Le Monde de la Dame -01- Le trompettiste

Ver Du

Un homme désespéré fait une étrange rencontre et découvre son destin.

Sauvetage

 

Hagard, il sortit par la porte de service de cette célèbre boîte de Jazz de Saint Germain des Prés. Il était encore sous le choc de sa discussion avec le gérant. Cela faisait des années qu'il jouait de la trompette dans ce lieu mythique tous les soirs ou presque et voilà que ce soir, après un dernier bœuf avec un groupe invité pour la soirée, il venait d'apprendre qu'il ne serait plus le bienvenu.

Il tenait son étui dans ses bras, dans la nuit tiède de l'été et ses pas le dirigeaient vers les quais et la Seine.

— Toi aussi tu t'es fait virer de chez toi ? lança-t-il à un vieux chien au pelage abîmé qui le regardait tout en fouillant dans un sac-poubelle.

Il n'y avait plus personne dans les rues, les derniers passants étaient rentrés chez eux après la fermeture des bars et restaurants et ceux qui commençaient tôt n'étaient pas encore arrivés. C'étaient ces quelques heures magiques où Paris n'appartenait qu'à celui qui s'y promenait.

À quelque distance de là, dans un quartier de la rive droite, le long d'une large avenue bordée d'arbres, une soirée à thème se terminait. Des femmes en crinoline et des hommes en habits sortaient de cet hôtel particulier et montaient les uns après les autres dans de superbes berlines de luxe. Une de ces voitures prit la direction du centre de Paris. Longeant les Tuileries, elle se dirigea vers le Pont Neuf. Au moment où elle le franchissait, la femme cria.

— Chauffeur ! Arrêtez-vous !

La voiture s'arrêta et la femme sortit en courant pour attraper l'homme debout sur le parapet qui s'apprêtait à se jeter dans le fleuve.

— Qu'alliez-vous faire ? Pensez aux personnes qui auraient retrouvé votre corps !

— Si vous saviez ! lui répondit-il. Je viens de perdre mon travail et ma raison de vivre. Alors que m'importe ce que pensent les autres."

— Un travail cela se retrouve. Que faisiez-vous ? Et vous ne sentez pas l'alcool, donc vous ne finissez pas ici après avoir passé la soirée à ressasser votre malheur.

— Je suis musicien de Jazz ! Trompettiste exactement. Et je viens de me faire virer par le patron de la boîte, car il paraît que sa dame me lorgne de manière trop gourmande.

— Prenez votre étui et montez ! Je n'ai pas envie de finir la soirée sur ce pont et vous non plus.

— Oui, Madame ! dit-il en montant pour s'asseoir à côté de cette femme qui lui semblait de plus en plus charmante, avec un charisme indéfinissable.

Une sorte de force irrépressible lui disait de monter et de suivre cette inconnue. Sans comprendre ce qui lui arrivait, son envie d'en finir avait disparu. Cette femme par ces quelques mots lui redonna confiance en lui et en son avenir.

— Florent ! Se présenta-t-il.

— Sylvie ! Enchantée.

La voiture redémarra et elle entama la conversation. La nuit aidant elle était volubile et harcelait son hôte de questions. Elle voulait tout savoir de lui, ce qu'il aimait, où il vivait, ses amours, ses plaisirs, ses désespoirs.

Il lui répondait sans se poser de questions. Après tout, il n'avait plus rien à perdre.

Après quelques minutes de trajet, ils franchirent le portail d'un petit manoir de la grande banlieue parisienne.

— Je vous propose de passer la nuit ici, il y a de la place.

En sortant de la voiture, il regarda admiratif la façade éclairée de la bâtisse. Son hôtesse l'accompagnait et arrivés dans le hall d'entrée, un homme d'âge mur vint les rejoindre.

— Mon chéri, je te présente Florent, un musicien en perdition.

— Je te reconnais bien là ma chérie, lui dit-il en l'embrassant, tu es toujours à jouer à la bonne samaritaine !

— Je n'allais pas le laisser se jeter dans la Seine, même si c'est un geste romantique !

— Allez, mon ami ! Allons au salon et racontez-moi vos aventures. Peut-être y trouverai-je matière à écrire.

— Vous êtes écrivain ?

— Oh écrivain ! C'est vite dit ! Je tente de raconter des histoires ! Actuellement, c'est une troupe de cirque qui m'a demandé d'imaginer une histoire pour que leurs numéros sur la piste ne soient pas qu'un enchaînement de prouesses, mais qu'il y ait un fil conducteur.

— Ah oui ! Ça change de ces cirques où l'on passe du coq à l'âne entre chaque numéro.

— C'est le cirque moderne ! Il faut au moins cela pour attirer les spectateurs.

Sylvie arriva alors pour les informer que la chambre de Florent était prête. Malgré l'heure avancée, ils continuèrent de parler tous les trois autour d'un vieil armagnac que l'homme venait de sortir de sa réserve. Ensemble, ils devisaient sur le monde du spectacle qui n'était plus le même et dans lequel l'argent et le superficiel avaient plus d'importance que la profondeur et la qualité des artistes.

— Demain si vous le voulez, venez avec moi, je vais visiter le cirque dont je vous parle pour voir où ils en sont dans leurs répétitions.

— Ce sera avec plaisir.

— Emmenez votre instrument, qui sait ? Ils auront peut-être une place pour vous ! Ajoute Sylvie en riant.

Ils achevèrent leur verre avant de retrouver chacun leur chambre.

Détendu par l'accueil qui lui avait été fait, Florent se coucha l'esprit plein d'étoiles, de trapézistes, de voltigeuses à cheval au son d'un orchestre de cirque dont les envolées musicales annonçaient les moments intenses et forts d'un numéro d'équilibriste ou de jonglage.

De nombreuses interrogations traversaient ses pensées.

Et si son avenir passait par le cirque ? Quitter l'oppression de la ville et partir sur les routes, voir du pays comme autrefois les ménestrels.

Cette rencontre inattendue venait de lui ouvrir de nouveaux horizons. Des sentiments variés parcouraient son esprit, tiraillé entre le désespoir de son licenciement et l'espoir apporté par cette rencontre inattendue. L'entrain de ce couple le stimulait.

Il était encore pensif quand les voiles du sommeil se posèrent sur lui pour l'emmener aux pays des songes.


 

Le lac

 

À l'autre bout du château dans une chambre avec un lit un baldaquin, allongés côte à côte , Sylvie et son compagnon reprenaient leurs esprits après une joute amoureuse dont ils étaient tous les deux sortis vainqueurs.

— Comment as-tu su que ce serait celui qu'il fallait ?

— Arthur ! Tu sais bien que mon intuition m'a rarement trompée quand il s'agit de trouver un Appelé pour la Dame de l'Onde. Cela va faire des siècles que nous sommes chargés de cette tâche et combien de fois nous sommes-nous trompés ?

— Assez peu souvent, certes, mais à chaque fois, ce fut une catastrophe ! Souviens-toi de certaines années sombres… Tu avais pensé trouver celui qui saurait influencer le cours des évènements…

— Et je l'ai trouvé ! Effectivement, les choses n'ont pas tourné comme nous l'avions imaginé, mais il fut l'élément déclencheur. Je sens que ce nouveau compagnon sera lui aussi la clé d'un évènement majeur qui va changer le flot du temps.

En disant ces mots, drapée dans sa longue chevelure brune, Sylvie se leva et alluma une cigarette qu'elle alla fumer nue sur la terrasse. Ses cheveux noirs de jais contrastaient avec la pâleur de sa peau et brillaient sous la lumière froide de la pleine lune. Elle regardait son compagnon qui lui souriait.

— Je suis certaine que ce trompettiste va nous surprendre ! Et n'oublie pas que je l'ai trouvé près du fleuve. Il allait rejoindre la Dame à sa manière !

— Je l'espère. J'ai pu me rendre compte qu'il a l'esprit assez vif et il semble assez ouvert. Il n'a pas eu l'air surpris quand nous lui avons dit que nous n'étions pas les seuls occupants de ce manoir, mais que parfois ceux qui vivaient là avant nous venaient nous rendre une petite visite.

— Oui, j'ai vu son visage s'éclairer et j'ai apprécié son sourire. Nous verrons ce qu'il en est demain matin.

Dans sa chambre, Florent dormait calmement alors qu'une lueur blafarde s'approcha de lui. Il s'agita un peu lorsqu'elle l'enveloppa quelques secondes.

Au matin, il se réveilla détendu, mais troublé par le rêve qu'il avait fait au cours de la nuit. Il était encore songeur en descendant l'escalier qui le conduisait vers la cuisine. Il sentait déjà les effluves de café chaud.

Lorsqu'il entra, il fut accueilli par Arthur qui prenait son petit déjeuner en lisant le journal du matin.

— Bonjour, vous avez bien dormi ? Sylvie ne va pas tarder à nous rejoindre. Elle est absente, car, comme à son habitude, immédiatement levée, elle file monter sa jument.

— Oui merci, cela faisait longtemps que je n'avais pas aussi bien dormi. En disant cela, il pensait toujours à son étrange rêve.

— Que vous arrive-t-il ? Vous me semblez bien songeur.

Florent allait répondre, mais Sylvie, radieuse dans sa tenue de cavalière, pénétra dans la cuisine. Il n'arrivait pas à détacher son regard de cette apparition. Elle se dirigea vers son mari et lui posa un baiser tendre puis salua son hôte avec un grand sourire.

— Vous allez venir avec nous pour découvrir où en sont les artistes du cirque ?

— Ce sera avec plaisir, mais j'aimerais passer chez moi afin de mettre des vêtements frais et peut-être plus adéquat avec ce nous allons faire.

— Pas de soucis, notre chauffeur vous déposera chez vous pour que vous puissiez faire ce que vous avez à y faire. Il vous conduira là-bas ensuite. Il connaît l'endroit.

— Oui ! De notre côté, nous partirons en avant et vous nous rejoindrez.

Ils finirent tranquillement de prendre leur collation et quelques viennoiseries en commentant les nouvelles du jour.

Florent remonta dans sa chambre pour récupérer l'étui contenant sa trompette, avant de se faire accompagner chez lui par le chauffeur de ses hôtes. Lorsqu'il quitta le manoir, il en profita pour bien le regarder et admirer le parc à la française aux parterres bien ordonnés ainsi que ses haies taillées au cordeau. Il n'osait pas imaginer le coût de l'entretien d'une telle propriété. Il n'en ratait pas une miette comme si c'était la dernière fois qu'il le voyait.

Lorsque la berline franchit la grille du parc, l'homme prit la parole.

— Si je peux me permettre, au vu du temps qu'il va faire, je conseille à Monsieur de prévoir de quoi se baigner, car le chapiteau s'élève au bord d'un plan d'eau et les artistes ont l'habitude d'aller piquer une tête après leur répétition.

— Je vous remercie, je vais préparer cela alors !

Il hocha la tête en réponse et le conduisit jusqu'au pied de son immeuble sans ajouter un mot.

Une fois arrivé, Florent s'engouffra dans l'immeuble en indiquant au chauffeur un endroit propice pour l'attendre. Il remplit rapidement un petit sac avec les affaires conseillées et, quelques minutes plus tard, ils repartaient en direction du périphérique avant de s'engager sur l'autoroute du Sud. Après quelques heures, la voiture quitta la voie rapide pour s'engager vers un massif forestier de belle taille. Au détour d'un virage, il découvrit avec émerveillement un lac dans lequel un majestueux chapiteau se reflétait comme dans un miroir.

La luxueuse berline s'arrêta à côté d'un SUV appartenant probablement à ses hôtes. Il marcha vers le chapiteau et commença à entendre la musique qui rythmait les numéros. Il entra et s'approcha de ses hôtes. Arthur le vit et d'un signe de la main, l'invita à les rejoindre. Il observait les artistes évoluer sur la piste. Il appréciait l'adresse des jongleurs, la précision du lanceur de couteaux et le bagou du magicien. Mais celle qui attira son regard fut une écuyère qui faisait de la voltige sur un magnifique alezan. Non seulement elle était une gracieuse voltigeuse, mais aussi une jongleuse émérite. Il ne la quitta pas des yeux et lorsque le numéro se termina, il la suivit du regard et n'entendit pas Arthur lui demander son avis sur la musique.

— Hein ! Excusez-moi ! dit-il en sursautant. Que me demandiez-vous ? Ah oui, la musique ! Il réfléchit un peu en se remémorant les divers morceaux.

— Je pense qu'il faudrait plus harmoniser entre les numéros, que l'on retrouve un thème commun. Un thème joué de manière différente selon les artistes et l'intensité dramatique que vous voulez lui donner.

Sylvie notait ces remarques et dit qu'elle les transmettrait au compositeur de la musique. Florent prit sa trompette et joua ce qu'il venait d'expliquer. La plupart des artistes étaient revenus pour l'écouter et il eut droit à une ovation lorsqu'il cessa de jouer.

— Vous savez merveilleusement bien faire ressortir les émotions que nous voulons transmettre dans nos numéros. La synergie entre la musique, le texte et ce que nous faisons devraient faire frissonner le public le félicita le metteur en scène.

Ensemble, ils se mirent à discuter sur la musique et comment ponctuer les numéros. Ils étaient toujours en train de parler lorsque la jeune voltigeuse les rejoignit, vêtue d'un maillot de bain sous un paréo. Elle l'écoutait les yeux brillants et semblait en extase quand il illustrait ses propos à la trompette. À la fin de son exposé musical, le groupe se sépara pour se préparer à la baignade traditionnelle, seule resta la jeune femme qui le dévorait des yeux. Ils commencèrent à se parler et à partager leurs émotions et leurs histoires qui par bien des aspects se ressemblaient. Ils en oublièrent le monde qui les entourait quand une trapéziste les interrompit.

— Eh ! Les amoureux, vous oubliez la tradition, tout le monde au bain !

— On arrive, lui répondit-elle et se tournant vers Florent : tu as ce qu'il faut pour te baigner ?

— Oui, on m'avait prévenu avant de partir, dit-il les yeux rivés sur la jeune femme debout devant lui, dans le contre-jour de l'entrée du chapiteau.

C'était la première fois depuis longtemps que sa musique était reconnue et qu'il pouvait jouer un morceau de son cru sans être obligé de rejouer les inévitables classiques du jazz qu'attendaient les touristes qui venaient dîner dans le club.

— Allons-y ! Sinon nous allons finir tout habillé dans le lac. Lui dit-elle en riant.

Ils sortirent et rejoignirent les autres qui étaient prêts à plonger. Certains étaient déjà dans l'eau à se rafraîchir. Florent décida de s'isoler afin de se changer à l'abri des regards. Il enfila rapidement son short de bain et s'installa à l'ombre d'un saule en compagnie de sa nouvelle amie, très pensif de ce qu'il vivait depuis la veille au soir. Il observait de loin ses nouveaux camarades en se disant qu'il serait bien avec eux et qu'il devrait se trouver une chambre pour se loger dans la région, car il n'avait pas les moyens de faire le trajet tous les jours depuis Paris.

C'est plongé dans ses réflexions que son regard fut attiré par une femme qui émergeait du lac. Si l'écuyère l'avait ébloui par sa grâce et son élégance, il ne savait que dire de l'apparition qui sortait de l'onde telle Vénus sortant des eaux. Une longue chevelure brune entourait son visage, voilant dans le même temps sa nudité. Elle semblait entourée d'un halo de brume qui diffractait la lumière du soleil. Il se sentit transpercé par ce regard. Une force irrépressible le guidait vers la main qu'elle lui tendait. Il se leva et avança dans l'eau lentement. Il reconnut alors la femme de son rêve et ne se posa pas de question et ne remarqua même pas l'eau qui semblait s'écarter devant lui. Il marchait sans réfléchir sûr et certain que son destin était d'aller à la rencontre de cette femme.

À l'autre bout de la plage, une voix criait vers lui et surtout affola les baigneurs qui voyaient cet homme s'avancer lentement mais sûrement vers le milieu du lac. Et malgré toute la célérité dont ils firent preuve, ils ne purent que constater sa disparition au milieu du plan d'eau. Ils ne comprenaient pas pourquoi ils ne le voyaient pas se débattre comme le ferait toute personne se noyant. Camille resta les yeux pleins de larmes à fixer le point ou Florent avait disparu. Pour la première fois qu'elle se sentait en phase avec un homme, celui —ci disparaissait sous ses yeux.

Dans leur coin, Arthur et Sylvie se regardèrent en souriant, complices.

— Alea jacta est ! Il a rencontré la Dame !

Le Manoir

 

Quelques jours après la disparition de Florent, Sylvie et Arthur discutaient sous la tonnelle dominée par l'ombre massive de leur manoir.

— Combien de temps la Dame va-t-elle le garder ?

— Tu sais bien que le temps avec elle ne s'écoule pas de la même manière qu'ici. Cela peut durer une heure comme un siècle. Nous ne pouvons que patienter.

— Je le sais bien et c'est cela qui m'inquiète, le point nodal approche et cette fois-ci, il nous a fallu un temps fou pour trouver la bonne personne. Les hommes n'ont jamais été aussi nombreux, mais il est de plus en plus difficile de trouver ceux ou celles qui seront capables de rencontrer et de survivre à une rencontre avec Elle. Le Sang Sacré se dilue de plus en plus.

— J'en conviens, mais le temps est révolu où nous pouvions invoquer l'esprit de la mère pour revivifier le Sang Sacré. Regarde comment cela s'est terminé la dernière fois. Une vierge ! Un homme qui se prend pour le fils de Dieu ! Bon ! Il n'avait pas tout à fait tort. Et pour finir, une crucifixion qui donne naissance à une religion qui a combattu nos semblables et permis l'essor de la raison.

— Et donné lieu à des expéditions pour retrouver le Graal, je ne suis pas peu fière de cette quête induite. Cela a pu donner de grandes légendes à raconter à la descendance qui enchante toujours le monde. Certes, nous devons faire avec, mais notre discrétion nous a permis de réaliser de grandes choses et même si notre influence diminue, nous poursuivons toujours notre tâche afin d'accompagner l'espèce humaine vers son ultime évolution en la protégeant …

— Au fait ! J'ai été contacté par Günter, il va réunir le Conseil des Anciens pour savoir où nous en sommes dans notre quête. Apparemment les autres espèrent beaucoup de notre "Appelé".

Finissant tranquillement son verre de Cognac, Sylvie regarda son époux.

— Que veux-tu que nous leur disions ?

Arthur tira doucement sur sa pipe de buis et contempla les volutes de fumée qui s'élevaient au-dessus de lui dans l'air tiède de cette soirée d'été.

— Tant que Florent n'est pas revenu du lac, nous ne saurons pas ce que le destin nous réserve.

— Je le sais et cela m'inquiète un peu. C'est le premier que nous trouvons depuis près d'un siècle. Jamais nous n'avions passé autant de temps à chercher un "Appelé". Comme si le monde ne voulait plus de nous.

— Combien d'entre nous reste-t-il aujourd'hui ? Nous étions cent quarante-quatre quand la Mère nous a créés et envoyés sur ce monde pour le faire grandir, douze couples par continent. Nous fûmes Zeus et Héra, Odin et Freyja, Isis et Osiris. Nos enfants furent des héros.

— Ne sois pas nostalgique ! Ce temps est fini. Aujourd'hui, nous nous sommes fondu dans la masse et avoue que ce n'est pas désagréable. La dernière fois que tu as voulu t'impliquer directement dans les affaires des hommes pour les beaux yeux d'un petit roi, tu as fini sur un bûcher. J'ai dû te remplacer in extremis dans les flammes par cette jeune paysanne qui venait de mourir d'une mauvaise grippe. La foule a cru à une intervention divine venue chercher ton âme. Nous sommes plus tranquilles et plus efficaces en restant loin des puissants de ce monde.

— Je t'en suis reconnaissante, mais cette fois-là, j'ai réussi à rétablir l'équilibre et la paix sur ces terres ravagées par la guerre.

Elle prit son verre, se leva et se dirigea vers le plan d'eau qui ornait ce côté du parc. Il la regarda s'éloigner, toujours aussi majestueuse dans sa robe longue. Le reflet des rayons de lune sur sa chevelure lui redonnait l'image de ce qu'elle était réellement, une déesse.

Une biche surgit alors des bois, traversa l'espace dégagé autour de l'étang et s'approcha de Sylvie qui tendit la main. L'animal inclina la tête et lécha la paume tendue.

— Que veux-tu me dire ma belle ?

La reine de la forêt regardait fixement la femme souriante debout devant elle et silencieusement, un échange d'informations s'établit entre les deux êtres.

Aussi rapidement qu'elle était apparue, la bête disparut derrière les arbres. Le visage radieux et apaisé, Sylvie revint vers son mari

— Je pense que nous avons notre réponse !

Il la prit par la taille et lui posa un baiser sur les lèvres.

— En effet ! Je ne m'attendais pas à cela.

Enlacés, ils rentrèrent afin de comprendre le sens caché du message transmis par cette visite inattendue.

 

Le lendemain, avant l'aube, le couple ferma le manoir et conduits par leur chauffeur, ils quittèrent la propriété. Dès que le portail se referma derrière eux, Arthur fit un geste et une lueur furtive entoura le domaine. Tous ceux qui seraient tentés de franchir les grilles qui permettaient de découvrir ce manoir dix-huitième avec son jardin à la française, seraient immédiatement ramenés sur le trottoir. Cela avait évité de nombreuses visites inopportunes lors de leurs longues absences.

Se dirigeant vers le soleil levant, le chauffeur s'engagea sur l'autoroute pour quitter la ville. Après plusieurs heures de route et quelques arrêts bienvenus, ils franchirent le pont-levis d'un château médiéval perché au sommet d'un piton rocheux. Il dominait une vallée encaissée et faisait face à un vieux temple en ruines.

Le couple fut accueilli devant l'entrée majestueuse par un homme de haute taille au visage taillé à la serpe entouré d'une chevelure et d'une barbe grisonnante.

— Günter ! Nous sommes ravis de vous revoir, cela fait si longtemps.

— Vous avez raison, le plaisir est partagé, leur répondit-il tout en faisant une accolade à Sylvie. Mais après les derniers évènements en Europe, j'ai dû prendre du recul.

— Ce recul a duré plus de cinquante ans ! Rétorqua Sylvie en souriant.

— Ma chère, vous savez bien que là-bas, le temps ne s'écoule pas de la même manière qu'ici. Pour moi ce ne fut qu'une absence de quelques mois. En rentrant, j'ai croisé "l'Appelé", il semble prometteur. Et il n'est pas resté prostré après avoir franchir le Rideau. Il semblait même préparé à ce qui lui arrivait. Est-ce vous qui l'avez initié ?

Sylvie et Arthur se regardent étonnés.

— Non pas du tout, nous ne l'avons connu que quelques heures.

— J'ai tout de suite ressenti quelque chose de spécial quand je l'ai rencontré, mais il m'a semblé être d'une pureté de sang telle que je ne l'avais pas constatée depuis des siècles.

— Oui, j'ai ressenti la même chose.

— Allez ! Suivez-moi ! De toute manière tant que nous ne saurons pas sur quel évènement la Dame veut influer, nous ne pouvons pas faire grand-chose.

— Dites-nous, Günter, qui sera à cette réunion ?

—Pour la première fois depuis des années, nous serons tous réunis. Enfin tous ceux qui sont toujours en vie sous leur forme matérielle.

— Et combien sommes-nous encore ?

— Hélas ! Plus assez nombreux. Notre influence diminue de plus en plus et les nouvelles croyances et superstitions ne nous permettent pas de nous régénérer. Les hommes n'imaginent plus de nouveaux être surnaturels, leur imagination semble s'être tarie. Et de plus, ils ne croient plus assez au surnaturel, ils n'ont plus assez de foi pour permettre à de nouveaux dieux de naître et pour la plupart d'entre nous, nos pouvoirs disparaissent. Qui croit encore que la foudre vient de Zeus ou le vent d'Eole ?

— Je suis d'accord avec toi, cela fait bien longtemps que je ne suis plus capable de frapper quelqu'un à distance par la foudre, dit-il en riant.

— Il nous reste encore la possibilité de voyager d'un plan à un autre, de deviner si un être humain est bon ou mauvais, d'influer sur leurs pensées et nous ne vieillissons pas.

— Piètre consolation !

À ce moment-là, le crissement de roues sur le gravier devant le manoir se fit entendre. Des portes claquèrent et des cris résonnèrent dans la cour.

— Ce sont nos amis des autres continents qui arrivent. J'ai été les faire prendre par un taxi à l'aéroport. Mais je constate que l'ambiance est toujours aussi houleuse entre Hiroshi et Eléonore.

En effet, ils pouvaient entendre des éclats de voix.

— Ce n'est pas moi qui largué cette bombe ! Ils ont pris la décision tout seuls et de plus de ton côté, tu n'as pas fait grand-chose pour éviter les exactions.

— Tu sais bien qu'à cette période, les réactions étaient tellement irrationnelles que nous n'arrivions plus à rien maîtriser. Même la Dame n'a rien pu faire. Les quelques élus qu'elle a pu former n'ont fait que limiter les souffrances.

— Eléonore ! Hiroshi ! Calmez-vous, le passé est le passé, vous savez bien que nous ne le changerons pas. Nous sommes tous responsables ce qui est arrivé au cours de ce siècle, nous avions pensé que les hommes seraient capables du fait de leurs avancées scientifiques et philosophiques de se débrouiller seuls sans nous. Nous nous sommes trompés.

Penauds les deux protagonistes de la dispute se calmèrent et le regard baissé, ils franchirent le seuil du château avec les quatre autres couples qui les avaient rejoints à l'aéroport.

— Nous sommes au complet pour aujourd'hui, l'avion en provenance de Johannesburg a pris du retard. Lungelo et Eshe nous rejoindront demain matin. Pour le moment, James et Harriet vont vous montrer vos appartements. Installez-vous et nous nous retrouvons dans la grande salle pour le repas d'ici deux heures.

Arthur et Sylvie prirent possession de leur logis pour les prochains jours, trois pièces situées dans une aile du manoir avec une vue incomparable sur la vallée et les sommets voisins.

— J'espère que nous aurons le temps de nous promener un peu dans la montagne. Les ruines du temple de Diane sont toujours un endroit où je prends plaisir à me ressourcer, murmura Sylvie en fixant la montagne.

— Je le sais ma chérie. Je te connais. Tu penses encore à elle depuis tout ce temps.

— Elle n'a pas voulu quitter son île lorsque les chrétiens sont devenus puissants. Elle a perdu ses pouvoirs et est devenue mortelle. C'était mon amie. Je ne sais pas comment les autres ont vécu la perte de nos amis. Mais je reste nostalgique de cette époque même si je sais que notre rôle n'est que d'accompagner l'humanité dans son évolution et que nous ne devons pas intervenir directement, nous étions reconnus.

— Nous le savions quand nous nous sommes arrivés, nous savions qu'un jour nous devrions choisir entre nous retirer ou finir notre vie comme les simples mortels. Chacun de nous fait ce choix en fonction des souhaits de la Dame.

— Plutôt selon notre nature profonde… répondit Sylvie machinalement. Certains d'entre nous sont plus nostalgiques de notre passé glorieux que de cet avenir incertain.

— Si tu veux, demain nous monterons jusqu'aux vestiges du temple. Cela nous fera du bien de retourner là-bas.

Il la prit de nouveau dans ses bras et ils s'endormirent enlacés.


 

L'Appelé

 

À des centaines de kilomètres de là ou peut être beaucoup près, Florent se retrouva devant cette femme resplendissante dont la chevelure rayonnait comme le soleil. Elle lui tendit la main et elle l'entraîna lentement sous la surface calme du lac. Au moment où son visage fut recouvert d'eau, il eut un instant de panique. Il s'apprêtait à prendre sa respiration quand il réalisa qu'il semblait être entouré par une bulle d'air. La dame du lac lui sourit et l'invita à la suivre. Sans crainte, rassuré par ce sourire, il avança sur une allée qui les mena au pied d'une sorte de temple grec.

Une lumière diffuse semblait provenir de nulle part et éclairait les environs d'une lueur fantasmagorique. Il aperçut divers animaux qui s'ébattaient sur la pelouse alentour entre eux et l'orée d'une forêt étrange. Il regarda, curieux, intrigué, fasciné par ce qu'il découvrait.

À l'intérieur du bâtiment, la femme se tourna vers lui toujours souriante, la chevelure étincelante.

— Savez-vous qui je suis et où vous êtes ?

— Je suis dans un rêve et vous pourriez être la Dame du Lac des légendes, la fée Viviane. Mais je sais que je ne dors pas et que je ne rêve pas. Tout ceci est bien réel.

— Oui, ceci est réel. Je serai donc Viviane pour vous. C'était en effet l'un des noms que l'on m'a donnés il y a longtemps.

— Je suis donc à Avalon ?

— Oui ! En quelque sorte, mais ce lieu n'existe pas au sens où vous le connaissez. Oubliez ce que vous savez sur le temps et l'espace.

— Pourquoi suis-je ici ?

— Vous êtes ici, car je vous ai choisi depuis longtemps. Vous faites partie des "Appelés".

— Des "Appelés" ?

— Oui ! Les "Appelés" sont des gens qui ont la possibilité par leurs actions d'infléchir la courbe du Destin.

-Mais je ne suis qu'un simple Jazzman sans avenir…

-Connaissez-vous la théorie du papillon en Amazonie ?

— J'en ai entendu parler, mais je ne vois pas ce que cela vient faire ici…

— Des actes de la vie courante menés par des inconnus sont parfois plus importants que l'action d'un Chef d'État.

— Oui je veux bien le croire, mais j'ai du mal à croire que je puisse infléchir la marche du monde…

— Il suffit d'être au bon endroit au bon moment…

Il la regarda dubitatif.

— Mais alors, pourquoi m'avoir invité à vous suivre. Il vous suffisait de me laisser agir, non ?

— J'aurais pu, oui ! Mais je préfère que vous soyez conscient des actions que vous allez faire. Ce sera à vous de décider si vous acceptez ce rôle ou si vous le refusez. Toute action a des conséquences et les vôtres vont influencer l'avenir des hommes… Mais ne vous inquiétez pas, je vais vous faire découvrir cela progressivement.

Pendant qu'elle parlait, Florent vit entrer dans la salle plusieurs jeunes femmes qui apportaient de la nourriture qu'elles déposèrent sur la grande table de bois massif.

— Mes servantes préparent le repas, vous allez pouvoir vous restaurer avant la nuit. Et Stella vous montrera vos appartements pendant votre séjour ici. Sachez que vous êtes libre d'aller partout où vous voulez. Je dois vous laisser, car j'ai d'autres devoirs à remplir, mais je serai avec vous demain matin.

Avant même qu'il ne puisse dire un mot, Viviane, puisque c'était ainsi qu'il allait la nommer, se volatilisa. Il se retrouva seul avec une jeune femme aussi blonde que les blés.

— Elle fait toujours cela aux nouveaux venus, ne vous affolez pas, on en prend l'habitude. Le plus gênant, ce sont ses apparitions quand on s'y attend le moins, dit-elle avec un sourire enjôleur.

— Euh ! Oui ! En effet c'est surprenant !… Florent ! Dit-il en tendant la main.

— Stella ! Et je crois que nous pouvons nous embrasser, c'est comme cela que vous faites chez vous. Je suis là pour vous tenir compagnie et vous guider dans le domaine de la Dame. Je répondrai à toutes vos questions. Mais vous devriez manger.

Florent s'installa à table et commença à déguster les mets. Un repas frugal, mais revigorant. Jamais il n'avait goûté de tels fruits. Voyant son regard, Stella le renseigna sur la nature des aliments.

— Ici tout ce que nous mangeons, pousse dans les vergers du domaine. La Dame veille au bien-être de ses hôtes.

— Mais qui est-elle ? Et qui êtes-vous ?

— Pour moi, c'est simple, je suis ce que vous appeliez autrefois une nymphe. Je vis ici et je me suis rendue parfois dans votre monde près du lac par où vous êtes arrivé. Pour la Dame, je peux simplement vous dire qu'elle serait comme une de vos déesses.

— Je suis fou…

— Oh non, simplement, vous avez oublié et surtout vous refusez, vous les hommes, d'accepter qu'il existe un monde à côté du vôtre, dans lequel vous vivez.

— Soit, je veux bien l'admettre puisque je suis là, mais pourquoi moi ?

— Elle vous l'a dit, vous êtes un "Appelé", je ne sais pas encore ce qui va vous arriver, mais c'est sûrement important.

La jeune femme fit signe à d'autres servantes de venir débarrasser le buffet et invita Florent à la suivre dans l'escalier monumental. Florent fut abasourdi par la beauté qui émanait de cette construction et surtout de la sérénité qui y régnait. Après avoir parcouru un dédale de couloirs, elle entra dans une pièce qui donnait sur un lac avec une petite île en son centre et des montagnes.

— Voici vos appartements. J'espère que vous y serez bien. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, appelez et nous viendrons vous apporter ce que vous souhaitez.

— Merci ! dit-il en regardant le lit.

— À votre service ! et elle le quitta en le saluant avec un sourire.

Une fois seul Florent s'allongea sur le lit sans même retirer ses vêtements. Il fut rapidement gagné par le sommeil et s'endormit profondément en rêvant à la dame du lac, et surtout à Camille virevoltant sur son cheval…


 

Apprentissage

 

Réveillé par des odeurs de chocolat chaud, il se redressa dans son lit. Il découvrit la petite table recouverte de plats avec des fruits et des viennoiseries. Il mit quelques secondes pour se remémorer ses dernières heures et se leva.

Il réalisa qu'il était nu. Il chercha ses vêtements, mais ne les trouva pas. Il ne vit qu'une sorte de longue tunique et une ceinture de cuir déposés sur le dossier du canapé. Il les enfila avant de s'approcher de la table. Il observa le paysage depuis la fenêtre. Cette étrange luminosité bleuâtre était toujours là malgré le soleil qui brillait dans un ciel d'un bleu sombre presque violet. Au loin, des sommets enneigés scintillaient et se reflétaient dans le lac au pied du château. Il était songeur. Pourquoi moi ?

Il n'eut pas le temps d'y penser davantage. Stella entra dans la pièce pour l'inviter à rejoindre la Dame dans la salle de réception.

Il la découvrit debout, pensive, face à une tapisserie ancienne. Il toussota un peu afin de lui faire remarquer sa présence.

— Je vous avais entendu arriver ! lui dit-elle souriante en se tournant. Elle était resplendissante comme la veille, vêtue d'une simple robe bleue nuit, un diadème en argent lui retenait les cheveux.

— Allez-vous me dire ce que vous attendez de moi ? J'ai beaucoup réfléchi cette nuit, et je ne vois pas comment je pourrais influencer le destin du Monde…

— Vous allez l'influencer c'est certain. Je vais vous montrer des choses que peu de personnes ont vues, une connaissance inédite. Mais vous resterez libre de décider à chaque instant quand vous serez de retour chez vous d'utiliser ou non ce savoir.

-C'est une grande responsabilité que vous me donnez ?

-Le poids de la connaissance est toujours un fardeau, mais vous êtes né pour cela… Suivez-moi ! Je vais vous faire visiter.

Elle le conduisit hors du manoir et le guida vers l'étendue d'eau qu'il apercevait de sa chambre. Ils marchèrent tranquillement dans les allées de ce parc. Elle semblait flotter dans l'air, les mouvements de ses pieds étaient invisibles sous sa longue robe étincelante. Elle lui faisait découvrir son domaine.

Au fil des jours, il en connut tous les recoins. Accompagné de Stella ou de Viviane, il découvrait certains mystères du monde. Mais à chaque fois qu'il voulait en savoir plus, elles lui répondaient qu'il devait attendre d'être prêt.

— Quand le serai-je ? demanda-t-il un jour à Stella.

— Quand la Dame estimera que c'est le bon moment elle vous conduira au sanctuaire et vous découvrirez ce que vous aurez à connaître.

Ce matin-là, ce fut la Dame qui vint le chercher après sa collation matinale. Au lieu de le guider dans le parc, elle se dirigea vers le lac qui se devinait dans les brumes de la vallée.

Arrivés sur la berge, elle l'invita à monter à bord d'une embarcation. Elle donna un ordre bref et deux rameurs les conduisirent sur l'île. Ils furent accueillis par une femme sans âge.

Il regarda autour de lui, l'autre rive semblait perdue dans la brume pourtant le soleil brillait dans un ciel sans nuages. Des oies, des grues, des colombes volaient autour d'eux et au-dessus de ce qui semblait être un temple. La Dame remarqua ses interrogations.

— Nous venons de franchir un nouveau voile. Ici le temps ne se déroule pas comme dans mon domaine et encore moins comme dans votre monde. Le passé et le futur se confondent parfois.

À peine sa phrase finie, il vit surgir un homme vêtu d'une robe de bure, qui le fixa les yeux hagards.

— Je vous présente Frère Jacques Clément… il est arrivé ici il y quelques minutes de notre temps, mais il vient de votre passé.

— Comment cela ?

— Il arrive du seizième siècle selon votre datation…

— C'est le moine qui a assassiné Henri III ? dit-il incrédule.

— Exactement, enfin pas encore puisqu'il est ici.

— Mais pourquoi ? Il est un Appelé aussi ?

— Oui, c'en est un, mais il faut qu'il se remette et qu'il accepte le rôle qu'il doit avoir dans l'Histoire.

—Vous allez en faire un tueur ?

— Non, il va être l'instrument du destin. Je vous ai dit que vous alliez découvrir un savoir auquel peu de personnes ont accès. Il est temps que je vous conduise au sanctuaire de la Fortune.

Il regarda le moine hébété qui ne comprenait pas où il était arrivé.

— Mes servantes vont le conduire au château pour qu'il reprenne ses esprits. Il est arrivé directement ici, mais il n'est pas encore prêt pour l'expérience que vous allez vivre.

Elle ne dit plus rien et ils avancèrent lentement dans la brume qui devenait de plus en plus épaisse, mais cela ne gênait pas leur progression. Il lui sembla entendre des bruits de voix, des échos de batailles, des cris de joie ou des larmes de douleurs. Sans que rien ne le laissât présager, l'air se dégagea et le temple se dévoila intégralement devant ses yeux.

— Vous devez entrer seul, je ne peux pas vous suivre.

— Pourquoi ?

— Une barrière invisible m'empêche de rentrer. Pourquoi ? Je l'ignore ! Seuls les êtres Appelés peuvent la franchir. Je serai là à votre retour pour vous guider vers le destin que vous aurez choisi… Rappelez-vous ! Vous êtes maître de votre avenir, c'est à vous de choisir en votre âme et conscience.

Florent franchit le seuil du bâtiment. Il était perturbé par la perspective qui s'offrait à lui. Alors qu'il avançait dans la nef centrale, il eut l'impression que l'autre extrémité s'éloignait de lui et à ses côtés, il découvrit d'autres Appelés. Chacun devait venir de lieux et d'époques différents, même si tous portaient la même tunique que lui. Leurs couleurs de peau, leurs coupes de cheveux et divers détails indiquaient les différences culturelles. Il fut assourdi par le silence qui régnait dans ce lieu alors qu'à droite comme à gauche, les nefs se multipliaient à l'infini. Combien sommes-nous ? Une voix intérieure l'invita à progresser, à s'imprégner de l'atmosphère, à se détendre, à accepter l'incompréhensibilité de ce qu'il ressentait. Un pas. Puis un autre. Et ainsi de suite… Ne pas chercher à communiquer avec ses voisins qui sont dans le même état d'hébétude. Avancer. Toujours avancer.

Il ne saurait dire combien de temps il marcha. À chaque pas vers ce qui semblait être la sortie, des images lui traversaient l'esprit. Des visions confuses puis de plus en plus nettes. L'histoire du monde se projetait devant lui. Tous les passés, tous les présents, tous les futurs. S'il déviait de sa trajectoire, il pouvait suivre une autre histoire. Il revivait l'apparition de l'homme, la découverte du feu, la domestication des premiers animaux, les débuts de l'agriculture, les premières civilisations. Il souffrait avec les catastrophes, les guerres, les épidémies. Il exultait avec les naissances, les fêtes.

Il vit l'assassinat de César, l'avènement de Gengis Khan, il sut la vérité sur la mort de Kennedy.

Il réalisa que s'il continuait à avancer, il allait découvrir le futur ou plutôt les futurs à venir. Il hésita un peu et la voix se fit rassurante "Ce qui est passé est passé… Ce qui est futur n'est pas encore arrivé." Il progressa d'un pas, aussitôt il se sentit agressé par une multitude d'images. Il tâtonna dans les futurs possibles. Il chercha à comprendre son rôle.

Soudain, il comprit comment les images qui lui parvenaient. Il comprit aussi pourquoi il avait été appelé et ce qu'il devrait faire le jour venu. Effectivement, il s'agirait d'une action anodine, mais qui aura des répercussions. Le battement d'aile d'un papillon peut provoquer un ouragan à l'autre bout du monde. Il prit conscience de la vérité de cette phrase. Ce qu'il devrait faire provoquera une tornade, mais s'il ne le faisait pas, ce qui adviendrait serait encore plus violent que le plus puissant des cyclones.

Il réalisa alors qu'il avait traversé la nef. La Dame lui faisait face, souriante.

— Vous avez compris votre rôle ?

— Oui Ma Dame ! Et en disant ces mots, il s'effondra sur le sol.


 

Convocation

 

Eshe était au chevet de l'homme que deux serviteurs de la Dame avaient ramené au château. Cela faisait plusieurs jours qu'il était alité. Il n'avait pas encore repris conscience. À tout de rôle les Veilleurs se relayaient à son chevet. Ils étaient curieux de connaître le but de l'Appelé.

— Alors ? Toujours rien ?

— Non ! Cela en devient inquiétant. Je n'ai jamais vu un retour aussi long.

— Moi une fois, il y a longtemps. Qu'a-t-il pu découvrir ?

— Lui seul le sait et qui sait s'il voudra nous le révéler.

— En général, ils ont besoin de parler à leur réveil. Leur esprit a du mal à accepter la connaissance et nous sommes là pour les aider à affronter ce moment. Va te reposer, je prends le relais.

Sylvie s'installa dans un fauteuil et se plongea dans le dernier roman à la mode. Du coin de l'œil, elle surveillait Florent dont l'état ne semblait pas évoluer. Elle se souvenait d'un Appelé qui était resté presque un mois comme cela. Ils avaient dû lui faire couler de la nourriture dans la bouche pour ne pas le perdre. Il avait ensuite fallu plusieurs semaines à cette jeune femme pour accepter de croire ce qu'elle avait appris. Elle avait préféré rentrer chez elle et s'isoler au fond d'une vallée perdue et devenir une voyante que l'on venait consulter de loin. Si elle avait agi et fait le geste qu'elle avait vu lors de son passage chez la Dame, bien des drames auraient pu être évités. Ce fut la première fois que Sylvie et Arthur s'étaient trompés sur un Appelé mais hélas pas la dernière. Les erreurs devenaient de plus en plus fréquentes au fil du temps avec la dilution et la disparition du Sang Sacré.

— Sera-t-il à la hauteur de nos espérances ? pensa-t-elle.

Alors que le soleil jetait ses derniers feux derrière les sommets enneigés, Sylvie achevait sa lecture. Il n'y avait toujours aucun mouvement de la part de Florent, aucun signe d'un réveil prochain. Elle commençait à s'inquiéter, cela signifiait qu'il était en train d'explorer de nombreuses possibilités d'action.

La porte s'ouvrit lentement, tandis que Günter entrait pour la relayer.

— Toujours rien ?

— Non, rien…

— Descends rejoindre les autres ! Il semblerait que la Dame ait décidé de vous rendre visite.

— La dame !

— Oui ! Eléonore a reçu un message pendant sommeil. La Dame lui demandait de vous rassembler dans le Cercle.

— Mais on ne peut pas partir tant qu'il ne s'est pas réveillé, il va avoir besoin de nous !

— Ne t'inquiète pas, je vais veiller sur lui…

— Aucun Appelé ne s'est jamais retrouvé seul sans l'un d'entre nous à son réveil…

— Il faut un début à tout et je sais de qui il va avoir besoin, dit-il en souriant l'œil malicieux.

Sylvie le regardait sans comprendre.

— Vous ne comprendrez jamais les humains. Votre empathie est nécessaire au moment de leur éveil, mais vous n'êtes pas les seuls à pouvoir leur en donner, ils ont un autre moyen de l'obtenir… Mais dépêche-toi. Tu vas être en retard pour le départ de l'avion.

— Tu m'expliqueras tout cela au retour.

Elle sortit, encore plus perplexe qu'après avoir appris que la Dame les convoquait.

Lorsqu'elle arriva dans la grande salle du château, ils étaient tous là autour de la table et les discussions allaient bon train, mais ils se turent et la fixèrent avec des airs interrogatifs en la voyant entrer.

— Alors ?

D'un signe de tête, elle leur fit comprendre qu'il n'y avait pas de changement. Puis regardant Eléonore, elle lui demanda si elle connaissait la raison de leur convocation.

— Je ne comprends pas, la Dame sait pourtant que nous avons un Appelé.

— Nous sommes aussi perplexes que toi, répondit Hiroshi.

Elle s'installa à sa place et commença à manger pour rattraper les autres qui avaient presque atteint le dessert préparé par la cuisinière.

Les discussions autour de la table tournaient sur cette demande de la Dame de la rejoindre dans le Wiltshire et sur ce que pouvait bien avoir vu Florent pendant son séjour dans le lac.

— Il ne faut pas oublier que c'est presque un Sang Pur, il a dû avoir connaissance de bien plus de choses que les autres avant lui.

— C'est vrai, mais son sommeil est vraiment long.

— Bah ! Cela ne sert à rien de spéculer, nous ne le saurons pas avant son réveil. Je crois que Günter a fait préparer l'avion. Nous devrions y aller.

Ils se retrouvèrent tous dans la cour du château. Plusieurs taxis réservés par le majordome les attendaient pour les conduire au petit aérodrome situé à quelques kilomètres.

— J'aurais bien aimé dire au revoir à Florent avant de partir.

— Tu le reverras à notre retour.

— Ou pas ! On ne sait jamais combien de temps dure une réunion avec la Dame.

Arthur partit dans un grand rire en montant dans la voiture.

— Tu as raison… cinq minutes ! Ou cinq siècles ! Nous le saurons en sortant du cercle.


 

L'accident

 

Cela faisait maintenant un peu plus d'an que Florent s'était réveillé après sa rencontre avec la Dame. Il se demandait toujours s'il avait rêvé même si de nombreux signes lui prouvaient que cela avait été réel.

Il se souvenait qu'il allait se baigner dans ce lac en compagnie de ses nouveaux amis du cirque et qu'il s'était réveillé plusieurs semaines plus tard dans ce château bavarois avec une vue magnifique sur les Alpes. Il se souvenait du passage dans ce sanctuaire et de cette femme magnifique qui lui avait montré des choses qu'il aurait préférées ignorer. Il ne savait pas exactement ce qu'il allait faire pour modifier la marche du monde, mais il savait que le jour approchait.

À son réveil, il apprit que ses hôtes s'étaient rendus à une convocation de la Dame, mais qu'ils l'avaient invité à vivre dans leur manoir de banlieue parisienne. Il resta plusieurs semaines pour se remettre des "révélations", appréciant l'accueil et la prévenance de Günter dont il avait vite compris qu'il était bien plus qu'un simple majordome. Les deux hommes avaient beaucoup discuté, joué ensemble de la musique. Günter était capable de jouer au piano aussi bien une sonate de Bach, qu'une pièce de Chopin et accompagné de Florent à la trompette, ils se lançaient des improvisations de jazz qui pouvaient durer des heures. Il se sentait bien et retardait le moment de le quitter. Un soir, alors qu'ils redescendaient des ruines de l'antique temple où ils aimaient aller se promener, pour disait Günter, "trouver de l'énergie vitale", celui-ci annonça en souriant à son ami.

— Une surprise t'attend au château !

Puis, il ne dit plus rien jusqu'à leur arrivée, laissant Florent interrogatif et songeur. Les deux hommes finirent leur promenade en silence.

Quand ils entrèrent dans la grande salle, Florent découvrit une jeune femme qui s'élança vers lui en courant.

— Tu es vivant ! J'ai eu si peur !

Il reconnut Camille, la voltigeuse du cirque avec laquelle il avait passé quelques minutes avant de disparaître sous les eaux.

— Oui je suis vivant ! Enfin je le crois ! Et toi que fais-tu là ? Tu n'es pas en tournée ?

— Hélas, je me suis blessée lors d'une représentation et en apprenant cela, Günter m'a proposé de venir me reposer ici, en me disant que j'aurais une surprise agréable.

Florent se retourna, mais ils étaient seuls. Comme à son habitude, le majordome avait disparu aussi silencieusement qu'il était apparu.

— Comme la Dame ! Pensa-t-il tout haut.

— Que dis-tu ?

— Oh rien de spécial, je réfléchissais tout haut.

— Qui est cette "Dame" dont tu parles ?

— Si tu savais…

— Raconte-moi !

— Tu te promets de ne pas te moquer ?

— Promis !

Florent lui raconta son aventure. Camille l'écoutait attentivement, l'interrompant juste pour lui demander des précisions sur certaines choses qu'elle avait du mal à comprendre. Ils parlèrent longuement en se promenant dans les jardins. Avec la fraîcheur de la nuit, elle se rapprocha de son compagnon et ils rentrèrent enlacés. Arrivés devant la porte de leur chambre, au lieu de se quitter et de gagner chacun leurs chambres qui se faisaient face dans le couloir, ils pénétrèrent ensemble dans la chambre de Florent. Il réalisa alors que le premier acte de son destin était en train de se mettre en route.

Un an plus tard, ils vivaient ensemble dans le manoir mis à leur disposition par Sylvie et Arthur. Günter venait régulièrement leur rendre visite et à chaque fois, il était comme eux sans nouvelle des couples qui s'étaient envolés vers Stonehenge l'année précédente. Le couple formé par Florent et Camille s'était transformé en famille et ils attendaient leur premier enfant. Une petite fille, leur a annoncé le gynécologue qui suivait la jeune femme. Ils avaient décidé de la prénommer Viviane en hommage à la Dame du Lac. Elle devait arriver dans les derniers jours du mois d'août et Florent ne serait pas surpris qu'elle arriva au moment de la Nouvelle Lune.

 

Pendant ce temps, de l'autre côté de la Manche, la Dame avait rassemblé les Veilleurs dans les ruines du célèbre site préhistorique anglais. Quand ils étaient entrés dans le cercle, une brume s'était abattue sur eux et ils surent qu'ils avaient quitté l'espace et le temps humain.

La Dame prit la parole de manière solennelle comme à chaque fois qu'elle s'adressait au groupe ainsi réuni.

— Je vous ai rassemblés ici, car des évènements qui vont énormément affecter les hommes sont sur le point de survenir. Il est important que par nos pouvoirs rassemblés nous les aidions à traverser ces moments difficiles.

Ils l'écoutaient tous avec gravité, conscients de leur devoir envers la Dame et les hommes. Ils savaient aussi que le temps de la Dame n'était pas le même que celui des hommes et qu'ils risquaient donc d'être absents longtemps de la surface de la Terre.

 

Ce soir-là, Florent était à une soirée au centre de Paris où il avait été invité à jouer avec son nouveau groupe. Il avait accepté cela malgré la naissance imminente de sa fille, car Günter avait proposé à Camille de venir au frais dans le château, et il mettrait le jet privé des Veilleurs à sa disposition au moment de l'accouchement. Un des serveurs s'approcha de lui et l'informa qu'on le demandait au téléphone. Il se doutait de la raison de cet appel et ce fut le cœur joyeux qu'il répondit.

— Elle arrive, il faudrait que tu viennes rapidement…

— Oui ma chérie ! Laisse-moi le temps de prévenir les copains et je te rejoins.

Il savait ce qui allait arriver, cependant même s'il s'engageait sur un chemin qui n'était pas forcément le plus direct, mais il devait faire ce pour quoi la Dame l'avait invité.

Quelques minutes plus tard, il roulait assez rapidement sur les quais de Seine pour rejoindre Le Bourget où l'avion l'attendait prêt à décoller. Il aperçut dans son rétroviseur une grosse berline noire qui le rattrapait à grande vitesse, elle semblait suivie par des motards. Surpris par la vitesse du véhicule qui arrivait derrière lui, il fit un écart et il sentit un léger choc. Il arriva de justesse à maîtriser l'embardée de sa petite voiture quand il se rendit compte que l'autre percutait violemment les piliers du tunnel qu'il traversait. Tiraillé entre l'envie de s'arrêter pour aider les passagers accidentés et le désir d'être le plus rapidement au chevet de son épouse, il décida finalement de continuer sa route, comme il l'avait vu dans les visions au sanctuaire de la Dame. Après tout il y avait plusieurs autres témoins !

Ce n'est qu'en arrivant au château au moment de rejoindre Camille qui n'avait toujours pas accouché qu'il apprit la nouvelle du décès de la Princesse. Il sut alors qu'il avait fait le bon choix.


 

Epilogue

 

La petite Viviane avait fêté ses quatre ans quelques jours plus tôt. Toute la petite famille était en tournée avec le cirque dont le spectacle attirait de plus en plus de monde. Florent n'avait jamais osé parler de cette nuit-là à quiconque même si Günter avait deviné le déroulement des évènements. Arthur et Sylvie n'étaient toujours pas revenus de leur convocation et le couple se demandait s'ils les reverraient un jour. Heureusement qu'ils avaient laissé les instructions nécessaires pour qu'ils puissent s'occuper du manoir.

Ils étaient tous les trois en train de marcher tranquillement sur les rives du lac au bord duquel le cirque s'était installé, comme à son habitude. Les deux parents toujours aussi amoureux évoquaient avec tristesse les évènements tragiques des derniers jours.

— Je n'y suis pour rien là ! dit Florent.

— Je le sais mon amour ! Et je pense que là tu ne pouvais rien y faire.

— Je ne pouvais rien y faire et surtout, crois-moi ! Je ne devais surtout pas intervenir, sinon l'avenir serait encore plus sombre qu'il ne le sera déjà.

C'est en disant ces mots qu'ils virent le couple de Veilleurs sortir des flots et s'approcher d'eux en souriant.

Arthur et Sylvie prirent Florent dans leur bras.

— Je savais que tu ne fléchirais pas, lui dit-elle.

— Oui, mais ce fut dur ! J'ai longtemps hésité avant de prendre ce chemin.

— Elle devait mourir. Tu le sais.

— Oui, je le sais. Il faut parfois que quelques personnes meurent pour en sauver beaucoup plus. Je l'ai compris. Exactement comme ce qui vient de se passer hier.

Camille les regardait, elle ne comprenait pas. Depuis ce jour d'août, elle avait du mal à accepter que son amour ait pu faire une chose aussi horrible et que ses amis le soutenaient et approuvaient son acte. Les évènements des jours précédents renforçaient son sentiment d'incompréhension. Il avait eu la possibilité d'éviter à des milliers de personnes de mourir et il n'avait rien fait.

Remarquant son trouble, Florent prit les mains de sa femme. Arthur comprit ce qu'il voulait faire et il lui fit un signe de tête pour lui exprimer son accord.

— Retournons à la caravane et je vais te montrer.

Il invita Camille et ses amis à s'asseoir autour de la table et rassura son épouse.

— Surtout ! N'aie pas peur. Ce ne sont que des images de ce qui aurait pu arriver.

— Tu me connais, je serais forte !

Il lui sourit et lui posa un baiser sur les lèvres. Les deux couples s'installèrent et quand ils furent tous calmes et détendus, Florent commença à leur montrer ce qu'il avait vu lors de son passage chez la Dame.

Les images se succédaient dans leurs esprits. Ce fut d'abord le mariage de la Princesse avec son nouvel amoureux, puis des scènes de joies dans les rues de nombreuses villes arabes. L'argent du milliardaire égyptien avait servi à financer les partis politiques qui renversaient un par un les dictatures du bassin méditerranéen.

Camille ne put s'empêcher de rompre le cercle.

— Pourquoi as-tu pris ce chemin-là ? Regarde tous ces gens comme ils sont heureux, aujourd'hui ils sont tous en guerre.

— Je t'avais dit d'attendre la fin…

— Excuse- moi ! Mon amour !

Il recommença à se concentrer et les scènes de joies furent remplacées par des scènes de guerre et de désolation. Libérées de l'emprise de leur régime dictatorial beaucoup de provinces de ces pays réclamèrent leur indépendance, des guerres civiles meurtrières s'en suivirent. Devant les risques de plus en plus importants de voir la route du pétrole être coupée, les grandes puissances intervinrent et de régionaux les conflits se sont étendus. Quelques décennies plus tard, le monde était à feu et à sang une nouvelle fois.

En lâchant les mains de Camille et Sylvie, il vit sa femme blême, elle avait du mal à tenir sur sa chaise. En bafouillant, elle lui dit : tu vis avec ces images en permanence ?

— Oui ! Avec le temps, et grâce à l'enseignement de la Dame, j'ai appris à savoir comment trouver le bon sentier parmi toutes ses images. Les choix que je fais semblent parfois étranges, mais ce sont les meilleurs pour notre survie.

— Mais ne pouvais-tu pas intervenir plus tard ?

— Non hélas ! J'ai passé des jours à réfléchir à chercher comment ne pas la sacrifier, mais il n'y avait pas d'autres points nodaux. C'était le maillon faible de cette trame du temps.

Camille resta pensive quelques instants et prit son mari dans ses bras.

— Tu as fait ce qui était le mieux. Plus jamais je ne douterai de tes choix.

 

 

FIN ?

 

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