les servantes de la déesse accueillaient les pèlerins. Ce site de ce que j'en ai vu s'étend sur tout cet espace plat entre la falaise et le ruisseau qui coule près de la maison… cette route pavée n'est pas une voie romaine comme nous l'avions pensé mais elle est bien plus ancienne…

Thibault la regardait et approuvait ses paroles. Ce qu'elle leur décrivait correspondait à ce que Gérald lui avait raconté la veille au soir. Il devait venir. Il était sûrement le seul à pouvoir les éclairer sur leur découverte.

— J'ai aussi découvert des choses en analysant les inscriptions, je vous montrerai cela ce soir, reprit Laurence.

— Je crois que nous avons fini pour aujourd'hui. Si ce que tu nous dis est vrai, nous devrons sonder sous les arbres…

Ils rangèrent les instruments sous la tente prévue à cet effet et rentrèrent à la maison. Ils se mirent aussitôt chacun devant un ordinateur pour analyser les données collectées en ce jour. Laurence se plaça proche de Paul et lui caressait la cuisse avec sa main. Thibault voyait leur manège troublé et ne sachant que leur dire, malgré les explications de son ami. Il ne pouvait pas s'empêcher de penser à la douleur que ressentirait Elisabeth en découvrant ce qu'il se passait entre son fiancé et sa collaboratrice. Il était loin de se douter que de son côté, Elisabeth aussi était sous l'influence désastreuse d'un fantôme qui en croyant la protéger des hommes la jetait dans les bras des femmes.

Ce soir-là, ils établirent une stratégie pour tenter d'explorer le plus possible de terrain dans le bois autour de la source sans avoir besoin de défricher ou de couper les arbres. Ils ne creuseraient que si le sondeur leur donnait des raisons de penser qu'ils pouvaient trouver des artefacts intéressants ainsi ils ne dégraderaient pas trop le site. Paul donna son accord pour que Gérald vint les voir, peut être un œil différent pourrait les aider à découvrir des choses auxquelles ils ne pensaient pas.

Gérald leur annonça qu'il pourrait passer lors du prochain week-end et il leur demandait d'amasser le maximum de données sur les bâtiments du sanctuaire mais aussi sur la grotte. Il pensait qu'ils trouveraient de nombreuses réponses autour du porche orné.

Les jours suivant et en attendant l'arrivée de Gérald, ils passèrent le radar de sol sur l'ensemble de la corniche du sanctuaire. Comme Laurence l'avait vu dans sa vision, il couvrait l'ensemble de l'espace plat entre la falaise et la combe à l'exception d'une bande de cent mètres où ils trouvèrent de nombreuses petites dalles enterrées.

Le soir après la mise en commun des nouvelles du jour, Paul et Laurence se retrouvaient et Paul ne s'étonnait plus de pas recevoir de nouvelles d'Elisabeth depuis qu'elle lui avait annoncé qu'elle prolongeait son séjour Irlandais.

Le lien qui les unissait se délitait au fil des jours.


Dans l'Entre Deux-Monde

 

Depuis quelques semaines, les spectres du vieux manoir étaient perplexes. Cela faisait des années que la maison était vide et ils en avaient presque oublié l'existence des humains. Lorsqu'en cette fin d'après-midi d'été, Paul et Elisabeth avaient franchi le seuil de la bastide, ils s'excitèrent. Ils commencèrent par observer de manière circonspectes ces deux jeunes gens qui prenaient possession des lieux. Emiliette leur annonça que la jeune femme était de la famille et ils se calmèrent, rassurés. A son habitude, Pierre frôla de très près Elisabeth qui se retourna pour comprendre ce qui lui arrivait.

Héloïse se mit en demeure de surveiller Paul afin de voir s'il ne faisait pas de mal à la jeune femme. Depuis son calvaire, elle s'était mise en tête de protéger toutes les femmes de la maison du danger que représentait les hommes. Cela entraînait souvent des conflits avec Pierre pour lequel toute femme était une occasion de s'amuser. Quant aux deux anciens dont nul ne connaissait ni le nom ni l'histoire, ils n'avaient guère réagi, Elisabeth n'était qu'une nouvelle gardienne et deviendrait une nouvelle geôlière dont les pouvoirs grandiraient au fur et mesure qu'elle s'initierait aux mystères de la demeure et du lieu où elle était construite.

Lorsque Paul prit le bâton de marche posé contre le mur près de la porte, ils exultèrent tous, ils allaient enfin pouvoir sortir de cette bâtisse dans laquelle les sortilèges mis en place par l'aïeule d'Elisabeth et renforcés par Janis les avaient enfermés. Si un seul des objets ayant appartenu à l'un d'eux sortait de la maison, ils seraient libres et Paul tenait le bâton de l'oncle Pierre tandis qu'Elisabeth venait d'ouvrir la porte.

Ils emboitèrent le pas des deux vivants et les accompagnèrent dans leur promenade sortant ainsi de la maison pour la première fois depuis des années.

Enivrés par leur nouvelle liberté, ils ne se rendaient pas compte qu'ils risquaient d'être repérés.  Ils passaient souvent trop près des feuilles qui remuaient à leur passage, sensibles à la présence des spectres.

Arrivés à la source, ils entrèrent en transe, ils ressentaient la proximité du passage qui leur permettraient de trouver le repos éternel. Lorsque les deux amants commencèrent à s'embrasser, ils entamèrent une folle farandole à la tombée du soleil.

Tournant de plus en plus vite autour d'eux, ils les entrainèrent dans leur ronde. La nature d'Elisabeth permit aux spectres d'acquérir une certaine forme de matérialité qui autorisa un contact physique entre eux les deux amants. Emportés par l'ivresse de la danse, fantômes et humains se mélangèrent et s'unirent de manière de plus en plus intime jusqu'à l'épuisement de leur corps physique.

Reprenant plus rapidement conscience de la réalité que le jeune couple, les fantômes ramassèrent les vêtements éparpillés dans la clairière et soulevèrent les corps endormis d'Elisabeth et Paul pour les redescendre à la villa.

Ils les regardèrent dormir jusqu'à ce que les premiers rayons du soleil les rendirent à nouveau diaphanes.

-Cette Elisabeth est vraiment merveilleuse… soupira l'oncle Pierre.

Je t'interdis de t'approcher d'elle comme tu l'as fait avec sa grand-mère. Je vais la protéger. Lança Héloïse d'un ton qui ne laissait guère de doute sur ce qu'elle ferait subir à celui qui oserait blesser celle qu'elle considérait comme sa protégée.

L'oncle Pierre recula dans un coin du manoir et resta loin des autres qui continuaient à se demander ce qu'ils allaient faire de leur nouvelle liberté de déplacement.

Héloïse ne se posa la question bien longtemps et se fondit dans un ours en peluche qui était l'un des nombreux doudous d'Elisabeth enfant. Ainsi, elle veillerait sur elle. Les autres préféraient rester dans ces lieux qu'ils hantaient depuis des années voir des siècles pour certains et même l'oncle Pierre ne partit pas avec les deux jeunes gens alors qu'il pestait d'être retenu dans ce lieu.

A chaque nouvelle visite du couple, ceux qui étaient restés demandait à Héloïse de leur raconter ce qu'elle avait vu et comment vivaient les deux jeunes gens. Quand elle leur annonça que Paul reviendrait avec des collègues pour faire des fouilles autour de la source, ils furent inquiets de nouveaux étrangers allaient venir perturber leur tranquillité.

C'est ainsi qu'ils virent arriver ce soir-là les trois jeunes qui prirent rapidement possession des lieux. L'un des vieux fantômes sortit de l'espace où il restait reclus quand Laurence s'installa dans la chambre où il attendait la fin de l'éternité. Il sentit aussitôt que la jeune femme était particulière. Elle avait quelque chose que les autres humains ne possédaient pas, il ressentit le besoin de se matérialiser, non pas envie comme lors de leur danse autour de la source mais il était poussé par une force mystérieuse. Il la regardait se préparer pour dormir.

Quand elle fut endormie, l'esprit qui l'habitait devint plus puissant et l'excitation du spectre augmenta. Il reconnut cette puissance. La naïade de la source vivait dans le corps de cette humaine. Cette naïade dont il avait été le serviteur lorsqu'il était encore de chair et d'os mais elle était incomplète et surtout elle semblait souillée.

Elle servait la déesse de l'Amour pour offrir un amour pur et sincère aux amants qui venaient l'honorer. Chez cette femme endormie, il ne ressentait pas l'amour offert par sa maîtresse mais un amour perverti par un désir sexuel malsain.

Cette absence d'amour le gênait mais il se devait de lui rendre hommage comme il le faisait autrefois. Il tenta de se matérialiser pour le faire mais à part une lueur bleue qui illumina la pièce pendant quelques minutes, il ne réussit rien de plus. Il retourna dans les limbes, frustré de n'avoir encore pas pu honorer sa maîtresse. Il continuerait de rester dans cet espace entre la vie et la mort jusqu'à ce que son esprit disparaisse à tout jamais sans pouvoir se rejoindre l'esprit de la Création.

Il ressentait la baisse de l'intensité des sorts qui les maintenaient enfermés dans la demeure. Cela faisait si longtemps qu'aucune gardienne n'y avait vécu que les barrières tombaient peu à peu. Comme les autres, il était revenu ici pour ne pas terroriser les populations alentours. Seuls Léopold et Emiliette étaient restés de leur plein gré car depuis l'incendie tragique où ils avaient perdu la vie, ils avaient choisi de rester pour protéger la maison et ses habitants.

Bientôt son esprit désespéré par son erreur commise de son vivant serait libre. L'effroi et la crainte se répandraient dans le voisinage. Il pouvait sentir les esprits humains qui habitaient le village de l'autre côté des gorges. Les bébés et les enfants commençaient à faire des cauchemars la nuit. Il devait attendre encore un peu. Héloïse qui était encore puissante avait réussi à se fixer dans cette peluche qu'Elisabeth avait emportée et l'avait suivi. Pierre avait son esprit lié au bâton de marche et pouvait voyager avec lui s'il restait dans les limites du lieu sacré. Le dernier spectre encore plus ancien ne manifestait presque plus de volonté.

Léopold et Emiliette observaient l'agitation et l'excitation des jeunes gens. Eux aussi sentaient que les barrières qui les retenaient à l'intérieur de la maison étaient de plus en plus faibles. Ils avaient profité de l'extase commune lorsqu'ils avaient pu accompagner Elisabeth et Paul à la source. Si Pierre et Héloïse sortaient de la maison grâce aux objets auxquels ils étaient liés, eux ne voulaient pas s'en éloigner.

Ce soir-là, quand ils virent les images sculptées sur les parois de la grotte projetées sur l'écran, ils ne purent résister à l'envie de se manifester. Les sorts empêchant leur matérialisation devenaient de plus en plus faibles. Pour la première fois depuis des siècles, ils retrouvaient leur apparence humaine.

Aussitôt ils virent la stupéfaction sur les visages des trois jeunes gens mais quand Laurence de sa voix possédée par la déesse de la source leur demanda où était Pierre, ils prirent peur et s'évanouirent de nouveaux dans les limbes. Cette présence les effrayait. Qui était cette femme qui possédait la voix de commandement ?

Ils partirent chacun de leur côté, effrayés par cette personne qui parlait avec l'autorité de l'esprit de la source. Ils étaient étonnés car il n'avait plus la douceur et la compassion d'autrefois. Il était évident qu'il avait été corrompu par un esprit mauvais et pervers.

L'oncle Pierre savait ce qu'il en était. Lorsque sa tête avait percuté la pierre, son esprit avait été fragmenté.

La nymphe de la source avait senti le désarroi et la surprise de cet homme. Il ne s'attendait pas à être repoussé aussi violemment. Au moment de sa mort, son âme n'était pas prête. Les tensions entre le bon et le mauvais étaient telles que malgré sa faiblesse depuis que plus personne ne l'honorait, elle avait réussi à piéger la partie mauvaise dans un fragment de roche, libérant ce qui était bon en lui de l'emprise du mal pour qu'il puisse trouver le repos d'après vie.

Ce mal à l'état pur c'était presque incrusté dans l'âme de Laurence. Au fil des jours, les désirs les plus profonds qui avaient habités l'oncle Pierre prenaient vie en elle. Comme lui voulait de plaisir avec des jeunes filles, elle désirait trouver du plaisir avec Paul, peu importe ce qu'il en résulterait. Cependant, cet esprit incomplet n'avait pas encore la force de dominer la volonté de Laurence. Il ne pouvait que renforcer ses envies et profiter de ses moments de faiblesse.

Laurence ne voulait pas détruire le couple formé par Paul et Elisabeth, elle les enviait et elle était tombée amoureuse de Paul depuis leur première rencontre. Elle rêvait de lui toutes les nuits, l'esprit malin avait donc profité de ce désir pour le renforcer. Et ce soir là encore, elle ne put résister à l'envie de se retrouver avec Paul.

Au cours de cette nuit, l'entité qui la parasitait prit de l'assurance, plus elle restait dans la maison et proche de la source où cet esprit était né et plus Laurence risquait de ne plus pouvoir lui résister. Il lui soufflait le désir de séduire Thibault. Il profitait de son sommeil pour lui donner cette nouvelle envie.

A son réveil, elle avait du mal à comprendre ce qui lui arrivait. Certes elle jouait un jeu délicat avec son patron, mais pourquoi voulait-elle maintenant faire la même chose avec le jeune étudiant ? Elle sortit de la chambre pour préparer le café afin de penser à autre chose. Elle décida aussi de rester travailler dans la maison sur son ordinateur plutôt que de monter avec les garçons sonder les abords de la source au radar.

Les fantômes qui étaient restés discrets dans leur coin pendant la nuit s'approchèrent avec précaution de Laurence attablée face à son ordinateur. Ils se demandaient si elle était capable de sentir leur présence.

Le vieux fantôme qui avait presque oublié son existence humaine s'approcha d'elle. Il lui frôla le dos plusieurs fois sans qu'elle ne fit de mouvement. Elle eut juste un geste comme pour chasser une mouche. Il osa alors faire ce qu'il n'avait plus fait depuis qu'il était devenu un spectre. Il tendit ce qui aurait été ses mains vers la poitrine de la jeune femme qui aussitôt se leva de sa chaise. Elle fixa le milieu de la pièce et elle leur ordonna de se montrer.

Aucun des fantômes ne put résister à cette injonction. Elle les regarda les uns après les autres. Emiliette tremblante derrière Léopold qui lui se demandait pourquoi l'ordre était tombé aussi brutalement.

— Où est Pierre ?

Aucun d'eux ne pouvait répondre à cette question, ils ne l'avaient pas vu depuis plusieurs jours. Ils le suspectaient d'avoir renoué avec ses anciennes pratiques, il ne leur avait pas dit que son esprit avait été fragmenté.

Leur frayeur se manifestait par l'instabilité de leur avatar. La puissance de la voix les avait fait se matérialiser et aucun d'eux n'osait disparaître avant d'en avoir reçu l'autorisation. Ils ressentaient pourtant que Laurence n'avait pas la maîtrise pour les retenir, le plus vieux des fantômes, mort bien avant que les romains n'eurent envahis cette région, ne pouvait plus se retenir et disparus. En ne voyant pas Laurence réagir, les autres le suivirent.

Les jours se suivirent sans grands changement pour eux. Les jeunes gens avaient élargi le cadre de leurs explorations à l'ensemble du replat autour de la source. Les fantômes pouvaient entendre leurs exclamations de joies quand après avoir reconstitué le puzzle de leurs découvertes du jour, ils reconstituaient le plan du sanctuaire sur leur écran. La liaison entre Laurence et Paul devenait de plus en plus torride et Thibault faisait celui qui ne remarquait rien.

Il discutait tous les soirs avec son mystérieux ami.

Quelques jours plus tard, ce fut Léopold qui vit la Facel-Vega se garer devant le vieux manoir. Un homme d'un âge indéfinissable mais au visage qui ne semblait pas avoir plus de trente ans sortit de la voiture. Avec son catogan et sa lavallière, il semblait sortir d'un roman historique. Ses cuissardes de cuir ajoutaient une touche étrange à ce personnage.

Thibault sortit de la maison pour l'accueillir avec une longue accolade.

— Gérald ! Enfin ! Tu vas pouvoir nous éclairer de tes lumières…

— Je vais faire de mon mieux.

Il regarda lentement le manoir dans le soleil couchant puis la forêt derrière et les collines environnantes.

— Même si tu ne m'avais pas raconté ce que vous avez trouvé, ce lieu est chargé de magie…

Il vit alors Paul et Laurence qui sortaient à leur tour.

— Voici Paul et Laurence, mes directeurs de thèse…

Un épais silence enveloppa les quatre personnes. Gérald affronta sans sourciller le regard pénétrant de Laurence. Ce fut Paul qui détendit l'atmosphère en les invitant à rentrer pour dîner.

— Nous attendions ton arriver pour manger. Viens, nous serons mieux sur la terrasse autour d'un bon repas pour discuter.

Au cours du repas, il lui expliqua les circonstances de leur découverte et lui raconta les bizarreries qu'ils avaient rencontrées. Il n'omit pas de lui parler de ce voisin mystérieux qui apparaissait et disparaissait subitement. Gérald écoutait et posait quelques questions.

Ils lui montrèrent les images de la source et de la caverne et les reconstitutions qu'ils avaient pu faire. Gérald regardait. Cela lui rappelait des sites qu'il avait visités au cours de sa longue vie et de son combat contre son vieil ennemi, le comte Van Dyck.

Il percevait l'étrangeté du regard de Laurence, elle lui était incompréhensible, partagée entre haine et espoir. Quelque chose de très ancien vivait en elle, une chose bien plus âgée que la jeune femme. Autour de lui, l'air était chargé de mystère. Thibault n'avait pas exagéré, des fantômes vivaient dans cette maison.

— Nous irons jeter un œil sur cette source et cette grotte demain. C'est toujours mieux de voir ces lieux en réalité que sur des photos. On y découvre souvent des choses cachées.

— Et pour les fantômes ? Tu me crois ?

— Oui je crois, d'ailleurs je n'ai jamais remis en doute tes dire. Et il suffit de regarder la décoration de cette maison pour se rendre compte que sa propriétaire y croyait aussi et elle avait mis toutes les chances de son côté pour s'en protéger.

Les fantômes écoutaient avec inquiétude ce nouvel arrivant. Il en émanait une sorte de force qu'ils n'avaient encore jamais rencontrée. Il ne ressemblait pas la vieille Janis qui avait occupé la maison pendant des années et encore moins à la jeune Elisabeth. Il était beaucoup plus puissant qu'elles.

Emiliette se tourna ver Léopold.

— Tu crois qu'il va nous libérer de cette prison et nous permettre de trouver le repos que nous aurions dû avoir après notre mort ?

— Je ne sais pas mais il semble bienveillant, peut-être pourra-t-il aussi libérer Pierre…

Ils suivirent Gérald jusqu'à sa chambre et le regardèrent s'allonger sur le lit. Celui-ci avait senti la présence des spectres et il ferma les yeux pour se mettre en conditions afin de pouvoir entrer en contact avec eux sans utiliser la voix de commandement. Il se détendait, il savait que plus il serait détendu et plus les fantômes seraient prêts à entrer en contact avec lui. Il ne voulait pas les effrayer mais leur parler. Il devait savoir qui ils étaient et depuis quand ils erraient dans cette maison. Il tenta une approche qu'il avait mené avec succès il y a très longtemps dans un vieux manoir écossais. Il se visualisa son âme dans le monde éthéré. Il se plaça en lévitation au-dessus du lit et il attendit. Emiliette se rapprocha lentement.

Les deux auras à peine visible dans l'obscurité de la chambre se frôlèrent puis elles entrèrent en contact.

— Qui êtes-vous ? demanda Emiliette.

— Je viens pour vous aider, je ne vais pas vous faire de mal. Expliquez-moi ce que vous faites dans cette maison.

— Dites-nous qui vous êtes d'abord, vous n'êtes pas comme les autres…

Léopold apparut alors dans le champ de perception de Gérald. Il comprit aussitôt que ces deux être étaient liés.

— Vous avez raison, je suis un homme un peu particulier et effectivement à la différence des autres, je connais le monde dans lequel vous évoluez. Je sais aussi que cette maison se trouve à la limite entre le monde des hommes et le monde des dieux. Vous le savez, vous aussi. Mais vous dire exactement ce que je suis, je ne le sais pas moi-même. Je suis celui que je suis à cause d'une femme que j'ai aimée et qui ne savais pas qu'en m'aimant elle allait me faire devenir la créature que je suis. Je suis un peu comme vous en quelque sorte, entre deux mondes… Mais si vous me parliez de vous !

Ce fut Léopold qui prit la parole. Il commença par lui raconter leur histoire. Au moment de la Révolution Française, Emiliette et lui venait de se marier. Elle venait d'hériter du manoir et des terres environnantes. Tout allait bien et ils avaient eu la chance d'avoir leurs récoltes protégées des intempéries par le relief. Quand le roi convoqua les Etats Généraux, Léopold qui avait été désignés pour être un député de la noblesse de la région ne put se rendre à Versailles. Il venait de se casser une jambe et la blessure ne se remettait pas bien. Il était donc resté au manoir avec sa femme et leur petite fille qui venait de naître. Les événements de Paris ne les concernaient pas vraiment. Mais quand la Terreur a commencé, des gens venus de la ville ont commencé à faire la chasse aux noble dans les environs. Les villageois ont tenté de les protéger mais un soir, un groupe d'individus vint mettre le feu au manoir. Une paysanne réussit à emporter leur petite fille hors du brasier mais eux suffoquèrent à cause des fumées.

Ce fut au moment de leur mort, qu'ils virent apparaître un esprit qui leur barra le passage vers le monde des morts et qu'ils furent obligés de rester sur place avec trois autre spectres. La jeune Héloïse qui a accompagné Elisabeth et les deux fantômes sans âges qui ont même oublié leur nom. Bloqués dans cet espace intermédiaire entre le monde des vivants et le monde de morts, ils ont décidés de protéger les habitants du manoir du monde extérieur avec l'aide des trois autres.

Ce fut à cette époque que Héloïse décida de protéger les héritières du manoir du danger que pouvait représenter certains hommes. Elle était morte à la suite d'un viol collectif lors d'une révolte paysanne bien avant la Révolution et elle aussi errait sans but depuis sa mort. Quant au deux autres esprits, nul ne savait depuis quand ils étaient morts. Ils apprirent à Gérald que depuis quelques générations, elle tentait de détourner les femmes de la famille des hommes.

Pendant de longues années, ils ont fait fuir les téméraires qui osaient s'approcher du lieu. Les femmes héritières du domaine ne venait plus y passer que quelques semaines par ans quand la chaleur de l'été devenait intenable en ville. Elles venaient profiter de la fraîcheur du vallon avec leur famille et laissaient la maison inhabité l'hiver. Lors d'un été particulièrement torride de l'entre-deux guerres, l'oncle Pierre était venu lui aussi profiter du lieu. Il partit en promenade, à la chasse comme il disait. Mais ce n'était pas des lièvres ou des perdrix qu'il chassait. Il ne revint jamais, enfin son corps car ils virent surgir son esprit de nulle part alors que sa famille le cherchait partout dans les collines.

Gérald écoutait ce récit avec attention et il commençait à comprendre comment il pourrait délivrer ces spectres de cette malédiction. Il devrait aussi contacter ce Pierre car il lui semblait de plus en plus évident que Laurence était sous l'emprise d'un spectre.

Il lui faudrait aussi rencontrer cette Elisabeth, car cette Héloïse pourrait pervertir son esprit.

— Comment Pierre et Héloïse ont-ils pu sortir du manoir ? Cette Janis a pourtant complètement entouré la demeure avec de nombreux sortilèges…

— Oui nous ne savons pas comment elle les a appris ni où ? Mais ils sont très puissants et il y avait plusieurs barrières…

— Oui je les ai senties.

— Tout a commencé quand Elisabeth et Paul sont venus pour la première fois il y a quelques mois. Paul a pris le bâton de marche qui retenait l'esprit de Pierre prisonnier dans le domaine et l'a emmené à la source… Nous avons pu les suivre et nous avons dansé là-haut ce qui nous a redonné de l'énergie et de la puissance…

— Comment une danse a-t-elle pu vous revivifier ?

— Le vieux fantôme était un serviteur du sanctuaire, il a pris la naïade de la source…

Gérald était stupéfait. C'était la première fois depuis qu'il connaissait l'existence des plans alternatifs qu'il tombait sur une de ces très anciennes créatures créées par la Déesse Créatrice. Une entité endormie mais encore active.

— Je comprends en honorant sa déesse, il lui a redonné de la vigueur et elle vous a aussi renforcés.

— Oui nous pouvions nous matérialiser, interagir avec les vivants directement sans avoir recours à des artifices comme les courants d'air…

— Et pour Héloïse ?

— Elle s'est servi d'une peluche d'Elisabeth…

— Et vous ? Pourquoi êtes-vous restés ?

— Car nous sommes les esprits protecteurs de la maison...

 


 

Un Portail

 

Le lendemain, ils montèrent tous à la source. Gérald était attentif à la nature qui l'entourait. Il remarqua rapidement que le sentier qu'ils empruntaient était bordé par des bornes que l'érosion avait rendue semblable à des rochers. Son œil aiguisé avait repéré qu'ils n'étaient pas comme les pierres de la région. Autour du sanctuaire, ils trouvèrent d'autres rochers similaires formant un pentagramme dont la source était le centre.

— C'est la première fois que je vois ce genre de structure.

— Je comprends que cela vous trouble Paul, mais ce motif est bien plus fréquent qu'on ne l'imagine… Mais les religions modernes ont souvent réutilisé ces blocs pour les insérer dans leurs sanctuaires quand ce ne sont pas les habitants qui les ont prises pour leurs habitations. Nous sommes en présence d'un site qui n'a jamais été récupéré par les cultes qui se sont succédés depuis la conquête romaine. Et je pense que vous pourriez avoir une surprise…

— Comment cela ?

— Il est dommage que nous ne soyons que quatre. Pour le rituel que je me propose de faire il faudrait que nous soyons six, un à chaque point de la figure et un au centre. C'est à dire au niveau de la source.

— Nous pourrions être ces personnes, dirent alors Léopold et Emiliette qui venaient de surgir du néant.

— Comment êtes-vous arrivés jusqu'ici ?

— Comme nous vous l'avons dit hier soir, les barrières qui nous enferment sont de plus en plus poreuses. Il nous est d'ailleurs de plus en plus facile de sortir…

Gérald réfléchir un instant avant de leur répondre.

— Je ne sais pas si cela marchera, je ne l'ai jamais fait avec des non-humains.

— Nos esprits sont humains même si nous n'avons plus de corps…

— Nous essayerons, peut-être plus tard, mais… pour le moment, je voudrais en savoir plus.

Ils prirent alors la voie pavée qui menait à la grotte. Les sens de Gérald aux aguets cherchaient à capter toutes les modifications des flux énergétiques qui parcouraient cet antique sanctuaire.

Il savait que le don qu'il avait reçu en se mariant avec sa bien-aimée était extraordinaire, mais il était conscient qu'il n'avait pas la puissance d'un initié et encore moins celle d'un appelé. Il ne portait pas le Sang Sacré qui lui aurait permis de mettre en action les artefacts présents et il n'avait pas la capacité de traverser le portail qui se dressait devant eux.

Il examine en détail le médaillon gravé d'un cygne sur la paroi au fond de la grotte. Cette salle souterraine avait été taillée dans la falaise, les siècles d'abandons avaient rendu ses parois irrégulières mais on devinait encore bien les bas-reliefs sculptés tout autour.

Il fit remarquer à ses compagnons les contours à peine visibles de Cerbère qui surmontaient le porche d'entrée de la grotte.

— Comment un tel site a-t-il pu rester aussi longtemps ignoré du monde ?

Paul et Laurence, mains dans la main étaient tout aussi dubitatifs que Gérald. Thibault prenait autant de photos que possible.

— Nous aurons du mal à empêcher les curieux de venir quand nous aurons publié nos résultats. Je ne sais pas comment Elisabeth et sa mère prendront la chose…

— Je ne sais pas si vous devez révéler tout cela…

— Je vais devoir justifier les dépenses et l'emprunt du matériel…

— Ne parler que de la pierre gravée de la source. Cela occupera vos collègues assez longtemps et elle n'est pas assez spectaculaire pour attirer l'attention des touristes.

Paul devait reconnaître qu'il n'avait pas tort. La découverte d'une pierre aussi ancienne couverte de caractères runiques dans le sud de l'Europe était déjà une bien belle découverte.

Gérald frotta le sol devant le cygne et il mit à jour des lignes creusées dans le sol. Ils mirent tous à frotter doucement avec leur main et un pentacle apparut sous leur œil.

— C'est le même que celui qui est dessiné avec les pierres autour de la source, murmura Thibault soudain pris de crainte.

— Oui ! dit Gérald, mais celui-ci, si je ne me trompe ouvre un portail vers une autre dimension.

Laurence réagit alors, elle se souvenait de la vision qu'elle avait eu quelques jours plus tôt.

— La porte des enfers ! C'est la porte des enfers. C'est ici que les pèlerins venaient après avoir honoré la déesse de l'Amour dans le sanctuaire. C'est ce que j'ai vu… Les gens passaient sous le porche et disparaissaient dans la grotte… Je les ai vu.

— Tu as eu une vision, une hallucination ! Rétorqua Thibault. Tu les as vu entrer dans ta vision, ce n'était pas forcément la réalité.

— Je suis certaine que cette vision me montrait la réalité, j'avais vraiment l'impression d'être présente…

— Jeune homme, pourquoi refusez-vous de croire ce que vous raconte cette jeune femme.

Ils ont tous sursauté en entendant la voix du vieux voisin se manifester derrière eux. Une nouvelle fois, il avait surgi de nulle part, il fixait Gérald

— Je vous ai entendu parler tout à l'heure… J'ai entendu ce que vous disiez… Je vous mets en garde. Ne tentez pas de faire ce que vous projeter et encore moins avec les spectres… Vous risqueriez d'ouvrir la porte à quelque chose qui vous dépasse…

Gérald le fixa et il reconnut en cet homme un être venu d'un autre plan. Il se retint de s'exclamer devant les autres. Au vu de son aspect, même si les fées savaient donner l'illusion d'être plus jeune qu'ils ne sont en réalités, cet homme devait avoir plusieurs millénaires. Surement une de première fées à avoir vécu dans son monde.

— Que voulez-vous dire ? Je ne veux rien réveiller et encore moins faire entrer un monstre ou un démon dans ce monde. D'ailleurs je n'en suis pas capable. Je cherche juste à permettre aux fantômes de trouver le repos.

— Raison de plus pour ne pas mener votre projet à bien avec des fantômes. Comment stabiliserez-vous le passage s'il vous manque deux piliers.

— Il se refermera de lui-même, il s'effondrera !

— C'est ce que vous croyez et c'est ce qu'il pourrait se passer effectivement. Mais il se refermera brutalement sur deux côtés… Que risque-t-il de se produire s'il se referme mal ? Pensez-y !

L'homme se recula et disparut dans l'obscurité de la caverne. Les jeunes gens se regardaient surpris. Ils se tournèrent tous vers Gérald, le regard plein de questions.

— Explique-nous Gérald ! De quoi parlait-il ?

— Rentrons, je vous expliquerai cela pendant le déjeuner. Ici, je ne sais qui pourrait nous entendre !

— Il n'a que nous ! S'exclama Paul.

— Physiquement oui ! Mais s'il y a les fantômes que nous connaissons, il peut aussi y avoir d'autres créatures dont nous ignorons l'existence. Cette grotte, ce sanctuaire sont des lieux où la magie est puissante.

Ils prirent donc le chemin de la maison et il se retrouvèrent sur la terrasse autour un verre de rosé à la main en attendant que les grillades fussent prêtes sur le barbecue.

Gérald leur expliqua alors ce qu'il avait compris depuis qu'il était arrivé. Il leur raconta sa discussion avec les fantômes, les recherches qu'il avait faites depuis des années sur les portails inter-dimensionnels et comment il en avait parlé avec Thibault.

— Ces passages sont tous situés auprès de sanctuaires tels que celui-ci, ce sont des endroits ou la membrane entre les mondes est extrêmement ténue.

La fraction rationnelle de Laurence n'arrivait pas à interpréter et à accepter le discours de Gérald.

— Ce sont des élucubrations dignes d'un manipulateur qui veut faire croire à ses auditeurs que la magie existe…

— Tu as vu comme moi les fantômes… Tu sens bien que tu n'es pas dans ton état normal…

— La magie existe, les fées existent, les dieux existent… Ils ne ressemblent pas à ce que les romans ou le cinéma nous montrent mais croyez-moi, il existe des mondes parallèles au nôtre dans lesquels ces créatures vivent…

Il voyait la moue dubitative de Laurence qui essayait de lutter contre l'esprit maléfique qui vivait en elle.

— D'ailleurs cela va faire plus de deux semaines que vous les côtoyez…

Ils ne purent que reconnaître la véracité de ces paroles. Assis autour de la table, Gérald leur dit donc ce qu'il envisageait de faire à la source.

— Les fantômes ont été piégés ici par la naïade qui vit dans la source. Je compte l'invoquer pour qu'elle les libère et leur permette de partir dans le monde des morts…

— Pourquoi les a-t-elle retenus ?

— Je l'ignore, surtout qu'il semble avoir tous des profils différents. Mais ce qui est certains c'est que le plus vieux des fantômes fut un des serviteurs ou un serviteur du temple. Pour les autres je ne sais pas.... Mais il semble qu'ils sont tous morts de mort brutale.

— Comment compte tu l'invoquer et que se passera-t-il ensuite ?

— C'est un simple rituel d'appel, il ne requiert que peu de choses, à part d'être six. Comme le soulignait le voisin, si nous ne sommes pas assez nombreux, le portail pourrait ne pas bien se refermer ou pire s'ouvrir complètement au cours de l'invocation et je ne sais pas quelle force je libérerai alors…

— Tu nous as parlé d'une naïade, dans mon souvenir les naïades ne sont pas méchantes…

— Oublie ce que tu as appris dans les livres… Chaque créature magique est différente. On ne peut connaître les desseins d'un tel être que lorsque nous sommes en contact avec lui.

— Que faire alors ? Demanda Paul. Et pourquoi risquer cela ? Les fantômes sont là depuis des siècles.

— Oui ! Mais en venant avec Elisabeth, vous avez sans le vouloir modifier l'équilibre qui existait sur ce domaine. Depuis ces dernières semaines, cette maison qui était comme une prison pour les fantômes s'est ouverte. Ces spectres qui étaient enfermés, sont maintenant libres de partir ou ils le veulent.

— En quoi est-ce un problème ? Les deux fantômes avec qui nous avons communiqué ne semblent pas méchants. Nous pouvons partager la maison avec eux.

— Ces deux-là, oui ! Ils ne semblent pas méchants, mais que savons-nous des deux fantômes sans noms et de celle qui est avec ta fiancée…

A ces mots, Paul baissa la tête. La liaison qu'il entretenait avec Laurence devenait de plus en plus forte. Il ne savait pas comment il réagirait en retrouvant Elisabeth.

Gérald regarda Laurence.

— Et toi ? Tu es aussi une victime de ces fantômes, je le sais. Je peux t'aider mais il faut que tu me fasses confiance…

— Je ne vois pas de quoi tu veux parler…

Le mal qui l'habitait devenait de plus en plus puissant et il se renforçait au fur et à mesure que Paul cédait aux charmes de sa collègue. Laurence cédait de plus en plus de terrain.

— Si, tu le sais, mais ici je ne peux rien faire. Si la Laurence véritable veut que je l'aide, il faut qu'elle accepte de me suivre.

Thibault interroge son ami intrigué, il ne comprenait pas que celui-ci les quitta, à peine arrivé. Gérald leur expliqua qu'il ne pouvait rien faire pour le moment. Il n'était pas assez nombreux et il devait aller demander des conseils à des amis qui maîtrisaient bien mieux que lui l'art de la magie.

Un peu plus tard, il s'apprêtait à monter dans sa voiture pour rentrer chez lui. Il prenait son temps, il attendait de voir si Laurence allait le rejoindre où s'il partait seul.

Après leur discussion, elle était montée dans sa chambre et elle réfléchissait. Elle tentait de repousser l'esprit mauvais qui était en train de prendre le dessus. Elle réalisait qu'elle était en train de détruire Paul et elle avait d'être détruite à son tour. Quand elle vit que Gérald leva les yeux vers sa chambre, sa résolution fut prise. Elle rassembla en catastrophe ses affaires dans sa valise et dévala l'escalier quatre à quatre.

Gerald lui ouvrit la portière de sa voiture. Elle ne se retourna pas pour dire au revoir à ses collègues de peur que sa résolution la quitta.

Paul et Thibault regardèrent la Facel Vega s'éloigner en soulevant un peu de poussière.

Libéré de l'influence de l'esprit maléfique Paul fixa son jeune étudiant et s'effondra en sanglots.

— Qu'ai-je fait ? Comment vais-je pouvoir dire cela à Elisabeth ?

— Écoute ! Ce n'était pas de ta faute. Tu n'avais pas toute ta lucidité…

Depuis le manoir, les fantômes auraient poussé un soupir de soulagement, s'ils l'avaient pu, en voyant Laurence et sa part de malignité partir. Gérald n'avait pas relevé toutes les barrières mais il avait placé un sort de maintien qui, s'il leur permettait de quitter la maison, les empêchait de s'en éloigner de trop. Impossible d'aller hanter les fermes environnantes.


 

Tièdes Retrouvailles

 

De retour à leur bureau, Paul et Thibault analysaient l'ensemble des données qu'ils avaient recueillies autour de la source et dans la caverne. Ils recoupaient ces éléments avec les découvertes faites par d'autres de par le monde, bien avant. Thibault avait programmé leurs machines et peu à peu, il voyait apparaître un réseau de portail qui quadrillait la planète. Son algorithme recherchait parmi les contes et légendes tout ce qui pouvait se rapporter à des passages vers d'autres mondes. Si la forêt de Brocéliande ou le lac d'Avalon semblaient des positions évidentes, beaucoup d'autres étaient bien plus délicates à situer.

De son côté Paul travaillait sur l'interprétation des glyphes trouvées sur les pierres et dans la caverne. Il était partagé par des sentiments.

L'avion d'Elisabeth devait se poser dans la soirée. Il ne savait pas de quelle manière il allait pouvoir l'accueillir. De son côté, lors de ces derniers jours, elle lui avait donné très peu de nouvelles. Il savait juste qu'elle passait de bons moments avec cette Daïreen et qu'elle avait fait des découvertes intéressantes dans les carnets de Janis.

 

Je cale un peu pour leurs retrouvailles à l'aéroport entre Paul plein de remords et Elisabeth toujours influencer par Héloïse qui l'a poussé dans les bras de la jeune irlandaise…

De plus, elle est attirée toujours sous l'influence du fantôme par son ancienne copine, hôtesse de l'air

 

Cela faisait maintenant plusieurs semaines qu'Elisabeth était rentrée d'Irlande. Elle avait été choqué d'apprendre que Paul l'avait trompée avec Laurence.

Elle était consciente qu'il n'en était pas totalement responsable mais elle pensait qu'il aurait pu la repousser.

— Ma chérie ! C'est un garçon très bien. Cela fait presque dix ans que vous êtes ensemble et tu le connais mieux que personne. Je te rappelle aussi qu'En allant dans le manoir et en déplaçant divers objets, vous avez mis en branle des forces qui vous dépassent.

— Je le sais maman, mais je ne peux pas m'empêcher de lui en vouloir… En fait, non ! C'est de ma propre faiblesse dont je l'accuse.

Natacha regarda sa fille étonnée.

— De quelle faiblesse veux-tu parler ?

Elisabeth en larmes raconta à sa mère son aventure avec Daïreen et la liaison qu'elle venait de commencer avec Virginie.

— Je ne te reconnais pas là, ma fille ! Ce n'est pas toi ! Et tu n'as rien dit à Paul ?

— Non ! Je n'en ai pas eu le courage…

— Je vais aller lui parler. Je vais lui raconter ce que tu m'as dit et je vais essayer lui faire comprendre que ni l'un ni l'autre n'êtes responsables de ce qui vous arrive.

— Merci maman…

— Mais je veux que tu me racontes tout ce dont tu te souviens depuis que vous êtes allés au vieux manoir.

— Oui je vais essayer.

Ce fut ainsi que les deux femmes passèrent toute leur après-midi à parler. Elisabeth tentait de décrire tous les gestes qu'ils avaient fait, le ménage, les promenades, le tri sans oublier cette danse dans la source ni les rêves étranges qui la hantaient la nuit quand elle était là-bas. Natacha fronçait les sourcils à l'évocation de certains détails.

Elle lui demanda de lui montrait le vieux doudou qu'elle avait ramené avec elle.

Elisabeth alla chercher l'ours en peluche tout râpé dans sa chambre et le montra à sa mère. Natacha l'examina sous toutes les coutures sans remarquer quoique ce soit d'anormal. Elle sortit alors une petite carte de visite de son sac à main et appela le numéro.

— Madame Rose ?

Elisabeth ne pouvait pas entendre ce que disait la correspondante de sa mère mais elle comprit qu'elle passerait à la maison rapidement pour voir cette peluche.

— Ma fille, je pense qu'une partie de ce qui t'arrive est dû à ce doudou. Mais je n'arrive pas à savoir ce qu'il en est exactement…

— Mais qui est cette Madame Rose ?

— Tu te souviens de la carte que nous avions trouvée dans cette boutique de produits de bien-être… Eh bien ! C'est une médium, voyante, sorcière, enfin comme tu voudras… Mais je pense que c'est la seule qui pourra nous aider.

— Je l'espère…

Elisabeth restait songeuse. Certes, elle déplorait que l'amour qui l'unissait à Paul tomba en déliquescence. Depuis toutes ces années, une véritable complicité s'était créée entre eux et en décidant de se marier quelques semaines avant la visite à la maison de tante Janis, ils arrivaient au point d'accomplissement de leur amour.

Ni Paul, ni elle n'avait envisagé que la redécouverte de cette demeure put entrainer de telles changement. Elle avait toujours pensé que sa grande tante et sa mère lui cachait des choses, mais ce qu'elle avait découvert dans les carnets trouves dans la malle dépassait l'entendement.

Ces deux femmes l'avaient protégée et elle leur en était reconnaissante. Maintenant, c'était à son tour de prendre la relève. Héritière de la demeure, elle devenait la protectrice du domaine et de la porte. Elle avait compris pourquoi ses aïeules n'avaient eu que des filles, elle savait que ses enfants seraient des filles.

Elle regrettait de ne pas avoir pu partager ses connaissances avec Paul, mais quand il lui avait avoué son infidélité, elle n'avait pas pu résister à l'envie de prendre sa valise et de claquer la porte.

Cela faisait maintenant presque un mois qu'elle était rentrée et presqu'autant de temps qu'elle et Paul s'étaient séparés. Elle passait de temps à autre la soirée avec Virginie mais son cœur saignait. Ses doigts la démangeaient de laisser un message à son fiancé pour prendre de ses nouvelles mais elle ne savait pas comment formuler ses mots. L'initiative de sa mère porterait peut-être ses fruits. Elle ne pouvait qu'attendre.

Préparatifs

 

Madame Rose tenait la peluche dans ses mains. Natacha regardait la pièce qui servait de bureau à cette femme qui irradiait une puissance et une énergie surnaturelle. Elle avait reconnu en sa cliente une initiée aux mystères de la Déesse et elle se demandait pourquoi cette femme dont les pouvoirs dépassaient les siens avait besoin de son aide.

L'ours en peluche semblait extérieurement tout à fait normal, il avait servi de doudou et cela se voyait. Une bouche d'enfant avait longuement tété un de ses bras tandis que les coutures étaient sur le point de craquer.

Mais malgré son apparente banalité, dès qu'elle l'avait eu en main, madame Rose avait ressenti la présence d'Héloïse. Si le spectre n'était pas présent, le lien qui le rattachait à l'objet était puissant.

— Où avez-vous eu cette peluche ?

— C'était le doudou de ma fille, il est resté longtemps dans notre maison de famille à la campagne…

— Pourquoi venir me voir maintenant ?

— Je pense que vous pouvez m'aider à comprendre ce qui a transformé ma fille…

Natacha commença à raconter les modifications du comportement de sa fille depuis qu'elle avait décidé de reprendre ce doudou oublié avec elle. Elle lui expliqua comment Elisabeth avait rompu avec Paul et sa nouvelle relation avec cette ancienne copine de lycée.

Madame Rose écoutait en réfléchissant à ce qu'elle pouvait faire. Plus elle touchait la peluche et plus elle comprenait que la magie dont elle était imprégnée était puissante.

— C'est une magie très ancienne et très élémentaire qui est à l'œuvre… Une magie oubliée depuis des siècles…

— Je le sais… mais justement comment la neutraliser ?

— C'est compliqué ! Vous savez pour neutraliser un sort, il faut bien connaître la personne qui l'a préparé. Ce sort semble très ancien, tellement ancien qu'il semble avoir été lancé par une entité élémentaire et non par un ensorceleur.

— Je ne comprends pas, je suis certaine que cet ours en peluche n'était pas ensorcelé lorsque ma fille était petite… Ou alors…

— Ou alors… quoi ? questionna Madame Rose devant l'air pensif de Natacha.

— C'est ma tante qui l'avait offert à Elisabeth quelques jours après sa naissance. Je ne le trouvais pas très beau mais elle m'avait dit à ce moment. “Ce qui est important, ce n'est pas sa beauté mais le pouvoir qu'il recèle…” J'avais qu'elle parlait de la capacité qu'avait ce doudou à calmer mon bébé quand elle commençait à avoir ses angoisses… Et, cela à durer jusqu'à son entrée au lycée…

— Et si vous me parliez de cette tante, que je puisse la connaître… Cela m'aidera beaucoup.

Natacha lui parla donc de tante Janis. Elle lui décrivit son apparente excentricité et surtout son goût des voyages qui l'avait conduite de Lhassa à Nazca en passant par Abers Rock, le désert du Nouveau Mexique où les Montagnes de la Lune.

Elle lui dit comment elle avait amassé des connaissances ésotériques considérables. La maison était devenue un véritable musée rassemblant des objets de pouvoirs venant d'un peu partout. Chaque objet avait une place et une fonction bien précise afin de protéger les habitants du manoir des forces occultes.

— Je pense que je devrais me rendre dans cette maison. Je comprendrais sûrement mieux la situation.

— Oui, bien sûr ! Tout ce que vous voudrez pour que ma fille retrouve son bienêtre et sa sérénité.

— Puis je garder ce doudou ?

— Oui je pense qu'Elisabeth ne m'en voudra pas. A son âge, elle a trouvé un autre doudou pour calmer ses craintes et dormir…

Madame Rose sourit et les deux femmes se quittèrent en se promettant de se tenir informées pour la visite au manoir.

 

Gérald avait emmené Laurence au château montagnard tenu par Günter, une de ses vieilles connaissances. Il avait rassuré la jeune femme en lui disant qu'il avait toute confiance en son ami qui saurait prendre soin d'elle et l'aider à surmonter et vaincre l'entité qui la possédait. Pendant tout le voyage, elle était restée plus ou moins prostrée et silencieuse sur son siège. Plusieurs fois, il avait eu peur qu'elle ne chercha à partir en sautant de la voiture. Malgré la fatigue, il fit le trajet sans faire la moindre pause.

La tentation aurait été trop forte pour la jeune femme de renoncer. Il ne connaissait pas la puissance de la chose qui l'habitait et il ne voulait pas prendre de risque.

— Nous sommes arrivés. Ici, tu ne risques rien. Je reviendrai te chercher quand je saurais comment te libérer.

Il partagea une longue embrassade avec Günter tandis que Laurence sortait de la voiture. Cette voiture avait du charme mais son confort ne valait pas celui des berlines modernes et elle avait mal au dos et surtout une furieuse envie de soulager sa vessie. Gérald avait systématique refuser de répondre à ses demandes de pause. Ce fut avec une colère non dissimulée qu'elle demanda à l'ami de Gérald où se trouvait les toilettes pour s'y précipiter, laissant les deux hommes dans la cour à leurs retrouvailles.

— Bonjour Madame, puis je vous aider ? lui dit une femme d'un âge indéterminée quand elle fut entrée dans le hall.

— Où sont les toilettes ?...

— A gauche derrière l'escalier qui est devant vous…

Trouvant les lieux sans difficulté, Laurence où plutôt le mal qui la possédait se mit à réfléchir. Elle avait à peine vu le château mais sa taille imposante lui faciliterait les choses pour sa fuite. Elle avait remarqué que la petite route qui y menait partait depuis un petit village dans la vallée. Il ne lui serait pas difficile une fois dans le village de trouver un bus ou un train pour rentrer chez elle.

En sortant des toilettes, elle continua dans le couloir qui donnait sur l'arrière du bâtiment et sortit par une petite porte de service. Elle avait pris son sac à main et tant pis pour sa valise qui se trouvait dans la voiture, ce n'était pas les vêtements qu'elle contenait qui lui manqueraient.

Elle traversa rapidement l'espace entre le château et le petit bois qui couvrait la pente entre le manoir et le village. Elle se retourna et il lui sembla apercevoir la femme qui lui avait indiqué la direction des toilettes derrière une fenêtre, souriante. De rage, elle lui montra son poing et elle descendit dans le chemin qui tournait dans le sous-bois. Au bout de quelques minutes de marche, elle aperçut enfin la lisière de la forêt et elle accéléra en imaginant déjà les premières maisons et sa liberté.

Elle s'arrêta aussitôt quand elle vit qu'elle se trouvait face à l'entrée principale du château. Gérald et Günter lui sourirent et ils l'invitèrent à revenir vers eux. Elle tourna les talons pour repartir sous les arbres en les maudissant.

A chaque fois qu'elle émergeait dans l'espace dégagé, elle se retrouvait à l'entrée du manoir.

Après plusieurs tentatives, elle dut se résigner à venir vers les deux hommes. Gérald lui tendit la main avec affabilité.

— Je me doutais que la possédée en toi tenterait ce genre de chose. Günter a juste perturbé ta perception de la réalité pour que tu reviennes automatiquement vers cette cour…

— Mais je veux partir, je ne veux plus de votre aide… Je veux rentrer chez moi…

— Qui veut rentrer ? Laurence ou le démon ?

La voix de la femme du manoir retentit dans la cour. Elle obligea Laurence à baisser la tête. Cette voix de commandement que Laurence avait prise pour tenter d'imposer son autorité au fantômes dans la maison de tante Janis, cette femme la prenait avec elle.

— Nous allons voir avec Gérald ce que nous pouvons faire pour vous libérer de cette emprise. Tant que nous n'aurons pas pris de décision, vous restez avec nous… Vous pourrez vous promenez partout dans le château et dans le parc mais vous ne pourrez pas vous éloigner plus loin que vous n'avez été aujourd'hui.

Laurence tremblait. L'entité qui la possédait s'était recroquevillée dans un coin de son esprit et la véritable Laurence reprenait le contrôle de sa volonté.

— Merci ! lui dit-elle en larmes. Aidez-moi ! Je n'en peux plus.

— Je le comprends ma chère, dit la femme, Gérald vous a conduit ici pour cela. Günter va vous montrer votre chambre et dès le retour de Gérald, nous aviserons.

Épuisé par les longues heures de routes, Gérald se coucha tôt avant de repartir le lendemain pour rencontrer Sylvie et Arthur. Il y avait longtemps de cela, ce fut avec eux qu'il découvrit la réalité du monde dans lequel ils vivaient et sa nature. Ce serait avec eux qu'il pourrait définir le meilleur moyen de rompre les sortilèges qui entouraient le manoir, de libérer les fantômes et surtout Laurence du charme dans lequel elle se trouvait piégée. Il voulait aussi connaître l'état d'avancement des travaux de Paul et Thibault.

 


 

Libération

 

Quelques semaines plus tard, le message de Natacha auprès de Paul était bien passé. Elisabeth avait été convaincue d'accepter la présence de Laurence. Elle comprenait que le désir de cette femme pour son fiancé avait été exacerbé par les fantômes.

Ils se retrouvèrent donc tous en cette veille de Samaïn ou de Toussaint dans le manoir de Tante Janis. Madame Rose était stupéfaite par ce qu'elle y découvrait. Malgré sa jeunesse africaine au milieu des grigris et autres talisman, elle n'en croyait pas ses yeux.

Elle avait tout de suite reconnu en Gérald, un homme particulier. Elle savait que son apparente jeunesse était due à un terrible sacrifice. Mais elle reconnaissait en lui un homme de pouvoir.

Parmi eux seuls Paul et Thibault ne possédaient aucune particularité surnaturelle. Elisabeth comme sa mère était consciente de leur différence sans en comprendre la nature, Laurence était possédée par la partie maléfique de l'esprit de l'oncle Pierre. Il y avait aussi les fantômes qui les entouraient sans oser se manifester. Ils ressentaient la présence de toutes ces pouvoirs dans le manoir.

Tous étaient réunis dans le grand salon autour de la cheminée où ils avaient allumé un feu pour couper le froid lié au premières gelées de l'automne.

— Dès que nous serons prêts, nous monterons à la source pour préparer le rituel que je vais devoir accomplir.

Un silence de plomb tomba alors sur la pièce. Même les quelques oiseaux qui chantaient encore en cette période de l'année ne se faisaient plus entendre. Laurence ne ressentait pas le mouvement des spectres autours d'eux. Ils attendaient tous les paroles que Gérald allait prononcer.

— Comme vous le savez tous maintenant, cette demeure, la source et la caverne sont un point de passage entre notre monde et un des plans du sur-monde. Natacha et Elisabeth, vous êtes les descendantes directes des grandes prêtresses qui étaient les gardiennes de ce sanctuaire et de la porte. A ce titre, vous ne pouvez pas rester loin de ce lieu sans ressentir un manque. Au bout d'un moment plus ou moins long, vous devez impérativement revenir, n'est-ce pas ?

Les deux femmes ne répondirent pas, Gérald avait raison. Elles ne pouvaient pas dire le contraire, elles avaient besoin de se ressourcer dans cette maison régulièrement. Gérald continua son exposé.

— Avec Madame Rose qui était autrefois une prêtresse de la Déesse dans son pays et Laurence qui habitée par une entité surnaturelle, nous sommes donc cinq à être détenteur de pouvoir…

— Et nous ? demanda Paul. Comment allons-nous pouvoir vous aider ?

— Exactement comme je pensais le faire la première fois où je suis venu. J'ignorais alors que nous serions aussi nombreux à détenir ces facultés. Autour de la source, il y a cinq pierres qui forme un pentagramme dont la source est le centre. Paul et les femmes, vous vous tiendrez chacun sur une pierre. Moi, je serai au centre et Thibault, tu veilleras à ce que rien ne nous perturbe pendant que je ferai le rituel…

— En quoi consiste ce rituel et que va-t-il se passer ?

— Il est simple, il s'agit juste de réciter une invocation avec la pierre que j'ai sur moi. Si tout se passe normalement, une ouverture se fera entre notre monde et le monde des morts et les fantômes pourront passer dans le plan qui devrait être le leur.

— Mais pour la chose qui me hante ? questionna Laurence.

— Pour elle, cela sera du ressort de Madame Rose Elisabeth et Natacha. Elles pourront appeler l'entité qui habite la source et qui pourront lui demander de te délivrer.

— Moi ? Mais comment cela ? Je n'y connais rien ! C'est Janis qui connaissait tout cela pas nous.

— Je le sais et c'est pour cela que je dis que vous le ferez ensemble. Madame Rose a le savoir-faire et vous lui apporterez la force. Je serai présent comme médiateur.

Elisabeth écoutait cette échange entre Gérald et sa mère avec surprise, de quels pouvoir parlaient-ils ? Mais elle n'eut pas le temps de poser de question car Gérald les pressait pour se rendre à la source. Elle fut surprise quand il leur demanda de prendre le vieil ours en peluche et la cane de l'oncle Pierre.

Ils montèrent tranquillement dans les brumes automnales. Les fantômes les accompagnaient. Paul marchait en tête avec Gérald. Elisabeth fermait la marche avec sa mère. Celle-ci lui expliqua brièvement ce que certains villageois racontaient au sujet de leur famille.

— Nous avons longtemps été craintes car on nous prenait pour des sorcières. Tes ancêtres possédaient des connaissances qui leur permettaient de soigner les villageois des environs bien mieux que les médecins des villes.

— Oui j'ai lu cela dans les carnets de tante Janis, mais elles utilisaient des herbes en décoction ou fumigation. Rien de magique !

— Attends de voir ce que Gérald nous prépare, je pense qu'il n'est pas qu'un simple musicologue.

— Comment cela ?

— Il est bien plus âgé qu'il n'en a l'air.

— Pourquoi ?

— Il ne peut pas avoir acquis ces connaissances en si peu de temps ou alors c'est un puissant sorcier… mais je ne ressens pas son pouvoir... Donc, j'en conclus qu'il est bien plus âgé qu'il ne le dit.

— Je ne comprends rien, maman…

— Tu en comprendras plus ce soir… tu vas découvrir l'héritage que tu as reçu de tes ancêtres…

Elisabeth était encore plus décontenancée. Le groupe arriva enfin dans cette clairière. L'exploration avait permis de dégager quelques murs, les colonnes du pentagramme et la voie pavée. Elisabeth et Natacha découvrait la source sous un autre jour.

— Je n'avais pensé qu'il pouvait y avoir tout cela dans cette forêt…

Madame Rose était stupéfaite, cela lui rappelait un temple de son pays où elles honoraient la Grande Déesse avec d'autres femmes.

Seuls Paul et Thibault voyaient ces ruines comme un site archéologique, même si leur rationalisme en avait pris un coup.

Gérald leur indiqua leur place. Il les mit en garde sur les dangers du rituel qu'il pratiquerait dans la soirée.

— Je préfère attendre ce soir, car comme vous en avez entendu parler, il est plus facile de maintenir un portail ouvert les nuits comme celle d'aujourd'hui que les autres jours. Mais nous aurions pu faire cela cet été si nous avions été assez nombreux…

— Que devrons nous faire ? Demanda Paul.

— Pas grand-chose… Juste me regarder et tendre vos mains dans la direction de votre voisin… Et surtout ne pas vous laisser distraire par ce qui pourrait arriver autour de nous.

Quand les fantômes les virent s'installer, ils commencèrent à s'exciter. Ils en devenaient presque visibles. Gérald souriait. Cela sera encore plus facile qu'il ne l'avait pensé.

— Je vais juste répéter le rituel en vue de ce soir, vous êtes prêts ?

— Oui ! Dirent-ils en cœur.

Gérald leva les mains au-dessus de lui et appela les vieilles divinités.

A la surprise de ses amis, il prononçait ses paroles dans une langue parfaitement compréhensible et après avoir invoqué Aphrodite et Hadès, il appela les fantômes par leur nom.

— Pierre… Léopold... Emiliette... Héloïse... Théodoric... Caius… Approchez-vous et franchissez ce seuil...

Aucun des participants ne remarqua le faible tremblement de l'air au-dessus de l'eau.

— Quittez le non-monde où vous vous êtes perdus et rejoignez le monde d'Hadès !

Il resta immobile plusieurs minutes les mains toujours levées puis il les abaissa avant d'inviter ses compagnons à faire de même.

— Vous avez vu ce fut bref et vous avez parfaitement garder votre concentration pendant cette répétition, il faudra refaire cela ce soir.

Madame Rose intervint alors.

— Et nous, ne devrions-nous pas répéter aussi ?

— Non ! Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Les fantômes qui habitent la maison, ne sont pas des entités très puissantes. Elles n'ont pas été sensibles à cette répétition et elles sont partantes pour passer dans l'au-delà. La force qui possède Laurence est bien plus forte et il ne faudrait pas éveiller ses soupçons. Ce soir avec la Lune qui sera pleine et au zénith, nous aurons plus de pouvoirs…

— Oui ! c'est sûr, plus la Lune est haute dans le ciel et plus nos pouvoirs sont puissants…

Elisabeth les écoutait parler, après l'invocation de Gérald, elle se sentait soulagée d'un poids et elle aperçut sa mère trembler. Pendant leur retour vers le manoir, elle décrit à Natacha ce sentiment de légèreté qu'elle ressentait depuis quelques minutes. Mystérieuse, elle lui dit simplement qu'elle en apprendrait plus ce soir lors de du désenvoûtement de Laurence puis elle se tût.

Quelques heures plus tard, ils étaient de nouveaux autour de la source et ils se remirent en place. Thibault était resté en retrait car il était le seul à ne pas être concerné par le rituel de Gérald. Il écoutait d'un air absent les paroles que son ami récitait de nouveau mais il le trouvait moins convainquant et moi ferme que dans l'après-midi, il s'en étonnait. Il lui en demanderait la raison plus tard.

Gérald invita les quatre femmes à venir près de la pierre. Il demanda à Laurence de se mettre au milieu de la petite mare. Elle frissonna au contact de l'eau fraîche qui lui montait au genou. Madame Rose, Natacha et Elisabeth se placèrent au bord de l'eau. Madame Rose psalmodia les premiers mots de l'invocation de désenvoutement. Natacha et Elisabeth reprenaient après elle.

Au pied de Laurence, l'eau commença à frémir. Des vaguelettes parcouraient la surface de l'onde.

Gérald lança un nom pendant que Madame Rose chantonnait de manière monocorde.

Une gerbe d'eau jaillit au milieu des femmes. Quand le calme fut revenu, ils virent une femme nue à la peau laiteuse, aux longs cheveux blonds et aux regard émeraude les fixer.

— Que me voulez-vous ? Qui êtes-vous ?

C'est alors qu'à la surprise de Paul, Thibault et surtout Elisabeth que Natacha pris la parole.

— Esprit protecteur de la source, je te demande, moi ta fille, de libérer cette femme. Libère-là du mal qui l'habite et la hante.

— Que me donnerez-vous en échange ?

Ils entendirent alors une voix masculine sortir de nulle part.

— Moi ! Je viens te servir…

Paul et Thibault se retourneront et ils virent alors le vieux voisin s'approcher.

Il entra dans l'eau et avec la naïade, ils prirent les mains de Laurence. Le silence se fit dans la clairière. Alors que le Lune se reflétait dans la mare. Laurence poussa un grand cri qui ressemblait un hurlement de douleur qui se terminait en cri de plaisir. Ils purent apercevoir une ombre orangée sortir de la bouche de la jeune femme qui se dirigeait vers la pierre dans laquelle elle se fondit.

Elle tremble sur ses jambes et tomba à genoux.

— Allez la chercher, dit Gérald à Paul et Thibault.

Quand il n'y eut plus que le voisin et la naïade dans l'eau, un violent coup de tonnerre retentit. Un éclair venait de frapper la falaise au-dessus de l'entrée de la grotte. Un grondement énorme remplit l'air en même temps que des tonnes de roches s'effondrèrent pour fermer la caverne à tout jamais. Profitant de la distraction causée par ce tumulte, les deux êtres surnaturels disparurent dans l'eau.

Il leur fallut quelques minutes pour reprendre leurs esprits. Ce fut Paul qui les incita à rejoindre la maison pour qu'ils puissent se sécher et se réchauffer. Laurence était à moitié consciente et ils durent la soutenir dans la descente.

Natacha et Madame Rose lui enfilèrent des vêtements secs et elles la couchèrent dans son lit pour qu'elle récupérât.

— C'est fini ? Demanda Thibault.

— Oui ! C'est fini.

— Est ce que tu peux nous expliquer ce dont nous avons été témoins ? demanda Paul.

— Vous avez vu une divinité oubliée… un élémental d'eau, une puissance de la Nature. Il a fallu le talent de Madame Rose pour appeler son esprit et la force de Natacha et d'Elisabeth pour la convaincre de sortir de l'oubli.

— Oui mais ma mère a parlé d'elle comme sa fille ? questionna Elisabeth en regardant Natacha qui baissait le regard.

— Oui j'ai entendu cela aussi, reprit Thibault.

Natacha leur raconta alors une vieille légende familiale. Les femmes se transmettaient de générations en générations qu'un de leurs ancêtres, dont la femme était stérile s'était égaré dans ces bois un soir de pleine de Lune lors de la fête de Samaïn. Il traquait une biche depuis plusieurs heures. Il la vit plonger dans la mare et disparaître.

En s'approchant prudemment, surpris et inquiet de cette disparition, il est entré dans l'eau. Il entendit alors un chant mélodieux qui l'hypnotisa et il perdit conscience.

Quand il s'est réveillé, il était allongé à l'ombre d'un chêne, un bébé endormi à côté de lui. Il prit le bébé avec lui et rentra au village. Avec sa femme, ils élevèrent l'enfant comme leur fille.

Quand celle-ci fut grande, elle montra des prédispositions pour soigner et soulager les maux des hommes et des animaux. Elle s'installa dans une cabane près de la source dont elle devint la protectrice.

— Donc si je comprends bien, je serais une descendante de cette naïade ?

— Oui ! Ma chérie, et c'est ce sang divin qui nous a permis de l'appeler et de soigner Laurence…

— Pourquoi ne pas me l'avoir dit plus tôt ? Pourquoi Tante Janis ne me l'a jamais dit ?

— Il ne peut y avoir qu'une seule guérisseur et gardienne vivante. Tant que ta tante était en vie, c'était elle qui détenait ce pouvoir. Maintenant ce pouvoir te revient… De plus tu l'as reçu directement de l'esprit de la source…

— Je suis donc une guérisseuse ? Mais et toi ?

— En quelque sorte, oui… mais une guérisseuse de l'âme et surtout la gardienne de la source… Quant à moi, mon rôle était juste de te permettre de grandir pour acquérir ce pouvoir… Mon sang n'était pas assez pur pour tenir ce rôle… C'est ma rencontre avec ton père qui m'a permis de le revivifier… Lui aussi était un porteur du Sang Sacré…

Le visage d'Elisabeth se ferma à l'évocation de ce père qu'elle n'avait jamais connu et dont sa mère ne parlait qu'en terme vague comme d'une aventure d'un soir.

Madame Rose souriait, elle avait senti la puissance du pouvoir qui habitait la jeune femme. Elle avait aussi ressenti sa bienveillance et sa détresse d'avoir fait souffrir son fiancé. Par contre, elle n'avait pas compris comme les fantômes avaient disparu. Le soir, autour de la source, il ne s'était rien passé, elle en était convaincue. Et cet homme qui avait surgi de nulle part, qui était-il ? Pourquoi avait accepté de se sacrifier aussi facilement ?

Gérald la fixait, ses yeux la perforaient, elle savait qu'elle n'obtiendrait aucune réponse de cet homme au regard pluriséculaire.

Après s'être réchauffés autour du feu et avoir pris une collation revigorante, ils se retirèrent dans leur chambre.

Paul et Elisabeth retissaient le lien d'amour qui avait été sur le point de se rompre. Madame Rose se rendit au chevet de Laurence avec toutes ses questions. Thibault et Natacha s'endormirent chacun dans leur chambre.

Epilogue

 

Gérald ressortit à la lumière de la Lune. Il s'approcha du ruisseau où Elisabeth et Paul s'étaient baignés lors de leur première visite. Une ombre furtive émergea de l'eau.

— Merlin, est-ce vous ?

— Oui ! Je te remercie de nous avoir sauver de ces fantômes et d'avoir permis à ce lieu de retrouver l'harmonie qu'il avait perdu depuis des millénaires…

— Pourquoi n'avez-vous pas rétabli cet équilibre vous-même avec vos pouvoirs ?

— Je ne le pouvais pas… La naïade était en colère contre moi… Elle refusait de venir à mes injonctions mais elle n'a pas pu résister à l'appel de nos filles.

Gérald sourit, ce vieil homme confirmait ce qu'il savait depuis le début.

— Vous auriez pu l'expliquer il y a des siècles ?

— Oui ! Mais rien ne vaut la force de l'amour. Elisabeth ne voulait pas perdre Paul, son pouvoir s'est donc révélé grâce à son amour. Laurence aime Paul mais ne voulait pas lui faire de mal, elle acceptait donc de renoncer au pouvoir maléfique qui la rendait irrésistible aux yeux des hommes… Tu es aussi excellent que moi quand il s'agit de duper les esprits…

— Comment cela ?

— Quand tu as dit que tu voulais répéter le rituel… Un rituel ne se répète pas. Il se fait… Tu savais que les fantômes étaient présents et qu'il n'était pas sur leur garde. Ils se sont approchés de vous pour écouter ton rituel et tu as les envoyés dans le monde des morts alors qu'ils ne s'y attendaient pas… Mais comment as-tu su pour les noms des deux anciens ?

— La pierre gravée, je suis venu lors de la pleine Lune de l'équinoxe et j'ai fait apparaître les noms effacés… et je savais qu'en prononçant l'invocation à ce moment-là, les fantômes partiraient. Je n'étais pas sûr qu'ils viennent tous le soir. Héloïse tenait trop à cœur son devoir de protection…

— Oui… Tu as eu raison… Tu as encore grandi en puissance depuis notre dernière rencontre… mais je dois t'informer que ton vieil ennemi, le comte Van Dyck est de retour avec plus de pouvoirs que jamais…

Sur ces mots, le vieil homme disparut et Gérald sut où il devait se rendre.

 

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