Le Monde de la Dame -03- Ille
Ver Du
Réveil
J'émergeai du sommeil, rattrapé par une envie pressante, je me levai rapidement de dessous la couette et d'instinct, je me dirigeai vers les toilettes. À tâtons dans la semi-obscurité de la salle de bain, je soulevai la lunette pour me soulager et je réalisai avec stupeur qu'un filet chaud me coulait le long des cuisses, arrivait tiède puis complètement froid à mes pieds. Je regardais vers le bas sans comprendre ce que je croyais deviner, mais la nature me rattrapa et je décidais de m'asseoir. Je me suis retrouvé les fesses froides à moitié dans le trou en pestant contre celui qui avait oublié de rabattre la lunette.
Je finis de me soulager et je constatai alors quelque chose d'étrange, je découvris que j'étais dans le corps de mon amie.
— Ce n'est pas possible, nous n'avons rien bu hier soir !
Même si nous avions passé un moment d'intimité intense, fusionnel comme cela ne nous était jamais arrivé, je me souvenais bien m'être endormi à côté d'elle hier soir.
Je me suis relevé et je passais sous la douche. Je pris pleinement conscience de mon état. En me savonnant, j'eus confirmation de ma première impression, j'avais bel et bien une poitrine, rien qui ne me pendait entre les cuisses. Je me suis rincé et sortit de la douche pour attraper une serviette. Devant le miroir de la salle de bain, je voyais l'image de mon amie nue. J'en suis resté incrédule. "Que se passe-t-il ?" Mon esprit encore embué se réveilla totalement. J'étais bien dans le corps de Mireille avec qui je venais de passer la nuit. Je restais quelques instants à admirer ce corps qui me donnait tant d'envies lorsque je le voyais nu ou que je le caressais.
— Il faut que j'en aie le cœur net ! Me dis-je en me précipitant alors dans la chambre.
Horrifié, je vis mon propre corps sous la couette, immobile, endormi, inerte. Je me suis penché pour le secouer, aucune réaction. Je constatai malgré tout avec soulagement qu'il respirait et que le pouls était perceptible.
J'ai cherché autour de moi ce que je pourrais faire pour le réveiller, pour essayer de comprendre ce qui se passait. Au bout de quelques minutes à le remuer, le bouger, le caresser, je réalisai la vacuité de mes efforts et je me résignais à appeler les pompiers.
Réalisant ma nudité, j'attrapai rapidement les vêtements de mon amie que nous avions éparpillés dans la chambre la veille au soir. J'enfilai sans réfléchir une culotte prise au hasard dans un tiroir, le t-shirt et le legging, et oubliai le soutien-gorge, chose que j'allais regretter plus tard dans la journée.
Quelques minutes plus tard, j'entendis la sirène des pompiers approcher et je leur ouvris la porte avant même qu'ils ne frappent. Je les guidai à la chambre ou mon corps était inerte, immobile. Mon regard fut accroché par le sourire d'un pompier sportif qui tenta de me rassurer par des paroles que mon cerveau n'arrivait pas à interpréter. Je sentis mon corps réagir de manière étrange. Je bafouillais, il me prit par les bras, et me guida vers une chaise.
— Oui ça va aller. Je vais vous suivre en voiture. Mais pouvez-vous me dire ce qui se passe ? Je ne comprends pas." Je ne savais pas comment lui dire ce qui m'arrivait. Il m'aurait pris pour un fou. Je préférai ne rien dire et il me répondit : je ne sais pas cela ressemble à un AVC, le médecin du SAMU arrive, il nous en dira plus. Voulez-vous que je vous tienne compagnie ? Sur ces mots, je fus parcourue d'un frisson.
— Pourquoi ?
Au même moment, le médecin arriva et me salua rapidement avant de se diriger dans la chambre et de commencer à examiner mon corps inerte. Je la regardais faire, penchée, l'auscultant et posant des questions auxquelles je répondais par des oui ou des non.
Les pompiers le déposèrent sur un brancard et me dirent à quel hôpital ils allaient le conduire.
— Je ne peux pas vous expliquer, c'est assez étrange, on dirait qu'il dort, mais il ne réagit pas comme une personne endormie et cela ne ressemble pas à un coma, me dit la doctoresse qui venait de m'examiner.
— Je vous suis ! Dis-je en attrapant mon sac. Je réalisais alors que je devais prendre celui de ma compagne. Je fouillai dans son sac à main pour trouver ses clés de voiture.
Je regardai les pompiers qui portaient la civière et le médecin partir. L'ambulance s'éloigna toutes sirènes hurlantes. Je pris une veste et fermai la maison avant de monter dans la voiture.
Me retrouvant seul ou seule, je ne savais plus comment me qualifier. J'essayais de faire le point, respirant profondément.
— Bon alors ! Où en suis-je ? Mon corps est parti dans l'ambulance et moi je suis là dans la voiture, dans le corps de Mireille. Il y a bien quelqu'un qui va pouvoir me renseigner sur ce qui vient de se passer...
J'attachai ma ceinture, me tortillant lorsqu'elle me barra la poitrine en deux. Je n'avais pas réalisé ce problème. Je cherchais la position la moins gênante pour faire passer la sangle entre ces globes généreux avant de démarrer. En roulant prudemment, car je n'étais pas habitué à cette vision de la route, je pris le chemin de l'hôpital. À chaque fois que je ralentissais, je sentais la ceinture m'écraser les seins et cela en rajoutait à mon exaspération. Heureusement que le trajet ne durait pas longtemps et quelques minutes après les pompiers, je me garai sur le parking.
Je sortis de ma voiture et d'un pas décidé je me dirigeai vers l'accueil des urgences. Il se produisit alors un phénomène auquel je n'avais pas pensé en m'habillant en catastrophe : le mouvement autonome et indépendant de cette poitrine. Les montées et descentes intempestives de cette partie de mon anatomie, que j'appréciais chez ma compagne, me forçaient à ralentir ma marche. Ce fut un peu perturbé que je me présentai devant l'hôtesse d'accueil qui me reçut avec un large sourire qui éclairait son visage entouré d'une magnifique chevelure rousse.
Je me suis présentée comme la compagne de la personne conduite par les pompiers il y a peu de temps, elle m'indiqua alors où le trouver. Je traversai le hall et aperçut mon corps sur un lit avec des fils reliés à différents appareils qui étaient en train de mesurer divers paramètres, tandis qu'une infirmière vérifiait je ne sais quel moniteur. Elle se tourna vers moi et le regard compatissant me sourit.
— Ah vous êtes là ? Votre ami est vraiment dans un état étrange, me dit-elle.
Je m'approchais troublée, et croyant que j'allais défaillir, elle me prit par le bras pour me guider vers un fauteuil. Ce contact et son parfum me troublèrent encore plus. Mon esprit masculin ne put rester insensible au charme de cette femme et du coup, le corps réagit aussi de manière plutôt incongrue pour moi.
Elle m'aida à m'asseoir et me caressa doucement le bras du revers de la main en me tendant un verre d'eau. Elle se pencha vers moi, son haut bâillait et je surpris sa poitrine recouverte de fine dentelle rose pâle. Cette vue, ce contact et cette odeur capiteuse, envoûtante augmentèrent mon trouble. Un frisson me parcourut l'échine qui en arrivait presque à me faire bander, mais au lieu de cette érection si familière, je sentis mon bas-ventre me chatouiller, la sensation fut pour le moins étrange. Stupéfait, je constatais que c'était un phénomène totalement différent qui se produisait et instinctivement je resserrai mes cuisses pour cacher mon trouble. J'espérais que l'infirmière qui se retourna à ce moment-là ne se rendit pas compte de mon état. Je sentis le rouge me monter aux joues alors qu'elle me refaisait son sourire enjôleur en me demandant si j'avais de l'eau en suffisance, ayant bu d'un trait le verre qu'elle m'avait donné.
Je bafouillai un oui de convenance alors qu'elle se retournait pour finir de contrôler l'ensemble des appareils. Je distinguais la trace de ses sous-vêtements bien visible sous le pantalon blanc moulant ses fesses rebondies. Elle se retourna pour vérifier mon état et nos regards se croisèrent. J'ai caché ma gêne derrière un malaise feint. Elle revint vers moi et s'inclinant au-dessus de moi, je ne pus manquer de voir ce que ne masquait plus son encolure échancrée. Je relevai la tête et ses yeux plongèrent dans les miens
Comment me sortir de cette situation ubuesque sans me couvrir de ridicule et sans trahir la situation dans laquelle j'étais.
Je tentais de me calmer en respirant profondément, mais cela me mettait de plus en plus mal à l'aise.
Elle s'écarta et me tendit alors une petite carte.
-Il faut que j'aille m'occuper des autres patients dans les autres chambres. Je vois que quelque chose de grave vous perturbe et ce n'est pas lié à l'état de votre ami. C'est en vous ! Prenez ma carte et n'hésitez pas à m'appeler. Je pense pouvoir faire quelque chose pour vous.
Je regardais le petit bristol et j'en découvris l'intitulé : "Madame Rose — Guérisseuse Spirituelle", suivi de son numéro de téléphone. Très dubitative, je la regardais partir en glissant sa carte dans ma poche.
Appuyée au bout du lit, je restais quelques minutes à fixer ce corps qui semblait endormi en me demandant comment j'allais pouvoir faire face. Soudain une pensée me traversa l'esprit.
— Le boulot ! Je devais rendre un rapport aujourd'hui. Il est important pour notre activité. Comment vais-je pouvoir le faire sans me griller.
Même si nous travaillions ensemble sur les mêmes dossiers, j'allais avoir du mal à justifier pour faire le travail de Franck dans le corps de Mireille.
Je me décidais à quitter la chambre et en passant dans le hall d'accueil, ma vessie se rappela à mon bon souvenir.
— Où sont les toilettes ? demandai-je à un infirmier qui passait par là.
— À votre gauche, juste après les ascenseurs !
Je le remerciais, je trouvai la porte et je la poussais. Ce fut arrivée devant les urinoirs en voulant ouvrir ma braguette que je pris conscience de l'absurdité de la situation. Heureusement que personne n'était là. Je me dépêchai de sortir de là avant d'être surprise et j'entrai dans les toilettes des femmes où je pus me soulager.
Je suis remontée dans ma voiture et je pris le chemin du bureau en me demandant comment j'allais pouvoir donner le change.
Au bureau
À peine avais-je franchi la porte que Florence à l'accueil me regarda bizarrement.
— Ouh là ! Ça n'a pas l'air d'être la grande forme, toi !
— Claire est-elle dans son bureau ? Dis-je sans prendre la peine de lui répondre.
— Oui ! Me répondit-elle.
Je me dirigeai vers le bureau de ma chef afin de lui annoncer la nouvelle du coma de Franck. Jamais ces couloirs ne m'avaient semblé aussi longs avec la traversée de l'open-space interminable et tous ces regards sur moi. Je frappais à la porte et réprimant un ouf de soulagement, j'entendis le "Entrez !" salvateur.
Devant Claire, je ne sus que lui dire.
— Que se passe-t-il ma chérie ? me lança-t-elle.
— Franck est à l'hôpital depuis ce matin, je me suis alors effondrée en larmes.
Elle se leva et vint me prendre dans ses bras. Je sentis la chaleur de son corps, son parfum, sa poitrine s'écraser contre la mienne. Je réprimai un frisson, de nouveau ce trouble, comme avec l'infirmière.
— Raconte-moi, que lui est-il arrivé ?
Je lui racontais alors que je l'avais trouvé inanimé dans le lit ce matin et que j'arrivais directement de l'hôpital, mais je lui cachais ce que j'étais en réalité. Qui pourrait croire cela ?
Je sentis ses mains me caresser le dos, me presser contre elle et je résistais à l'envie de poser ma tête sur son épaule qui semblait si accueillante. Car malgré son empathie, elle restait une gestionnaire d'entreprise. Elle me demanda.
— Tu sais que Franck devait finaliser un dossier ce matin ? Penses-tu être capable de le boucler et de me le donner avant midi ? Nous irons déjeuner ensemble et j'en profiterai pour te changer un peu les idées avant que tu ne retournes à l'hôpital.
— Oui ça ne devrait pas poser de problème, cela fait plus de six mois que nous sommes sur ce dossier et il ne reste que quelques corrections mineures à apporter, je vais m'y mettre de suite.
Elle me posa un baiser sur le front et me dit: "vas-y vite, cela va te changer les idées !"
Je sortis du bureau et gagnai mon bureau. Par chance, comme nous étions sur le même projet, nous avions le même mot de passe pour accéder à notre session de travail ce qui me permit de me connecter sur le dossier à finir et de me plonger dans le rapport. Comme je le savais, les corrections à apporter étaient minimes, mais demandaient une certaine concentration que j'avais du mal à trouver. Je décidais de m'octroyer une pause-café pour vider un peu mon cerveau de toute cette tension.
Je me rendis à la salle de repos où se trouvait la machine et à peine y étais-je arrivée que Ludovic me rejoignit.
J'attendais que le café coulât dans le gobelet en plastique, quand je sentis une main me palper les fesses et j'entendis la voix égrillarde de mon collègue.
— De plus en plus coquine toi ! Un legging super moulant et même pas de culotte ! En plus tu as les nichons à l'air. Tu as l'air d'avoir envie que je te fasse découvrir ce que c'est qu'un vrai mec !
Mon sang ne fit qu'un tour et à peine le verre rempli, je m'en saisis et le lui jetais à la figure. Il se recula en hurlant, ce qui évidemment attira du monde.
À ma stupéfaction, avant même que je ne puisse dire quoique soit, il prit à partie les collègues qui arrivaient et leur cria en s'essuyant le visage.
— Elle est complètement folle, j'arrive pour lui dire bonjour et elle me balance son café à la figure.
— Mais... Je tentais de me justifier, mais Jean-Marc se mit à prendre la défense de Ludovic en m'accusant lui aussi de ne pas être bien.
Je restais sans voix, mais heureusement pour moi, Claire qui avait entendu l'altercation, débarqua et nous renvoya chacun dans nos bureaux en nous disant qu'elle nous convoquerait plus tard.
Je me retrouvais alors seule devant l'automate complètement abasourdie. Après quelques minutes pour me calmer et me faire couler un autre café, je regagnai mon bureau et me replongeai dans le dossier à boucler.
Je cliquais d'un geste rageur sur l'icône "envoyer" puis éteignis ma machine et allais frapper à la porte de Claire et sans lui laisser le temps de me répondre, je me plantais devant son bureau.
— Ludovic est un odieux personnage… il a bien mérité ce que je lui ai fait…
— Calme-toi, tu n'es pas en forme aujourd'hui, je sais ce que tu vis avec Franck. Prends ton après-midi et va à l'hôpital prendre de ses nouvelles. Je te donne ton vendredi et reviens lundi plus détendue. Je vais aussi voir Ludovic, car j'ai bien compris qu'il n'est pas clair dans cette histoire.
— Il m'a peloté les fesses ! Tu ne peux pas laisser passer cela.
— Ne t'inquiète pas ! dit-elle en se levant et en me prenant par les épaules. Je vais faire ce qu'il y a faire… Je connais le bonhomme.
Je m'effondrais en larme. Elle me retint dans ses bras.
— Vas-y ! Va te reposer.
Je m'efforçais tant bien que mal de retourner vers mon bureau ;"me reposer" me disais-je en mon for intérieur, "c'est bien beau tout ça, mais j'ai encore du pain sur la planche pour le travail de Mireille qu'il va falloir manager et ce corps qui n'est pas le mien, à gérer. Tout cela est loin d'être évident". Je décidai néanmoins de me rendre d'abord aux toilettes pour me refaire une "beauté", et je fouillai désespérément dans le sac à la recherche de la trousse à maquillage que Mireille avait toujours sur elle. Fébrilement, je trouvais de quoi mettre de l'eye-liner, du mascara et du rouge aux pommettes pour me donner l'air moins blafard. Personne ne venant dans les toilettes, je m'appliquais lentement, mais je m'aperçus que le corps à une mémoire des gestes incroyable ce qui me permit de me maquiller sans trop de difficultés.
-Le résultat est ma foi, fort acceptable ! Me disais-je, en regardant le résultat dans le miroir.
Je retournai alors au bureau de Mireille en me demandant par quoi j'allais commencer puisque le projet commun avait été bouclé. Je trouvai rapidement de quoi alimenter le reste de la matinée en attendant impatiemment la pause-déjeuner avec Claire.
— Mais bon sang ! Quelle conversation adopter avec elle ? Elles se connaissent si bien !
Je me sentais un peu perdu, je décidais de fouiller dans les emails de Mireille pour en savoir un peu plus sur les sujets abordés lors de leurs échanges. J'avais l'impression de violer leur intimité, mais je ne pouvais pas faire autrement, c'était une question de survie.
Après une petite demi-heure de recherches pour le moins indispensables et importantes, je me dis que j'étais suffisamment prêt pour notre déjeuner. Ce fut à ce moment que Claire déboula dans mon bureau. J'attrapais mon trench à la hâte et nous partîmes toutes les deux vers notre café préféré. Comme à son habitude, elle attrapa Mireille par la taille, et c'est donc bras dessus, bras dessous que nous sommes sortis de l'immeuble. Je me laissais guider vers la brasserie où je savais qu'elles avaient leurs habitudes et Claire demanda à la serveuse si leur place habituelle était libre. Elle nous installa à une table dans un coin calme et isolé de la pièce.
— Que se passe-t-il ma chérie ? Et ne me dis pas que c'est à cause de l'état de Franck, car il y a autre chose. J'ai l'impression que tu es devenue une étrangère.
— Je me sens bizarre depuis ce matin, j'ai l'impression de vivre en dehors de mon corps. Je ne sais pas comment te définir mon ressenti, mais j'ai des trous de mémoire qui me perturbent.
— Ça va s'arranger, tu devrais te reposer un peu et en plus Franck aura besoin de ta présence. Je suis sûre qu'il va s'en sortir.
Je lui souris en pensant "si elle savait". Je ne pouvais m'empêcher de fixer le décolleté de Claire, il était vrai que cette femme avait tout ce qu'il fallait pour attirer les regards masculins.
La serveuse nous apporta les plats et Claire chercha à dédramatiser la situation en me parlant des petits potins du bureau. Heureusement que j'avais eu le temps de lire la plupart des messages de Mireille avant le repas aux dépens de mon efficacité professionnelle, mais la fin justifiait les moyens. Le repas fini, Claire me proposa d'aller faire les boutiques pour me changer les idées.
— Allez viens, il me reste un peu de temps avant de retourner bosser. J'ai repéré une nouvelle boutique de lingerie avec des choses qui ont l'air sympa. J'ai envie de voir cela de plus près.
Claire se leva et je la suivis aussi, un peu gêné, car comment allais-je réagir dans cette boutique ? Nous nous approchions de la vitrine. Je dus reconnaître que ce qui était en vitrine était superbe. Claire entra et aussitôt une jeune vendeuse s'approcha de nous souriante, que désirez-vous ? Claire montra alors un body de dentelle.
— Je suis certaine que mon amour va adorer cet ensemble rose fuchsia, dit-elle en clignant de l'œil.
La vendeuse lui demanda sa taille et lui proposa un modèle à essayer. J'attendis dans la boutique en regardant les divers modèles et je me disais que je pourrais en essayer un aussi.
J'entendis alors Claire m'appeler.
— Mireille ! Viens me dire ce que tu en penses !
Un peu troublé, je m'approchais de la cabine d'essayage et je découvris Claire dans cet ensemble boxer soutien-gorge qui mettait superbement ses formes en valeur. Je dus rougir, car elle me demanda si j'avais chaud.
— Oh non ! Pas du tout, mais je cherche quelque chose qui pourrait faire plaisir à Franck quand il se réveillera !"
— Le connaissant un peu, je pense qu'un de ces ensembles de nuit devrait lui plaire, me dit-elle en me montrant des pyjamas de satin bleus avec un top à petite bretelle et un petit short dans le bas. Elle n'avait pas tort, c'est vrai que j'aimais assez quand Mireille portait cela le matin. Mon cerveau masculin réagissait, mais la réaction de mon corps féminin me surprenait. Je n'avais pas encore pris l'habitude de ce changement.
— Et toi que penses-tu de ce que je porte ?
J'étais encore plus troublée de découvrir la patronne en si petite tenue. Elle avait un corps magnifique avec des formes quasi parfaites, il fallait dire aussi qu'elle passait du temps dans les salles de gym.
— C'est très joli, ça me donnerait presque envie de te manger.
Je regardais Claire, un peu anxieux de sa réaction. Je pensais que si j'avais été dans mon corps, elle n'aurait pas hésité une seconde à m'envoyer balader, voire même à me gifler.
— Mais ma chérie, c'est quand tu veux ! Je la regardais complètement déstabilisé, je ne savais que lui dire. Elle me regarda et éclata de rire.
— Ne me dis pas que tu ne savais pas que j'aimais les femmes !
Je bafouillais, je fouillais dans les souvenirs de Mireille pour tenter de savoir si elle le savait, mais je ne trouvais rien.
— C'est pas grave ! Je vois bien que tu n'es pas dans ton état normal. Tu sais quoi ! Je te donne ton après-midi. Va à l'hôpital voir ton homme, repose-toi et lundi les choses se seront clarifiées.
Si elle savait. J'espérais bien que les choses se seraient éclaircies. Elle tira le rideau pour se rhabiller et alla régler ses achats. En sortant de la boutique, elle me confirma mon après-midi libre et me proposa de passer chez elle le lendemain soir après le travail. Je me dirigeai vers ma voiture afin de prendre la direction de l'hôpital où mon corps devait toujours être dans ce coma étrange.
Magie
Je me garai sur le parking de l'hôpital, et j'étais songeur en me dirigeant vers la chambre où mon corps était étendu. Dans le service, Madame Rose était toujours là, elle m'accueillit avec le même sourire que le matin, mais je ne me fis pas piéger par son regard et ses formes et je répondis poliment à son sourire.
— Son état n'a pas changé depuis que vous êtes partie, il ne s'est absolument rien passé de nouveau.
Je fixais mon corps allongé et je ne sus que répondre. Je me doutais que rien ne s'était produit, j'étais sûr que s'il s'était passé quelque chose, je l'aurais ressenti.
Je me suis assise sur le fauteuil à côté du lit en prenant ma main entre mes doigts.
— Je vous laisse seule avec lui. Mais n'hésitez pas à venir me voir, je finis mon service dans une demi-heure, si vous voulez parler je serais disponible.
— Oui merci !
Je restais plongé dans mes pensées à tenir ma main. Pour la première fois depuis le réveil, je pris le temps de "me" regarder. Je découvrais mon visage et ma poitrine qui se soulevait au rythme de ma respiration avec les yeux de Mireille. Je sentis que l'esprit de Mireille était toujours présent, le corps que j'habitais réagissait à mon corps, des pensées me vinrent. J'étais sûre que je rougissais.
Je réalisai alors que le temps avait passé. Je sortis de la chambre et, mû d'une impulsion subite, je déposai un baiser sur les lèvres de ce qui était mon visage ou de ce qui le fut. Devrais-je m'habituer à ne plus être moi ?
En regagnant ma voiture, je croisais Madame Rose qui s'approcha de moi.
— Je crois savoir ce qui vous arrive, je suis sûre que je peux vous aider.
— Comment cela ? Que voulez-vous dire ?
— Vous vous êtes réveillée ce matin différente de celle que vous étiez hier, vous êtes perdue, vous ne savez plus ou vous en êtes ? C'est cela.
— Oui ! Exactement !
— Venez en discuter autour d'un café.
Elle me précéda à la terrasse de ce bar qui fait l'angle de la rue en face de l'hôpital. Et nous avons commencé à discuter. Intrigué, je la laissai parler et ce qu'elle me raconta me troubla.
— Vous n'êtes pas la première à qui cela arrive. Nous croyons vivre dans un monde où la science explique tout et où ce qui n'est pas expliqué le sera un jour. Mais ce n'est pas si simple ! Il y a beaucoup de choses qui sortent encore du domaine de la science. Et ce qui vous est arrivé en fait partie. Ce matin en vous réveillant, vous n'étiez plus vous-même, n'est-ce pas ?
— Oui, quand je me suis réveillée, je me suis demandée ce qui m'arrivait. Je ne comprenais rien.
— Je pense pouvoir vous aider à faire remonter vos souvenirs. Cela vous permettra de mieux vivre ce qui vous arrive.
— Comment cela ?
— Vous avez ma carte ?
— Oui ! Je l'ai toujours au fond de mon sac.
— J'ai une certaine expérience de la magie vaudou et je suis certaine qu'un désenvoûtement pourra vous faire retrouver celle que vous étiez hier soir.
Je rigolais, je ne pouvais pas m'en empêcher.
— Rigolez ! Je vous comprends. Mais gardez ma carte et n'hésitez pas à m'appeler n'importe quand dès que vous en ressentirez le besoin et je sens que cela ne va pas tarder.
— Je vous le promets.
Même si je pensai qu'elle divaguait et que je ne voyais pas comment elle pourrait m'aider avec sa magie.
Nous avons fini notre café et je repris la voiture et instinctivement, je pris la route de l'appartement de Mireille. J'étais devant la porte de cet appartement que je connaissais sans connaître, car même si nous étions ensemble, nous n'avions pas encore pris la décision de vivre ensemble et le plus souvent c'était elle qui venait chez moi, car j'avais la chance d'avoir hérité de mes grands-parents cette maison avec un petit jardin bien agréable aux beaux jours avec sa terrasse ombragée par une glycine. Mireille ne s'était pas encore décidée à mettre son appartement en location pour venir vivre avec moi.
C'était avec une pointe d'angoisse que je tournai la clé dans la serrure et ouvris la porte. Je frissonnais, le nez assailli par des odeurs que je reconnaissais, Mireille avait l'habitude de faire brûler des bâtonnets d'encens dans son salon pour éloigner les mauvais esprits disait-elle en riant. Je n'étais plus sûr qu'elle rigolait tant que cela en le disant. Je posai mon sac, enfin son sac sur le canapé et allumai la télé comme je le faisais lorsque je rentrai chez moi. Je déambulais dans l'appartement, et cherchais ce que j'allais bien pouvoir me faire pour le dîner.
J'ouvris les placards pour découvrir ce qu'ils recelaient. Je finis par mettre une casserole d'eau sur le feu pour me préparer un plat de pâtes avec du jambon dont j'avais découvert un reste dans le réfrigérateur. Pendant que l'eau chauffait, je me dirigeais vers la porte qu'elle n'ouvrait jamais quand j'étais chez elle et qui piquait ma curiosité. Mais par respect pour Mireille, je ne lui avais jamais demandé ce qu'il y avait derrière.
Je l'ouvris et la poussai doucement comme si j'avais peur d'être surpris alors que j'étais seul et je restais étonné par ce que je vis. Dans cette petite pièce sombre dont les rideaux étaient tirés, j'aperçus contre le mur qui faisait face à la fenêtre une petite table recouverte d'une nappe blanche avec des bougies et une statuette en ivoire. Je m'approchais. Je n'arrivai pas à identifier la divinité représentée. Mais ce qui m'interpella, c'était la petite coupelle avec des restes à moitié calcinés indéfinissables.
L'eau qui débordait dans la cuisine me rappela que mon repas ne devrait pas tarder à être prêt. Je refermai la porte de cette pièce étrange et en même temps que je passai à table, je pris mon téléphone et composai le numéro de Madame Rose.
Elle devait s'attendre à mon appel, car à peine la première sonnerie avait-elle retenti que j'entendis sa voix.
—Mireille ! Que se passe-t-il ?
— Écoutez, j'ai fait une découverte étrange, pourriez-vous passer ? Je luis décrivis rapidement ma découverte en essayant d'être le plus calme possible.
— Surtout, ne touchez à rien. J'arrive. Attendez-moi !
Mon repas à peine fini, elle sonna à la porte. Je la fis entrer.
— Suivez-moi et dites-moi ce que c'est ? Je lui ouvris la porte de la pièce avec l'autel, elle me précéda et je la vis se raidir en découvrant la statuette. Elle ne me disait rien, mais elle sortit de son sac à main un petit sac en plastique et y vida le contenu de la coupelle.
— Si c'est ce que je pense, me dit-elle d'un air aussi pâle que sa peau noire le permettait, votre amie a fait appel à des puissances dont elle ne maîtrisait pas la nature et la puissance.
— Que voulez-vous dire ?
— Vous savez, il existe des choses que tout le monde ne peut pas voir. Et je crois que votre amie a entrouvert une porte qu'elle aurait dû laisser fermer.
— Vous voulez parler de sorcellerie ?
— Oui, si vous voulez appeler cela comme cela. J'ai besoin de savoir ce qu'elle a fait brûler pour comprendre le charme qu'elle a voulu lancer. Quel qu'il soit, de toute manière, nous ne pourrons l'annuler au plus tôt qu'au prochain équinoxe.
Elle dut voir mon visage pâlir et mon abattement à ses mots car elle me dit de ne pas m'en faire.
— Vous savez, même si votre amie a lancé un puissant sortilège, je pense être plus puissante qu'elle pour pouvoir réussir à le contrôler et l'annuler. La puissance d'un sort est proportionnelle à la puissance de la personne qui le lance. Et la magie n'est pas comme ce que vous pouvez voir dans les films. Je dois juste bien savoir ce qu'elle a fait et ensuite je pourrais l' effacer, comme on efface les mots sur la page d'un cahier.
Je la remerciai pour ses paroles rassurantes et lui proposai de finir la soirée avec moi et je finissais alors de lui raconter toute mon histoire afin qu'elle puisse bien saisir la situation.
— C'est la première fois que je découvre que ce sort marche entre un homme et une femme. Soit Mireille est plus puissante que je ne le pensais, soit elle a invoqué un esprit puissant. Mais ne vous inquiétez pas, je vous libérerai.
Avant de partir, elle me donna un sachet avec des herbes en disant "Faites- vous une infusion avec ces herbes, cela vous détendra et vous permettra de dormir."
Comme elle me l'avait dit, je me préparai cette tisane que je buvai tranquillement devant la télévision. Rapidement la tisane fit son effet et je ressentis une forte envie de dormir. Je me levai et passai aux toilettes avant. Depuis ce matin, je maîtrisais ce passage avec mon corps de femme. Et je m'allongeais nue sous la couette comme Mireille avait l'habitude de le faire lorsque nous dormions ensemble.
Lorsque le réveil sonna, je me réveillais détendue. La tisane de Rose avait rempli son office, je n'avais pas eu de mauvais rêves. Par principe je regardai mon entrejambe, mais comme je m'en doutais, j'étais toujours dans ce corps étranger. L'effet de surprise ne joua pas ce matin et je me préparai pour profiter de ces trois jours de repos tranquillement. Je pris mon temps pour déjeuner et pour passer à la salle de bain afin de parfaire du mieux possible le peu de maquillage dont Mirelle se parait le matin. Je m'estimais satisfaite du résultat. Je restai tranquille tout la matinée et l'après-midi au chevet de mon corps, je me rendis au bureau pour rejoindre Claire qui m'avait invité pour passer la soirée avec elle.
Dans la voiture pour me rendre au bureau, je repensais aux mots prononcés par Rose au sujet de ma "guérison". J'allais donc devoir rester quelques semaines dans cet état avant de pouvoir réintégrer mon corps, mais tout devrait bien aller. Je devais avouer que j'étais dubitatif sur la méthode qu'elle allait employer, mais après ce qui m'arrivait, je ne devrais m'étonner de rien. Je me garai à ma place habituelle sur le parking déjà bien vide à cette heure tardive.
— Bonjour tout le monde, dis-je à la cantonade. Les quelques collègues encore présents me saluèrent du regard ou d'un bonjour rapide. Je vis que Ludovic me regardait avec son regard de prédateur depuis son bureau. Je n'avais jamais remarqué ce regard quand j'étais dans mon corps. Je me disais que nous devrions toutes lui donner une petite leçon de savoir-vivre.
— Bonjour Mireille ! Viens dans mon bureau s'il te plaît ?
— Oui Claire, j'arrive.
Claire debout dans l'embrasure de la porte m'invita à entrer. Elle ferma la porte derrière moi et elle m'embrassa.
— Tu pourras venir travailler sur ce poste, cela t'évitera les questions et les réflexions des autres. Tu as peut-être besoin de rester un peu au calme après les évènements d'hier.
— Merci, c'est gentil ! Oui je pense que cela me fera du bien.
— Comment va-t-il ?
— C'est stable, les médecins ne comprennent pas ce qui lui est arrivé. Pour eux, il n'est ni mort ni vivant et ce n'est même pas comme un coma classique. Un mystère.
— Ça va s'arranger, non ?
— Je l'espère. Je n'osais pas lui raconter mes discussions avec Madame Rose, elle allait me prendre pour une folle.
— En tout cas, il y en a un qui n'a pas l'air d'apprécier que tu m'aies proposé de venir dans ton bureau. Regarde la tête de Ludovic !
— Ah lui ! Je ne sais pas quoi en faire. Il fait du bon boulot, je ne peux pas le virer, mais c'est vrai que son comportement est limite.
— Pourtant il est marié et sa femme est adorable, je la connais un peu.
— Oui, mais je pense qu'il cherche à se venger de quelque chose ou de quelqu'un… Il n'était pas comme cela quand je l'ai embauché. Il a changé depuis quelques semaines et son voyage avec Franck dans le sud de l'Oural.
— Oui Franck en est revenu enthousiaste, ils avaient visité les ruines d'une cité antique… Mais je ne vois pas le rapport.
Je me dis que je devrais peut-être en parler avec Madame Rose, elle semblait avoir des connaissances sur les mystères anciens.
— Tu sais en Russie, il y a des jolies filles… Il s'est peut-être laissé tenter. Je me souviens juste de cette soirée arrosée ou en sortant avec des clients, Ludovic avait apostrophé vulgairement une jeune femme accompagnée de sa grand-mère qui nous avait regardés méchamment et avait crié quelque chose en russe.
— Au point de devenir le mufle qu'il est ? Si c'était cela, il serait plutôt à traîner dans les quartiers chauds.
— Oui tu as peut-être raison… Mais ne le laissons pas envahir nos pensées, ce soir, je t'invite pour te changer les idées.
Elle me proposa de prendre un café en attendant qu'elle ait fini le dossier sur lequel elle travaillait.
Une nouvelle fois la proximité de Claire et son parfum me troublaient. Je l'avais toujours trouvée superbe et je devais avouer que je n'aurais pas refusé une aventure avec elle si l'occasion s'était présentée. Tandis que je buvais mon café, Claire vint derrière moi et commença à me masser les épaules.
— Détends-toi ma chérie !
Je ne disais rien et je la laissais faire, je réalisais alors que ce corps que je ne connaissais pas encore bien, se mettait à réagir à ce massage. Je me mordis les lèvres pour ne pas laisser échapper un gémissement de contentement. Que m'arrivait-il ?
Je ressentais comme des papillons dans mon ventre. Quelque chose se passait entre mes cuisses. J'aurais bien dit que je bandais, mais c'était impossible avec ce corps. Je me sentais tendue et soudain, je laissais échapper un petit cri quand je sentis quelque chose de mouillé dans ma culotte. Je me ressaisis et je remerciais Claire avant de me lever et de me diriger vers les toilettes. Je remarquais une lueur dans son regard.
Sous le coup de l'émotion et de l'habitude, je poussais la porte des toilettes hommes et je fus bousculée par un de mes collègues.
— Mireille ! Que fais-tu ? Tu te trompes de porte !... Je bafouillais une explication rapide avant d'entrer dans la bonne pièce.
Je m'enfermais dans une toilette où je m'assis sur la cuvette pour comprendre et réaliser ce qui venait de m'arriver. Je repris mes esprits et je m'aspergeais d'eau afin de me calmer avant de retourner au bureau.
Claire me souriait quand elle me vit revenir, mais ne me dit rien. Son sourire recommençait à me troubler.
— Excuse-moi ! Dis-je à Claire.
J'avais besoin de prendre l'air. Je sortis du bureau pour aller sur le parking. Elle me rejoignit quelques minutes plus tard et me serra dans ses bras. Cette proximité me fut fatale. Se méprenant sur mon état émotionnel, elle me dit : Je vais tout faire pour te faire aller mieux.
Elle me déposa alors une bise au coin des lèvres qui me fit tomber en larmes. Je n'arrivais plus à contenir mes émotions. Elle me soutint jusqu'à la voiture.
— Je connais un petit bar très sympa où nous serons tranquilles pour discuter et te remettre de tes émotions.
Elle se gara dans une petite rue du centre-ville et me fit entrer dans un lieu où elle semblait avoir ses habitudes. Je compris très vite pourquoi je ne connaissais pas ce bar, c'était le point de rendez-vous de la communauté homosexuelle de la ville. Claire embrassa quelques femmes qui lui sourirent et me présenta comme sa collaboratrice qui vivait un moment difficile de son existence. Nous nous sommes installées à une table isolée et nous avons commandé un cocktail chacune avec de quoi grignoter.
Je découvris Claire sous un jour nouveau. Elle me prit la main et je lui souris. Quand elle se pencha vers moi pour m'embrasser, j'hésitai et reculai le visage. Elle leva simplement son verre pour que nous trinquions.
— À cette soirée et que tout s'arrange pour toi !
Quelques verres plus tard, nous avons décidé de rentrer. Elle ne se sentait pas en état de conduire et elle héla un taxi qui nous ramena à l'appartement de Mireille. Au pied de l'immeuble, je ne refusais pas le baiser qu'elle me donna et elle me souhaita une bonne nuit avant de remonter dans la voiture.
Grossesse
Les jours passaient, j'étais de moins en moins surpris par les réactions du corps de Mireille, mais je me méfiais malgré tout en pensant à mon corps et à la manière dont il pourrait réagir à l'hôpital surtout quand j'étais en présence de Claire qui ne ratait jamais une occasion de me frôler ou de m'embrasser. Cela allait faire quelques semaines que mon corps était allongé là-bas. Je commençais à prendre du plaisir à choisir mes vêtements en me posant même la question de savoir si j'allais plaire à ma patronne. Mes gestes pour me maquiller se faisaient de plus en plus sûrs.
Je commençais à bien connaître ce corps, mais ce matin-là une nausée brutale me fit courir aux toilettes. Je mis quelques minutes à me remettre et alors que je préparai mon café, son odeur me gêna. Je ne me sentais pas bien. Pourtant la veille, nous n'avions rien mangé de lourd au restaurant avec Claire et nous n'avions pas abusé des mojitos et autres cocktails.
Je pris ma douche et je m'habillai sans avoir réussi à avaler ne serait-ce qu'une miette de pain.
En arrivant au bureau, Claire remarqua de suite que j'avais quelque chose.
— Que t'arrive-t-il ma chérie ?
— Je me sens nauséeuse, dis-je en grimaçant et en portant la main à mon ventre. Je grimaçai lorsque Ludovic entra dans le bureau avec sa tasse de café.
— Tu ne serais pas enceinte, toi ? me lança Claire, avec le sourire de celle qui découvrait que sa meilleure amie lui cachait un secret.
— Euh ! Non ! Je ne crois pas.
Je réalisai alors que Mireille m'avait dit qu'elle avait dû arrêter de prendre la pilule en raison d'un problème avec celle que lui avait prescrit son médecin et lors de notre dernière nuit ensemble, nous nous étions dit que ce n'était pas grave. Je viens d'arrêter, ce serait étonnant que je tombe enceinte, m'avait-elle lancé en se jetant goulûment sur moi.
— Tu crois vraiment ? Comment vais-je faire avec Franck à l'hôpital ?
— Va acheter un test à la pharmacie et tu seras fixée demain.
— Oui ! J'y passerai en sortant du bureau ce soir.
La journée se passa entre nausées et dégoûts dues aux odeurs. Je mangeai peu de peur de vomir ensuite. Ce n'était pas possible, ce n'était pas cela, je devais avoir attrapé un virus. Cependant pour être certaine, je m'arrêtai à la pharmacie pour acheter un test de grossesse avant de passer à l'hôpital.
Madame Rose était de service et s'aperçut de mon mal-être. Je lui racontai ma journée nauséeuse et la réflexion de Claire au sujet de mon état potentiel. Je la vis se rembrunir. "Ce ne serait pas du tout bon pour le désenvoûtement. Si vous portez un bébé, ce pourrait être dangereux pour tous les deux."
— Comment cela ?
— Oh ! L'esprit immature du bébé pourrait empêcher le sort de marcher et vous pourriez vous retrouver dans son esprit.
— Mais est-ce possible malgré tout ?
— Oui mais je devrai être prudente et utiliser un sort de désenvoûtement beaucoup moins puissant.
Les mots de Madame Rose ne me rassuraient qu'à moitié. Je ne serais fixée que demain matin en ce qui concernait la grossesse.
Comme tous les soirs depuis que mon corps était sur ce lit d'hôpital, Claire me proposa de passer la soirée avec elle. J'étais fatiguée et nauséeuse.
— Non, merci ! J'ai besoin de me reposer. Je l'entendis rire au téléphone.
— Toi ! Tu es vraiment enceinte !
— On verra demain… Bonne nuit !
Avant de me coucher, je me préparai une tisane de Madame Rose pour me détendre. Elle m'avait assuré qu'il n'y aurait aucun risque pour le bébé si j'étais enceinte. Je passais donc une nuit plus calme que la précédente.
Au réveil, avec un peu d'appréhension, je fis ce fameux test. Les quelques secondes d'attente me semblèrent interminables et avec horreur, je vis apparaître la bande confirmant la grossesse. Je restais hébété. Qu'allais-je faire ?
Ce fut dans un état second après avoir encore une fois rendu mon café du matin que je me rendis au bureau. Claire devina le résultat à la tête que je faisais en arrivant.
— C'est merveilleux ma chérie !
— Si tu le dis. Je ne suis pas du tout convaincu que cela va me rendre heureuse. Les médecins ne sont pas très optimistes pour Franck. Je ne sais pas si j'aurai la force d'élever seule ce bébé.
Elle se leva et vint me prendre dans ses bras. Je frissonnai.
— Je serai là pour toi et pour le bébé."
J'étais trop perturbée pour réagir quand elle posa ses lèvres sur les miennes et m'embrassa non plus comme une amie, mais plus comme une amante. Je savais que Mireille n'était pas du tout attirée par les relations entre femmes, mais je dus avouer que le baiser de ma patronne m'émoustilla. Je profitai de sa compassion pour ne pas l'interrompre et lors qu'elle se recula en souriant, je ne pus que lui répondre : "Merci !"
Je m'installai à mon bureau et toute la matinée, nous avons travaillé sur les différents projets comme s'il ne s'était rien passé. Cependant je ne pouvais pas m'empêcher de voir les yeux brillants de Claire quand elle me regardait comme une lionne certaine que sa proie ne lui échapperait plus.
Alors que nous allions nous préparer à sortir pour déjeuner, Claire répondit au téléphone. La femme de Ludovic l'informait qu'il était arrivé quelque chose de grave à son époux. La femme de chambre de l'hôtel l'avait découvert ce matin inconscient dans son lit.
— C'est comme m… Franck ! Me reprenant juste à temps. Il faut aller voir ! Où est-il ? Dis-je paniqué.
— Il était en déplacement. Je demande à Florence de nous prendre un billet d'avion et de nous réserver une chambre. Nous pouvons être là-bas en fin d'après-midi. Ne t'affole pas pour les bagages, je t'offrirai ce qu'il faut en arrivant.
Quelques minutes après, elle rappela Ludivine pour lui dire de nous rejoindre à l'agence dans une heure. Pendant tout le vol, j'essayais de la rassurer en lui disant que tout allait bien se passer et que les médecins allaient le soigner.
— Au téléphone, ils m'ont dit qu'il était dans une sorte de coma, mais que cela ne correspond pas à un AVC, et qu' ils n'avaient rien détecté d'anormal aux examens.
Je l'écoutais parler sans répondre. Je compris qu'il avait été victime comme moi de la même malédiction. Serait-ce lié aux évènements de Russie ? Car ce coup-ci Mireille et son ésotérisme n'y était pour rien. Ce soir, il faudra que je téléphone à Madame Rose afin d'avoir des éclaircissements.
Le taxi nous conduisit directement à l'hôpital où nous la laissâmes tranquille au chevet de son mari. Pendant que Claire discutait avec un médecin, une nausée me permit de m'éloigner un peu pour appeler discrètement. J'eus de la chance, Madame Rose était de repos et me répondit immédiatement. Je lui exposais brièvement la situation.
— C'est très bizarre, deux personnes travaillant au même endroit… Il faudrait que je puisse venir voir dans vos bureaux et ressentir s'il y a des énergies négatives.
— Je ne crois pas que cela soit nécessaire, dis-je. Je pense savoir d'où cela vient !
Je lui racontai alors notre séjour dans l'Oural avec Ludovic et cet incident sur ce site mégalithique ou nous avions bousculé cette "sorcière" et sa petite fille. Nos clients nous avaient dit de ne pas nous en faire, ce n'était qu'une vieille magicienne gâteuse qui lançait des sortilèges à tous les hommes qui importunaient les jeunes femmes, "mais sans succès !" avaient-ils rajouté en riant grassement.
— Pourquoi ne m'en avez-vous pas parlé avant ?
— Je n'avais pas fait le lien et j'étais tellement sous le choc que je n'y ai pas pensé.
— Ce n'est pas grave, cela va me faciliter les choses pour le désenvoûtement, car il y a deux magies qui ont opéré. Je ne connais pas bien les entités magiques sibériennes alors je dois me renseigner. Mais il va falloir que vous trouviez la personne de substitution de votre collègue. Pour que je puisse vous désenvoûter ensemble. Et il faudrait qu'il soit rapatrié ici. Mais pour lui, le sortilège doit être un peu différent.
— Je pense que sa femme va le demander, dès que les médecins donneront leur accord pour le transfert. Mais cela risque d'être plus compliqué pour retrouver la personne avec qui il a passé la nuit.
— Fait sans elle, le désenvoûtement ne sera pas complet.
— Je ferai de mon mieux ! Dis-je en raccrochant au moment où Claire vint s'enquérir de ma santé.
— À qui parlais-tu ma chérie ?
— J'étais avec l'infirmière de l'hôpital de Franck. Je voulais avoir des nouvelles.
— Je te comprends ! Après Franck ! Ludovic ! J'espère que cela va s'arrêter là ! Il ne va plus me rester personne dans la boîte. Allez viens ! Je vais te changer les idées. Allons trouver le nécessaire pour la nuit.
L'arrivée inopinée de Claire ne m'avait pas permis d'avoir les réponses aux nouvelles questions que je me posais. L'incident "Ludovic" n'était pas pour me rassurer.
Nous avons dit à Ludivine que nous repasserions d'ici une heure et demie pour la prendre pour aller à l'hôtel et nous prîmes le chemin de la galerie commerciale voisine. Nous passâmes rapidement au supermarché pour prendre dentifrice, brosse à dents et déodorant et un peu plus de temps dans les boutiques de vêtement pour prendre un pantalon et une tunique pour le lendemain. Claire me dit alors que nous passions devant une boutique de lingerie :
— Et si nous allions voir ce qu'ils ont, on va se trouver quelque chose de sympa pour la nuit, non ?
Je fus un peu gêné, rougis et marmonnai un petit, oui ! Si tu veux ! Je commençai à ne plus avoir de doute sur ses intentions depuis le baiser de ce matin et la réservation d'une chambre pour nous deux à l'hôtel.
Malgré tout, je ne protestai que pour la forme quand elle me présenta une nuisette légère et courte. "Décidément, peu importe que nous soyons un homme ou une femme, nous aimons voir la femme que nous aimons dans des tenues sexy." Elle me demanda comment je trouvais celle qu'elle se choisit.
— Tu es ravissante ! Lui dis-je sans mentir. L'imaginer dans cette tenue me fit réagir et je n'osais pas imaginer dans quel état se trouverait mon corps dans la chambre en me rappelant l'épisode précédent à l'hôpital avec Claire où elle m'avait serré contre elle si fortement que j'avais été excité. Nous avions alors remarqué une bosse sans équivoque déformait le drap qui recouvrait Franck.
À notre arrivée dans le service, Ludivine nous attendait dans la salle de repos, ne pouvant supporter de les voir s'occuper de son mari. Elle laissa son numéro à l'infirmière de garde. Au cas où il se passerait quelque chose de nouveau ! Je ne disais rien, mais je savais qu'il ne se passerait rien de neuf avant l'intervention de Madame Rose.
Dans le taxi, je lui demandais comment cela se passait avec Ludovic ces derniers temps.
— Depuis son retour de Russie, il est étrange. Et surtout, il ne m'a pas touchée depuis. Ce qui est inhabituel chez lui, s'il pouvait le faire trois fois par jour, il ne se gênerait pas.
J'entendis Claire pouffer à côté du chauffeur et je compris mieux maintenant son comportement avec moi l'autre jour. Je réalisai alors ce qui avait dû se produire et pourquoi seulement maintenant pour lui. Le transfert s'effectuait après une relation sexuelle. Je devrais en informer Madame Rose. Mais comment expliquer cela à Ludivine sans la traumatiser davantage ? Je ne pouvais pas lui dire que son mari avait sûrement passé la nuit avec une femme et pas uniquement pour jouer aux dominos. J'étais plongée dans mes pensées quand le taxi s'arrêta. Soudain alors que nous nous apprêtions à franchir le seuil de l'hôtel, nous entendîmes un cri et un crissement de pneu.
— Ludivine… !
Nous nous sommes retournées surprises et nous avons vu le corps d'une jeune femme projeté au loin par un fourgon. Je la regardai.
— Tu la connais ?
— Non je ne suis jamais venu ici, et je ne connais personne dans cette ville, elle devait appeler quelqu'un d'autre.
— Oui sûrement ! Fit Claire en nous montrant une femme se précipiter vers le corps inerte sur le sol et hurler pour que l'on appelât les secours.
Voyant qu'un attroupement s'était fait autour de la victime et en entendant une sirène au loin, nous nous sommes présentées à la réception pour obtenir les clés de nos chambres sans plus nous préoccuper de l'accident.
— On se retrouve dans une demi-heure et je vous offre le repas de ce soir !
— Merci Claire ! Répondit Ludivine encore sous le choc entre l'état de son mari et l'accident qui venait de se produire.
Je profitai de ce temps pour prendre une douche tranquillement et enfiler la robe que Claire m'avait offerte tout à l'heure. Puis je descendis rejoindre les autres dans le hall.
Ludivine était là, les yeux rivés sur son téléphone.
— Tu seras la première prévenue si son état change.
— Je le sais bien, mais je ne suis pas aussi forte que toi. Comment fais-tu pour tenir avec Franck ?
— Je peux te confier un secret ?
Elle me regarda étonnée.
— Oui bien sûr !
J'allais commencer à lui raconter mon histoire quand Claire apparut radieuse.
—Vous êtes prêtes ? Je viens de réserver dans ce qui est, paraît-il l'un des meilleurs restaurants de la ville. Changeons-nous les idées.
Solution
Après quelques minutes de marche, nous sommes installées à la terrasse de ce restaurant avec une vue sur le soleil couchant et sur le fleuve majestueux qui traversait la ville. Claire nous invita à choisir ce qui nous plaisait.
— C'est moi qui régale ce soir !
Je remarquais le regard du serveur qui s'occupait de nous. Il ne cessait de tenter d'attirer l'attention de Claire sur lui, mais il me sembla plutôt qu'il avait tapé dans l'œil de Ludivine qui, après sa margarita et un ou deux verres de blanc pour accompagner son poisson, semblait avoir retrouvé sa joie de vivre et oublié un peu l'angoisse et le stress de ces dernières heures.
— Tu as vu son petit cul ? me disait-elle en riant. Je t'avoue que si je n'étais pas mariée, je me laisserais bien tenter.
Je me retins de lui répondre. Si tu savais ce que ton mari faisait la nuit dernière !
Soudain, un déclic se fit dans mon cerveau.
— Dites les filles, qu'est-ce que la femme renversée à crier juste avant de se faire renverser ?
— Ludivine ! Nous l'avons toutes entendue ! Pourquoi ?
Oh ! Pour rien, mais cela pourrait peut-être avoir un lien avec l'état de Ludovic.
— Comment cela ?
— Ludivine n'est pas un prénom si répandu. Elle voulait peut-être te dire quelque chose.
— Nous ne le saurons que lorsqu'elle sortira de l'hôpital. Et à mon avis, vu le choc, ce n'est pas demain la veille, dit Claire. Pensons à des choses plus joyeuses !
— Il y a un petit club à côté cela vous dit d'y finir la soirée ?
— Pourquoi pas ! Je ne peux rien faire pour Ludovic et je n'ai pas envie de me morfondre dans la chambre.
— Je vous suis aussi.
Claire régla le restaurant au garçon qui la mangeait du regard et je devais l'avouer, Ludivine avait raison, il était appétissant. À cette pensée, je sursautai. Je ne suis pas homo… Serais-je en train de penser comme Mireille le ferait ? Après tout, en tant que Franck, je ne me gênais pas pour avoir des avis sur les jolies femmes que je croisais, pourquoi Mireille n'en aurait-elle pas aussi vis-à-vis des hommes ? C'est alors que je sentis la main de Claire venir prendre la mienne ce qui déclencha un frisson dans mon ventre. Est-ce Franck ou Mireille qui réagit ? À ce que je sache, elle n'avait jamais eu d'attirance pour les femmes.
Nous sommes restées quelques heures dans cette boîte et après quelques verres supplémentaires, je pouvais voir que Ludivine se laissait facilement entraîner sur la piste par les hommes qui avaient eu vite fait de repérer ces trois femmes non accompagnées. Ils comprenaient rapidement qu'ils ne tireraient rien de Claire et moi, surtout après nous avoir vu danser ensemble. Aussi tentaient-ils leur chance avec celle qui restait.
Nous dûmes aider notre compagne à regagner l'hôtel et l'aidâmes à se mettre au lit.
— Elle va avoir un mal de crâne carabiné demain matin avec tout ce qu'elle a bu ce soir.
— Elle en a profité, on ne peut pas lui en vouloir, avec ce que Ludovic lui a fait subir. Je suis sûre qu'elle sait qu'il la trompe.
Claire me regarda surprise : que dis-tu ?
— Oh rien ! Franck faisait des sous-entendus sur lui au retour de leur voyage dans l'Oural. Et regarde ! Franck est tombé dans cet état après une nuit passée à faire l'amour à son retour de Russie.
— Oui et alors je ne vois pas le rapport ?
-Elle nous a dit que depuis son retour, il ne l'avait pas touchée ! D'ailleurs tu as vu ce soir ? Si tu n'avais pas dit "on rentre", je ne suis pas certaine qu'elle aurait fini la nuit seule. Elle l'aurait peut-être regretté ensuite vu son état. Je mettrai ma main au feu que Ludovic n'a pas passé la nuit dernière comme un moine…
— Oui peut-être… Dit-elle en ouvrant la porte de notre chambre.
Je la vis alors se déshabiller devant moi, et heureusement, elle enfila rapidement la nuisette qu'elle s'était achetée quelques heures plus tôt.
— Qu'attends-tu ?
— Euh rien, excuse-moi j'étais perdue dans mes pensées…
Je me mis à mon tour en tenue de nuit et allais la rejoindre dans la salle de bain pour me brosser les dents.
Je m'allongeais à ses côtés et très vite elle commença à me câliner en me murmurant des mots doux. Je me tournais vers elle et naturellement je lui rendis ses caresses. Au matin, nous nous sommes réveillées enlacées l'une avec l'autre au terme d'une nuit comme je n'en avais jamais connue. Jamais je n'aurais imaginé ressentir un tel plaisir avec une autre personne du même sexe. Inconsciemment je sentais que l'esprit de Mireille au loin n'avait pas été choqué par ce que nous avions fait.
Nous étions encore à moitié endormies que Ludivine vint tambouriner à notre porte. Je lui ouvris, juste enveloppée dans le drap et elle se précipita dans la chambre ne faisant aucun cas de la nudité de Claire qui se couvrit rapidement.
— Claire ! Mireille ! L'hôpital vient de m'appeler. Ludovic s'est réveillé !
Je la fixais incrédule.
— Comment ?
— C'est merveilleux ! Lança Claire qui la serrait dans ses bras. Comment est-il ?
— Un peu sonné apparemment, mais d'après le médecin que j'ai eu au téléphone, il ne devrait pas avoir de séquelles.
Je les laissais discuter entre elles, troublée par cette annonce. Que s'était-il passé ? Pour quoi lui et pas moi ? Il fallait que je trouve un moyen de donner cette information à Madame Rose, mais je devais en savoir plus.
— Nous allons prendre notre petit-déjeuner et nous te rejoignons à l'hôpital ! OK !
— Oui pas de soucis, de toute façon le médecin m'a dit qu'il lui faisait passer quelques tests ce matin et que je pouvais prendre mon temps avant d'arriver.
Nous sommes descendues ensemble pour manger, mais je restais perturbée par l'annonce de Ludivine.
— Ça ne va pas ? me demanda Claire en me prenant la main.
C'est alors que Ludivine réalisa.
— Oh ma pauvre ! C'est vrai que Franck est toujours dans le coma ! Excuse-moi !
— Ce n'est rien, je suis contente pour toi, pour vous deux ! Il va bien se réveiller un jour.
Je regardai Claire les yeux brillants, ne t'inquiète pas, tu peux compter sur moi !
— Je sais, je laissais échapper un : Je t'aime ! Qui fit sourire notre amie.
— Bon je vous laisse, je vais finir de me préparer et je file voir Ludovic.
Claire profita de la matinée et de notre présence dans cette ville pour rendre visite à quelques clients. Je l'accompagnai avec plaisir, même si la démarche clientèle n'était ni ma tasse de thé ni celle de Mireille. Nous sommes donc arrivées en début d'après-midi dans la chambre où Ludovic et Ludivine étaient en grande conversation. Je le trouvai nerveux et étrange, mais elle semblait radieuse et encore plus amoureuse avant. Comme si quelque chose avait changé entre eux.
— Bonjour Claire ! Bonjour Mireille !
— Comment vas-tu ?
— Mieux, j'ai l'impression de sortir d'un cauchemar…
Je le regarde. Comment ça ?
— Ça va vous paraître fou, mais j'ai eu l'impression de vivre les dernières vingt-quatre heures par procuration dans le corps d'une femme…
Aussitôt mes doutes se levèrent et je compris qu'il nous était arrivé la même chose. Je ne l'écoutais plus quand il raconta ce qu'il avait vécu. Les autres pensaient qu'il raconte un rêve, mais je connaissais la vérité. J'entendis des bribes.
— J'étais une prostituée… battue… violée… accident et d'un coup plus rien !
Je cherchais à comprendre, mais submergée par les sensations, les émotions, je perdis conscience. Lorsque je rouvris les yeux, le visage d'une infirmière était penché au-dessus de moi, Claire me tenait la main.
— Vous allez bien ?
— Oui ! Ça va ! Juste les émotions !
Je me relevai doucement et pris le verre que l'on me tendait.
— Pourriez-vous me dire comment va la jeune femme qui a été renversée hier soir devant notre hôtel ?
— Je ne sais pas, mais je peux me renseigner, où était votre hôtel ?
Je lui donnai l'information et elle me dit qu'elle reviendrait dès qu'elle aurait la réponse. Une fois sortie de la pièce où j'avais été installé après mon malaise, Claire me demanda surprise. Pourquoi cette question ?
— Tu te souviens de notre discussion d'hier soir ?
— Oui ! Quand tu me disais que Ludovic trompait sa femme, mais je ne vois pas le rapport.
-Une intuition…
— Ah ! Ben si c'est une intuition !...
Et elle me plaqua un baiser sur les lèvres. Tu m'as fait peur ma chérie ! Et en plus avec le bébé.
— T'inquiète, ça va mieux !
Quand l'infirmière revint pour nous annoncer le décès de la blessée, je compris alors pourquoi Ludovic s'était réveillé.
Son corps d'emprunt était mort et de ce fait son esprit avait regagné son corps d'origine.
Je devais absolument informer Madame Rose de ces rebondissements et j'étais effrayé. Allais-je devoir sacrifier Mireille pour retrouver mon corps ?
Désenvoûtement
Après notre retour, plus le jour de l'équinoxe approchait, plus mon inquiétude augmentait. Cependant, je commençais à apprécier de vivre dans le corps de Mireille malgré les nausées et autres désagréments liés à ce début de grossesse. De plus, nous étions devenues amantes avec Claire et nous passions quasiment toutes nos nuits ensembles ce qui satisfaisait à la fois mon esprit en tant que Franck et le corps de Mireille.
Madame Rose était en pleins préparatifs pour le désenvoûtement et nous avions longuement parlé de l'incident "Ludovic". Elle avait bien compris ce qui s'était passé pour lui. La sorcière Russe nous avait lancé un sort de transposition, mais si dans le cas de Ludovic, il s'agissait simplement d'un échange de corps suite à une relation avec une femme qui n'était pas forcément consentante et amoureuse. S'il avait fait l'amour à sa femme, cela ne serait pas arrivé. Dans mon cas, c'était plus complexe, car deux sortilèges s'étaient cumulés, celui de Mireille et celui de la Russe.
La malédiction sibérienne était pour nous punir tandis que Mireille s'était lancée dans une sorte de philtre d'amour et de fusion pour nous rendre encore plus proches que ce que nous étions. C'est ce qui expliquait que mon esprit avait accès à certains souvenirs que Mireille souhaitait partager avec moi et que mon corps hospitalisé réagissait à ce que je ressentais dans le corps de Mireille. Elle me dit aussi que ces sorts demandaient de grandes connaissances et de grands pouvoirs pour être menés à bout et que ni Mireille ni la Russe ne les possédaient. C'est ce qui expliquait que l'un des corps était resté inerte, le sort n'avait pas été mené à son terme par manque de puissance. L'esprit qui devait le rejoindre errait toujours dans le monde immatériel à la recherche de son corps d'accueil. Elle ne comprenait cependant pas pourquoi dans les deux cas, il s'agissait des corps masculins. Ce soir-là, alors que j'étais venu seule au chevet de mon corps, elle m'informa de l'avancée de ses recherches.
— Tout sera prêt, l'idéal sera de commencer le désenvoûtement au moment de l'équinoxe. Prenez votre journée, nous ferons cela chez vous.
— Pas de soucis, Claire acceptera que je ne travaille pas ce jour-là.
— En parlant de Claire ! Êtes-vous proches ?
Je la regardais. Il était vrai que depuis notre retour, nous passions voir Franck tous les soirs. Je me demandais comment nous gérerions le retour à la normale. Claire accepterait-elle de renoncer à l'amour de Mireille ? Et Mireille ne m'en voudrait-elle pas trop ? Je me demandai si je devais expliquer la situation à Claire.
Je rougis un peu en lui avouant notre liaison.
— Décidément, vous ne me facilitez pas la tâche…
— Comment cela ?
— Vous ignorez la puissance de l'amour et du sexe, ce sont les choses les plus puissantes pour fixer les sortilèges après un sacrifice. Les récits d'accouplements de sorcières lors des sabbats ne sont pas que des légendes.
— Ce qui veut dire ?
— Ce qui veut dire qu'à chaque fois que vous avez connu l'extase avec Claire, la présence de votre esprit s'est renforcée dans le corps de Mireille, peu à peu elle s'éloigne de son corps. Si son philtre avait marché et que vous vous étiez retrouvé ensemble dans le corps de l'autre, vous auriez plus ou moins fusionné. Un esprit, deux corps.
Je baissais la tête ne sachant que lui répondre.
— Il serait bon que vous ne fassiez plus l'amour avec Claire avant le jour du désenvoûtement.
— Oui Madame Rose !
L'équinoxe était dans trois jours et j'espérais que Claire comprendrait que je ne voulais plus passer de nuit avec elle. Rien n'était simple pour moi depuis que j'étais dans cette enveloppe corporelle.
Comme elle me l'avait dit, Claire me rejoignit dans la chambre et je vis le regard de Madame Rose se faire sévère. Je me détournais pour ne pas l'affronter au moment où les lèvres de Claire se posèrent au coin de ma bouche.
— Claire… Je crois que…
— Oui… Ma chérie ?
— Je crois que nous deux….
— Eh bien quoi nous deux ?
— Rien ! Dis-je en la serrant dans mes bras. Je me sentais honteuse et coupable de ne pas réussir à réfréner cet élan qui me traversait et me poussait à aller encore plus loin avec elle.
— Allez ma puce, ça va aller, je vais te consoler. Viens ! Rentrons !
Sur le chemin du retour, je lui dis que je ne pourrais pas venir travailler dans trois jours, j'avais un rendez-vous chez le gynécologue pour le suivi de la grossesse. Cela allait faire maintenant trois mois et les nausées du matin s'estompaient. Je savais aussi que j'allais devoir commencer à chercher d'autres vêtements, car les culottes et les pantalons de Mireille commençaient à me serrer.
— Veux-tu que je t'accompagne ?
— Oh non ! Pas la peine ! Ça ira !
J'espérais qu'elle n'allait pas insister, car je ne savais pas comment je pourrais lui expliquer ce qui nous allions faire. Mais elle se rappela alors qu'elle avait un rendez-vous important avec un investisseur potentiel ce jour-là.
Malgré les mises en garde de Madame Rose, je ne pus pas résister à l'invitation de passer la nuit avec Claire et encore une fois ce fut une explosion de sensualité et de plaisirs partagés.
En ce premier jour de l'automne, je me rendis à l'hôpital comme je l'avais dit à Claire pour ce rendez-vous et cette première échographie de bébé. Je n'avais pas retrouvé le numéro du médecin qui suivait Mireille du coup je m'étais rabattu sur le service de l'hôpital. J'y fus accueillie par une femme sévère.
Pendant que je m'installais, elle remplissait le dossier et commençait à me poser des questions sur l'intimité de Mireille. J'hésitai un peu à chaque fois pour répondre, car je n'étais pas au courant de tous les détails de la vie de Mireille avant notre rencontre, mais dans l'ensemble j'arrivai à lui fournir les réponses qui lui convenaient d'autant plus que les souvenirs de Mireille devenaient de plus en plus accessibles.
— Voyons ce bébé maintenant !
J'étais allongée sur la table d'examen pendant qu'elle préparait ses appareils. Je me sentais angoissée, le bébé allait-il bien ? Elle commença à passer la sonde sur mon ventre. Je vis apparaître sur l'écran la forme de ce bébé qui remuait en moi même si je ne le sentais pas encore. J'étais traversée par des sentiments étranges. J'étais à la fois le père et la mère. Une bouffée d'émotion me monta au visage et je commençais à pleurer. En dépit de son aspect austère, elle me sourit en me disant : cela arrive souvent la première fois ! Regardez ! On dirait qu'il vous dit bonjour !
En effet, on pouvait observer sa petite main qui remuait comme pour nous saluer.
Tout juste remise de mes émotions, je rentrai chez moi pour préparer la chambre comme Madame Rose me l'avait demandé. Je devais en retirer tous les objets électriques et tirer les rideaux pour être dans la pénombre. Elle m'avait aussi dit de retirer les draps et de mettre ce qu'il fallait pour protéger le matelas. Lorsque j'eus fini ces préparatifs, elle arriva. Elle portait un panier à chat à la main.
— C'est pour le sacrifice !
J'entendis les gloussements d'une poule. Elle comprit à mon regard que j'étais dubitative.
— Je vous l'ai dit l'autre jour, pour renforcer la puissance d'un sort, il faut l'accompagner d'un sacrifice.
— Je comprends, mais j'espère que cela ne va pas être trop bruyant, il ne faudrait pas que les voisins préviennent la police.
— Ne vous inquiétez pas ! Pour être sacrifié, il peut être étourdi avant… Allez dans la chambre et allongez-vous nue sur le lit. Je me prépare pendant ce temps. Et surtout, quoiqu'il arrive, ne bougez pas et ne dites pas un mot tant que je n'ai pas fini.
Nue sur le lit, je vis Madame Rose entrer dans la chambre, tenant une poule noire inerte à la main. Elle avait revêtu une longue robe noire et portait un collier avec de nombreux pendentifs. Elle déposa entre mes jambes puis de chaque côté de ma tête des coupelles avec des herbes aromatiques qui dégageaient une fumée épaisse et entêtante.
Elle tourna autour de moi en faisant des gestes dans l'air. Elle prononça des paroles dans une langue que je ne reconnaissais pas. La fumée commençait à me monter à la tête, je n'étais plus sûre de ce qu'elle faisait, mais je la voyais prendre le pauvre volatile et l'égorger sur moi. Son sang me recouvrit le ventre, la poitrine puis le visage. Heureusement que j'étais à moitié sous l'emprise des fumées, sinon je me serais mise à hurler et à me débattre. Toujours dans les vapes, je la vis retirer sa robe et venir se mettre à califourchon sur moi, mimant un acte sexuel. Puis plus rien…
Le silence absolu, le noir total…
Une lumière m'attira au loin. Je me dirigeais vers elle. J'avais l'impression d'être frôlé par des spectres, ce n'était pas qu'une impression d'ailleurs. C'était bien des fantômes qui m'entouraient. J'aperçus alors dans une sorte de brouillard mon corps inerte sur le lit d'hôpital.
Je me précipitai vers lui avec enthousiasme.
— Ça marche !
Alors que je n'étais plus qu'à quelques mètres de mon corps, je croisai le regard éthéré et distordu de Mireille. Je me dirigeai vers elle, je vis un léger sourire apparaître sur ses lèvres comme si elle savait que ce mauvais rêve allait finir.
C'est alors que je repensai furtivement à Claire.
Au même instant, je reçus un violent coup qui me repoussa et je tombais dans l'inconscience.
Désappointement
Je recommençai à voir de la lumière, j'ouvris les yeux et je distinguai le visage de Madame Rose. Elle était penchée au-dessus de moi. Je clignai des yeux du fait de la luminosité ambiante. Je tournai le regard à droite et à gauche. J'étais dans la chambre de Mireille. Elle devait avoir vu que j'avais compris que le désenvoûtement n'avait pas marché. Je me préparais à parler quand elle me posa un doigt sur les lèvres.
— Chut ! Ne dites rien, vous devez avoir mal à la tête.
Effectivement, je sentais une douleur au niveau des tempes, la tête prise dans un étau.
— Le sort de désenvoûtement n'a pas marché, pourtant tout avait bien commencé, je vous ai suivi dans votre progression vers votre corps et puis d'un coup, j'ai été éjectée de votre esprit…
— Comment cela ? Je me sentais nauséeuse, je tentais de me lever, mais je n'avais pas d'équilibre et me rallongeais aussitôt.
— Dans ce sortilège, je devais être sûre que votre esprit allait rejoindre son corps, c'est pour cela que je voulais le faire à l'équinoxe, ma magie est la plus forte en période de solstice et d'équinoxe.
— Je comprends bien, mais pourquoi m'accompagner ?
— Il le fallait pour ne pas vous laissez seul, vous auriez pu être abusé par des spectres qui ont besoin de votre énergie vitale pour ranimer leurs corps. Vous auriez alors pu vous réveiller dans un cadavre.
— Un zombie ?
— Oui en quelque sorte. Mais il faut savoir qu'à part avec une puissante magie, aucun esprit ne peut se fixer dans un corps mort. Au bout de quelques minutes à quelques heures, vous auriez été éjecté du cadavre et vous auriez fini par errer dans le non-monde.
— Le non-monde ?
— C'est le lieu où se retrouvent les âmes en attendant que le corps meure. Elles ne peuvent pas rejoindre l'au-delà, et ne peuvent pas revenir dans leur corps.
— C'est là où se trouve celle de Mireille ?
— Oh non ! La sienne est toujours accrochée à son corps, mais elle n'en a plus le contrôle. Le charme qu'elle a utilisé, avait pour but de créer un lien entre vous. Mais vous avez été envoûté par une autre sorcière et cela a donné ce que vous vivez.
J'avais un peu de mal à accepter ce qu'elle me racontait, mais je devais bien admettre que je le vivais.
— Si Mireille n'était pas avec vous, comment auriez-vous pu avoir accès à ses souvenirs ?
Je devais reconnaître que ses arguments n'étaient pas dépourvus de bon sens.
— Mais si j'ai accès à ses souvenirs, a-t-elle accès aux miens aussi ?
— Sûrement, mais je ne peux pas en être certaine…
Je la vis me donner un comprimé et un verre d'eau.
— Prenez ceci, vous avez besoin de vous reposer. J'ai prévenu Claire que vous ne pouviez pas venir travailler aujourd'hui.
Sans me poser plus de questions, avec le mal de tête qui augmentait, je pris le cachet. Je la vis achever de ranger ses affaires et remettre un peu d'ordre dans la maison. Elle me dit qu'elle laissait un mot pour Claire pour lui expliquer ce qui m'arrivait afin qu'elle ne s'inquiétât pas de me voir dormir quand elle allait arriver. Je tentais de lui demander pourquoi, mais ce qu'elle m'avait donné prit le dessus sur ma volonté et je m'endormis d'un sommeil sans rêves.
Je me réveillai à nouveau, et je constatai que la nuit tombait, j'entendis du bruit dans la cuisine. Ce devait être Claire. Je me levai, le médicament et le repos avaient fait leur effet, ma migraine avait disparu.
— Ah ! Tu es réveillée ma chérie. Madame Rose m'a tout expliqué, pourquoi ne m'en as-tu pas parlé avant ?
J'étais un peu paniqué. Qu'à bien pu lui expliquer Madame Rose ?
— Tu aurais dû me dire que la grossesse et l'angoisse par rapport à l'état de Franck t'avaient fatiguée à ce point. Je ne t'aurais pas demandé tout ce que je t'ai demandé. Prends quelques jours de congé et repose-toi !
— Merci Claire ! Ces mots me soulagèrent car j'étais effrayé à l'idée que Madame Rose lui ait dévoilé la réalité pour Mireille et moi.
— Je vois que tu vas mieux. Je te laisse te reposer et je repasse te voir demain. Je t'emmènerai à l'hôpital et ensuite, nous irons dans un petit resto thaï qu'une amie m'a fait découvrir. Tu m'en diras des nouvelles.
— Oui ! Si tu veux ! lui dis-je en sentant mes paupières se fermer. Je ne savais pas si c'était dû à la grossesse, au comprimé ou au la séance de sorcellerie, mais je m'endormis en la sentant me poser un doux baiser sur les lèvres avant de partir.
Quand je me réveillai, reposée et détendue, je constatai que le temps était à l'image de mon moral, grisâtre. Je traînai hagarde de la chambre, à la cuisine puis au salon, une tasse de café à la main. Les nausées matinales s'estompaient et dans un geste machinal je caressais mon ventre qui commençait à légèrement s'arrondir. Cela faisait maintenant un peu plus de trois mois que cette aventure étrange avait commencé. Puisque Claire m'avait donné des vacances, j'allais en profiter pour aller acheter des tenues plus adéquates avec mon état, les pantalons et jupes de Mireille commençaient à serrer. Puis j'irais sûrement marcher un peu le long du canal, comme nous le faisions ensemble avec Franck. Depuis, les évènements, je n'avais pas fait beaucoup de sport, j'espérais que cela me ferait du bien.
Je me préparais tranquillement et je remarquai que Claire m'avait laissé un message sur ma boîte vocale. "Coucou ma chérie ! Comment vas-tu ce matin ? Si tu es en forme, viens déjeuner avec nous !" Je l'ai rappelée pour confirmer et je partis les rejoindre. Je n'avais pas réalisé le temps que j'avais pris à me préparer. Il était déjà presque midi.
Je la vis sortir avec Ludivine et elles m'accueillirent avec un grand sourire puis elle me serra fort dans ses bras.
— Encore merci d'avoir été présente quand Ludovic n'était pas bien.
— Oh c'était normal, entre femmes il faut bien se soutenir dans les moments difficiles.
— Oui ! Bien sûr ! Je t'admire. Comment fais-tu pour tenir avec Franck ?
— Eh bien ! Tu vois ! J'ai craqué…
Elle regarda Claire qui lui expliqua rapidement que je devais faire un burn-out avec tout ce qui venait de m'arriver. Elle ne sut que dire, mais je la rassurai.
— Nous avons vécu toutes les deux des moments difficiles. Mais allons manger, je n'ai pas pris grand-chose ce matin et j'en connais un qui réclame !" Dis-je en montrant mon ventre. Mes deux compagnes éclatèrent de rire.
— Allons donner à manger à ce petit bonhomme ! Lance Claire
— Ou petite bonne femme ! Je n'en sais rien encore !
Nous entrâmes dans ce restaurant où nous avions nos habitudes et Ludivine nous raconta ses retrouvailles avec son mari depuis son aventure. Elle nous avoua qu'elle avait un temps songé à le quitter après qu'il lui eut avoué qu'il la trompait et qu'il avait eu des aventures épisodiques avec des call-girls lors de ses déplacements professionnels. Il lui avait promis qu'il ne recommencerait plus et qu'il ferait tout pour s'amender.
— Tu le crois ? Je l'avais vu faire et je l'avais parfois accompagné avant de rencontrer Mireille. Je restais très dubitatif sur la réalité de son repentir.
— Oui je le crois, il a été très choqué par ce qu'il a vécu. Il me dit ne se souvenir de rien, mais je pense qu'il me cache quelque chose.
Je hochai la tête, imaginant très bien ce qu'il avait pu vivre.
— Oui je comprends, tu as raison. Fais-lui confiance !
La suite du repas se déroula sans que nous n'évoquions ma situation et leur attention se reporta sur le bébé à venir. Lorsque je leur dis que je souhaitais passer mon après-midi à faire les magasins pour me trouver des vêtements, Ludivine me proposa de m'accompagner ce que j'acceptais avec plaisir. Son expérience de la grossesse pourrait m'être utile.
Claire nous souhaita un bon après-midi et me dit : à ce soir, on se retrouve à l'hôpital !
Ludivine m'entraîna dans une galerie marchande qu'elle connaissait bien pour la fréquenter régulièrement avec ses enfants et où elle me dit que nous trouverions mon bonheur pour un budget raisonnable. Lorsque nous sommes entrées dans la première boutique, j'avais l'impression que c'était elle qui venait s'habiller. Elle m'entraînait de rayon en rayon en me montrant là des robes, là des pantalons ou encore des leggings ou tuniques. Je ne savais plus où donner de la tête et sous sa supervision, j'enchaînais les essayages. J'enfilais les vêtements, je sortais de la cabine, je lui montrais ce que cela donnait. Elle me regardait souriante ou en faisant la moue. Je la voyais disparaître dans le magasin pendant que je retirais ce que je venais d'enfiler et elle arrivait en me tendant autre chose. Je n'étais même pas perturbée par le fait de me montrer en sous-vêtements. Au bout d'un nombre incalculable de tenues essayées, j'arrivais ou devrais-je dire Ludivine se fixa sur deux robes et trois ensembles. Au moment de passer à la caisse, j'entendis le cri de douleur de ma carte bancaire.
— S'il est comme mon mari, Franck va adorer ce que tu viens de prendre.
— Oui sûrement !
Je ne pouvais pas lui dire qu'effectivement c'étaient des tenues que j'aimais, mais aurais-je l'occasion d'en profiter en tant que Franck ? Le fiasco de Madame Rose m'avait laissé un goût amer.
Avant de nous séparer, nous avons pris un petit goûter dans un salon de thé et elle me proposa de venir passer la soirée du samedi avec Ludovic et elle. Ils fêtaient la fin des travaux d'aménagement de leur maison.
— Cela te changera les idées !
Je réservai ma réponse et je rentrai poser mes achats avant de me rendre au chevet de mon corps.
Dans le couloir, je croisai Madame Rose qui me demanda si j'allais mieux. Je ne m'attardai pas, car elle était en plein travail au chevet d'un malade. Lorsque j'entrai dans la chambre, je ne pus que constater la constance de mon état. Mon corps respirait seul sans assistance, mais il devait être nourri par une sonde et des perfusions et bien évidemment une infirmière devait s'occuper de sa toilette. Je m'assis à côté du lit et je pris ma main. Le contact de la peau me troubla. Je réalisai que je me voyais par l'intermédiaire de Mireille et je commençais à comprendre ce qu'elle me trouvait et pourquoi elle s'était attachée à moi. Dans ces moments d'émotions, nos deux pensées étaient sur le point de fusionner, mais il manquait toujours quelque chose pour que nous y parvenions.
J'étais pensif, soudain une idée me traversa l'esprit. Et si ce n'était pas le corps de Mireille qui devait être sacrifié, mais le mien ?
Je me levais rapidement du fauteuil et je quittais précipitamment l'hôpital pour rentrer à l'appartement. Je ne vis pas le regard surpris de Madame Rose, vraiment surprise de me voir partir sans venir la saluer comme à mon habitude.
Aussitôt arrivé, je ne pris pas le temps de me faire à manger et je pris de quoi grignoter en me connectant sur internet. Je dirigeais mes recherches sur les sorts et envoûtements. Je fis rapidement le tri. Au milieu de tous les sites et forums saturés de messages postés par des adolescents en quête de frissons et d'ésotérisme de salon, je découvris dans l'historique du navigateur, une page bien cachée, discrète, avec comme symbole une fleur bleuâtre.
Cette page semblait être tenue par une sorte d'organisation très ancienne et permettait d'accéder à des informations sur un nombre incroyable de sortilèges. Je découvris ainsi le sort que Mireille avait lancé. Elle semblait avoir l'habitude de venir sur ce site, car elle disposait d'un compte. Je me concentrais sur son esprit et je découvris son code d'accès.
Je pus ainsi accéder aux messages qu'elle avait échangés avec un certain comte Wilhelm Van Dyck.
Cet homme lui expliquait en détail comment préparer le sort et ce qu'elle devait faire pour le réussir. Il la mettait cependant en gare en lui expliquant que si les sentiments de l'un des deux n'étaient pas sincères cela risquait d'échouer. Elle lui avait répondu qu'elle était certaine de mes sentiments pour elle et qu'elle n'avait aucun doute sur sa réussite. Après de nombreux échanges où il s'assurait de la volonté de Mireille et de sa capacité à lancer le sort, il se résolut à lui donner l'ingrédient ultime, une fleur de pandora.
Alors que je me demandais ce qu'était cette fleur, je vis que ce correspondant avait récemment repris contact avec elle et lui demandait si elle avait bien reçu la fleur et lancé son sort.
J'hésitais un peu puis je lui mis un message, allais-je enfin pouvoir sortir de cette situation ?
Dans le message, je lui expliquai la situation ce coup-ci en n'omettant aucun détail, ni la rencontre avec la sorcière, ni l'échec de désenvoûtement de Madame Rose et encore moins la grossesse et ma relation avec Claire.
J'ignorais s'il me répondrait, mais je me disais que je n'avais rien perdu à lui écrire.
Après avoir pris une tisane, je m'endormis en réalisant que Mireille semblait connaître bien plus de choses dans le domaine de la magie que Madame Rose ne l'avait imaginé.
Décision
Lorsque je me réveillais le lendemain matin, je me suis précipitée sur l'ordinateur pour voir si j'avais reçu une réponse au message envoyé dans la nuit. Je m'y attendais un peu, mais je fus tout de même déçu de ne pas voir de réponse, après trois mois sans nouvelles, il devait penser que sa correspondante avait renoncé.
Claire était partie dans sa famille pour le week-end. J'étais seule. Je passais la journée à me reposer et comme je me l'étais dit la veille, j'ai marché le long du canal en réfléchissant à la situation. Plus le temps passait et mieux je maîtrisais ce corps, de plus j'avais accès de plus en plus facilement aux souvenirs de Mireille. L'amitié intime de Claire ne me déplaisait pas et je commençais à remarquer que les hommes me regardaient. Je n'avais jamais eu ce type de regards avant. J'ai donc décidé de vérifier cela au cours de ma promenade.
Profitant des rayons du soleil, je me suis installée sur un banc pour lire tranquillement. Je restais attentive aux promeneurs, des amoureux en goguette, des familles plus ou moins unies, de gens seuls à la recherche de l'âme sœur. Je vis des regards vers moi, des sourires enjôleurs auxquels je répondis. Comme je m'en doutais, un homme s'approcha de moi et me demanda si j'attendais quelqu'un. Je lui répondis par la négative et il s'assit à côté de moi.
Un peu plus tard, nous étions assis à la terrasse d'un restaurant pour profiter d'un début d'automne radieux. Je réalisais le pouvoir de séduction que j'avais. Je décidais de ne pas pousser plus loin et je le remerciais pour ce moment passé ensemble en lui promettant de le revoir un autre jour.
En rentrant, je jetais de nouveau un coup d'œil sur l'ordinateur, mais ma boîte de messages restait vide. Je continuais mes recherches sur le net pour essayer de comprendre ce que je vivais. Je ne trouvais absolument rien de plus que ce que le site mystérieux en disait et ce que Madame Rose m'en avait dit. D'après ce que je découvris, nos esprits devaient fusionner plus ou moins rapidement et logiquement je pourrais réintégrer mon corps à l'issue de ce processus. Cela me donna un peu d'espoir, mais il n'y avait aucune indication sur le temps que prendrait cette fusion
Je m'endormis avec cette interrogation et lorsque je vis un message qui m'attendait, je l'ouvris avec excitation. Ce n'était que Ludivine qui me demandait si je n'avais pas oublié son invitation à sa petite fête. Je n'avais pas oublié et je me préparais tranquillement en choisissant un des ensembles que nous avions achetés.
Ludivine m'accueillit avec plaisir.
— Mireille ! Quel plaisir de te voir. Ludovic est dans le jardin, il prépare le barbecue. Avec le temps qu'il fait, on va encore profiter du jardin.
— Merci pour l'invitation ! Ça va me changer les idées.
— Profite du moment ! Je vais te présenter aux invités.
Elle me conduisit sur la terrasse où je saluai Ludovic qui avait bien changé depuis sa mésaventure, il était devenu un homme charmant. Après avoir fait le tour de leur petite propriété, je proposai mon aide à mon hôtesse.
— Non ! Profite de la journée ! Tiens ! Prends ce plateau et emmène le dehors je te suis dans quelques minutes.
Je pris le plateau d'amuse-gueules qu'elle m'avait donné et je retournais avec les autres. Mon regard croisa alors celui de Laurent, si je me souvenais bien, il s'agissait d'un cousin de Ludivine.
— Merci ! me dit-il avec un sourire ravageur. Mon corps se mit à réagir comme lorsque Claire m'avait prodigué ces massages dans les premiers jours de mon aventure. Je réalisai que cela faisait maintenant trois mois que le corps de Mireille avait été privé de relation avec un homme. Et devant ces yeux d'un bleu profond, les instincts de Mireille étaient en train de revenir en force. Je ne pouvais pas la blâmer, j'avais bien cédé aux charmes de Claire.
— De rien ! Je posais le plateau sur la desserte et je vins m'asseoir à côté de lui.
— Vous êtes une collègue de Ludovic ?
— Oui, mais disons qu'il travaillait surtout avec mon fiancé. Cela me faisait de moins en moins bizarre de parler de moi de cette manière, j'avais accepté de vivre dans le corps de Mireille.
— Pourquoi parlez-vous au passé ?
— On peut se tutoyer, non ?
— Oui ! Bien sûr ! me dit-il en riant. Bien sûr !
— Ils ne t'ont pas raconté ce qui lui est arrivé ?
— Plus ou moins, mais il va s'en sortir.
— Je l'espère, mais je n'y crois plus trop. Et soudain sans que je comprenne pourquoi, je me suis effondrée en larmes. Était-ce la sensibilité féminine de Mireille qui reprenait le dessus ?
Laurent me prit dans ses bras pour me consoler. Je me suis blottie dans ces bras, ce corps féminin appréciait cette sensation de protection. Je repris contenance et je me suis reculée en luis souriant.
— Merci, excuse-moi !
— Je comprends. Ne t'inquiète pas ! Il me tenait la main quand Ludivine arriva avec les plats pour que son mari les mette sur le barbecue. Elle me fit un sourire, mais ne releva pas le fait que je fusse presque dans les bras de son cousin.
À la fin de la journée, Laurent me demanda si j'acceptai de le revoir. Nous avions presque passé toute l'après-midi à parler ensemble, il m'avait raconté son histoire, je savais ce qu'il aimait et ce qu'il détestait. Je lui avais parlé de moi, de nous en fait. J'étais troublée, j'étais en train de tomber amoureuse de cet homme et j'avais bien vu à son regard que je ne le laissais pas indifférent.
Je me rendis à l'hôpital au chevet de mon corps. Assise là devant lui, je ne pus m'empêcher de me dire que la situation ne pouvait pas durer, il fallait que je fasse quelque chose pour arrêter cela.
— Vous allez bien ?
Je me suis retournée, Madame Rose se tenait derrière moi. C'était la première fois que nous nous reparlions depuis son échec.
— Non ! Je ne sais plus où j'en suis. Je suis en train de devenir Mireille.
— Oui ! Je m'en rends compte, mais vous ne le serez jamais totalement. Tant que votre corps sera vivant, vous resterez Franck.
Je la regardais et je compris alors ce que je devais faire.
Renaissance
Profitant de l'absence de l'infirmière dans le bureau infirmier, je me suis approchée de la perfusion qui alimentait mon corps et j'ai injecté la solution de chlorure de potassium que j'avais réussi à subtiliser discrètement quelques jours plus tôt.
Aussitôt, je vis mon corps inerte parcouru de spasmes et les appareils de surveillance se sont affolés. Je sortis en courant dans le couloir paniquée en appelant l'infirmière de garde qui revenait tranquillement vers le bureau.
— Que se passe-t-il ? me demanda-t-elle inquiète par mon état d'excitation.
— Venez vite ! Je crois qu'il ne va pas bien.
Nous nous sommes précipitées dans la chambre et l'infirmière vit mon corps sans vie sur le lit. Elle appela le médecin de garde en lui décrivant calmement et professionnellement la situation.
Je sombrai alors dans l'inconscience…
Pendant un temps indéterminé, mon esprit resta dans le flou et au moment où je repris conscience, je réalisai que je n'étais plus dans le corps de Mireille.
Je ne voyais rien, je n'entendais rien, je ne sentais rien, je ne ressentais même plus rien. Je me mis à hurler, mais aucun son ne sortait de ma bouche, d'ailleurs en avais-je une ? Je ne pouvais plus bouger.
Une voix traversa alors mon esprit. Tu as voulu forcer le destin, le destin s'est vengé. On ne met pas impunément fin à une vie.
Puis de nouveau, plus rien...
Sauf la perception d'un bruit régulier comme de battements de cœur.
Mes souvenirs commencent à s'estomper.
— Qui suis-je ? Où suis-je ? Une voix étouffée me parvient dans cette tiède obscurité.
— Comment vas-tu mon bébé ce matin ?