Le Monstre

bartleby

Il était grand, fort et son air sûr de lui avait achevé de me faire éprouver le désir qu'il vienne à ma rencontre, me parler. Je voulais entendre sa voix, pour la comparer aux traits de son visage. Ressentir en elle une certaine douceur ou au contraire peut-être de la dureté dans une voix rauque et grave.

Qui pouvait-il être ? D'où venait-il ? J'avais mille questions à lui poser si seulement… Si seulement il voulait bien faire quelques pas vers moi.

C'est alors, que, poussée par une envie irrésistible, de façon tout à fait impulsive et comme si j'allais à l'encontre de ma propre volonté, c'est moi qui me décidai à venir le voir. De près, il me sembla plus imposant encore, ce qui provoqua en moi une excitation indicible. Je m'approchai. Comme magnétisé, le haut de mon corps frôla son ventre. Il m'observa un moment, de haut. Je levai la tête, en contre-plongée. J'essayai :

- « Quel monstre es-tu ?». A ces paroles, son sourire se fit plus tranchant. C'est alors qu'il passa ses mains doucement sur mon dos décolleté. Je ne puis retenir un soupir. J'étais définitivement offerte, s'il voulait prendre possession de tout mon être. Dans mon ventre je sentis la douleur délicieuse d'une brûlure. La fièvre s'emparait de moi. Il recommença son geste, plus sensuel que jamais, puis pressa ses ongles sur ma peau. Il s'attarda sur mes omoplates, je tressaillis :

- « Je pensais que tu étais un ange… Je ne vois pas d'ailes, pourtant… T'a-t-on banni du ciel ou bien finalement, n'es-tu pas aussi sage que cela ?

- Je pensais l'être, mais tes yeux m'ordonnent le contraire… Ils me poussent à me taire et à t'appartenir, qui que tu sois.

- Tu n'as donc pas peur de ce que je pourrais te dire, te faire ? Ne crains-tu pas la mort ?

- Oui, tu me terrifies ! Je ne le montre guère, mais j'ai peur de toi. Je n'ai jamais eu aussi peur de toute ma vie ! Mon cœur s'emballe à la moindre pensée que tu puisses être un… Un…

- Je n'ai pas encore décidé de ce que je vais faire de toi. Tu es bien trop blanche, trop fragile et trop belle pour que je puisse me faire une idée sur ce que sera ton sort. T'accorder la grâce ? Te punir sur le champ ? J'hésite… Et puis, je ne décide pas seul lorsque je suis en proie à de telles décisions. Devrais-je te défendre pour que tu restes en vie ? Ou être le juré qui choisit la condamnation ? En réalité, je me trouve bien laid. Pour cela, mon avis a soit de l'importance, soit n'en a aucune. Ce qui me sert de cœur me joue souvent des tours. Tu devrais te méfier de moi. Regarde-moi. Regarde-moi ! Vois en moi !

- Peut-être bien que je suis aveugle, Mon horrible animal… J'ai, de plus, une ouïe plus que mauvaise. Je ne vois pas cette carapace sur tout ton corps, ce visage balafré, ces griffes, ces… Tentacules qui n'ont de cesse de s'agiter ou de s'atrophier. Si tel est ton désir, je suis aveugle et sourde ! Tu es laid ! Non ! Tu es monstrueux ! Je te crains comme jamais je n'ai pu craindre qui que ce soit ! Tout n'est plus qu'effroi lorsque je plonge dans les profondeurs de ton regard. Pourtant mon âme est à toi. Pour toujours, si c'est ce que tu veux. Mon âme brûle si intensément pour toi, mon amour pour toi est inconditionnel !

- Tu ne parles que de toi, sans cesse ! Penses-tu qu'un être tel que moi ait envie de vivre ? Penses-tu que je n'ai pas eu envie parfois de me planter une lame dans le cœur ou de sauter d'un pont ? Pour que tout s'arrête ! ».

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Je m'échappais soudain de mes pensées. Je me sentais embrouillée, comme revenant d'un cauchemar étrange. Pourtant, l'excitation, le désir étaient bien là, allant et venant de mon cœur jusqu'au creux de mes reins. Je venais subitement de perdre la tête, juste un instant, alors que j'étais en train de me déhancher sur le bassin de l'homme que j'aime.

Sa chemise sombre était grande ouverte, ses bras repliés au dessus de sa tête. Il souriait, ses yeux caressaient mes seins, mon ventre. Ils me découvraient encore et cette impression d'aimer pour la première fois, que lui seul sait me faire éprouver, me fit revenir sur terre. Il faisait presque noir. Seule la lune éclairait un peu nos visages et berçait nos mouvements lancinants.

Puis un rayon se perdit dans ses prunelles qui se mirent à briller une demi-seconde. Étais-je toujours en train de rêver ? Allongé, le visage à la fois détendu, curieux et coquin, semblant prendre un plaisir nouveau, lui, sur le dos, tranquille, j'aurais cru voir… Voir pour la toute première fois... C'était… Mais...


Mais non, c'était impossible.

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