Le monstre de la vallée – Quatrième et dernière partie

exanimo

Le lendemain, je mis en place le dispositif de recherche. Si la bête avait été vue deux jours auparavant par M. Raiss et qu'elle avait attaqué le berger la veille, nous pouvions supposer qu'elle continuait à avancer dans la même direction. J'envoyai donc les habitants un peu plus loin que la maison du berger. Je décidai d'aller chercher Raiss, car nous aurions besoin de tous les hommes sachant se servir d'un fusil. Le ciel était gris et une légère brume se levait. Les recherches risquaient d'être infructueuses, mais nous ne pouvions pas laisser passer cette occasion car nous ne savions pas quand la bête referait une apparition.

Je me dépêchai de me rendre au chalet de Raiss, que je trouvai vide. Je l'appelai et cherchai autour de sa maison lorsque j'entendis un cri effrayant. Je courus dans sa direction, de plus en plus inquiet, et m'arrêtai au sommet d'une pente. Dans la clairière en contre-bas, je vis une sorte de loup gigantesque courir puis s'arrêter. Je n'en croyais pas mes yeux, je n'avais jamais vu un animal si grand. Le loup se redressa alors sur ses pattes arrière. J'écarquillai mes yeux ; il semblait perdre en muscles et en poils. Petit à petit, son museau et ses oreilles se raccourcirent et sa taille diminua pour bientôt laisser place à un homme. J'étais déjà stupéfait, mais je reconnus alors, sous les anciens traits de ce monstre, M.Raiss.

Par réflexe, sans prendre le temps de réfléchir, je pris mon fusil, y introduisis la poudre, la bourre et une balle, tandis qu'il sortait ses vêtements et se rhabillait. Je ne dus pas être assez discret, car il tourna sa tête vers moi. Son visage semblait empli de haine et il se mit à courir dans ma direction. Je le visai mais ratai mon tir. En le voyant se rapprocher, j'abandonnai mon fusil et me mis à fuir le plus vite que je pus.

J'allais entre les arbres, sans savoir quelle direction suivre, les branches s'agrippaient à mon manteau, je sautais sur les rochers, j'entendais derrière moi les bruits de plus en plus bestiaux de mon poursuivant.

Je m'engouffrai entre deux rochers et un arbre tombé. Je me retrouvai dos à une paroi rocheuse, et face à une bande de terre qui longeait le vide. Je voulus faire demi-tour mais me retrouvai face à la gueule de la bête qu'était redevenu Raiss. Il bloquait la sortie, mais le passage était trop étroit pour lui permettre de passer. J'eus l'impression de contempler la mort qui hurlait pour me récupérer. Je me ressaisis et cherchai mon pistolet, introuvable. Il avait dû tomber durant ma course. Lorsque je relevai la tête, il n'était plus là. Je tendis l'oreille, rien. Je décidai d'emprunter la petite bande de terre.

Je la suivis en faisant attention à ne pas glisser jusqu'à me retrouver dans la forêt. Je fis encore quelques pas avant de me figer. J'observai Raiss, redevenu humain, sortir de derrière un arbre.

- Je vous avais dit de rentrer chez vous dit-il presque fatigué. Puis, comme pour lui : Je ne devrais pas encore le faire... Mais en même temps, ajouta-t-il dans un sourire, c'est tellement agréable. Il tourna sa tête vers moi et je vis son œil virer au jaune.

Sans en demander davantage je me remis à courir entre les arbres. Je me dirigeai vers ce qui semblait être la lisière de la forêt. Je m'arrêtai de justesse au bord du promontoire donnant sur le torrent. Je me retrouvai entre ce ravin, une paroi rocheuse et une petite falaise, dos à la forêt dont je sortais.

Coincé, je sortis mon couteau et observai le bois. Soudain j'entendis un craquement. Je me tournai et le vis bondir sur moi. Je tendis mon bras et enfonçai ma lame dans son ventre avant de m'effondrer sous la violence du choc. Sans doute surpris, il se déporta en hurlant. À cet instant, le sol, ne pouvant supporter un tel poids, se rompit et il tomba de la falaise.

Après un instant de stupeur, je m'avançai jusqu'au bord du promontoire et regardai. Son corps gisait une dizaine de mètres plus bas, en partie empalé sur un tronc d'arbre brisé. La majorité de son corps n'était plus humain, mais une partie de son visage était toujours reconnaissable, bien que déformé par la haine dans une expression de sauvagerie.

Étant certain qu'il était mort, je décidai de m'approcher de lui. Après avoir contourné la pente qui me séparait du corps, je me retrouvai à ses côtés. Je fus surpris de constater que son visage semblait plus apaisé qu'auparavant. La haine quittait enfin son corps. Et son côté bête me paraissait moins étendu que je ne l'avais vu d'en haut. Je pensai que j'avais mal vu, mais plus je le regardais et plus il semblait redevenir humain.

Je cherchais que faire du corps et me demandais ce que j'allais raconter. Tandis que je regardais autour de moi pour inspecter les lieux, mon regard s'arrêta sur le bord du ravin. Sans plus réfléchir, j'ôtai le corps de son pieu de bois et le fis rouler pour le jeter dans les bras du torrent. Il disparut rapidement dans les flots.

Après un long moment à tâcher de remettre mes idées en place, je pris la direction du village.

J'arrivai à l'auberge lorsque la nuit était déjà tombée. Le salon était rempli. Les discussions à propos de mon absence à la battue s'entendaient depuis la rue. J'entrai en poussant la porte d'un coup sec. La surprise parut grande et l'on me questionna sur ce que j'avais fait et sur l'origine de mes blessures.

- La bête est morte, lançai-je.

Une grande émotion se fit sentir dans la foule réunie devant moi. Comment ? Qu'est-ce que c'était ? demandèrent des voix.

- Nous avons lutté un bon moment à travers la forêt. M. Raiss était là aussi. Lui n'a pas survécu. Leurs corps sont tombés dans un ravin. Je n'ai donc pas bien pu observer la bête. Mais il n'y avait rien d'humain dans toute cette affaire. Je sentis comme une légère déception à cette annonce chez certains de mes interlocuteurs. Maintenant, conclus-je, vous n'avez plus rien à craindre. Rentrez chez vous, auprès de vos familles.


Je restai encore au village quelques jours, le temps de régler les détails et d'assurer la mort de la bête aux habitants. Ils tentèrent de retrouver son corps ainsi que celui de Raiss, sans succès. Après cela je quittai la vallée, laissant derrière moi ce village et enfouissant ces souvenirs au fond de ma mémoire, comme le corps au fond du torrent. Là où personne ne risquerait de les découvrir.



À cette époque, je pensais que certaines choses devaient rester secrètes, mais je m'interroge aujourd'hui sur ce choix. Je ne veux pas emporter ces souvenirs dans ma tombe. Mais faut-il dévoiler jusqu'où peuvent nous mener les haines tapies dans les ombres de notre âme ? Je laisse le soin de décider du destin de cette histoire à la personne qui trouvera ces quelques lignes.

  • Ça n’est pas le genre de lecture que je préfère, mais je trouve très bien écrit. L’histoire m’a tenu en haleine, même si la révélation de l’identité de la bête ne m’a pas vraiment surpris. Mais le récit est — je trouve — très bien construit.
    (Et à part ça, tu dors bien? ;-)

    · Il y a environ 5 ans ·
    Default user

    dompython

    • Merci! Tu parles du genre de l'enquête ou du fantastique? J'ai essayé de cacher un peu son identité, mais je devais quand même présenter le personnage...
      (Oui oui très bien ;) )

      · Il y a environ 5 ans ·
      Dscn3665 (2)

      exanimo

    • C’est le genre fantastique qui n’est pas (plus) ma tasse de thé.
      Concernant l’identité du «coupable», avec le grand nombre d’Agatha Christie que j’ai lu dans le passé, je m’attends à tout, même (surtout) au plus inattendu. Donc à moins de prendre le temps de brouiller savamment les pistes (impossible dans ce format court), il est très difficile de me surprendre!

      · Il y a environ 5 ans ·
      Default user

      dompython

    • Ah, alors il y a peut-être d'autres textes que tu vas moins apprécier.
      Peut-être un défi à relever. ;)

      · Il y a environ 5 ans ·
      Dscn3665 (2)

      exanimo

Signaler ce texte