Le Monde de la Dame -02- Le Voyage de Noce

Ver Du

Un jeune couple part en lune de miel au centre de l'Afrique mais rien ne va se passer comme prévu...

Demande

 

Dans le soleil couchant, le petit bimoteur survolait la savane à la recherche de la piste de cet aérodrome de brousse. L'avion n'était pas équipé pour le vol aux instruments donc le pilote devait impérativement se poser avant la nuit. Il repéra enfin le petit bâtiment de tôle faisant office d'aérodrome et de poste de contrôle et posa son appareil avec autant de douceur possible sur cette piste herbeuse, tout juste balisée par quelques tas de pierres.

Une fois les moteurs coupés, un homme immense vêtu d'un vieil uniforme déteint s'approcha de l'appareil afin de contrôler les papiers des nouveaux arrivants. Il voyait la porte s'ouvrir, deux hommes blancs en descendirent et se dirigèrent vers lui.

— Votre passeport et votre visa, Messieurs ! demanda le militaire en tendant la main vers eux.

Sans un mot, le plus petit et le plus frêle des deux sortit une arme et l'abattit sans aucune émotion.

— Pourquoi ? interrogea l'autre laconiquement.

— Je ne veux pas que l'on puisse savoir par où nous sommes passés.

— Un billet aurait été moins violent !

-Peut-être, mais il se serait souvenu de deux blancs qui se sont posés un soir. A ma manière, on est sûr qu'il ne parlera plus. Je te rappelle que nous sommes dans une région où le seul droit qui règne est la loi du plus fort. Aide-moi plutôt à cacher ce corps !

Tirant péniblement le lourd cadavre du garde de l'aérodrome, il le hissa péniblement dans l'avion avant de refermer la porte.

— Ça va empester quand nous allons revenir, se plaignit l'autre en soupirant.

— Qui t'a dit que nous allions repartir par avion ? Ce terrain est grillé, tout le monde nous a entendu arriver à plusieurs kilomètres à la ronde.

Prenant leur sac à dos, ils s'éloignèrent de la piste et une fois à bonne distance, le tueur lança une grenade sur le petit appareil qui s'embrasa immédiatement.

— Filons vite, ce feu d'artifice va attirer du monde.

Pressant le pas, les deux hommes s'enfoncèrent dans les broussailles entourant le terrain et disparurent dans le crépuscule alors que des bruits de moteurs se faisaient entendre au loin. Sans se retourner, ils marchaient rapidement, le plus jeune harcelant son compagnon qui traînait plusieurs mètres derrière lui.

— Dépêche-toi on ne va pas y passer la nuit, il nous faut atteindre les collines avant le lever du jour, nous serons à l'abri de la forêt.

Ils pressèrent le pas et au bout de plusieurs heures dans la nuit, juste éclairés par le clair de lune, ils arrivèrent à la lisière de la forêt. Harassés par la marche rapide, ils s'accordèrent quelques minutes de pause et consultèrent la carte sur leur tablette.

— Tu es sûr que cette tablette ne va pas nous faire repérer ?

— Ne t'inquiète pas, elle n'est pas connectée au réseau, elle peut juste servir de récepteur.

Tout en grignotant quelques barres énergétiques, il analysa rapidement le terrain qu'ils allaient devoir traverser jusqu'à leur objectif, un village perdu au milieu de la forêt au fond d'une vallée encaissée dont la seule route d'accès devait être étroitement surveillée.

— Je pense que nous y serons demain dans la soirée, si la traversée de ces bois ne nous réserve pas de mauvaise surprise. Car avec ce couvert végétal, les images satellites ne montrent pas bien la configuration du terrain et on va surtout avoir cette rivière à franchir en restant discret.

— Oui je le pense aussi mais nous allons aussi devoir compter avec la météo. C'est la saison des pluies et je pense que le ciel ne va pas forcément nous aider, ajouta l'homme trapu au moment où un éclair zébra le ciel au-dessus de la canopée.

Les premières gouttes de cet orage tropical commencèrent à tomber et il rangea rapidement sa tablette dans le sac à dos imperméabilisé avant le départ.

— Je pense que nous allons devoir attendre la fin de cette averse car marcher de nuit dans ces conditions risque d'être délicat.

— Au contraire, nous devrions en profiter. Les indigènes vont rester à l'abri et avec nos boussoles GPS, nous savons dans quelle direction marcher. N'oublie pas que plus vite nous aurons accompli notre mission plus vite nous serons rentrés et je crois que tu es attendu au pays.

Marchant avec prudence sur le sol détrempé et glissant dans une quasi-obscurité malgré leurs lunettes de vision nocturne, ils progressaient lentement sous les frondaisons. Ils n'entendaient que la pluie et du tonnerre, même les animaux sauvages s'étaient abrités. Sans un mot, évitant les pièges de la forêt, ils approchèrent sûrement de leur but. La pluie finit par cesser et la jungle se remit à vivre. Epuisés par leur marche, ils décidèrent de s'arrêter pour se reposer avant que le jour ne se leva. Ils trouvèrent un abri au pied d'une falaise et s'emmitouflèrent dans une couverture. Ils s'installèrent sous le surplomb rocheux et après avoir décidé des tours de garde, le plus jeune s'endormit rapidement tandis que son compagnon surveillait avec attention les bruits et les mouvements autour de leur bivouac.

Soudain un bruit de mouvement le fit sursauter. Il se redressa silencieusement afin de voir au-delà des fourrés dans lesquels ils s'étaient dissimulés et aperçut un spectacle auquel il ne s'attendait pas. Un énorme rhinocéros noir, une femelle certainement, suivie par un petit, s'approchait d'eux. Hypnotisé par cette apparition, il restait immobile et ne voyait pas les ombres qui se déplaçaient rapidement de l'autre côté de l'animal.

Une rafale d'arme automatique retentit et en même temps que le majestueux animal s'effondra. Le dormeur sursauta dans son sommeil et se leva d'un bond. Revenant de sa surprise, le guetteur posa sa main sur l'épaule de son compagnon et le força à se baisser.

Taisant leur colère sur l'acte ignoble dont ils venaient être témoins, ils regardaient les braconniers découper la corne de l'animal et l'un d'eux découvrant le bébé rhinocéros à quelques mètres, ajusta son arme et lâcha une nouvelle rafale. Avant de partir, ces hommes truffèrent la carcasse de l'animal de pièges mortels au cas où des rangers la découvriraient et voudraient chercher des indices.

Serrant ses poings, le jeune homme ravala sa rage et repéra le chemin par lequel ces hommes s'éloignaient.

— On ne peut rien faire pour le moment, tu dois te reposer, mais je te garantis que cet acte ne restera pas impuni. Maintenant, nous sommes sûrs que les braconniers sévissent bien dans cette région isolée. Ils ne se cachent même plus et agissent en plein jour. Nous devons leur montrer qu'ils ne sont plus, eux non plus en sécurité.

— Comment comptes-tu le leur faire savoir ?

— Si mes informations sont exactes, je sais qui nous allons retrouver dans ce village et surtout je leur réserve une surprise de mon cru.

— Nous devrons arriver par l'arrière du village, afin de les surprendre.

— Oui ! A pied en faisant attention, on doit pouvoir descendre de la crête discrètement et pouvoir nous approcher de la grande maison sans être repérés. Mais repose-toi, je vais faire le guet même si je pense que personne ne viendra par ici maintenant.

Tandis que son compagnon s'installait, le jeune homme se leva et arpenta les environs sans faire de bruit. Il s'approcha des carcasses des animaux et contournant prudemment la mère dont le cadavre avait été piégé, il examina attentivement le petit. Il ne devait pas avoir encore deux ans. Encore une fois la bêtise et la cupidité humaine mettaient en péril la survie d'une espèce. Tout en surveillant la forêt, il réfléchissait à la meilleure manière de mettre hors d'état de nuire ce groupe de trafiquants. Il savait aussi que ce ne serait pas sans danger même si pour le moment tout se passait presque comme prévu.

Après quelques heures, son compagnon se réveilla et afin d'être prêts à affronter les imprévus, ils se préparaient consciencieusement et effacèrent toutes les traces de leur passage.

Silencieusement, ils se glissèrent entre les arbres et arrivèrent enfin en vue du village. Comme ils s'y attendaient, tous les gardes étaient postés le long de la route d'accès et sûrs de leur position, aucun ne se trouvait de l'autre côté. En rampant, ils se retrouvèrent juste sous leur objectif et ils glissèrent un œil dans la pièce principale de la maison où plusieurs dizaines de personnes étaient attablées. Ils se reculèrent aussitôt et s'éloignèrent dans la forêt pour réfléchir à ce qu'ils vont faire.

— Tu as vu le chef de la bande ?

— Oui, j'ai eu l'impression de revoir la scène de Star-Wars avec Jabba dans son antre entouré de ses esclaves. Ce chinois est vraiment repoussant, je n'ai jamais vu un homme aussi gros. Mais j'ai surtout vu les barbouzes qui l'entourent, ils sont armés jusqu'aux dents, cela ne va pas être facile de repartir.

— Le stock d'ivoire se trouve dans le bâtiment à côté. Va déposer les charges comme nous l'avons décidé, moi je me charge de la maison.

Les deux hommes se séparèrent et chacun se glissa sous les bâtiments afin de déposer les charges explosives et incendiaires au niveau des piliers de bois qui permettaient au plancher de ne pas être au niveau du sol. Au bout de quelques minutes, ils se retrouvèrent à nouveau hors du village.

— Le feu d'artifice va commencer. J'ai repéré un 4x4 pas loin de la sortie du village. Avec la panique, il ne devrait plus y avoir de garde.

Il regarda sa montre et au moment prévu, une série d'explosions secoua le village. Aussitôt tous les trafiquants se mirent à courir dans tous les sens, s'éloignant des maisons, se dispersant dans la forêt. Des explosions éparses continuaient de se produire de manière aléatoire dans le village.

Pendant ce temps, les deux hommes s'approchaient de leur moyen de transport pour quitter le pays. Ils progressaient courbés quand ils tombèrent nez à nez avec l'homme qui avait abattu le rhinocéros. Sans hésiter ce coup-ci, le vieux l'abattit d'un coup de revolver. L'homme s'effondra surpris devant eux et leur libéra ainsi l'accès au véhicule.

Sans hésiter, ils montèrent dans la voiture dont par chance, les clés étaient restées sur le contact. Au moment de tourner la clé, ils entendirent une clameur derrière eux.

— Sun-Tsé est mort !

Un sourire éclaira le visage du jeune homme.

— Je m'étais promis de me venger, murmura-t-il.

Son compère démarra le tout-terrain et ils s'enfuirent en trombe du village.

 

Le mot "THE END" s'afficha sur l'écran et Elodie regarda son compagnon le regard énamouré.

— La fin est un peu bizarre, tu ne trouves pas ?

— C'est souvent le cas avec ce réalisateur. Il laisse toujours la possibilité d'une suite.

— Bah ! Pas grave ! En tout cas, moi je connais la suite que je vais donner à cette soirée, lui dit-elle souriante. Tu as intérêt à être à la hauteur du héros de ce film.

Elle lui prit la main et ils sortirent du cinéma.

— Nous allons avoir un vrai Noël blanc cette année. Remarque-t-il alors que la neige recommence à tomber dans la nuit de l'hiver.

— Oui ! Et en parlant de Noël, ta sœur nous a invités pour le réveillon.

— Je vais devoir me farcir mon beau-frère et ses airs suffisants. Il ne s'est pas arrangé depuis qu'il a décroché ce poste de responsable commercial dans sa boîte. Je ne sais pas comment ma sœur fait pour le supporter. Heureusement qu'il y a ma petite nièce sinon ces repas seraient vite insupportables. Mais je suppose que nous ne pouvons pas faire autrement qu'y aller.

— Il suffira d'éviter de le brancher sur ses sujets de prédilections.

Arrivant à leur voiture, ils prirent la direction de leur appartement. Ils se garèrent dans le garage souterrain et entrèrent dans l'ascenseur. Une fois isolés du reste du monde, il prit Elodie dans ses bras et l'embrassa tendrement comme aux premiers jours de leur rencontre.

Enlacés, ils pénétrèrent dans l'appartement et achevèreent leur câlin sur le canapé, toujours aussi fougueux, le temps n'ayant apparemment pas eu de prise sur leur amour.

Quelques heures plus tard, Elodie en tenue décontractée dans la cuisine préparait le repas. Occupée à nettoyer une salade, elle ne remarqua pas l'arrivée furtive de son amoureux derrière elle. Il vint de nouveau l'enlacer et lui murmura un "Je t'aime" dans l'oreille en lui glissant une petite boîte sous les yeux.

— Qu'est-ce ?

— Ouvre et tu verras.

Fébrile, Elodie dénoua le petit lien qui entourait la boîte et l'ouvrit. Elle le regarda en rougissant, les yeux embués de larmes.

— Veux-tu m'épouser ? Demanda-t-il avec un grand sourire.

— Bien sûr que je le veux. Depuis le temps que j'attendais que tu me le demandes.

Elle lui sauta au cou et elle l'étouffa de baisers.


 

Arrivée

 

Quelques mois plus tard, Elodie et Franck débarquaient de l'avion dans cet aérodrome de l'Est du Congo situé au pied les montagnes de la Lune.

Elodie était aux anges. Son enfance avait été bercée par les récits des explorateurs du dix-neuvième siècle qui découvraient et faisaient découvrir ces territoires inconnus des européens.

Quelques animaux rares tels que l'okapi où l'éléphant des forêts survivaient encore au cœur des forêts dans les montagnes souvent couvertes de brume. Cela faisait des années qu'elle rêvait de les découvrir dans leur milieu naturel et non dans des parcs zoologiques.

Avec un peu de chance peut-être pourraient-ils même apercevoir les derniers gorilles des montagnes dans leur milieu naturel.

— C'est le plus beau cadeau que tu pouvais me faire. Depuis le temps que je rêvais de découvrir l'Afrique.

— C'est aussi grâce à Michaël. Sans lui, je n'aurais jamais pensé venir ici, loin des sentiers battus par les touristes.

— N'est-ce pas lui qui nous fait signe ?

En voyant l'homme qui faisait de grands signes devant le bâtiment de l'aérogare, Franck prit leurs sacs et ils se dirigèrent vers lui. Les deux hommes s'embrassèrent et Franck présenta son épouse à son ami.

— Suivez-moi ! Nous n'allons pas nous éterniser ici.

Il attrapa le sac à dos d'Elodie et le jeta à l'arrière de son pick-up tout terrain au milieu de matériels divers et variés. Avec une conduite adroite au milieu de la circulation anarchique de cette ville, ils quittèrent les bidonvilles environnants et ils traversèrent les champs en direction de la forêt et des montagnes.

— Nous en avons pour environ deux heures jusqu'à ma petite propriété, mais une fois là-bas, nous serons presque coupés du monde moderne…

— Bah ! Cela ne pourra pas nous faire de mal de vivre au rythme local pendant quelques semaines.

Elodie était hypnotisée par le paysage et les arbres qui défilaient de chaque côté de la piste. Elle espérait apercevoir un animal sous les frondaisons.

— Ne t'attends pas à voir quoi que ce soit le long de la route. Les grands animaux ont fui ou ont été chassés depuis bien longtemps. Tu verras peut-être un ou deux oiseaux mais rien de plus.

Avec une moue déçue, elle regardait la route qui défilait devant elle, participant sans enthousiasme à la conversation entre les deux hommes qui se remémoraient leurs souvenirs de jeunesse quand ils étaient ensemble sur les bancs de l'université.

— Voici mon palais ! Leur lance Michaël en montrant une vieille bâtisse de style colonial au bout d'une allée. Il lui faudrait un bon ravalement mais avec le climat d'ici, les peintures ne durent jamais longtemps. Mais vous verrez qu'à l'intérieur vous bénéficierez de tout le confort."

Il s'arrêta devant l'entrée et un homme d'un certain âge s'approcha de la voiture et prit leurs bagages.

— Je vous présente James, mon majordome-homme-à-tout-faire-jardinier… Enfin c'est lui qui entretient la maison et le jardin et qui gère les quelques personnes qui travaillent ici.

Le vieil homme les salua et monta leurs sacs dans la chambre qui leur avait été attribuée.

— Voici la chambre que Monsieur Michaël m'a demandé de vous préparer. Elle donne sur la montagne et le matin vous pourrez voir le soleil se lever derrière les sommets embrumés.

— Merci James ! Il se retire alors. Les deux amants prennent le temps de s'installer même s'ils ne vont pas rester longtemps chez leur ami avant leur périple dans la forêt.

Pendant le repas, Michaël leur expliqua comment il était devenu le propriétaire de ce domaine et la manière dont il continuait de le faire vivre en essayant de respecter les volontés de son grand-oncle qui en avait hérité de son père.

— Ce domaine a toujours été un havre de paix, même au moment de l'indépendance et pendant la guerre civile qui a ravagé le pays il y a quelques années. Les différents clans se sont toujours tenus à l'écart des limites de la propriété et avec mes employés nous avons aidé et soigné tous ceux qui se présentaient. La seule condition pour eux est de laisser leurs armes à l'extérieur.

— Que fais-tu exactement ? demande Elodie.

— Je m'occupe de la gestion d'un dispensaire où nous formons les habitants aux gestes de premiers secours. Il y a aussi une école et surtout nous exploitons les bois précieux pour l'exportation. Mais cela devient de plus en plus difficile car cette richesse attire les convoitises de nombreux trafiquants. D'ailleurs, pendant votre virée, je vous ferai accompagner par les fils de James pour plus de sécurité.

— Tu m'avais dit que la région était sûre !

— Oui, elle est sécurisée mais, depuis quelques mois, les forces de sécurité ont plusieurs fois aperçu des bandes armées qui viendraient de l'autre côté de la frontière, et comme vous serez loin de tout, je préfère être prudent…

— Merci !

— Et en plus, ils connaissent bien la forêt, ils pourront vous indiquer les meilleurs lieux pour observer la faune. Ils vous aideront aussi à préparer. Je leur fais entièrement confiance.

La soirée se termina tranquillement sur la terrasse dans la nuit tropicale au son des animaux nocturnes qui sortaient de leur tanière pour commencer à chercher leur nourriture.

 

Franck et les trois jeunes hommes préparaient l'expédition avec parfois des discussions animées sur les différents sites de visite et surtout le matériel à emporter. Pendant ce temps, Elodie accompagnée de James visitait la propriété et en particulier le dispensaire et l'école où elle commençait à prendre des clichés. Elle se lia rapidement avec le majordome qui lui expliquait que de nombreux enfants ont trouvé refuge ici après avoir fui leurs villages dévastés par les bandes armées qui sévissaient de l'autre côté de la frontière.

— Nous ne risquerons rien quand nous serons dans la forêt ?

— Avec mes fils vous serez en parfaite sécurité. Vous êtes les amis de Michaël et rien que pour cela, vous êtes plus précieux que le plus gros des diamants, lui dit-il en arborant un large sourire qui fait ressortir la blancheur de ses dents.

— Merci ! lui répondit-elle simplement. Je crois que nous devrions rentrer, cela va être l'heure du dîner.

Dès qu'il les vit arriver, Franck s'approcha radieux.

— Tout est prêt ! Demain nous pouvons commencer notre voyage dans les montagnes.

— Super ! Je vérifierai mon matériel une dernière fois avant de me coucher.

Insouciants parce qu'ignorants du danger qui les menaçait, les trois jeunes gens prenaient un dernier dîner sur la terrasse de la villa, servi comme il se devait par James qui ne pouvait s'empêcher d'être inquiet pour la jeune femme.

— Monsieur Michaël ! J'ai un mauvais pressentiment, dit-il alors qu'ils se retrouvaient seuls après que les nouveaux mariés se fussent rendus dans leur chambre.

— Comment cela ?

— Ma femme a vu dans ses rêves que deux jeunes blancs seraient en danger dans les montagnes. Les mauvais esprits rôdent depuis quelques temps autours des Monts Brumeux.

— Ce ne sont que des rêves ! Arrête de t'en faire ! Je connais Franck, il ne mettra jamais la vie de sa femme en danger. Et tes gars seront avec eux. Ce sont les meilleurs pisteurs que je connaisse.

— Je le sais ! Mais ma femme a le don…

— Je le leur dirai demain matin. Va te reposer, tu as eu une dure journée.

— Merci Monsieur !

Soucieux, James regagna la petite maison où il vivait avec sa femme.

— Alors tu as pu les retenir ?

— Hélas ! Non. Tu sais comment sont les blancs. Ils ne croient pas aux esprits.

— Il va arriver malheur à la jeune femme. Je l'ai vu. L'Esprit de la montagne s'est réveillé et il va venir se venger des hommes qui l'ont enfermé.

Sur ces mots, elle se retourna vers un autel et commença une litanie entourée de fumée de diverses plantes aromatiques tandis que son mari allait se coucher.


 

Exploration

 

A l'aube, excité, le jeune couple était prêt à partir. James faisait ses dernières recommandations à ses fils. Ils chargeaient les sacs à dos avec le matériel nécessaire à leur expédition dans le pick-up de Michaël qui allait les accompagner jusqu'au bout de la piste aux pieds des montagnes. Cela leur ferait gagner trois jours de voyage, s'ils avaient dû le faire à pieds. Quand ils sortirent de la propriété, ils virent arriver en courant l'épouse de James. Michaël s'arrêta. Elle se dirigea vers l'arrière du pick-up et lança quelques mots en swahili vers ses enfants qui hochaient la tête. Satisfaite, elle revint vers la cabine.

— Mademoiselle Elodie ! Mettez ce gri-gri autour de votre cou et surtout ne le retirez jamais. Il vous protégera.

— Merci Madame ! Dit-elle en prenant le pendentif de cuir en forme de petite bourse et le passe par-dessus sa tête.

— Pour vous Monsieur Franck, je ne peux rien faire ! Soyez prudent et méfiez-vous du Grand Serpent.

Intrigués par les paroles de la vieille femme, ils lui promirent d'être attentifs et ils lui dirent qu'avec ses fils, ils ne risquaient rien. Quand il redémarra, Michaël leur dit de ne pas s'inquiéter des propos de la vieille femme. Elle était un peu folle et les villageois la prenaient pour une sorcière.

— Elle semblait pourtant très inquiète en nous voyant partir.

— Vu la situation de la région, ce n'est pas difficile de prédire des malheurs. Ce serait plutôt l'inverse qui serait étrange. C'est pour cela que j'ai insisté pour que ces trois jeunes gens vous accompagnent. Je suis estimé dans la région et tout le monde connaît ou a entendu parler de James et surtout de sa belle-sœur qui avait longtemps dirigé d'une main de fer, un dispensaire non loin de la frontière. Je ne connais personne qui s'en prendrait à ses neveux.

— Plus tu nous en racontes et plus je me dis que nous n'aurions pas dû faire ce voyage…

— Mais Franck ! Tu as entendu ce que Michael vient de nous dire. On ne risque rien.

En disant cela, Elodie serra machinalement le gri-gri entre ses doigts et elle sentit une odeur suave remplir l'habitacle.

— Oui je sais bien ! Mais son regard m'a donné des frissons dans le dos.

— Pourquoi parlez-vous de cette femme au passé ?

— Disons que de manière assez incompréhensible, elle a quitté la région du jour au lendemain en disant qu'elle reviendrait bientôt mais…

Il ne finit pas sa phrase, laissant les deux amants suspendus à ses lèvres.

— Mais quoi ?...

— Un jour, elle s'est rendue dans un village isolé de la montagne. Les villageois parlaient d'une possédée par les esprits, elle ne devait y rester que quelques jours pour voir de quoi il retournait, mais son séjour dura plus d'un mois. La femme vivait dans une cabane isolée non loin d'une rivière. Madame Rose comme tout le monde l'appelait, y est allée et elle a disparu. Quand elle est réapparue au village, elle était transformée et en rentrant au dispensaire, elle en a laissé les clefs à son assistant avant de partir en Europe pour quelques semaines. Cela va maintenant faire presque vingt ans qu'elle y est et nous ignorons ce qu'elle est devenue.

— Pas même, une lettre ? demanda Elodie

— Elle ne s'est pas faite piéger par des passeurs indélicats ?

— Non Franck ! Elle est partie de manière légale, invitée par une association. Nous avons eu de ses nouvelles pendant quelques semaines puis dans un de ses courriers, elle a annoncé à sa sœur qu'elle se rendait au château des Veilleurs. Et depuis, plus de nouvelles !

— Où se trouve ce château ? Nous pourrons peut-être aller y faire un tour à notre retour. Qu'en penses-tu Franck ?

Franck eut un grognement.

— Pourquoi pas ? Mais si la police n'a rien pu trouver, je ne vois pas ce que nous trouverions de plus.

— D'après ce que nous savons, il se situerait quelque part au sud de l'Allemagne.

— Ça nous fera l'occasion d'un voyage… lança la jeune femme souriante.

Michael s'arrêta alors au centre d'un village.

— Voilà ! Je ne peux pas vous accompagner plus loin, la piste s'arrête là. Les villageois sont au courant de votre venue et vous passerez la nuit au village. Reposez-vous car marcher dans ces montagnes est épuisant.

— Merci Michael ! dit Franck. Oui nous allons nous reposer mais nous n'allons passer que quelques jours dans la montagne…

Les deux jeunes gens rigolèrent de concert tandis que leurs accompagnateurs transportaient leurs sacs vers la baraque qui leur avait été attribuée.

Ils passèrent la fin de l'après-midi à vérifier si rien ne leur manquait et tandis que Elodie vérifiait le bon fonctionnement de son matériel, Franck et Blaise, le fils aîné de James, se renseignaient sur les meilleurs sites d'observation des animaux sauvages.

Les villageois les mirent en garde de ne pas trop s'approcher du volcan qui grondait depuis plusieurs semaines et d'éviter la grande vallée où des bandes armées avaient été aperçues.

Pour féliciter le jeune couple de leur récent mariage, le village organisa une fête. Ils furent invités à participer aux chants et aux danses et ils s'endormirent dans les bras l'un de l'autre, épuisés mais ravis

 

Pendant que les deux amants dormaient, personne ne vit Armand, le plus jeune des trois frères, se glisser hors du village et rejoindre un groupe d'hommes en armes dans la forêt.

— Ils partiront demain matin et nous les guiderons vers le lac Bleu. La femme veut prendre des photos des animaux. D'après ce qu'ils ont prévu avec mon frère, on devrait installer le campement sur l'escarpement au pied de la cascade.

— Merci pour le renseignement. Voici pour toi et surtout fais comme si tu ne nous avais jamais rencontrés.

L'un des hommes lui donna une enveloppe et ils disparaissent silencieusement dans la forêt, le bruit de leur pas masqué par les cris des animaux nocturnes.

 

Dans la brume matinale, le petit groupe progressait lentement dans la forêt, Elodie ne ratait pas une occasion de prendre des images, même si elle n'aperçevait que peu d'animaux, elle savourait chaque instant, chaque pas. Franck discutait avec Blaise qui leur servait de guide et de pisteur. Alors que l'après-midi avance, et comme ils l'avaient prévu, ils se trouvaient au bord d'un lac. Ils en firent le tour pour installer le campement au pied de la falaise, non loin d'une cascade qui leur apportait une brume rafraîchissante. Une fois les tentes montées, Elodie sortit son ordinateur de voyage pour contrôler ses clichés du jour et les envoyer via une liaison satellite, sur son ordinateur dans leur appartement.

— Ce lieu est fabuleux ! dit-elle tout en regardant les images qu'elle avait prises dans la journée. Regarde ce singe !

— Oui je me souviens, c'est le groupe qui nous a suivis de longues minutes quand nous longions la rivière.

— Exactement ! Et ils sautaient d'arbre en arbre en nous surveillant.

Elle faisait défiler ses photos les unes après les autres et ils les commentaient ensemble.

— Et toi, tu as trouvé l'inspiration pour tes futures créations ?

— Oh non ! Moi je suis en vacances. Et je compte en profiter, lui dit-il en la serrant dans ses bras.

Les prochains jours s'annonçaient merveilleux, pensait-elle.


 

Traquenard

 

Le lendemain, accompagnés par Armand, les deux jeunes gens progressaient le long de la rivière qui alimentait la cascade.

Les deux autres frères étaient restés au campement afin de finir de l'aménager car Elodie et Franck prévoyaient d'y rester plusieurs jours, le temps que la jeune femme puisse prendre les clichés qu'elle souhaite. Ils dégagent un peu le sol autour des tentes afin d'éviter que des animaux indésirables viennent les déranger dans leur sommeil. Occupés à couper et à nettoyer, ils ne voient pas les ombres furtives qui se déplacent autour d'eux.

— Jonas, je pense que ça doit être bon, le sol est suffisamment net…

Son frère regardait autour de lui et il lui confirma son avis.

— Oui, nous avons bien mérité notre bière.

Les deux frères rirent et, attablés, ils furent instantanément fauchés par une rafale d'arme automatique.

— Qu'est-ce ? demanda Franck, vous avez entendu ?

— Oui, dit Elodie. On dirait que cela vient de la direction du campement.

— Peut être un animal qui s'est approché trop près de mes frères…

— Oui peut être… répond la jeune femme qui resta troublée malgré tout.

Franck eut un étrange pressentiment, quelque chose ne tournait pas rond. Autour d'eux, il n'entendait presque pas de cris d'animaux ou de chant d'oiseaux. Or, selon Michaël, cette vallée regorgeait de vie sauvage et était encore préservée de la cupidité humaine, il en avait eu la preuve la veille.

— Ne nous éloignons nous pas beaucoup du campement ?

— Non Madame, les gorilles sont beaucoup plus haut et des villageois ont raconté avoir aperçu des éléphants nains des montagnes…

Cette information titillait le centre du plaisir d'Elodie. Si elle parvenait à prendre suffisamment de clichés, elle pourrait faire la une de “Animaux et Nature”, ce magazine de prestige qui faisait rêver tous les photographes animaliers. Cette espèce était si rare que de nombreux zoologistes la considèrent comme éteinte.

Elle pressait alors le pas, trouvant une énergie nouvelle. Franck derrière eux restait aux aguets. Le moindre mouvement dans la forêt autour d'eux le faisait sursauter.

Comme montée sur ressorts, Elodie suivait Armand de près et ils distancèrent rapidement le jeune homme.

Après plusieurs minutes, elle proposa à Armand de s'arrêter pour l'attendre. De plus, malgré l'altitude, la chaleur commençait à se faire pesante dans ces montagnes chargées d'humidité.

— Oui ! Attendez-là, je vais l'aider à monter.

Assise sur un rocher, Elodie vit son guide disparaître dans la forêt. Elle prit son appareil photo pour prendre quelques images de la flore et des insectes qui butinaient les fleurs sauvages au parfum parfois très désagréable pour un nez humain. Elle eut un moment de surprise lorsqu'elle vit un étrange animal disparaître dans un buisson, une sorte de gros varan.

— Impossible ! J'ai confondre avec une souche d'arbre.

Toujours dans ses pensées, elle fut brutalement plaquée au sol et immobilisée. Sa tête fut recouverte par un sac de toile et ses poignets attachés dans son dos.

Trop effrayée pour crier, elle se laissa relever et guider par des mains fermes. Elle pouvait difficilement suivre la cadence de marche que lui imposaient ses ravisseurs. Plusieurs fois elle trébucha et tomba à genoux. On la remit debout sans ménagement et la marche reprit. Elle ne savait pas combien de fois elle gravit puis descendit des collines sur le sentier escarpé. Elle fut presque soulagée quand on la souleva pour la jeter brutalement sur le plancher d'un pick-up.

Quand le véhicule s'arrêta, on la sortit et on la força à se mettre à genou avant de lui retirer le sac qui l'aveuglait.

De son côté, Franck n'avait pas eu plus de chance. Armand après avoir quitté Elodie, rejoignit ses complices qui les suivaient depuis leur départ du campement et il leur donna la position de la jeune fille. Puis, avec un groupe de trois hommes, ils descendirent le sentier en direction du Blanc qui montait avec prudence. Quand ils l'entendirent approcher, ils se cachèrent dans les fougères qui longeaient le chemin. L'un d'eux se rua sur lui par derrière et l'assomma d'un coup de crosse derrière la tête.

— Abruti ! Tu l'as assommé, grommela Armand. On va être obligé de le porter.

Comme Elodie, Franck fut ligoté et aveuglé avec un sac. Mais, ses ravisseurs prirent moins de gants qu'avec la jeune femme. Un des hommes lui envoya un violent coup de pied dans le ventre pour le réveiller et lui ordonner de se lever. Péniblement, avec un terrible mal de tête, le ventre endolori, il se mit debout. On lui fixa une corde autour du cou et il fut tiré. Si Elodie était guidée pour marcher, lui, devait se méfier à chaque pas et il trébucha de nombreuses fois.

Lors du franchissement d'un gué, son pied glissa sur une pierre et le tranchant d'un rocher lui entailla profondément le ventre.

Les hommes qui le tiraient, posèrent juste un tissu dessus pour éponger la plaie et ils continuèrent leur progression jusqu'au lieu où les attendaient les voitures.

Le groupe d'Elodie était déjà parti et ils arrivèrent à la base rebelle bien après elle.

Franck fut aussi jeté dans cette salle, mais ils ne lui retirent pas son sac alors qu'il était au sol, épuisé par sa blessure.

 

Quand Michael apprit la nouvelle de l'assassinat des fils de James, il se rendit chez le couple éprouvé par le chagrin et encore sous le choc. Tout le village était là. Les villageois s'écartaient pour le laisser entrer. Personne ne comprenait comment des brigands avaient pu s'approcher autant du village. Cette région était considérée comme la plus sûre du pays et ses habitants en tirait de la fierté car ils avaient eux-mêmes participé à sa sécurisation. Certes, des drones armés de puissances étrangères les avaient aidés mais ce fut eux qui avaient délogés les derniers pseudo-rebelles de leurs caches dans les collines alentours.

Quand elle le vit arriver Mama So comme l'appelaient les gens du village vint vers lui.

— Je leur avais dit de ne pas se rendre dans les monts Brumeux…. L'esprit du volcan s'est réveillé et il va bientôt frapper…

— Allons Mama So, dit Michaël en la prenant dans ses bras. Ce n'est pas un esprit qui les a tués, ce sont des hommes. On les retrouvera et on les punira comme ils le méritent. Je vous le promets.

James attrapa doucement sa femme abattue par le chagrin et la fit rentrer dans la maison. La foule commençait à gronder autour de Michaël. Elle réclamait justice pour ces jeunes gens.

— Doucement mes amis, pour le moment nous n'avons aucune information sur ceux qui ont pu faire cela… De plus, nous sommes toujours sans nouvelles de mes amis qui sont dans la montagnes. Je vais voir avec la police et l'armée, je me rendrai avec eux sur les lieux de l'attaque pour me renseigner…

Il regarda l'effet de ses paroles sûr la foule qui se calma un peu.

— Mes amis, ne faites rien avant mon retour.

Prenant James avec lui, Michaël se rendit aussi rapidement que le permettent les pistes dégradées par la saison des pluies jusqu'à la ville voisine. Ils passèrent de nombreuses heures à négocier avec le capitaine du détachement de l'armée gouvernementale qui avait déjà bien du mal à faire respecter l'ordre sur la frontière.

— Oui nous avons été informés de ces assassinats et de la disparition de ce couple, mais j'ignorais qu'il s'agissait de vos amis.

— En quoi cela change-t-il les choses ?

— En rien, hélas ! Je n'ai pas assez d'hommes fiables pour vous aider. Mais peut-être que les forces étrangères basées de l'autre côté de la frontière pourrait vous aider ?

— Merci, mais attention, je ne pourrais pas retenir longtemps les villageois. Les fils de James et Mama Do étaient respectés et appréciés. Les villageois crient vengeance et vous savez ce dont ils sont capables…

— Oui je sais, je vais envoyer un détachement dans la vallée où les meurtres ont eu lieu pour récupérer les corps. Et si vous arrivez à convaincre les français de faire survoler la zone par leurs avions peut être arriverons-nous à empêcher un bain de sang.

Quand ils sortirent de la caserne, James était désespéré.

— Les français ! Ils se fichent bien de mes fils…

— De tes fils peut être mais pas des deux blancs qui ont disparu…

Au moment où il dit cela, deux chasseurs de l'aviation française survolaient la ville à basse altitude en direction des monts brumeux.

— Tiens tu vois !

— Oui Monsieur Michael, mais ce n'est pas cela qui va me ramener mes fils…

— Je le sais, mais je te promets que nous retrouverons leurs meurtriers.

Michael pensait à ses amis disparus et grâce à la voiture de sa fondation, le passage de la frontière fut une formalité. Il eut plus de mal à obtenir une entrevue avec le commandant de la base aérienne française, Mais là encore, sa réputation d'homme intègre l'avait précédé

— Mon colonel, je comprends bien que cela ne rentre pas dans les attributions de votre mission, mais ne pourriez-vous pas faire un geste. Il s'agit de vos compatriotes.

— Je le sais et de plus il s'agirait d'un groupe de rebelles que nous surveillons depuis quelques semaines. Je ne peux rien vous dire de plus précis, mais nous avons la preuve que vos amis sont vivants.

Michaël poussa un soupir de soulagement à cette annonce.

— Et mon fils ? demande James avec espoir. Mon petit Armand ?

— Je ne peux rien vous dire car si sur les images, il nous est facile de repérer deux blancs hélas pour votre fils, il nous aurait fallu une photo récente.

— Hélas ! Je n'en ai pas…

— Gardez espoir, tant que son corps n'a pas été retrouvé, il est peut-être vivant.

Sur ces mots, ils quittèrent le colonel et Michael fit un détour par l'hôpital de la base pour récupérer quelques produits pour le dispensaire.

Sur le trajet retour, ils furent survolés par deux hélicoptère de l'armée gouvernementale qui comme promis par le capitaine, allait déposer un détachement de soldats.


 

Prisonniers

 

Quand on retira le sac-cagoule du visage d'Elodie, elle mit quelques minutes à s'habituer à la luminosité ambiante et à l'effervescence qui agitait ce campement. Elle était à genou au milieu d'une grande pièce. Un homme obèse avec un uniforme élimé mais couverts de décoration trônait sur un fauteuil et surtout portait autour du cou un énorme pendentif représentant un serpent formant un huit.

— Qui êtes-vous ? Que me voulez-vous et où est mon mari ?

— Silence femme ! lui dit l'homme en se levant pesamment de son trône et il s'approche d'elle en soufflant.

— Je suis le Général N'Gopba … et ici tu n'es rien… Ton mari devrait arriver bientôt…

L'homme tourna autour d'elle. Il la caressa de sa cravache. Elle le fixa en le défiant. Il la cravacha sur l'épaule sèchement. Elle poussa un cri et baissa les yeux sous la douleur. Il la força à relever la tête du plat de la cravache sous le menton.

— Tu as de jolis yeux bleus… puis il fit descendre la cravache pour dessiner les courbes de sa poitrine avec. Elle recula en l'insultant.

— Sale porc… Vous n'avez pas le droit.

Il lui cingla les cuisses sous le short et lui répondit sèchement.

— Ici ! J'ai tous les droits, et je ferais ce que je veux avec toi.

Au même instant, un mouvement de foule secoua l'extérieur de la case et Elodie vit apparaître deux géants noirs qui portaient son mari inconscient. Ils le jettèrent au pied du Général. Elle se précipita sur Franck et lui retira le sac. Elle le prit dans ses bras, en larmes, et remarqua la blessure à son aine.

— Il faut le soigner ! Faites quelque chose, il a perdu beaucoup de sang…

— Pour le moment, vous êtes mes otages… pour le reste on verra.

— Pourquoi ? dit-elle en sanglotant...

Sa question resta sans réponse, car aussitôt, des bandits la tirèrent et la séparèrent de Franck pour l'enfermer dans une petite case au pied de la falaise. Elle se recroquevilla dans un coin en larmes attendant de savoir ce que ces brigands allaient décider.

En fin de journée, une jeune femme toute aussi apeurée qu'elle vint lui apporter une gamelle avec du manioc et un peu de viande séchée qu'elle eut du mal à manger et deux soldats l'emmènèrent dans les latrines du camp pour qu'elle pût se soulager.

Après une nuit ou les insectes cherchaient à découvrir la partie la plus appétissante de son corps, elle eut droit à une nouvelle ration de nourriture.

Le Général passa la voir rapidement sans dire un mot et un peu plus tard, deux hommes déposèrent sans ménagement Franck inconscient dans la case.

Elle eut la force de le poser sur la paillasse et elle constata avec soulagement que son bandage avait été changé et même si la blessure n'était pas belle à voir, il ne perdait plus de sang.

— Que s'est-il passé ?

— Chut ! Mon chéri, ne parle pas… Repose toi… Dis-moi si tu as soif.

Franck ouvrit les yeux et sourit en voyant Elodie, puis aussitôt, il replongea dans un sommeil agité.

Elodie passa le reste de la journée à veiller sur son homme. Régulièrement, la jeune femme qui lui avait apporté de la nourriture passait la voir mais elle ne parlait aucune langue commune et seul un dialogue par gestes put s'instaurer.

Rapidement la jeune fille lui indiqua de quels hommes elle devait se méfier mais quand Elodie commença à lui parler du Général, aussitôt son visage se figea. Elle baissa le regard et fit un huit dans l'air. Elle comprit qu'elle n'en apprendrait pas plus sur cet homme.

Le seul évènement notable de l'après-midi fut le survol rapide du camp par deux avions à réaction. Certains tirèrent sur les jets avec leurs fusils mitrailleurs mais Elodie douta que les pilotes se fussent rendu compte qu'on leur tirait dessus.

Au cours de la nuit, Elodie un peu rassurée par la présence de Franck à ses côtés prit le temps d'observer un peu le camp et les alentours. Elle remarqua vite le volcan qui dominait la région avec son panache de cendres et les hommes qui le regardaient parfois avec inquiétude.

Les jours suivant passèrent avec la même monotonie. Elodie commençait à communiquer avec la jeune femme dont elle apprit qu'elle s'appelait Ketia. Elle réussit à comprendre que les hommes avaient peur du volcan et surtout du “Grand Serpent” qui se cacherait dans ses grottes. Elle se souvenait de reportages qu'elle avait vu sur les volcans de cette région et elle savait que certains libèraient parfois des gaz toxiques qui pouvaient tuer tous les animaux d'une vallée en quelques minutes.

— C'est sûrement cela qui doit faire peur à ces gens. Ils ont en mémoire des catastrophes anciennes, pensait-elle.

Elle essayait de voir si elle arrivait comprendre l'organisation de ces hommes mais, à part le Général qui régnait d'une poigne de fer sur le camp, pour le reste cela semblait être l'anarchie la plus totale. Elle remarqua aussi rapidement que trois ou quatre hommes et une femme semblaient avoir un semblant d'autorité sur les autres mais ils semblaient rivaux. Quand l'un d'eux donnait un ordre, il était souvent contredit par un autre.

Fuite

 

Le matin elle voyait partir quelques hommes avec des pick-up plus ou moins récents mais surtout dépareillés, des véhicules volés lors de raids. Toujours le même schéma de départ : des commandos de quatre véhicules dont deux chargés d'hommes, un avec une mitrailleuse lourde sur le plateau et un dans lequel un des lieutenants du Général prenait place.

Quatre de ces groupes partaient pour faire des razzias dans les environs tandis qu'un cinquième restait au camp pour le protéger et garder les prisonniers. Le groupe de garde changeait tous les jours. De temps à autre Elodie entendait des coups de feu puis le rire des hommes. De sa case, elle ne pouvait pas voir sur quoi ils tiraient. Il ne valait d'ailleurs mieux pas car il s'agissait parfois de prisonniers dont le geôlier laissait volontairement la porte ouverte. Ils tentaient de fuir et les gardes s'amusaient à les tirer comme des lapins.

Cette routine quotidienne des hommes était juste rompue par le passage des avions au-dessus du camp. C'était sûrement en lien avec leur enlèvement, pensait-elle. Mais elle savait aussi que zones de combats importants se trouvaient un peu plus au nord.

Elle n'avait plus revu Armand depuis le jour où ces hommes lui étaient tombés dessus. Qu'étaient-ils devenus, lui et ses frères ?

Cette nuit-là, elle regardait Franck qui geignait dans son sommeil, même s'il allait mieux, il avait toujours de la fièvre. Il lui faudrait des antibiotiques mais Elodie ne voulait rien demander au Général. Ketia lui avait annoncé qu'il l'autoriserait à se promener dans le camp dès le lendemain, à la seule condition qu'elle ne chercha pas à s'enfuir. Mais où pourrait-elle aller ? Elle ne laisserait pas Franck blessé derrière elle.

Pour la première fois depuis son arrivée dans ce camp, elle s'endormit l'esprit détendu. La blessure de son mari cicatrisait bien.

Au petit matin, le camp était en effervescence. Deux hommes réveillèrent Elodie et Franck et leur attachèrent les poignets dans le dos avant de les pousser hors de leur case. Ils les firent s'agenouiller pour attendre. Avec horreur, ils virent les rebelles rassembler les autres prisonniers dans un coin du camp et les abattre sans pitié. Elodie fut prise d'une nausée qu'elle ne put retenir.

Ils massacraient sans distinction les hommes, les femmes et les enfants. Elle les vit incendier les cases et détruire les pick-up. Des bidons de carburant explosaient à l'autre bout du camp. Ils n'avaient gardé que les armes et les munitions.

Une fois en ordre de marche, ils les firent se lever. Un des chefs, hilare, poussa Ketia auprès d'Elodie qui fut soulagée de voir que sa seule amie ici était en vie. La jeune fille était en larmes, l'homme était en train de s'amuser avec elle. C'était peut-être cela qui l'avait sauvée puisqu'elle n'avait pas dormi avec les autres prisonniers.

Ils entamèrent alors une marche à travers la forêt en direction du volcan qui dominait les Monts Brumeux. Après plusieurs heures de marche, Franck qui était resté silencieux, grimaçait. Sa blessure s'était à nouveau ouverte et il savait qu'il ne pourrait plus tenir ce rythme. Il tomba au sol, Un homme l'obligea à se relever, il titubait.

Comme elle n'en pouvait plus de le voir ainsi, Elodie interpella le Général.

— S'il vous plaît faîtes quelque chose ! Il ne peut plus marcher… Sa blessure s'aggrave.

Il la regarda de haut. Il savait qu'il tirait les ficelles et que la jeune femme lui faisait face ne pouvait rien exiger.

— Je ferai tout ce que vous voudrez.

— Vraiment tout ?

— Oui, vraiment tout.

Elle se mit à genoux implorante. Il lui caressa le visage avec son inséparable cravache.

— Bien ! Alors mes hommes vont l'aider car on ne peut pas s'arrêter. Le Grand Serpent nous appelle.

En réalité, il était talonné de près par les troupes gouvernementales. Elles étaient aidées par des hommes des sections spéciales et elles avaient retrouvé la trace du jeune couple. Elles voulaient les libérer et en même temps neutraliser le danger de la milice du Général N'Gopba. Il savait que la découverte des corps au camp allait ralentir ses poursuivants mais aussi renforcer leur détermination. Il se gardait bien de donner des nouvelles à la jeune femme, il ne fallait pas qu'elle eut trop d'espoir.

Il aboya quelques ordres dans sa langue et des hommes improvisèrent un brancard avec des branches et des feuilles. Ils allongèrent Franck dessus et la marche reprit. Elodie marchait à côté du brancard en tenant la main de son mari.

A la fin de l'après-midi, les hommes du Général investirent plusieurs grottes dans le fond d'un canyon. Ils installèrent le camp et le fortifièrent du mieux possible pour éviter toute surprise pendant la nuit. Ils avaient piégé le chemin qu'ils avaient emprunté et dans cette région escarpée, il y avait peu de chance que leurs poursuivants osassent les suivre dans l'obscurité.

Alors que le calme était tombé sur le campement, une ombre furtive malgré sa masse s'approchait d'Elodie endormie.

— Debout…

Secouée et tirée, elle se réveilla en sursaut et s'apprêta à crier quand une main se plaqua sur sa bouche.

— Tu m'a promis de faire tout ce que je veux pour que j'aide ton mari, alors suis moi et pas un mot.

Elle reconnut la voix du Général et ce fut en tremblant qu'elle le suivit.

Il la traînait plus qu'elle ne le suivait jusqu'à la grotte où il avait installé la paillasse qui lui servait de lit. Il la jeta dessus et il profita de son état de stupeur pour lui attacher la cheville avec une corde à une lourde malle et ses poignets aux dessus de la tête.

— Ainsi, je serais sûr que tu ne chercheras pas à t'échapper quand je dormirai.

Elodie le regardait avec de grands yeux. Il rigolait grassement.

— Ah oui ! Je ne t'ai pas dit, Mais tu viendras dormir avec moi toutes les nuits. Ça fait longtemps que je n'ai ni dormi ni baisé avec une blanche.

— Non je vous en prie, dormir je veux bien, Mais pas de sexe… s'il vous plaît !

— C'est toi qui t'es engagée la première alors pas de blague sinon ça pourrait mal se finir.

Elodie le vit commencer à se mettre nu. Elle était dégoûtée par ce qu'elle voyait. Rien dans cet homme ne l'attirait.

— A ton tour… À oui c'est vrai, tu ne peux pas.

Il lui ouvrit alors son chemisier et arracha son soutien-gorge. Il joua un peu avec la poitrine de la jeune femme avant de lui retirer son short et sa culotte. Quasiment nue et sans défense, elle était obligée de subir les assauts répétés de cet homme immonde. Il finit par s'endormir sur la jeune femme en larmes. Telle qu'elle était ligotée elle ne pouvait qu'attendre le réveil de son violeur et observer la grotte où elle était.

Elle remarqua alors, que le porte bonheur de Mama So luisait faiblement dans l'obscurité. Elle se demandait pourquoi car quand elle l'avait examiné un jour dans son cachot, elle ne lui avait rien trouvé de spécial. C'était juste des lanières de cuir tressées autour d'un morceau de granit. Elle avait eu plusieurs fois envie de le jeter mais au moment où elle allait le retirer de son cou, elle avait toujours été interrompue. Ce fait nouveau la questionnait.

Sans qu'elle en comprît la raison, cette lueur lui redonna de l'espoir. Elle se sentait sale à cause de cet homme qui ronflait sur elle, et qui grognait comme un porc pendant qu'il la violait. Il l'avait même frappée car il l'avait trouvée trop passive. Elle pleurait en silence, elle ne voulait pas provoquer sa colère une nouvelle fois.

Au petit matin, il la réveilla brutalement en exigeant une gâterie qu'elle se força à lui donner avant de la ramener auprès de Franck toujours endormi et fiévreux. Elle eut juste le temps avec Ketia de nettoyer la blessure de son mari avant que les miliciens ne levassent le camp pour continuer à marcher.

La jeune fille qui avait compris ce qu'Elodie avait subi pendant la nuit, resta à ses côtés et lui tint la main le plus souvent possible au cours de leur progression dans le sentier de plus en plus escarpé. Elodie serrait les poings à chaque fois que l'un des hommes qui portait le brancard de Franck trébuchait. Elle aurait voulu leur dire de faire attention, mais le Général aurait profité de cette faiblesse.

Cela faisait maintenant quelques jours qu'ils marchaient. Leurs pas les rapprochaient du volcan qui crachait de plus en plus de cendres et de bombes volcaniques. Ils en étaient suffisamment proches pour entendre les explosions les plus violentes.

Les hommes du Général étaient partagés entre le soulagement de ne plus être suivis et la crainte du volcan. De même, Ketia tremblait à chaque explosion et serrait sa main dans celle d'Elodie qu'elle ne lâchait plus.

Elodie marchait comme une poupée mécanique. Les journées et surtout les nuits se ressemblaient. Elle n'avait plus de larmes pour pleurer. Elle ne trouvait même plus de réconfort à la présence de Franck que la fièvre emportait dans un délire loin de la réalité. Même si le Général était prêt à lui donner des médicaments, ils n'avaient plus d'antibiotiques depuis leur départ précipité du camp. Les hommes incapables d'avancer étaient abandonnés sur place ou abattus parce qu'ils auraient pu dévoiler leur destination finale.

Elle n'attendait plus rien des survols réguliers des avions au-dessus de la forêt, la végétation était si dense qu'ils devaient être invisibles.

Ce jour-là, elle fut surprise du lieu de leur bivouac. À part le premier soir où elle avait été violée, ils avaient toujours passé la nuit sous les frondaisons. Ce soir-là, le Général les guida vers une caverne au pied du volcan. Elle fut obligée de rassurer la jeune Keita qui, accrochée à son bras, refusait de franchir le seuil de la grotte.

— C'est le domaine du Grand Serpent, il va tous nous tuer pour nous manger.

— Ce sont des légendes, lui répondit Elodie pas très rassurée par la présence du cratère à quelques centaines de mètres au-dessus d'eux.

Les hommes se répartirent dans les différentes salles de cette caverne. Il était clair que ce n'était pas leur première visite dans ce lieu.

Elodie comprit vite pourquoi ils avaient tout abandonné dans la vallée. Leur véritable camp de base était cette caverne et non celui où elle avait été emmenée, il y avait maintenant presque quinze jours.

Assise à côté de Franck, elle se faisait lentement à l'idée que s'ils n'étaient pas rapidement secourus, iIl ne survivrait pas longtemps.

— La Grande Déesse l'appelle… murmura Ketia.

— Je le crains, lui dit Elodie avec des larmes dans les yeux.

Elle ne connaissait pas cette Grande Déesse mais elle se doutait qu'il s'agissait de la divinité que priait la jeune fille le soir quand elle la voyait prise par le Général.

Compulsivement, elle jouait avec son pendentif. Ketia sursauta.

— Une larme de la Déesse.

—Que veux-tu dire ?

— Cette pierre qui brille, c'est une larme de la Déesse. La Déesse protège ses enfants grâce à ces pierres, elle les surveille et les protège ainsi. Elle va nous sauver.

Elodie sourit à la naïveté de son amie. Cartésienne et élevée dans une famille athée, Elodie ne croyait ni aux dieux, ni au diable et encore moins au surnaturel, Mais elle ne voulait pas faire perdre espoir à la jeune fille. Aucune déesse ne viendrait les sauver, mais des hommes sûrement.


 

Recherches

 

Michaël ne restait pas inactif. Dès son retour chez lui, il rassembla quelques hommes dans son salon pour mettre en place une stratégie pour retrouver ses amis.

Il n'avait aucun doute, ils avaient été enlevés par un groupe de rebelles qui opéraient depuis l'autre côté de la frontière. Il avait invité James et Mama So à venir habiter dans la grande demeure coloniale.

Il savait que les intuitions de cette femme étaient souvent justes. Il considérait que le cérémonial et les rites qu'elle déployait pour impressionner ceux qui venaient la voir étaient sûrement plus du décorum qu'utile mais il était important que les hommes pensaient que les esprits étaient de leur côté.

Vivant depuis toujours au milieu de ces gens, il était moins imperméable qu'Elodie à leurs croyances et il avait plusieurs fois eu l'occasion de voir Mama So en action.

Cette femme le surprenait à chaque fois. Ce soir, elle était penchée sur la carte de la région et devant les hommes qui restaient muets, elle plantait des punaises à différents endroits de la carte.

— Là ! C'est le lieu où Blaise et Jonah ont été tués…

Un peu plus loin, elle posa deux autres punaises pour indiquer les positions des captures d'Elodie et de Franck. Elle pointa ensuite le lieu du camp des rebelles.

Michael prit des photos qu'il envoya au colonel français qui l'avait reçu ainsi qu'au capitaine de l'armée gouvernementale. Il ne savait pas comment les deux hommes allaient prendre ces informations mais un survol de cette zone ne coûtait rien pour les avions qui partaient en mission plus au Nord avec la recrudescence de l'activité des rebelles.

Il se pencha sur la carte et regardait les punaises qui indiquaient selon Mama So les lieux de l'enlèvement de ses amis.

— Si Mama So a raison, et je ne vois pas pourquoi elle se tromperait, n'est-ce pas ?

Un murmure de confirmation parcourut l'assemblée autour de lui. Ils connaissaient tous les pouvoirs de cette femme étrange mais si chaleureuse.

— Donc, je reprends, selon Mama So, Franck a été enlevé à cet endroit, au pied de cette colline et Elodie près du sommet. Pourquoi étaient-ils séparés, on ne le saura que lorsque nous les aurons retrouvés. D'ici, il nous faudra une journée de voiture pour atteindre la fin de la route. Ensuite je pense qu'en marchant bien, une petite matinée de marche pour atteindre les lieux qui ne sont pas très éloignés. Ensuite, ce sera plus compliqué car s'il y a bien une route qui conduit là où ils seraient retenus en otage, nous risquons de tomber sur les brigands. Vous êtes toujours avec moi ?

En chœur, ils répondirent qu'ils le suivraient jusqu'à ce que ces bandits fussent mis hors d'état de nuire. Aucun d'eux ne voulait utiliser le terme de rebelles car s'ils avaient parfois combattu le pouvoir central, ils n'avaient jamais commis les exactions de ces milices.

— Tenez-vous prêts à partir demain à l'aube. Mama So et James vous resterez ici pour nous dire si vous avez des informations par la police ou l'armée.

— Oui Monsieur Michaël !

La pauvre femme ne se remettait pas de la mort de ses fils et elle était inquiète de la disparition du troisième. Elle n'arrivait pas à voir dans ses sorts ce qu'il était devenu. Il semblait avoir disparu, mais elle n'avait pas ressenti la douloureuse déchirure de la mort.

— Je les avais prévenus, dit-elle à son mari quand ils sont seuls dans leur chambre. Le Grand Serpent se réveille et la Déesse est en colère.

— Ce sont des blancs, ils ne connaissent rien à nos coutumes.

— Oh ! Ce n'est pas pour la jeune fille que je m'inquiète, elle est protégée, elle porte le sang de la déesse en elle, je l'ai senti dès que je l'ai vu… Elle est forte, elle va revenir.

— Pour qui t'inquiètes tu alors ? lui demande-t-il en la serrant contre lui.

— Pour les habitants de la vallée. Le Grand Serpent va bientôt sortir et ils vont tous mourir. Comme dans la légende…

— C'est une histoire pour faire peur aux enfants et souviens-toi de ce que disait le vieil Albert, le père de Monsieur Michaël, ces gens avaient été pris par une éruption volcanique, c'est pour cela que l'on a retrouvé leurs corps statufiés.

— Non ! L'éruption a toujours lieu après le réveil du Grand Serpent. La Déesse et ses servantes réveillent le volcan pour endormir et emprisonner le Grand Serpent.

James comprit qu'il ne pouvait pas raisonner sa femme et ne la contredisait plus. Il la serra contre lui et la câlina avant de s'endormir. Même s'il ne partait pas avec Michaël, il voulait être debout pour préparer les affaires de celui qu'il avait connu tout petit.

Resté seul dans le salon, Michaël reçut un message du colonel français qui l'informait qu'il avait obtenu l'autorisation de sa hiérarchie pour mettre des hommes et des moyens à la recherche du couple disparu et qu'il le remerciait pour les informations de Mama So.

Michaël était content. Il savait que les militaires du capitaine étaient compétents, même s'ils n'étaient pas assez nombreux. Ils allaient mettre tout leur cœur pour mener les recherches et surtout pour détruire ce groupe de miliciens rebelles. L'appui de la technologie française était un atout non négligeable. Le survol de la vallée par les chasseurs dans l'après-midi avait calmé les villageois mais n'avait pas servi à grand-chose, du moins le pensait-t-il.

Il ne comprenait pas comment les rebelles avaient pu savoir qu'un couple de blancs voyageait dans cette vallée, si loin de leurs bases. Cela faisait des années qu'ils ne s'aventuraient plus dans cette région car ils savaient qu'ils seraient rapidement pourchassés et éliminés. Ils préféraient faire leurs pillages beaucoup plus loin où aucune résistance ne s'opposait à leurs incursions.

Il ne pouvait y avoir qu'une explication, pensait-il. Quelqu'un leur avait signalé la présence d'Elodie et de Franck au village et le trajet de leur excursion. Peu de personnes étaient au courant de ce safari-photo, James et ses fils. Il écarta aussitôt le majordome de sa liste, il ne l'aurait pas trahi, c'était un homme fidèle. Ses fils ? Mais pourquoi ? Les deux aînés venaient d'être assassinés, il ne restait plus qu'Armand, le plus jeune dont Mama So ne retrouvait pas la trace.

Ils en sauraient plus sur place.

Après plusieurs heures de route, ils arrivèrent là où il avait déposé le petit groupe quelques jours plus tôt. L'espace était déjà investi par des véhicules militaires et quelques policiers.

— Bonjour Monsieur Michaël, nous attendions votre arrivée. Le capitaine est dans la tente là-bas.

Michaël se rendit dans la tente indiquée par le soldat et entra.

— Bonjour, mon capitaine ! Du nouveau ?

— Hélas ! Rien de plus que ce que nous savions. Les deux hommes ont été hachés menus par plusieurs rafales d'armes automatiques, au moins trois hommes. Ce qui nous a surpris, c'est qu'ils n'ont pas pris le temps de fouiller le camp comme s'ils avaient été surpris…

— Comment cela ?

— Nous avons retrouvé l'ordinateur de mademoiselle Elodie et une partie de son matériel photographique. Je ne suis pas un spécialiste, mais il y en a pour une petite somme…

— Et vous avez trouvé quelque chose ? Des indices ?

— Sur place, juste les douilles de la fusillade et les traces de pas des assassins qui sont montés vers le sommet là où Monsieur Franck et Mademoiselle Elodie ont été kidnappés. Je crois que nous ne trouverons rien de plus… Hélas !

— Serait-ce des hommes du Général N'Gopba ?

— Difficile à dire, ils ont l'habitude de signer leur passage de manière plus sanglante et en Général, ils pillent tout ce qu'ils peuvent.

— Des braconniers ? Des contrebandiers ?

— Non plus, je vous le dis, rien n'a été volé...

Ces révélations laissaient Michael perplexe. Cet enlèvement lui semblait de plus en plus mystérieux.

— Puis-je monter avec mes hommes jusqu'au campement ? De plus c'est du matériel que je leur avais prêté, j'aimerais le récupérer.

— Bien sûr, allez-y, je vous l'ai dit, nous n'avons plus rien à tirer du campement.

— Et pour l'ordinateur et le matériel de mon amie ?

— Hélas ! C'est une pièce à conviction…

Michael ne se faisait pas d'illusions, le capitaine le revendrait sûrement au marché noir. Mais s'il voulait conserver de bonnes relations il devait se montrer conciliant.

En sortant de la tente, le capitaine héla ses hommes et ils prirent la direction du campement. Il avait emmené avec lui le meilleur pisteur du village et il lui avait demandé de lui signaler tout ce qui lui semblerait suspect.

Là où il avait fallu plusieurs heures de marche à Franck et Elodie qui s'étaient souvent arrêtés pour prendre des photos, Ils ne mirent que deux heures.

— Alors Vivien, qu'as-tu vu ?

— Rien de spécial Monsieur Michael, mais il flotte dans l'air une odeur de très grande peur…

—J'ai l'impression que plus nous nous approchons et plus cette odeur est forte… Mais je ne reconnais pas l'animal qui a pu créer une telle panique.

Quelques minutes plus tard, ils découvraient le camp. Les impacts de balles avaient déchiqueté les feuilles et les branches près de l'endroit où les deux jeunes gens étaient morts.

Les tentes avaient été endommagées mais ils pourraient les utiliser. Les vivres et le matériel étaient intacts, seul l'ordinateur et le matériel photo avaient disparu.

Il déplie la carte sur la carte et il examina les points notés par Mama So. Il leur faudrait une heure pour monter là où Franck avait été enlevé et une demi-heure de plus pour atteindre le point de disparition d'Elodie.

Il était trop tard pour faire cela ce soir. La nuit tombait vite dans ces régions.

— Monsieur Franck ! Venez voir ! Vite !

La voix de Vivien l'appelait à quelques dizaines de mètres du camp. Il arriva à petites foulées et regarda au bout du doigt du pisteur.

—Regardez ces traces !

Il se pencha pour regarder les empreintes au sol. La végétation était écrasée et cassé. Cela ressemblait aux traces de pas d'un gros animal.

— On dirait un gros lézard !

— Oui, Mais je n'en ai jamais vu d'aussi gros. Il doit bien faire dans les deux cent cinquante kilos si je me fie à leur profondeur. Et je sais maintenant que l'animal que je cherchais, c'est ce gros lézard.

Michael était toujours impressionné par la capacité de Vivien à décrire avec précision les animaux qu'il pistait. En général, Il ne se trompait pas de plus de cinq kilogrammes dans l'estimation de la masse d'un animal.

— C'est la première fois que je vois ce genre de traces et que je rencontre cet animal. Puis-je le pister un peu ? Demanda-t-il tout excité.

— Oui, mais ne t'éloigne pas de trop, la nuit ne va pas tarder. Et on ne sait pas si cette bête est dangereuse ou pas !

— Vous parlez au meilleur pisteur de la forêt… Même par une nuit sans lune, je retrouverais le camp.

— File ! Lui lança-t-il en souriant.

Avec les cinq autres hommes, il nettoya le camp un peu bousculé par les militaires et les policiers et installa une autre tente pour dormir. Il devait reconnaître que les fils de James avaient fait du beau boulot pour aménager le campement.

Il dormirait sous la tente de Franck et Elodie.

Un des hommes qui se reposait après la remise en état du campement, sursauta alors qu'il buvait sa bière.

— Que se passe-t-il ?

— On nous observe…

Aussitôt, les hommes se baissèrent et attrapèrent leurs armes sans un bruit.

D'un signe de la main, celui qui les avait alertés leur montra un mouvement suspect dans la végétation. Michaël leur demanda par geste de baisser leurs armes et d'attendre. Ils n'avaient aucune raison de tirer sur un animal et encore moins sur Vivien qui pourrait revenir silencieusement.

L'origine de leur méfiance apparut. Armand émergea en titubant de la forêt et s'effondra devant eux. Aussitôt, ils se portèrent à son aide et l'installèrent sous une tente. Le jeune homme était hagard, les yeux vides de toute expression. Michaël essayait de lui parler mais il ne semblait pas comprendre.

Un seul mot sortait de sa bouche, “joka”. Un mot qu'il répétait à chaque question que Michaël lui posait.

— Il est possédé, dit un des hommes.

— Possédé, Je ne sais pas, mais il a été choqué… laissons-le se reposer.

Ils prirent leur repas dehors en mangeant une antilope des forêts que l'un d'eux avait abattu. Ils avaient laissé la tente où Armand était alité ouverte afin de pouvoir le surveiller. Ils l'entendaient gémir et répéter ce mot “joka” régulièrement.

Michael se demandait si Mama So n'avait pas raison en parlant du réveil du Grand Serpent. Il repensait aux légendes que lui racontait sa grand-mère quand il était enfant. Des légendes qu'elle tenait de sa grand-mère alors l'épouse du chef de la tribu des hommes qui l'accompagnaient.

Il y avait très longtemps bien avant que la mémoire des hommes ne fut gravée sur les pierres ou couchée sur le papier, la cupidité d'un homme avait réveillé un grand serpent. Ce monstre ravageait la région, il mangeait le bétail, il détruisait les récoltes et surtout il tuait les hommes qui osaient le défier. Il n'avait pas besoin d'armes, de dents ou de griffes. Son regard pétrifiait les hommes qui devenaient fous et qui finissaient par mourir de peur.

La venue de la Déesse du volcan avait permis de capturer ce grand serpent et de le renvoyer dans son sommeil duquel il n'aurait jamais dû sortir.

Sa grand-mère lui avait aussi dit que son ancêtre qui avait vaincu le grand serpent avait été acclamé par la tribu qui en avait fait son chef. Depuis le culte de la déesse salvatrice s'était imposé à la tribu qui la remerciait ainsi de son aide. Mais dans l'ombre des adorateurs du Grand Serpent sévissaient toujours. Ils espéraient le retour du monstre qui leur promettait richesse et puissance.

Un cri d'Armand le sortit de ses pensées.

— Joka inichukua, le dragon m'emmène…

Il eut une dernière convulsion et il retomba inerte sur le lit. Les yeux vitreux, son corps flasque, le cœur avait cessé de battre. Le jeune homme venait de mourir.

L'un de ses amis lui ferma les yeux et murmura la phrase rituelle de la tribu. "Il a rejoint la Déesse."

Les cinq hommes restèrent immobiles à le veiller quelques minutes.

Ce fut à ce moment que Vivien réapparut, excité et effrayé.

Ils retournèrent tous à la table et en se restaurant, il leur raconta ce qu'il avait découvert. La piste de l'animal lui avait permis de remonter pendant quelques kilomètres vers le volcan. Mais pas dans la direction où Franck et Elodie avaient été enlevés, plutôt vers les falaises et ses grottes sombres et labyrinthiques. Ils avaient vu les carcasses d'animaux divers qui semblaient avoir été dévorés par une mâchoire de crocodile. Il voulait se rapprocher plus près de la falaise, mais quand il avait croisé les corps des tueurs des enfants de James, il avait pris peur et il avait renoncé.

— Pourquoi, toi qui es le plus intrépide de tous ?

— Oui Monsieur Michael intrépide mais pas fou… je veux avoir une femme et des enfants…

Ses amis rirent autour de la table ce qui fit descendre la tension d'un cran.

— Leur regard dans la mort, Monsieur Michaël ! Leur regard… Ils ont vu le diable…

Vivien dont les parents étaient devenus les membres d'une église évangélique ne croyait plus à la Déesse protectrice de ses ancêtres mais à Dieu et au diable.

— Comme Armand, dit alors celui qui avait fermé les yeux de son ami.

— Oui comme Armand. Que se passe-t-il Monsieur Michael ?

— Je l'ignore pour le moment, mais je compte bien le découvrir. Allons dormir, demain nous monterons sur la colline pour découvrir ce qui s'est passé pour Franck et Elodie.


 

Lézard

 

Cela faisait maintenant plusieurs heures qu'ils exploraient les environs du lieu où Elodie avait été enlevée. A part son appareil-photo, ils n'avaient rien trouvé qui puisse les confirmer que hommes du Général N'Gopba étaient impliqués. Vivien était resté plus bas car il avait remarqué des choses troublantes là où Franck avait été pris. S'il y avait bien trois personnes qui avaient agressé le jeune homme, seules deux personnes étaient reparties avec Franck qui n'était pas libre de ses mouvements au vu des traces qu'il avait laissées.

Il rigola en découvrant la raison pour laquelle le troisième homme n'avait pas suivi les autres, il avait eu besoin de soulager un besoin naturel. Il comprit aussi la raison pour laquelle le groupe s'était séparé. Les traces des pattes du Lézard mystérieux se trouvaient à quelques pas de là où l'homme s'était arrêté, Vivien se pencha sur ces marques et il remarqua alors qu'elles étaient identiques à celles que les bottes d'Armand auraient pu laisser. Il classa cette information dans un coin de sa mémoire mais il ne voulait pas y croire : Armand, son ami ne pouvait pas être de mèche avec les bandits du Général N'Gopba. Il examina attentivement les marques sur le sol et celles laissées sur la végétation alentours, le lézard n'avait pas suivi l'homme qui était parti en marchant calmement dans la direction opposée à celle de ses compagnons. L'animal était resté immobile et était lui aussi reparti en marchant lentement, pesamment. Ces réactions étaient troublantes, ce sont celles d'un chasseur pisteur qui savait qu'il avait été repéré et qui bougeait très lentement pour ne pas que sa proie lui échappa ou ne pour ne pas servir de proie. Encore une fois, les indices pointaient Armand. Il se disait qu'il en parlerait avec Michaël et qu'il lui demanderait ce qu'il en pensait. Il rejoignit les autres en regardant s'il ne trouvait pas des indices du passage du lézard.

Quand il remonta sur le chemin, il remarqua effectivement les traces de pas d'Elodie et d'Armand mais il constata surtout qu'Armand avait rebroussé chemin jusqu'à l'endroit de la disparition de Franck et sa rencontre avec le lézard. Le doute n'était plus permis, Armand était impliqué dans cette histoire.

— Alors qu'as-tu trouvé Vivien ?

— Des tas de choses étranges Monsieur Michaël, des choses très étranges !

— Que veux-tu dire ?

Il regarda autour d'eux pour être sûr de ne pas être entendu des autres hommes.

— Je crois qu'Armand était impliqué dans cette histoire.

— Oui ! Je le pense aussi, car en fouillant ses poches, j'ai découvert des liasses de billets… mais qu'est ce qui te fait penser cela ?

Vivien lui raconta alors ce qu'il avait vu en suivant la piste depuis le lieu de l'enlèvement de Franck. Il lui dit aussi que le gros lézard dont ils avaient repéré des traces avait dû effrayer Armand et qu'ils devaient être prudents car il pourrait toujours rôder dans les environs.

— Oui nous ferons attention… Pour Armand, gardons ces informations pour nous. Nous dirons aux autres qu'il s'est attardé pour ses besoins et que c'est à ce moment qu'il a été attaqué par une bête sauvage et que les agresseurs en ont profité pour enlever mes amis.

— Oui Monsieur Michael, dit Vivien, un peu surpris car ce n'est pas dans les habitudes de son employeur de mentir sur la réputation d'un homme.

— Ce n'est pas pour Armand que je le fais, c'est un traître et il n'a eu que ce qu'il méritait. C'est pour ses parents. Ils n'ont pas besoin de savoir qu'un de leurs enfants a manigancé pour assassiner ses frères pour de l'argent.

— Je comprends Monsieur Michaël.

Le jeune homme retrouva le sourire et il retourna examiner la scène de la disparition d'Elodie.

— Là, sous ces fougères, l'appareil photo ! Peut-être pourrons-nous en savoir plus. Michael le ramassa mais la batterie n'était plus chargée et ils devraient attendre d'être de retour au camp pour voir ce qu'il contenait.

Michael rappela ses hommes pour suivre Vivien qui s'était lancé sur la piste d'Elodie et de ses ravisseurs. Avec plusieurs jours de retard, Il savait qu'ils n'avaient aucune chance de les rattraper et ce n'est pas leur but. Les images prises par les drones français avaient révélé leur présence au camp du Général mais il souhaitait découvrir des indices sur l'état de ses amis. Il savait que ces brigands n'étaient pas des tendres. Après quelques heures de marche, au moment où ils franchissaient un torrent, Vivien leur fit signe de s'arrêter. Il venait de découvrir quelque chose.

— Regardez cette pierre !

Ils virent alors sur l'arête d'un rocher qui émerge de l'eau, un fragment de tissu rougi.

— On dirait du sang !

— Oui ça y ressemble, dit Michael qui constata que le bout de tissu ressemblait à celui des chemises portées par Franck et Elodie. L'un des deux s'est blessé ici.

— Oui ! Dit Vivien. A voir leurs traces sur le sentier, ils étaient attachés et sûrement tirés avec une cagoule sur les yeux. Les pas dans le sol montrent bien qu'ils ne voyaient pas ou ils posaient les pieds. Je pense que c'est Franck qui est blessé car d'après ce que j'ai vu, lui était tiré par ses ravisseurs alors qu'Elodie a été guidée. A côté de ses pas, il y a toujours les pas d'un homme suffisamment près pour que cela soit son guide.

— Vu comment est ce passage, s'il avait pu voir, Il n'aurait pas glissé.

Le groupe écoutait religieusement les explications de Vivien qui ajouta qu'en plus ils n'avaient pas voyagé ensemble, Le groupe d'Elodie était passé ici bien avant celui de Franck.

— Bien ! Il est tard, nous devrions retourner au camp de base ainsi nous serons rentrés avant la nuit. Et nous aviserons pour la suite.

Le retour est beaucoup plus rapide car dans l'ensemble le sentier descendait et surtout, ils ne traînaient pas pour traquer le moindre indice. Ils arrivèrent au campement où les attendait le capitaine.

— Bonsoir mon capitaine, que nous vaut votre visite ?

— Je voulais juste vous annoncer que les français ont identifié avec certitude la présence de vos amis dans le camp du Général. Le survol régulier de leur base par leur aviation a troublé l'assurance des bandits.

— Ont-ils des informations sur leur état de santé car nous avons trouvé des traces de sangs et des fragments de tissu, l'un des deux pourrait être blessé. Je pense à Franck…

— Ils n'ont rien dit là-dessus mais ils ont formellement identifié la jeune femme.

— Et qu'allez-vous faire ?

— Avec l'aide des français, nous allons tenter une opération de secours…

— Mais et les otages ?

— Les forces spéciales françaises vont s'en occuper. Nous ne ferons que sécuriser la zone pour empêcher les brigands de s'enfuir.

Le capitaine expliqua alors dans les grandes lignes l'opération qui serait menée dans les jours prochains. Un drone français espionnait le camp en permanence à haute altitude et avait permis de connaître la disposition des hommes et des bâtiments et le peu de discipline chez les hommes du Général.

— Ah ! J'oubliai… Il semble qu'une bête sauvage rôde dans les environs. Elle aurait attaqué plusieurs villageois, et mes hommes ont repéré des traces étranges mais je suppose que votre pisteur les a vu aussi ?

— Oui ! Il a remarqué ces marques, j'ignore aussi ce que ce peut être. Je ne connais aucun lézard aussi gros.

— Le Grand Serpent !

— C'est une légende…

— Qui sait ? Les colères du volcan aussi faisaient parties de la légende. Regardez ! Il est bien réveillé…

Michaël regardait le capitaine sans pouvoir lui répondre. Il n'avait pas tort mais si on savait depuis longtemps que ce système volcanique était encore potentiellement actif, on ignorait juste s'il allait se réveiller ou pas. Le Grand Serpent de la légende n'avait laissé aucune trace visible.

Le militaire retrouva ses hommes et Michaël les regarda partir avec un certain soulagement. Il n'avait pas eu besoin de lui donner plus de détails. Il était déjà excité à l'idée d'aller bousculer les hommes du Général qui le narguait depuis des années.

Il rejoignit les autres qui avaient préparé le repas et ils faisaient le point sur leurs découvertes de la journée et les annonces faites par le capitaine. Tout en mangeant, ils découvraient les photos prises par Elodie. Ils ne s'attendaient pas à voir les ravisseurs et les images du moment de sa capture mais sur une ou deux photos, Vivien pointa une forme dissimulée dans les fougères derrière les singes qui étaient présents sur un grands nombre d'images.

— Regardez ! Là ! Et là ! On dirait vraiment un lézard mais avec un corps très long…

— Il est énorme…

— Oui je me demande comment il a pu passer inaperçu. Même si cette région est peu explorée, un animal de cette taille ne passe pas inaperçu… Où ces photos ont-elles été prises ?

Ils regardaient les données des photos et Michaël nota sur la carte les emplacements. Le premier non loin du lieu où Franck avait été capturé et l'autre entre le camp et l'endroit où il les avait déposés quelques jours plus tôt.

— Qu'as-tu remarqué de particulier Vivien ?

— Cette bête est énorme, Mais elle laisse peu de traces. J'ai ses empreintes là où elle s'est immobilisée mais dès qu'elle est en mouvement… je ne vois plus rien

— Elle ne va pas être facile à suivre, dit un des hommes.

— Comment sais-tu que nous allons la pister ?

— Monsieur Michaël ! Nous vous connaissons, vous ne pouvez pas vous empêchez d'être curieux. Et cette bête pique votre curiosité, peut-être plus que l'enlèvement de vos amis…

— Tu as raison, Hugo… Et quelque chose me dit que découvrir la tanière de ce lézard nous permettra de nous rapprocher de nos amis. Mais finissons d'écouter ce que Vivien a à nous dire.

— On dirait qu'elle vole mais ce n'est pas cela non plus, En tout cas elle est agile et bonne grimpeuse. Regardez les passages qu'elle a empruntés sans laisser de traces ou presque.

— Bien ! Alors on se met en chasse dès demain… On prend les armes, même si je ne pense pas qu'elles nous seront utiles face à cet animal… on voyage léger, on risque de marcher longtemps…

— Oui monsieur Michael, disent les cinq hommes.

Ils partirent au petit matin en suivant Vivien qui décida de remonter la piste empruntée par Armand lors de son retour au camp. Elle était facile à suivre, il n'avait aucunement fait preuve de la discrétion du pisteur qu'il était mais il semblait avoir marché comme un automate se dirigeant vers son objectif. Quand ils arrivèrent à quelques mètres de l'endroit où il avait rencontré la bête, ils s'immobilisèrent et écoutèrent. Ils étaient frappés par le silence qui régnait dans la jungle qui les entourait. Les singes omniprésents, les oiseaux se taisaient ou avaient disparu. Un frisson de crainte les saisit.

— C'est trop silencieux… murmura un des hommes.

— Chut ! lui fait Vivien.

Il montra une zone où les fougères étaient denses et leur fit signe de se taire. Ils se baissèrent et attendirent.

Les feuillages remuaient, il y avait quelque chose. Michael fit signe à celui qui était le plus proche d'avancer prudemment vers ce fourré. L'homme en rampant lentement s'approcha. Quand il fut suffisamment près, il ramassa une pierre qu'il lança devant lui.

La pierre disparut dans le feuillage et s'écrasa sur quelque chose avec un son étouffé. Toutes les fougères furent agitées par un mouvement brusque puis plus rien. Pas un cri, pas un rugissement, tout redevint comme avant, les oiseaux se remirent à chanter et les singes à sauter de branches en branches.

Ils se redressèrent et s'approchèrent avec prudence. Ils écartaient les immenses feuilles avec leurs armes et ils virent les empreintes de la bête. Ils se regardèrent sans comprendre. Où avait-t-elle pu passer ?

Ils reprirent leur progression et quelques mètres plus loin, ils découvrirent l'entrée d'une grotte.

— Je crois que nous venons de découvrir l'antre du monstre…

— Peut-être, mais nous ne sommes pas équipés pour aller plus loin et si cet animal est habitué à vivre dans les cavernes, je ne préfère pas m'aventurer sans équipement.

— Oui Monsieur Michaël, que faisons-nous alors ?

— Allons sur les sites des photos et voyons s'il n'y a pas de grotte… S'il y en a, cela expliquerait pourquoi Vivien ne trouve pas de traces ailleurs… Il se déplace sous terre et apparaît juste près des entrées du labyrinthe souterrain.

Michaël repensa subitement aux histoires de Mama So et à celles colportées de villages en villages par les griots : le monstre souterrain et son combat contre la déesse.

— Le Grand Serpent, murmura un des hommes.

— Oui, Il pourrait y avoir une part de vérité dans la légende. Le Grand Serpent libéré par le réveil du Volcan.

Ils se rendirent là où Elodie avait pris les clichés du monstre et comme ils s'y attendaient, ils y découvrirent l'entrée de grottes.

— On ne peut rien faire de plus. Il se fait tard. On retourne au camp et demain on rentre au village pour en parler avec Mama So.

Michaël ne se laissait pas emporter par son désir de découvrir cet animal légendaire. Sa prudence naturelle calmait sa curiosité maladive.

Comme ses hommes, il connaissait les légendes qui entouraient le grand Serpent et la folie et la mort qui guettaient ceux qui le croisaient, comme cela était arrivé à Armand.

 

De retour au village, ils découvrirent Mama So et d'autres femmes du village autour du corps du jeune homme ramené la veille par les militaires. Elles tournaient autour de lui avec des bols de terres cuite dans lesquels brûlaient des plantes aromatiques et elles récitaient des incantations.

— Elles chassent les démons, lui dit James.

— Je sais, je voudrais parler à Mama So dès qu'elle le pourra… Je crains que les hommes de la vallée ne soient en danger.

James hocha la tête et lui fit comprendre qu'il avait compris.


 

La Déesse

 

Elodie ignorait depuis combien de jours ils étaient dans cette grotte. Ses seuls repères temporels étaient les repas et les moments où le Général venait la chercher pour son plaisir. Cependant, depuis leur arrivée dans ce qui semblait être leur sanctuaire, il était moins brutal. Il lui permettait même de se déplacer librement dans la caverne à condition qu'un gardien restât avec elle.

Un soir pendant qu'il récupérait après l'avoir utilisée, il lui avait même confié que les hommes partis à leur poursuite avaient renoncé. Le Grand Serpent les protégeait, disait-il.

Elle se demandait ce que pouvait être ce Grand Serpent dont ils parlaient tous, une divinité, un animal mythique ? Ketia refusait d'aborder ce sujet et faisait un signe comme pour conjurer une malédiction à chaque fois que ce mot était prononcé. A la différence du Général, elle lui répétait sans cesse que la Déesse les sauverait en marmonnant des prières.

Depuis qu'ils avaient arrêté de fuir devant leurs poursuivant, l'état de Franck s'améliorait doucement, sa blessure cicatrisait lentement mais la fièvre ne baissait pas. Le Général avait beau lui avoir promis de lui donner des médicaments, pour le moment elle ne pouvait le soulager qu'avec une décoction de plantes que l'un des hommes plus ou moins guérisseur lui préparait. Elle sait bien que cela ne serait pas suffisant et que sans antibiotiques, il ne guérirait pas rapidement.

Elle avait beau supplier le Général d'envoyer quelques hommes en chercher, elle avait même accepté de lui des choses qu'elle refusait de faire avec Franck, celui-ci n'avait rien fait.

— Personne ne sortira d'ici tant que le Grand Serpent ne nous aura pas ouvert le chemin, finit-il par lui dire

— Mais c'est une chimère… Cette créature n'existe pas, osa-t-elle lui répondre.

Il lui donna une gifle magistrale qui l'envoya rouler contre le mur de sa chambre.

— Sors de la caverne et tu vas voir si c'est une légende…

Trop choquée pour répliquer, elle préféra se taire et ne protesta pas quand il la tira par les cheveux pour la remettre sur le lit et la violer une nouvelle fois.

Lorsqu'au matin, elle regagna son alcôve, elle remarqua sur une des parois des gravures qui luisaient légèrement. Elle s'en approcha et constata qu'elles représentaient une scène où une femme et un reptile se faisaient face. Elle se demandait comment elle n'avait pas pu la remarquer plus tôt. Elle profita du fait que les soldats étaient encore endormis et que les gardes étaient postés près de l'entrée de la caverne pour suivre ce qui faisait comme une bande dessinée le long de ce couloir qui s'enfonçait sous la montagne.

La faible phosphorescence émise par les algues qui recouvraient la roche lui permettait d'avancer sans trébucher et sans avoir besoin de lumière. Les scènes gravées racontaient la légende du Grand Serpent et de la Déesse.

Elle comprit alors les réactions du Général et de Ketia et la révérence qu'ils avaient lorsqu'ils prononçaient leur nom. Ces deux divinités s'affrontaient depuis la nuit des temps selon ce qu'elle comprenait des scènes gravées et surtout elles cherchaient à s'imposer aux habitants de la région. L'équilibre entre le bien et le mal était toujours précaire et une victoire de la Déesse était toujours suivie d'une revanche du Grand Serpent.

Pendant qu'elle contemplait la paroi sculptée, elle n'avait pas entendu l'approche sournoise d'un soudard du Général qui comptait bien lui aussi profiter de cette femme que son chef s'était réservée. Depuis qu'Elodie avait obtenu que Ketia ne fut plus livrée aux hommes pour satisfaire leurs bas instincts, ceux-ci la regardaient d'un air mauvais.

Il lui sauta dessus et rapidement la bâillonna et lui arracha ses vêtements. Elle avait beau se débattre, il était beaucoup plus fort qu'elle. Elle se résista et tenta de crier en espérant que les bruits de lutte allaient attirer les autres.

Alors qu'il venait de l'immobiliser au sol et qu'il commençait à se frotter contre elle, elle aperçut une ombre dans le dos de son agresseur. Ketia était là, debout derrière lui. Elle tenait une pierre dans ses mains au-dessus de sa tête et d'un geste rageur, elle l'abattit sur le crâne de l'homme.

Elodie ferma les yeux et se retrouva éclaboussée de sang. L'homme s'affala sur elle. Avec l'aide de son amie, elle se dégagea.

— Merci ! lui dit-elle en se jetant dans ses bras. Si tu savais ce que j'ai vécu cette nuit encore…

— Je sais Elodie, je t'ai entendue quand tu étais avec le Général. Mais maintenant, nous sommes sous la protection de la Déesse. Nous sommes dans son temple et plus personne ne pourra nous faire de mal… Regarde ta pierre !

Le pendentif luisait, plus brillant que jamais. Elle le prit entre ses doigts et mue par une volonté dépassant la sienne, elle l'approcha d'une chouette gravée dans la pierre.

Un grondement se fit entendre, le sol commença alors à trembler. Les deux jeunes femmes affolées se serrèrent dans les bras l'une de l'autre pour éviter les cailloux qui commencent à tomber du plafond de la grotte.

Elles furent alors enveloppées par une nuée bleue, prise dans un silence absolu tandis qu'elles purent voir la grotte s'effondrer autour de la sphère qui les protège. Le couloir où elles se trouvaient, fut bouché par des amas de roches. Il leur était impossible de savoir ce qu'il était advenu de l'espace où elles avaient vécu ces derniers jours.

La sphère devint de plus en plus lumineuse et elles furent obligées de fermer les yeux pour ne pas être aveuglées par la lumière.

Quand elles les ouvrirent au bout de plusieurs minutes, elles ne reconnurent pas l'endroit où elles se trouvaient. Elles étaient entourées par une immense prairie au pied de collines verdoyantes et au loin un bâtiment d'un blanc étincelant attira leurs regards. Elles restèrent muettes, et elles virent une sorte de procession s'approcher dans leur direction. Des hommes et des femmes vêtues de toges, encadrés par des soldats avec des lances, précédaient un chariot tiré par quatre chevaux.

Elles ne bougeaient pas effrayées mais intriguées. La procession s'ouvrit et elles virent une femme d'une grande prestance sortir du chariot et se diriger vers elles.

— Bienvenues dans mon domaine, je vous attendais…

Ketia tomba à genou et se prosterna devant celle qu'elle appelait la Grande Déesse, elle répétait en boucle les prières et les invocations qu'Elodie lui entendait réciter depuis des jours.

Elodie la regardait mais rapidement, elle ne put plus soutenir l'intensité de son regard et baissa les yeux. Elle savait que cette femme ne pouvait pas être une femme ordinaire. Tout dans son attitude et son port altier montrait une certaine majesté. Elle ne pouvait cependant pas admettre qu'elle se trouvait face à une des grandes déesses de l'Olympe, son esprit s'y refusait même si elle avait reconnu les attributs d'Athéna.

— N'ayez pas peur, je ne suis pas venue pour vous faire du mal mais pour vous sauver et vous protéger. Je sais ce que vous avez vécu dans cette grotte et avant…

— Comment cela ? questionna Elodie, troublée par le regard bienveillant de la déesse.

— Le pendentif que Mama So t'a donné, m'a permis de savoir tout ce que tu faisais. Dès que tu l'as passé autour de ton cou, j'ai su qui tu étais et ce que tu vivais. Et quand Ketia te disait que je vous protégeais, c'était une réalité. Malheureusement, je ne pouvais pas intervenir directement… Tu étais trop loin d'un pont entre nos mondes...

Élodie écoutait cette femme et plus elle parlait, plus les questions se bousculaient dans sa tête. Ketia était à genou prosternée devant sa Déesse, elle en était tétanisée. Il fallut que l'une des suivantes d'Athéna la fît se relever pour qu'elle acceptât de lever les yeux et de les suivre en direction du sanctuaire.

Quand Elodie voulut parler, la déesse leva la main et lui dit d'attendre. Elle répondrait à toutes ses questions et bien plus encore mais devant une table où elles pourraient retrouver des forces après les souffrances passées. Elle leur répéta qu'elles ne craignaient plus rien et qu'elles étaient en sécurité.

Un peu plus tard, Elodie écoutait Athéna lui raconter l'histoire du monde depuis sa naissance. Comment ses grands-parents, les premiers des veilleurs étaient nés dans une grotte au pied du mont Olympe. Elle lui parla de ses parents et des autres veilleurs qui avaient pour mission de guider et de protéger l'humanité, mais aussi des limites de leurs actions.

Ketia n'osait pas intervenir. Elle était trop impressionnée par l'aura de la déesse. Elle suivait la conversation entre les deux femmes tout en dégustant les mets que les suivantes avaient déposés sur la table avant leur arrivée. Voyant son trouble, Athéna l'interpella.

— Ketia ! Je sais que tu as toujours eu foi en moi. Veux-tu rester avec moi ?

La jeune femme ne sut que répondre. Depuis qu'elle était enfant, sa mère lui parlait de la Déesse et de sa grande sagesse. Avant que les missionnaires n'eurent convaincu sa tribu que la Déesse était une légende, les femmes de sa famille étaient ses prêtresses et étaient honorées comme telles. Lorsque les hommes du Général pillèrent son village, c'est le Général qui avait interdit qu'on la tua en tant que prêtresse de la Déesse. Il avait peur de Sa vengeance et de Son courroux. Cependant, Ketia ne savait pas si c'était une chance ou une malédiction. Pendant de longues semaines, elle avait servi d'objet récréatif aux soldats.

— J'en serai honorée mais je ne suis pas digne d'un tel honneur.

Athéna la regardait avec tendresse.

— Ta mère, ta grand-mère et toutes tes ancêtres avant elles m'ont honorée et servie. Tu mérites d'être récompensée car malgré tes épreuves tu as cru en moi.

Katie s'incline profondément et se releva lorsqu'une suivante du nom de Sophia l'invita à la suivre.

— Elodie, je ne te propose pas de me servir car tu as un rôle bien différent à jouer…

— Lequel ?

— Tu le découvriras quand tu seras rentrée dans ton monde… Mais je te rassure, ce bébé que tu portes en ton sein n'est pas de ce porc immonde qui n'eut de cesse de te violer ces dernier jours…

— Mais je ne suis pas enceinte...

— En es-tu sûre ? N'as-tu pas remarqué des choses troublantes en toi…

— Je ne saurais pas répondre, avec ce que j'ai vécu depuis mon enlèvement tant de choses se sont passées.

La Déesse sourit en voyant le geste réflexe de la jeune femme dont les mains se portèrent sur son ventre.

— Oui. C'est le bébé de Franck que tu portes en toi…

Élodie baissa la tête et commença à pleurer à la mention de son mari qui était resté dans la grotte.

Athéna se leva et posa ses mains sur ses épaules.

— Tu ne pouvais pas le sauver et même ici, je n'aurais rien pu faire pour lui. Son corps était trop affaibli pour survivre. Si cela peut te consoler, il est mort dans son sommeil peu après que vous ayez franchi le portail. Il est parti avec le souvenir de ton sourire au-dessus de son visage…

Elodie releva la tête en esquissant un petit sourire. Certes les mots de la Déesse se voulaient réconfortants mais personne ne pourrait remplacer son premier véritable amour.

Pour tromper son chagrin, elle attrapa dans une coupe un fruit dont la chair bleue était absolument délicieuse. Elle mord à pleines dents dans ce fruit dont elle ignore le nom mais qui est si succulent.

— Mange ! Elodie ! Mange pour trouver les forces de vivre et d'oublier ton passé.

Athéna connaissait les effets de ces fruits sur les humains. C'était pour cela qu'elle n'empêche pas la jeune femme d'en manger. Affamée par les privations subies pendant qu'elle était prisonnière du Général, Elodie reprit plusieurs fois de ce fruit au point que la déesse dut lui dire d'arrêter. Elle savait que si elle en consommait une trop grande quantité, la jeune femme et surtout son enfant risquaient de ne pas y survivre.

Quand elle vit Elodie commencer à piquer du nez, elle fit signe à deux de ses servantes de venir l'aider à rejoindre la chambre qui l'attendait. Les effets du fruit du Léthé n'allaient pas tarder à se manifester. Elodie se laissa emporter sans résistance.

— A mon tour d'agir ! J'ai sauvé celles qui devaient être sauvées. Maintenant, le moment est venu pour que j'intervienne.


 

Le Grand Serpent

 

Alors que Ketia découvrait avec ravissement son rôle de servante de la Grande Déesse et qu'Elodie dormait grâce à l'influence du jus du fruit du Léthé, au pied du volcan des monts de la Lune, tout était en train de se mettre en place pour un nouvel affrontement entre le Grand Serpent et Athéna.

Michaël et ses hommes venaient de s'arrêter pour la nuit. Depuis quelques jours, ils progressaient avec prudence. En effet, le long du sentier où dans les fourrées alentours, ils avaient découvert plusieurs corps de miliciens. Les visages de ces cadavres étaient déformés par un rictus étranges à l'image de celui qu'avait pris Armand quand il était mort sous la tente. Les hommes prenaient peur et murmuraient entre eux que le Grand Serpent allait venir les prendre comme il avait pris ces hommes. Ils retrouvaient leurs anciennes croyances dans la Grande Déesse qui devait les protéger du mal incarné par le Général. Pour eux, c'était lui, l'incarnation du Grand Serpent.

Dans leurs recherches d'Elodie et Franck avec les militaires de l'armée gouvernemental, ils avaient découvert le charnier sur le site de l'ancien camp du Général. La colère s'était emparée de tous ceux qui poursuivaient ceux qu'ils appelaient maintenant les barbares.

La découverte de ces centaines de corps avait suscité l'indignation générale et si certains avaient parfois eu de la sympathie pour les hommes du Général, celle-ci avait disparu. Celui que des doux-rêveurs avaient pris pour un Robin des Bois détroussant les puissantes compagnies minières au profit des habitants de la forêt n'était plus vu que comme un immonde bandit. Les quelques survivants atrocement mutilés racontèrent comment ils avaient été enlevés dans leurs villages pour travailler dans les mines et les plantations de drogue, et comment leurs femmes et leurs filles avaient été utilisées pour le plaisirs des soldats.

A l'annonce de ce carnage, la France promit au gouvernement local de l'aider à se débarrasser de ce Général sadique et meurtrier. Michael put ainsi bénéficier de matériel de communication dernier cri qui lui permettait avec ses hommes et quelques soldats de l'armée gouvernementale de rester en contact avec le capitaine et surtout Mama So.

Si la plupart des soldats étaient restés sur les lieux du massacre pour montrer qui était réellement ce Général aux journalistes accourus en masse comme des vautours, le capitaine avait confié aux villageois dirigés par Michaël de retrouver le Général, accompagnés par une escouade commandée par un sergent expérimenté. Ils ne devaient pas intervenir mais ils devraient donner le plus d'informations possibles pour que leurs forces spéciales pussent sauver les otages, dont on n'avait retrouvé aucune trace. Tout portait donc à croire que Franck et Elodie étaient toujours en vie.

Cela faisait maintenant plusieurs jours qu'ils étaient sur la piste des fuyards. Si certains hommes commençaient à s'inquiéter de ces étranges cadavres, Michael était plus inquiet par le dernier message qu'il venait de recevoir de Mama So.

En effet, alors que tous les soirs depuis leur départ de l'ancien camp du Général, elle lui disait qu'ils se rapprochaient d'Elodie et de Franck, et qu'ils ne se déplaçaient plus depuis quelques jours. Ce soir-là, elle lui avait annoncé qu'elle ne pouvait plus déterminer si Elodie était encore en vie.

Elle ne ressentait plus la présence du gri-gri qu'elle avait donné à la jeune femme.

— Je ne comprends pas, lui disait-elle, c'est le pendentif qui me permet de savoir où elle se trouve. Je lui ai bien dit de toujours le porter sur elle.

— Elle l'a peut-être perdu ?

— Non ! Si elle l'avait perdu, je serais toujours en contact avec lui. Et s'il avait été brisé, je l'aurai su car j'aurais senti ses différents fragments se disperser…

— Alors que s'est-il passé ?

— Je l'ignore mais c'est comme si depuis le milieu de la nuit, le pendentif n'était plus de ce monde… Cela m'a réveillée au milieu d'un rêve où je voyais un dragon avaler Elodie…

— Nous ne sommes plus très loin du lieu où tu nous avais dit qu'ils se trouvaient. Nous devrions y être demain en milieu de journée. Je vous recontacterai à ce moment-là…

Au même moment, des hommes s'agitaient dans le camp. L'un d'eux avait entendu du bruit dans les frondaisons. Michael alerté par son pisteur, sortit de la tente de communication pour voir ce qu'il se passait avec ses inquiétudes en tête.

Il vit ses hommes pointer leurs armes vers les fougères qui remuaient à quelques mètres. Le sergent commandant la compagnie de soldats leur fit signe d'attendre son ordre avant de tirer.

Soudain, ils virent surgir un homme hagard qui s'avançait vers eux en titubant. Sur un geste du sergent, deux militaires lui sautèrent dessus et l'immobilisèrent.

— Le Grand Serpent… Le Grand Serpent… répétait l'homme les yeux dans le vide.

Reconnu comme un des tueurs du camp, les hommes le traînaient sans ménagement à l'écart pour l'attacher à un arbre.

— Nous allons l'interroger, dit le sergent à Michael.

— Je doute que vous en tiriez quelque chose. Il a l'air d'être aussi perturbé que l'était Armand quand nous l'avons trouvé…

— Ne vous inquiétez pas, mes hommes savent faire parler même les plus récalcitrants.

Michael frémit à ces mots. Il ne savait que trop bien quelles étaient les méthodes que l'armée utilise pour obtenir des renseignements. Il tourna le dos au sous-officier qui rejoignit ses hommes près de leur prisonnier.

Des cris et des hurlements s'élevèrent alors dans la forêt puis un coup de feu retentit.

Le sergent entra tête basse dans la tente de Michael.

— Alors ?

— Rien ! Il n'a rien dit. Il a juste fini en disant “le Grand Serpent vient me prendre.”

— Comme Armand, murmure Michael. Mais pourquoi avez-vous tiré ? Il est mort en disant ces mots non ?

— Oui, mais son corps bougeait encore. Comme s'il était possédé. Un des hommes a tiré dans la tête.

Michael hocha la tête sans rien dire. Il n'en savait toujours pas plus.

— Sergent ! Sergent !

— Qu'y a-t-il Patrick ? demanda le sergent au soldat qui venait d'entrer dans la tente.

— En fouillant le prisonnier, on a trouvé cette pierre. Je sais où ils sont.

En entendant ces mots, Michaël qui était un peu abattu après sa conversation avec Mama So se leva d'un bond en renversant sa chaise.

— Que dis-tu ? Tu sais où ils sont !

— Oui Monsieur Michaël ! Ils sont dans la mine de la grotte. Il n'y a que là que l'on trouve ces pierres bleues… dit-il en jetant une petite pierre brillante sur la table. Et comme la pierre est encore luisante, cela veut dire qu'il l'a ramassée il y a moins de trois heures.

— Comment cela ?

— Oh ! Vous savez. Quand j'étais enfant, il m'est arrivé de piéger des touristes en leur vendant des pierres comme cela. Avec des copains, on allait les chercher dans cette grotte… Enfin on ne s'enfonçait pas trop à cause du monstre qui vit dans les entrailles du volcan… et on ramenait quelques pierres que l'on arrachait aux parois. Seulement ces pierres perdent leur éclat au bout de trois à quatre heures, or celle-ci brille toujours.

— Ce qui veut dire que nous ne sommes plus très loin alors…

— Oui ! dit le sergent songeur. Si nous envoyons quelques hommes sur place pendant la nuit, nous pourrons informer les français de la position du Général.

Aussitôt Michaël et le sergent prirent contact avec le colonel français pour l'informer de la nouvelle situation.

— Bien ! Essayez de prendre le plus de renseignements possible. Signalez-nous votre position, des hélicoptères décolleront aussitôt que vous nous aurez confirmé la position du Général.

En quelques minutes, ils donnèrent à quelques hommes dont Vivien l'ordre de trouver cette grotte et de fournir des renseignements pour que les forces spéciales françaises pussent intervenir. Michael aurait aimé les accompagner mais sa présence les gênerait plus qu'autre chose. Avec le sergent, ils passèrent la nuit, accompagnés par une bouteille de whisky à se lever au moindre bruit qui pourrait indiquer le retour de leurs hommes.

Équipés de lunettes de vision nocturne, la dizaine d'hommes quitta le campement, guidés par le jeune soldat qui avait trouvé la pierre de la Déesse.

Ils avançaient silencieusement dans la jungle. Le bruit de la progression se noyait dans le brouhaha nocturne des animaux.

— Les singes sont très agités cette nuit, murmura un soldat à Vivien.

— Oui je trouve aussi… Mais c'est bien pour nous, les brigands ne nous entendront pas approcher.

— Là ! Regardez ! L'entrée de la grotte. Il n'y a qu'un garde…

— Il faudrait que l'on puisse entrer pour savoir combien ils sont à l'intérieur…

— Il n'y a aucune autre entrée ?

— Dans mon souvenir, non ! Et le Général connaît bien cette grotte. Il est de la région et à ce que l'on dit, c'est un serviteur du Grand Serpent.

Les hommes firent un signe de conjuration en entendant les paroles du jeune soldat. Certains regardaient avec angoisse autour d'eux. Les animaux trop remuants les inquiétaient. Ils avaient l'habitude de la jungle et ils savaient que même si la forêt est bruyante la nuit, cette nuit-là était trop agitée.

— Comment s'approcher et entrer ?

— Il faudrait éliminer ce garde ?

— Impossible… Si on le tue, ils sauront que nous sommes là et ils attendront les français voire ils tueront les otages…

— Et alors ? Ce sont des colonisateurs…

Ils se tournèrent tous vers l'homme qui venait de prononcer ces mots. Beaucoup d'entre eux se souvenaient des actes ou de l'inaction des militaires français lors des différents conflits qui enflammaient la région depuis des décennies. La mort de quelques européens ne les gênaient pas plus que cela et ils se disaient qu'ils pourraient nettoyer cette grotte eux même.

Le pisteur les fit taire.

— Je vais y aller… je suis le plus discret d'entre nous… Essayez de détourner l'attention du garde pendant une minute à mon signal et attendez-moi pendant une heure. Si dans une heure, je ne suis pas revenu ici, c'est qu'ils m'auront pris.

— Mais tu ne sais pas ce qui t'attend à l'intérieur !

— Je sais mais si on n'entre pas on ne saura pas non plus.

Il laissa là ses compagnons et il disparut dans la végétation. Ils suivirent sa progression grâce à leurs lunettes et quand ils le virent faire le signal, deux d'entre eux dérangèrent une famille de sangliers endormis et la repoussèrent vers la grotte. Le garde en voyant les bêtes venir vers lui quitta son poste juste le temps que le pisteur pénétra à l'intérieur.

Ce qu'il y découvrait, dépassait son imagination. Il connaissait les histoires et les légendes qui racontaient le combat entre le Grand Serpent et la Grande Déesse. Mais là, il les découvrait gravées dans la pierre. Il fut ébloui par ces parois qui luisaient malgré le faible éclairage des torches. Il abandonna ses lunettes pour laisser ses yeux s'habituer à cette nouvelle et étrange luminosité.

— Heureusement que c'est moi qui suis entré, pensa-t-il. Si un militaire était entré à ma place son uniforme l'aurait trahi immédiatement.

Il se cacha dans une anfractuosité juste après l'entrée de la caverne pour observer la situation. Il déposa son sac derrière un rocher et entra plus avant pour se mélanger avec un petit groupe d'hommes qui jouaient aux cartes. Certains levèrent la tête et l'invitèrent à jouer avec eux. Il s'arrangea pour perdre deux ou trois parties et les quitta pour s'enfoncer dans la grotte. Un autre groupe de garde à l'entrée d'une immense salle l'avait vu se lever du groupe de joueurs et le laissa passer sans rien dire.

Il put ainsi voir que le général avait toujours une centaine de soldats autour de lui. Il repéra de loin deux de ses lieutenants mais ne tenta pas de s'en approcher. Il longea, nonchalant, les alcôves qui servaient de dortoirs aux hommes et remarqua que l'une d'elle était gardée. Il tenta le tout pour le tout. Si elle était surveillée, cela voulait dire que les otages étaient là. Discrètement, il prit des photos avec son téléphone et s'approcha du garde à moitié endormi.

— Tu dors l'ami ? interpela-t-il le gardien.

L'homme sursauta et le regarde intrigué.

— Tu es nouveau toi ?

— Non mais j'étais de patrouille dans la forêt. Je viens de rentrer. On a été attaqué par une bête sauvage…

— Le Grand Serpent ? Il paraît qu'il rôde dehors. J'ai cru le voir pendant la marche mais je n'ai rien vu.

— Je ne sais pas si c'est le Grand Serpent mais toujours est-il que trois de mes camarades sont morts.

Le garde prit un air contrit avant de lui répondre que dans la caverne ce n'était guère plus réjouissant.

— Les femmes ont disparu et le Général est en colère. Il a fait exécuter les hommes chargés de les surveiller.

— Et toi ?

— Oh moi je ne risque rien… Lui il ne bouge plus depuis hier et je pense qu'il ne bougera plus.

— Pourquoi ?

— Regarde par toi-même.

Il souleva le rideau qui isolait l'alcôve et le pisteur découvrit le corps de Franck, inanimé.

— Il est mort !

— Oui mais je n'ai rien dit. Je tiens à la vie… j'ai une femme et des enfants qui m'attendent.

— Je te comprends… Mais dis-moi, les femmes, comment ont-elles disparues ?

— Je l'ignore mais on a retrouvé Zak, le crâne fracassé par une pierre dans ce couloir, au pied d'un éboulement… Le général nous a fait retourner toutes les pierres de la caverne… elles se sont volatilisées… Moi je pense que la Déesse les protégeait. La Française portait un pendentif de protection… Je l'avais dit au Général mais il m'a répondu que c'était des contes de bonnes femmes… Et la petite Ketia… c'est une prêtresse de la Déesse. Je le sais car j'ai connu sa mère...

Il ne dit rien et écouta le garde continuer de raconter les dernières heures dans la caverne. Il devait maintenant trouver un moyen de sortir pour retrouver ses compagnons et informer Michaël de la nouvelle situation.

— Ce n'est pas que ta conversation m'embête mais je viens de rentrer de patrouille. J'ai faim et je suis fatigué...

— Je comprends... pour dormir, tu as l'embarras du choix mais pour manger… je crois que nous n'avons plus grand chose. Les chasseurs sont rentrés bredouilles ces derniers jours…On est trop nombreux pour la forêt.

— Bah ! Je trouverai bien quelque chose à grignoter.

Il fit semblant de regarder dans les diverses alcôves comme pour chercher la meilleure pour s'installer et discrètement, il se dirigea vers la sortie.

Il espérait que ses compagnons regarderaient dans sa direction quand il apparaîtrait à l'entrée de la grotte afin qu'il pût passer sans se faire repérer par le garde. Il récupéra discrètement son sac et fit un signe discrètement. Au bout de ce qui lui sembla de longues minutes, il entendit un rugissement dans la forêt et la végétation agitée par de nombreux remous. Divers cris et grognement résonnaient, comme un combat entre deux animaux ou plus. Il regardait le garde qui comme lui, avait détourné le regard et s'avança un peu vers l'origine de ce raffut. Il en profita pour se glisser derrière lui et disparaître dans la nuit. Il avait obtenu toutes les informations nécessaires. Quand ils se sut hors de vision du bandit, il s'arrêta et se retourna pour regarder à nouveau dans la direction des grognements. Le garde était toujours immobile comme hypnotisé par ce qu'il voyait.

Un énorme lézard mais avec un corps long comme celui d'un serpent et plusieurs paires de pattes qui lui donnaient une agilité incroyable en rapport à sa taille, se dressait devant l'entrée de la caverne.

— Le Grand Serpent… Ce n'est pas une légende...

Il réussit à conserver son calme et évita surtout de regarder les yeux de la bête. Les histoires racontaient toutes que s'il nous regardait dans les yeux, il prenait possession de notre esprit.

Il se souvenait d'Armand et des hommes retrouvés morts le long de la piste. Il voyait aussi le garde immobile face à la bête. Lui avait été piégé par le regard.

Il prit son téléphone et malgré l'obscurité filma le combat entre le Grand Serpent et quelques hommes qui surgissaient de la grotte.

L'affrontement fut bref. Ceux qui venaient de surgir, avaient masqué leurs yeux et tiraient sans regarder dans la direction de leur cible. Le reptile recula sous les impacts de balles qui ne semblaient pas lui faire beaucoup de mal. D'un revers de queue, il balaya l'espace entre lui et ses agresseurs et faucha deux ou trois hommes qui s'étaient un peu trop approchés puis il disparut dans la nuit.

Il attendit un peu stupéfait par ce qu'il venait de voir. Il reprit ses esprits avant de retrouver ses compagnons qui eux aussi avaient suivi ce combat depuis leur poste d'observation. Ils se saluèrent rapidement en silence, soulagés de s'être retrouvés et de ne pas avoir eu à affronter ce monstre, puis ils rentrèrent sans traîner au campement

Ils marchaient rapidement, silencieusement. Les mots seraient pour plus tard quand ils seraient en sécurité.


 

Affrontements

 

Dans la villa de Michaël, Mama So faisait un rêve étrange. Une femme d'une grande beauté et d'une grande prestance lui apparut.

— N'aie pas peur. Je suis ta protectrice et la protectrice de toutes les femmes. J'ai une mission à te confier…

— Je vous écoute Ma Déesse.

Elle avait reconnu celle qu'elle vénérait en secret., en cachette de son mari et du pasteur du village. La Grande Déesse venait lui parler en rêve.

— La jeune femme que je t'avais demandée de protéger est en vie. Pour le moment, elle se repose dans le lit du Léthé. Et je t'annonce aussi que la fille de ton amie du village de la haute vallée est aussi en vie. Elle a accepté de devenir une de mes suivantes.

— Qu'attendez-vous de moi ? Oh Ma déesse !

— Je désire que tu rassembles toutes les prêtresses encore en vie autour du volcan… Le Grand combat est proche…

— Oui Ma Déesse... je vais les inviter à me rejoindre le plus vite possible…

— Elles n'ont pas besoin de te rejoindre ici. Je désire qu'elles restent dans leurs villages. Vous vous rejoindrez dans le Sur-Monde pour unir vos forces et vos pensées et ainsi liées avec l'esprit de mes suivantes, vous protégerez vos villages du combat que je vais avoir contre le Grand Serpent.

— Oui Déesse...

-Approche que je te donne la recette de la potion que tu dois préparer pour entrer dans le Sur monde avec tes amies…

Après lui avoir donné la recette, la déesse disparut et Mama So se réveilla l'esprit vif. Elle se leva et se rendit dans sa cuisine où elle prépara cette potion mystérieuse. Sans l'ordre de la Déesse, elle n'aurait jamais osé mélanger certains ingrédients. Certains étaient mortels et elle le savait, mais elle avait confiance et elle était sur le point de finir la mixture quand James apparut sur le pas de la porte.

— Tu ne dors pas ?

— Non ! J'ai été réveillée dans la nuit. J'ai réalisé que j'avais oublié de préparer une potion pour une femme qui n'arrive pas à avoir d'enfant.

Alors qu'elle ne lui avait jamais menti sur ses activités, elle n'osa pas lui révéler la vision onirique qu'elle venait d'avoir.

— Et tu as besoin de te lever au milieu de la nuit pour cela ?

— Demain c'est la pleine lune. Il faut qu'elle la prenne avant la nuit pour qu'elle soit efficace… et je dois la laisser macérer plusieurs heures...

— Bon si tu le dis… je vais me prendre un café…

Laissant sa femme en train de préparer ses mixtures, James se dirigea sur la terrasse de la villa de Michaël. Il regardait le soleil se lever derrière les monts de la Lune. Les brumes matinales l'empêchaient de distinguer le volcan du Démon. Il espérait que le jeune homme allait retrouver ses amis rapidement et mettre fin aux exactions commises par le Général.

Il n'arrivait toujours pas comprendre comment son fils avait pu trahir ses frères. Il avait eu beau fouiller dans les chambres de ses enfants, il n'avait rien trouvé. Il était maintenant trop âgé pour prendre les armes mais il n'aurait pas détesté tirer lui-même la balle qui tuerait ce Général maudit.

De son côté Mama So finissait de préparer son philtre avec les invocations à la Déesse qui lui étaient associées. Elle prépara une dizaine de flacons et autant de petits mots.

— James ! Je sors, je me rends au village.

Dans leur campement, Michaël et le sergent écoutaient le rapport que leur faisaient les hommes de retour de la caverne. Michaël ne montra ni sa tristesse à l'annonce de la mort de son ami ni son inquiétude sur le sort d'Elodie. Il les pleurerait plus tard.

Comme les autres, il avait vu le sort que le Général et ses hommes réservaient aux femmes.

— Je pense que nous pouvons dire aux français qu'ils n'ont plus besoin de prendre de gants. Le Général n'a plus d'otages.

La discussion avec le colonel français fut brève. Celui-ci leur demanda de rester à une distance suffisante de la grotte et de préparer le terrain pour accueillir les forces spéciales qui viendraient nettoyer le secteur après la frappe aérienne qui aurait lieu dans les heures qui suivraient.

Ils eurent à peine fini de parler qu'un drone de surveillance survola le volcan pour surveiller les mouvements autour de l'entrée de la grotte. Le militaire n'en croyait pas ses yeux derrière son écran quand il aperçut le Grand Serpent se diriger vers la caldeira. Il orienta cependant les caméras du drone vers l'entrée de la grotte. Après quelques minutes d'observation, il indiqua aux pilotes le meilleur angle de tir pour lancer leurs missiles et il leur confirma l'absence de civils dans la zone de tir.

Quelques heures après l'échange radio entre Michaël et le colonel, quatre missile s'abattirent sur les flancs du volcan dont un qui explosa à l'intérieur de la grotte. La chaleur et le souffle dégagés par l'explosion tuèrent la plupart des hommes et enfermèrent les autres derrière un éboulis de roches.

Le pilote du drone décida alors de conserver son appareil en vol encore un peu. Il souhaitait retrouver la créature mystérieuse qu'il avait entraperçue au début de la mission. Il put voir la fumée des explosions s'élever de la jungle. Si les animaux effrayés par le bruit et la violence de l'attaque avaient retrouvé leur calme, la forêt restait agitée de soubresauts étranges. Malgré ses efforts, la densité du feuillage l'empêchait de voir quoique ce soit et les différents capteurs de la machine ne détectaient rien d'anormalement gros sur les flancs du volcan. Il pouvait voir la signature des grands singes et de ces si discrets éléphants des montagnes qu'Elodie recherchaient, mais rien qui trahit le reptile géant qu'il avait aperçu.

Depuis le sommet de la colline où ils avaient abattu quelques arbres pour permettre aux hélicoptères de se poser, Michaël et ses hommes avaient pu voir les missiles frapper la caverne. Quelques minutes plus tard, ils accueillaient les commandos français.

— Bienvenue ! dit Michaël en saluant le jeune lieutenant qui commandait le détachement.

— Merci à vous et à vos hommes. Les renseignements fournis nous ont été précieux. Mais vous faites allusion à une créature énorme, de quoi s'agit-il ?

— Il y a une légende dans les villages autour du volcan qui raconte qu'il y a des générations les forces du bien incarnées par une Déesse et les forces du mal sous la forme d'un grand serpent se sont affrontées dans la caldeira. Au terme d'un combat épique qui a ravagé la région la Déesse a réussi à enfermer le Grand Serpent dans une grotte sous la montagne. Elle aurait également instruit des femmes sages pour qu'elles veillent sur les sortilèges empêchant le Grand Serpent de sortir de sa prison de pierre...

— Et vos hommes auraient vu ce grand serpent ? dit le jeune soldat français un peu goguenard.

— Si vous étiez de la région et si vous connaissiez ces contes et légendes, vous ne souririez pas ainsi… Et comprenez-les, après ce que nous avons découvert dans le camp de la vallée, ils sont à cran et ils ne veulent plus qu'une chose… montrer la tête du Général au bout d'une pique dans tous les villages…

— Je respecte leurs croyances mais avouez qu'un lézard géant en liberté dans une zone de guerre a de quoi faire sourire.

En entendant ces mots, Vivien ne put s'empêcher de prendre la parole.

— Quand vous serez face à lui, vous rirez moins et surtout ne croisez pas son regard sinon vous êtes mort...

— Nous serons prudents. Mais je crains plus les éventuels survivants que ce monstre...

Les soldats français et locaux se répartirent les tâches. Les français se chargeraient de rentrer dans la grotte et de vérifier que tout a été nettoyé tandis que leurs homologues s'occuperaient d'intercepter tous les fuyards.

— Essayez d'en garder quelques-uns vivants… l'opinion internationale aimerait un procès…

Les hommes baissaient la tête sans un mot. Ils savaient très bien ce qu'ils feraient s'ils avaient un de ces barbares dans leur viseur.

En arrivant devant la grotte, ils constatèrent l'efficacité des missiles. Les gardes à l'entrée étaient déchiquetés et les parois de la caverne couvertes de suie.

La fumée commençait seulement à se dissiper et les incendies s'étaient éteints par manque d'oxygène. Avançant avec prudence, ils constataient qu'il n'y avait aucun survivant. Un par un, ils sortaient les corps pour essayer de les identifier. S'ils trouvèrent les cadavres des différents lieutenants du Général, ils ne mirent pas la main sur son corps.

— Il est peut-être sous ou derrière l'éboulis ?

— Peut-être ? Mais sans son corps, impossible de confirmer sa mort.

— On ne va pas dégager les rochers ?

— Non ce n'est pas notre rôle. Nous avons fini notre mission… S'il y a des survivants dans le fond, ils sont piégés. Nos drones de reconnaissance balayent la caldeira et s'il y a des sorties cachées ils seront repérés… Et nous avons retrouvé le corps de Franck…

— Et pour la jeune femme ?

—Selon nos informations, elle ne se trouvait plus dans la grotte depuis plusieurs jours…

Au même instant, des détonations retentirent à quelques mètres des commandos français. Aussitôt en alerte, ils se préparaient au combat. Quelques cris et quelques ordres les informèrent que c'étaient les hommes du sergent qui venaient de tomber sur un petit groupe de bandits qui avaient échappé aux bombes françaises et se terraient terrorisés dans un recoin d'une falaise.

Même si l'envie les démangeait, ils ne les avaient pas tous exécutés et ils en poussaient trois sans ménagement vers les français qui les firent prisonniers.

— Je crois que notre mission s'arrête là ! dit le lieutenant. Sergent ! Nos hélicos vont vous rapatrier en ville… Et vous Michaël ?

— Je vais rester ici avec les villageois. Je crois qu'ils n'accepteront de rentrer que lorsqu'ils auront vu par eux même que toute la région est débarrassée de ces soldats de fortune.

— Soyez prudents !

— Ne vous inquiétez pas. J'ai avec moi les meilleurs pisteurs de ce côté-ci du volcan. Ils sont capables de débusquer une souris qui se cacherait dans la jungle.

En quelques minutes, tous les soldats, leurs prisonniers et le corps de Franck furent évacués. Michaël ordonna à ses hommes de faire un bûcher pour brûler les cadavres des bandits rassemblés par les soldats.

Ce travail les occupa jusqu'à la nuit et après y avoir mis le feu, ils quittèrent sans regret ce lieu pour fouiller les flancs de la montagne afin de s'assurer que plus aucun des bandits ne s'y trouvaient.

Alors que ces événements se déroulaient au pied du volcan, Mama So attendait le retour de ses messagères. Elle les avait envoyées distribuer les flacons et le petit mot demandant à ses sœurs de Déesses de se tenir prêtes pour le service de leur protectrice. Elles devaient toutes prendre le philtre en même temps, chacune dans leur village. Elles seraient ainsi en mesure de protéger les habitants de la région de la violence du combat spirituel à venir. Elle savait que Michaël et ses compagnons seraient de retour dans la soirée. Tout le village avait entendu passer les avions français et pour les villages les plus proches de la caverne, ils avaient pu voir l'épaisse fumée noire des explosions puis du bûcher.

Allongée sur le lit dans la chambre que Michaël avait mis à leur disposition, elle attendait le bon moment pour boire.

Elle perçu les paroles de son mari qui accueillait Michaël et les jeunes gens qui étaient parti avec lui. Elle savait que tous étaient revenus et elle savait aussi que Franck était mort. Contrairement aux hommes, elle ne s'inquiétait pas pour Elodie.

Lorsque le soleil passe derrière les montagnes, elle prit le flacon et avala la potion. Elle plongea alors dans une rêverie et son esprit entra en contact avec celui des autres prêtresses. Ensemble, elles créèrent alors des bulles de protection au-dessus des villages et des fermes occupés. Leurs esprits vagabondaient jusque dans les vallées les plus reculées sur les flancs de l'immense volcan qui dominait les collines alentours. Elles se sentaient protégées par la puissance de la Grande Déesse, la Protectrice. Parfois elles tombaient sur une âme égarée, isolée dans la montagne. La prêtresse la plus proche lui envoyait alors un songe pour lui dire de se rapprocher d'un village ou d'une ferme. Malheureusement, le travail des missionnaires avait eu son effet pernicieux et rares étaient ceux qui identifiaient ce rêve comme un rêve de la Déesse et ils restaient là où ils se trouvaient.

Lentement mais sûrement, le sort de protection se mettait en place. Les villageois ne devraient pas être perturbés par le combat qui se préparait. Certains feraient peut-être des cauchemars mais rien de plus.

Dans le Sur-Monde, Athéna préparait ses armes. Comme autrefois, elle avait remis son casque, empoigné sa lance et tenait le bouclier orné de la tête de Méduse. Comme à chaque combat entre elle et le Grand Serpent, les regards du lézard et de Méduse allaient se confronter.

Mama So comme ses sœurs découvrirent alors la Grande Déesse dans toute sa majesté. Une femme à l'allure fière et martiale se leva au milieu du cercle formé par les dômes de protection. Elles étaient toutes subjuguées par la beauté de ce visage et la force qui se dégageait de cette apparition. Athéna étendit le bras en direction de chaque prêtresse et lui insuffla un peu de son énergie. Les dômes se mirent à luire dans le Sur-Monde et d'un grand geste balayant tout l'horizon, elle défia alors son ennemi. Le Grand Serpent apparut à son tour. Encore plus grand et plus majestueux que dans la forêt, il se dressait de toute la hauteur de ses pattes face à sa rivale.

Les deux combattants se jaugeaient, s'évaluaient. IIs se tournaient autour. La queue du monstre balayait le sol autour de lui, il détournait les yeux pour ne pas regarder le bouclier que la Déesse lui présentait. Elle le provoquait de la pointe de sa lance. Soudain, d'un bond, il se projetta dans le ciel. Après une longue parabole, il retomba à grande vitesse en direction de la déesse qui s'écarta au dernier moment. Avec un mouvement de rotation, elle réussit à planter sa lance dans le flanc de l'animal qui rugit de douleur. Entraîné par l'élan de sa chute, il créa un immense cratère dans le sol. La terre tremblait autour d'eux. Les falaises de la caldeira s'effondraient. Des cheminées volcaniques bouchées par le refroidissement de la lave des éruptions précédentes s'ouvraient de nouveau.

Un peu sonné par sa chute le lézard géant mit quelques secondes à se redresser. Athéna le suivait du regard, elle se méfiait. Elle savait que rien n'était plus dangereux qu'un animal blessé. Le monstre se relevait doucement. Contre son adversaire, il savait que la force brute ne mènerait à rien. Il savait aussi que la déesse ne cherchait pas à le tuer mais simplement à le forcer à retourner dans sa prison de pierre. De nouveau, la danse reprit. Le lézard se précipitait gueule ouverte vers la guerrière, celle-ci l'esquivait une nouvelle fois mais alors qu'il venait de la dépasser, il l'envoya voler au loin contre la paroi rocheuse d'un coup de queue. Elle se remit du choc et se releva en dessinant des arabesques dans l'air. Elle leva son bouclier de son autre bras, forçant le Grand Serpent à rester immobile. Un portail s'ouvrit derrière elle. Elle se recula d'un coup en sautant au-dessus de la sphère bleutée. L'animal qui n'attendait que le moment où le bouclier ne le forcerait plus à détourner le regard se précipita vers sa proie. Excité et irrité par les esquives et les coups d'aiguillon de la lance, il ne réfléchit plus et chargea sans réaliser qu'il allait être emporté dans ce portail et que son esprit et son corps seraient de nouveau séparés.

Même si l'affrontement n'avait pas lieu dans le monde physique, les chocs psychiques avaient des répercussions dans la réalité.

Tout autour du volcan, la terre se mettait à trembler, des fumées commençaient à s'élever dans la caldeira. La lave qui était resté profondément enfouie au fond de la chambre magmatique remontait lentement dans les failles ouvertes par les mouvements du sol.

Les villageois endormis furent réveillés par les grondements de la terre. Ceux qui étaient dehors pouvaient voir les lueurs de la lave et les premières bombes volcaniques projetées au-dessus du cratère.

Dans la caverne, les hommes du Général qui avaient survécu aux missiles et qui s'étaient retrouvés piégés par l'éboulement de la grotte après l'explosion étaient aux prises avec les guerrières de la déesse.

Athéna avait de nouveau ouvert le passage emprunté par Ketia et Elodie. Ses amazones se sont précipitées dans la brèche et avaient empli la caverne de leurs cris de guerre.

Malgré leurs armes automatiques, les bandits ne pouvaient rien faire contre ces furies qui se déplaçaient en silence dans l'obscurité de la grotte. Leurs lames acérées faisaient des ravages chez les hommes hébétés. Dès que l'un d'eux trahissait sa présence en allumant sa torche ou en tirant, une des guerrières se jettait aussitôt sur lui et le tuait.

Submergés par l'agilité et la technique de ces walkyries, ils ne pouvaient rien faire. En quelques minutes, la grotte fut nettoyée.

Une des grandes prêtresses qui les accompagnait, se préparait à ouvrir un autre portail pour accueillir le Grand Serpent dans sa nouvelle prison. D'autres suivantes posaient un peu partout sur les parois des amulettes qui l'empêcheraient de la quitter.

La prêtresse prononça une invocation et le passage s'ouvrit. Quelques instants plus tard, le corps physique de la bête s'écrasa sur le sol. Les suivantes le couvrirent d'un filet scintillant qui l'immobilisa. Le corps du Grand Serpent prit alors l'apparence d'une énorme concrétion rocheuse ayant la formed'un crocodile géant.

Dans un plan purement spirituel, l'esprit des autres suivantes emprisonnait l'esprit du mal dans une jarre qu'elles scellèrent avec des runes magiques.

Les quelques villageois isolés qui n'avaient pas pris la précaution de se mettre à l'abri des dômes préparés par les prêtresses des villages furent submergés par la violence du combat psychique. Leurs esprits furent emplis de frayeur et de violence et ceux qui ne moururent pas, tombèrent dans la folie.

Le pilote du drone de surveillance qui continuait de survoler régulièrement la zone du bombardement au-dessus du cratère observait les mouvements de la bête. Il ne comprenait pas ces mouvements. Il lui semblait qu'elle se battait contre un ennemi invisible.

Cette nuit-là, à la différence du jour du bombardement, il avait tout le loisir d'observer grâce aux caméras, les déplacements du monstre. Il était impressionné par son agilité et sa vélocité. Le lézard-dragon comme il l'appelait, faisait des sauts de plusieurs dizaines de mètres au-dessus du sol.

Le combat dura de longues minutes et si le monstre ne semblait pas montrer de blessure, le militaire se rendait compte qu'il fatiguait. Surtout, il comprit rapidement la stratégie de l'adversaire invisible. Il était en train d'acculer l'animal contre la paroi du cratère.

Soudain un éclair bleu illumina la scène au moment où le monstre se jeta en avant. Incrédule, il aperçut dans la lueur une femme noire d'une taille impressionnante. Elle s'écarta juste au moment où le monstre arriva sur elle. Celui-ci franchit alors la sphère lumineuse et disparut aussitôt avec elle.

La caldeira retrouva alors son calme, troublé par les quelques projections de bombes volcaniques et les coulées de laves qui remontaient lentement par les anfractuosités du sol.

Il se jeta alors sur l'enregistreur pour revenir au bref instant où il avait vu la femme apparaître. Il figea l'image et il découvrit avec stupéfaction qu'elle était équipée comme une guerrière de l'antiquité. Il se souvenait de ces cours d'histoire et reconnut les attributs de la déesse Athéna.

— Je suis fou, ce sont des hallucinations ! C'est un problème de transmission des images…

Aucun appareil n'était défaillant et les signaux captés étaient bien ceux des caméras embarquées. Il était clair qu'il n'avait pas capté de signaux parasites. Il avait beau tourner et retourner ses informations dans son esprit, visionner plusieurs fois les images, il ne comprenait pas. Pris d'une soudaine inspiration et pour ne pas passer pour un fou, il dirigea le drone vers l'endroit où la Déesse était apparue pour la première fois. Il le fit passer au-dessus d'une des cheminées en éruption, une bombe vint alors le fracasser. Il informa simplement son supérieur de la destruction du drone à la suite de l'éruption.

— Nous aurions dû nous en douter et le faire revenir quand le volcan a commencé à exploser. On va se faire remonter les bretelles par les comptables…

— Chef ! Pourriez-vous passer voir, j'ai des images troublantes de l'éruption...

Le pilote dévoila les vidéos enregistrées de la bataille entre le lézard et Athéna.

— Je ne vois pas ce qu'il y a d'étrange, on voit les arbres secoués par les tremblements de terre, des fissures apparaître dans le sol… Effectivement cette éruption ne ressemble pas à ce que je connais car elle n'a été précédée d'aucun signe précurseur, mais il faudrait demander l'avis d'un spécialiste.

— Vous êtes sûr que nous ne voyez rien d'anormal ? Regardez ! Là ! Ne voyez-vous pas un gros lézard ? dit-il en arrêtant l'image sur le moment ou le monstre se jette sur Athéna pour la première fois.

— Je vois juste un rocher se déplacer du fait du tremblement de terre et des mouvements du sol…

Le pilote ne comprenait pas son supérieur, comment ne pouvait-il pas voir ce monstre et au moment du flash lumineux, cette femme qui occupait presque tout l'écran ? Elle était immanquable.

— Je n'ai rien vu d'étrange, juste des images d'un séisme précurseur d'une explosion volcanique, les parasites sont sûrement dû à l'air chargé en électricité. Ne t'inquiète pas ! Tout va bien… Et avec cette éruption, les rebelles qui auraient pu être enfermés dans la grotte, sont morts…

Dépité, il regarda son adjudant quitter la pièce de pilotage. Il éteignit alors les appareils et alla rejoindre ses compagnons d'armes pour aller passer la soirée en ville. Il ne pouvait s'empêcher de repenser à ce qu'il avait vu sur les images et même si l'alcool et les femmes l'aidèrent à passer du bon temps, il restait préoccupé par le souvenir de ce qu'il avait vu sur ses écrans.


 

Nouvelle vie

 

Mama So venait de fermer sa petite boutique d'articles ésotériques pour aller passer sa soirée chez sa sœur Rose qui avait redonné signe de vie quelques semaines après les évènements dramatiques du volcan.

Michaël avait activé son réseau de connaissance en Europe et avait facilité l'arrivée et l'installation de Mama So et James. Il se sentait responsable de la mort de leurs trois fils et quand James était venu le voir pour lui dire qu'ils souhaitaient se rendre en Europe avec sa femme pour rejoindre sa belle-sœur, il avait de suite proposé de les aider à s'y installer. Ils avaient reçu une lettre de Rose qui, après plusieurs années sans leur avoir donné de nouvelles, leur annonçait qu'elle travaillait comme infirmière dans un hôpital. Elle avait aussi rajouté un mot pour sa sœur. Elle avait été formée par une personne puissante à utiliser les pouvoir occultes qu'elles avaient hérités de leur mère et elle les mettait au service des personnes qui en avait besoin. Elle proposait à sa sœur de venir la rejoindre car elle écrivait qu'en Europe, beaucoup de savoir ancien s'était perdu et qu'il ne restait presque plus de survivants porteurs de l'Antique Sang.

Après le décès de leurs enfants, plus rien ne les liait à leur village, ils prirent leur décision rapidement et quelques mois plus tard, ils emménageaient chez Rose.

Toujours avec l'aide de Michaël, Mama So put trouver une petite boutique dans le centre-ville où elle commença son commerce de colifichets protecteurs, de sorts et de potions. En peu de temps, la réputation de Mama So s'étendit à tous les amateurs de mystère et de surnaturel de la cité et son échoppe ne désemplit pas.

Recommandé par Michaël, James avait rapidement trouvé une place de maître d'hôtel dans un bon établissement et le couple se reconstruisait doucement.

Elle repensait à cette renaissance après leurs épreuves. Elle avait parfois la nostalgie du pays mais elle se disait que maintenant leur avenir était ici loin des mauvais souvenirs africains. Ce soir, avec James et Rose, ils allaient assister au concert d'un de leurs chanteurs préférés. La soirée promettait d'être agréable quand elle vit cette jeune femme avec sa poussette.

Elle mit un peu de temps à réaliser qu'il s'agissait d'Elodie, la jeune femme qui avait disparu lors de l'éruption du volcan et de la bataille entre la Déesse et le Serpent. Il y avait un petit garçon souriant d'environ deux ans qui baragouinait quelques mots incompréhensibles en direction de sa mère qui le regardait avec amour. Elle aurait aimé s'approcher pour mieux les voir et être certaine de ce qu'elle voyait mais la jeune femme entra dans un immeuble. Elle ne pouvait plus les suivre et elle resta discrète quand les yeux de la femme croisèrent les siens. Elle eut l'impression que ce regard la transperçait jusqu'au tréfonds de son âme puis Elodie, car c'était bien elle, se pencha pour attraper son enfant en lui souriant. Comme si elle l'avait reconnu.

Pendant qu'elle dînait avec son mari et sa sœur, ceux-ci constatèrent son trouble.

— Que se passe-t-il ? demanda Rose, on dirait que tu as vu un fantôme.

— Tu ne crois pas si bien dire…

— Dis-nous !

— J'ai croisé Elodie avec un bébé…

— C'est impossible ! Elle est morte sous le volcan. Nous avons tous pu constater que la grotte où le Général s'était réfugié s'est effondrée après la frappe des français et surtout avec l'éruption volcanique.

— Oui je le sais. Mais tu te souviens que je t'ai toujours dit qu'elle était vivante. La Déesse aussi me l'avait dit dans mes rêves…

— Ecoute So, si tu veux j'invoquerai les esprits pour savoir si c'est bien elle, ou si c'est un fantôme qui te hante, lui proposa sa sœur.

— Non, ce n'est pas nécessaire, mais comment peut-elle avoir un enfant aussi jeune, cela fait maintenant cinq ans que nous sommes ici…

— So ! Tu sais comme moi que le temps dans le monde de la Déesse et notre temps ne s'écoulent pas à la même vitesse… Et elle a pu rencontrer un autre homme que son mari disparu…

— Non j'en suis sûre, ce petit est le fils de Franck, il a le même regard, les mêmes yeux… Demain, j'irai lui parler…

— N'oublie pas que tu n'es plus au village, tu n'es plus Mama So la sorcière du village. Ici tu n'es que So, la vendeuse de sorts et de grigris…

— Je le sais mais si c'est Elodie, elle me reconnaîtra… Et je suis certaine que c'est elle, elle porte toujours de porte-bonheur que je lui donné avant son départ. Je l'ai deviné, caché sous son gilet. J'ai senti sa présence même s'il est différent.

Rose était pensive, comment n'avait-elle pas pu ressentir un artefact aussi puissant aussi près d'elle. Cette pierre de la Déesse qui permettait de franchir les portails pour les non-initiés devrait être aussi lumineux qu'un phare quand elle se projetait dans le monde des esprits…

— Elle n'est pas en ville depuis longtemps, sinon nous nous en serions rendus compte. Mais tu dis qu'il est différent ?

— Oui je ne saurais dire comment ni pourquoi mais il me semble bien plus pur que lorsque je le lui avais donné, comme s'il était vierge, comme si elle était la première à le porter.

— Tu as bien dit que la Déesse t'avais dit qu'elle était en sécurité ?

— Oui…

— Et si elle avait été avec la Déesse dans le Sur-Monde ? N'aurait-elle pas pu survivre au volcan ?

Mama So devait avouer que sa sœur avait raison. Seule la Déesse avait pu la sauver. D'ailleurs Vivien avait bien raconté que les soldats du général lui avait dit qu'Elodie avait disparu comme par enchantement de la caverne. Elodie n'était pas un esprit donc elle n'avait pu disparaître que si le pendentif lui avait ouvert un portail dans le vieux sanctuaire sous la montagne où le Général avait trouvé refuge. Elle en aurait le cœur net le lendemain.

Dans leur lit, James enlaça son épouse en tentant de lui faire penser à autre chose qu'à ses interrogations. Mais même s'il y parvint, elle était plus déterminée que jamais à en avoir le cœur net.

Au petit matin, elle sortit discrètement de l'appartement et se rendit devant le porche où elle avait vu disparaître Elodie. Elle ne voulait pas la manquer. Son attente fut récompensée quand elle la vit sortir avec son enfant, Mama So la suivit. Elodie entra dans un nouvel immeuble et en ressortit seule quelques minutes plus tard. C'est le moment qu'elle choisit pour s'approcher et aborder la jeune femme.

— Elodie ? Est-ce bien vous ?

La femme regarda avec surprise cette femme qui l'interpellait quand elle sortait de chez la nourrice de son enfant.

— Elodie ? Non, je m'appelle Séverine… Vous devez vous tromper de personne.

— N'êtes-vous jamais allé en Afrique ? N'avez-vous jamais croisé une femme puissante ?

— Je ne vois pas de quoi vous voulez parler… Non je ne suis jamais allée en Afrique… Je n'ai jamais quitté cette ville.

Malgré les affirmations péremptoires de la jeune femme, Mama SO voyait bien que quelque chose la troublait. Elodie porta la main sur son pendentif qu'elle sera dans son poing et celui-ci se mit à luire, forçant Mama So à reculer.

— Excusez-moi ! dit-elle, comme vous me le dites, j'ai dû vous confondre avec quelqu'un d'autre.

 

— Alors c'était Elodie ? lui demanda Rose quand sa sœur franchit la porte de la boutique.

— Oui je suis certaine que c'est elle, mais elle oublié qui elle était et elle est bien plus forte que je ne le pensais. Elle m'a repoussée avec le pendentif.

— C'est impossible. Tu es une prêtresse de la Déesse, le pendentif ne peut pas te rejeter…

— Sauf si la Déesse en a décidé autrement… Mais ce qui est le plus surprenant c'est qu'elle ne semble se souvenir de rien…

— Elle a vécu des choses très difficiles, et elle fait une amnésie pour se protéger…

— Je l'ignore mais je pense que nous ne le saurons jamais. Elle semble heureuse et c'est bien ce que j'avais vu quand je l'ai croisée au village.

 

 

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