Le monde de mamie Huguette
elisabeth-coquelicot
Le monde de mamie Huguette était fait de joie et de chansons. Pourtant Dieu sait que la vie était difficile et que la ferme exigeait de multiples travaux!
La maison était à droite du portail en fer forgé. La porte était vieille et l’accès était conditionné à l’ouverture d’un ancien loquet qui était souvent capricieux. Lorsque nous passions la porte, une pénombre inquiétante nous envahissait. Tout était noir et vieux. A gauche, la seule pièce éclairée était chaleureuse. C’était la cuisine, la pièce principale mais surtout le lieu qui concentrait la vie de famille.
Les murs étaient encrassés par la suie de la cheminée à mauvais tirage. La cuisinière à bois brulait côté pile et côté face, nous avions les courants d’air extérieurs qui venaient nous chatouiller les orteils du fait du manque d’isolation.
Cette cheminée avait une histoire. Souvent papa nous racontait les dernières aventures de « La Hugue » comme il se plaisait à l’appeler. Un jour pépé André avait voulu ramoner la cheminée. Il appela mamie par le conduit pour vérifier que le nettoyage était efficace. Mamie passa sa tête n’ayant pas entendu la question. « Que dices ? » lancé en patois ; quand tout à coup, un gros pavé atterrit sur son crâne. Elle n’eut pas le temps de comprendre ce qu’il s’était passé. Mais solide, comme à son habitude, elle se redressa et se mit à rire. Cette anecdote participa à alimenter la légende de « La Hugue » : dure à l’ouvrage, solide comme un roc. Car des anecdotes il y en eut. La chute de l’arrière de la moto de papi René avec le panier rempli d’œufs qui devaient être vendus au marché de Gaillac ; la descente accélérée involontaire du haut des balles de paille chargées sur la charrette, le passage à travers la trappe à fourrage de la grange…Et le pire c’est que personne ne s’apercevait sur le moment qu’elle avait disparue. Même papi René ne s’était rendu compte de l’absence de son chargement qu’une fois arrivé à Gaillac à trente kilomètres du point de chute.
La cuisine avait toujours un air de fête. Un plat favori : les macaronis baignés dans l’huile. Ce plat s’ajoutait aux grandes tartines de pain et de confiture de prune que nous avions du mal à engloutir compte tenu de la largeur de la tranche. Et puis la musique. « Rossignol de mes Amours » chanté à tue tête en dansant autour de la table. Dans le monde de mamie Huguette, il n’y avait pas de télévision, le temps semblait suspendu, arrêté dans l’insouciance de ces jeunes années.
Eté comme hiver, dedans comme dehors elle portait un bonnet. Non pas un bonnet de ski mais une sorte de turban très féminin, une imitation peu réussie de la fourrure. C’était un bonnet à la mode mais nous ne savions pas bien de quelle époque il datait. Il était d’ailleurs peu assorti à la tenue de « travailleuse » qu’elle portait chaque jour. Mais c’était certainement là sa seule coquetterie.
Dans les placards de la cuisine, c’était la caverne d’Ali Baba. Il nous arrivait parfois de « chiper » un sachet de flocons de pommes de terre. Nous adorions alors nous cacher dans la charrette pour déguster notre butin, sauf que bien souvent la date de péremption était dépassée depuis longtemps. Nous finissions la journée écœurées, la bouche pâteuse et à moitié étouffées. Nous rentrions nous faire consoler autour d’un bol de tisane à base d’herbes et de plantes dont seule mamie avait le secret. Avec ce breuvage, elle réussissait finalement à me faire toucher aux orties qui me terrorisaient tant lorsque petite, je passais le portail pour embrasser mamie.
Dans le monde de mamie Huguette c’était la découverte.
Dans le monde de mamie Huguette c’était tous les jours « fête ».
Elisabeth FREUND-CAZAUBON