LE MOULIN A CAFE DE MON ARRIERE GRAND MERE

Nadia Esteba

LE MOULIN A CAFE

> On a envie de le frôler, de l’attraper, de le regarder, d’en suivre les reflets mordorés ,  caresser la patine.Ce n’est pas une boite à musique avec sa petite danseuse, en marqueterie de bois précieux, palissandre, sycomore, ramenée d’Egypte, d’un pays exotique ; (c’est du hêtre simplement ou du châtaignier). Sa petite musique n’est ni une valse, ni du Mozart, d’ailleurs elle grince un peu.Ce n’est pas une boite à bijoux tapissée de velours, ni un pot à épices bien que l’odeur magique caractéristique qui s’en dégage  évoque des instants précieux. Sur le dessus, une petite manivelle, surmontée dans son envol d’un bouton de bois tourné, doux au creux de la main. Sur le dessus,  un couvercle de métal bombé  qui s’ouvre et se referme avec une minuscule languette et dessous, un réceptacle en creux d’où l’on peut voir une vis sans fin broyeuse .La mécanique est solide, raffinée. Cette petite boite  carrée, de 10cm de coté, sur un socle fin de 12cm, c’est le moulin à café de mon arrière grand-mère avec tout en bas, un petit tiroir pour récupérer la mouture des grains broyés en poudre grossière .Quand nous étions enfants nous voulions comme elle, nous amuser avec ce jouet, mettre cet ustensile entre nos cuisses tendres mais les coins meurtrissaient nos chairs non aguerries. Plus tard,  quand la grand-mère est partie, nous avons acheté un moulin blanc électrique en forme de cylindre avec un capuchon de plastique. Cette relique, qui se transmet, ce n’est pas un objet voyageur, elle est là, maintenant sur une étagère, reluisante  avec son petit écusson de laiton doré gaufré d’un petit lion, Peugeot Frères simple, auprès des sucriers de porcelaine et les pots à lait de rehaussés de doré, décorés de roses blanches et roses comme les histoires anciennes pareilles aux femmes qui nous ont précédés. Je garde aussi un petit carnet de feuillets découpés en trois par des petits trous. Le rituel est simple. Découper une languette, mettre le feu sur un coin avec une allumette éteindre la flamme et le laisser se consumer ainsi. Il se dégage une fumée grise et bleue, concentré de mémoire, qui nous arrache les larmes .Je le garde pour le nom, « Papier d’Arménie » pour l’envoûtement, pour l’univers de douceur qui se recrée. Parmi encore les témoins de très vieux héritages ; un dessus de lit en coton blanc rebrodé au monogramme du père de mon arrière grand-mère née DIMON issue de BRINGUIER, JALABERT . Une odeur de café fraîchement moulu, l'encens. Toute la réminiscence de personnes invisibles bien presentes pourtant autour de nous, leur parfum leur essence.…Quand je pense que la grand-mère espagnole est venue en I925 en France sous Alphonse XIII , fuyant la dictature de Primo Rivera c’est époustouflant, j’aurais mieux aimé les cours d’histoire si on me l’avait raconté en famille….D’elle, j’ai gardé un pilon pour l’ail, la chaise basse sur laquelle toute menue, elle s’asseyait enfin, prés du feu et les restes en lambeaux d’un châle noir absolu.Là  on me dit : «  Mais tout ça attrape la poussière ! » mais,  c’est ma vie ce sont mes objets de mémoire, pas de grands voyageurs,   relais souvenirs qui nous  relient à la terre comme le fil  vert de l’électricité, pour nous protéger de l’enfer du tonnerre de la guerre... me redire mes racines… pour ne pas avoir peur. Ainsi comme le petit poucet en suivant ces objets je peux reprendre le chemin à l’envers de l’histoire, toucher l’Histoire comme j’ai touché ces gens. Sur les chemins de ce parfum,  se retourner, pour comprendre un peu.Un arbre de vie rouge, avec beaucoup de larmes, des écureuils, des abeilles, des papillons des oiseaux des fleurs, des barques, des cailloux, des poissons irisés, des vignes , des fruits de toutes les couleurs .Le tiroir s'ouvre... doucement, lentement la petite danseuse apparaît et sur une petite musique, elle tourne, tourne, tourne!  Nadia ESTEBA

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