Le mystère de la colline des oliviers

Francesca Calvias

Un accueil chaleureux

Il faisait de plus en plus chaud et le paysage devenait de plus en plus sec. Les vignes et la garrigue avaient définitivement remplacé les champs et les prés. A midi M. Garin s’arrêta dans un petit village où il acheta des rafraîchissements et des sandwiches à une épicière sympathique qui leur demanda avec un accent chaleureux s’ils étaient en vacances dans la région. M. Garin expliqua qu’ils avaient encore un peu de route à faire car ils allaient à Malemort dans la région de Carpentras.

-Ah mais c’est une belle région ! Sourit l’épicière. La maman de mon mari était originaire de Mazan, tout près de Malemort. Vous allez vous y plaire. C’est un coin tranquille, à l’abri des touristes.

-Nous sommes aussi originaires de la région, expliqua M. Garin, mais les obligations professionnelles nous en ont éloignés.

-Et nous sommes heureux d’y retourner ! Lança Fauve

-Et tu as bien raison petite ! Rétorqua la souriante marchande. Tenez les enfants, prenez donc une glace pour vous rafraîchir. C’est moi qui vous l’offre !

Les enfants remercièrent chaleureusement la sympathique épicière pendant que M. Garin payait ses achats.

La petite famille s’installa sur un banc à l’ombre de platanes après avoir ouvert toutes les vitres et les portières de la voiture. Pendant que les enfants dégustaient leur glace – avant de manger leur sandwich afin qu’elle ne fonde pas – M. Garin remit de l’eau dans le radiateur de la Peugeot.

Pendant que M. Garin se reposait à l’ombre d’un platane avant de reprendre la route, les trois enfants allèrent se rafraichir à la fontaine sur la place du Cours. Cela faisait un bien fou après cette longue route. Les trois enfants s’aspergèrent en riant et en poussant des cris aigus, sans se rendre compte que leur père les observait depuis un moment en souriant.

Après s’être laissés sécher au soleil, les enfants remontèrent dans la voiture et M. Garin démarra pour la dernière partie du trajet.

Il était près de 17 heures lorsqu’on arriva à Malemort. Après avoir traversé le petit village brûlé par le soleil, M. Garin quitta la départementale pour les petits chemins de campagne, dont certains n'étaient même pas goudronnés. Les enfants se demandaient comment leur père parvenait à retrouver sa route alors qu’il n’y avait pas la moindre indication. Rien que des vignes et de la garrigue. Il y avait très peu d’habitations également. Enfin M. Garin s’arrêta au bord d’un chemin sinueux.

-Nous y sommes. Annonça-t-il aux enfants. Voici le chemin qui mène au mas des Cigales. Encore un petit kilomètre et vous verrez la maison.

Le chemin caillouteux serpentait au milieu de la végétation.

-On ne croirait jamais que ce chemin mène à une habitation ! Lança Louis.

M. Garin sourit.

-Votre tante aime la nature et voulait absolument habiter dans le coin le plus isolé de la propriété. C’est pour cela que ma sœur et mon beau-frère ont fait remettre en état le mas des Cigales qui n’était qu’une ruine à l’époque. Auparavant, ils habitaient la bastide des Lavandes à quelques kilomètres. C’est là où se trouve l’exploitation viticole de votre oncle Victor, mais en même temps c’était trop « civilisé » et trop près du village et de la route au goût de votre tante. Donc une fois que le mas a été restauré, ils ont abandonné la bastide qui ne sert plus que de bureau à votre oncle.

-C’est la fameuse bastide dont tu nous as parlé et où maman pourrait venir passer sa convalescence ?

-Oui c’est celle-là même. En apprenant l’accident de votre mère, votre oncle Victor a spontanément proposé de nous prêter la bastide afin qu’elle puisse y passer sa convalescence.

-C’est drôlement gentil de sa part ! Emit Marie.

-Mais je vous ai dit que votre oncle Victor était un homme très gentil. Regardez, on voit le mas au détour du prochain tournant. Nous sommes enfin arrivés !

Les enfants regardèrent de tous leurs yeux. M. Garin stoppa la voiture au bord d’un parterre de fleurs. La malheureuse Peugeot était toute griffée par les ronces, mais cela en valait la peine. Le mas des Cigales était magnifique. Une vieille bâtisse en pierres couleur abricot surmontée d’un toit de tuiles romaines. Des volets peints en bleu lavande. Une grande cour ombragée par un vieux platane. Au milieu de la cour, une grande table en bois et des chaises disposées tout autour. A l’arrière de la cour, un petit escalier rustique menait à un verger. Et des fleurs partout ! Dans la cour, au bord du chemin, sur le toit du garage construit en contrebas du reste de la maison, à toutes les fenêtres… Jamais les enfants n’avaient vu une maison aussi fleurie que le mas des Cigales. C’était une véritable merveille.

Maintenant que le moteur de la voiture s'était tu, on n’entendait plus que le craquettement des cigales, le chant des oiseaux et semblait-il à Marie, le renâclement d’un cheval… A part cela, la maison avait l’air déserte. Mais tout à coup des aboiements retentirent à l’intérieur. La porte d’entrée s’ouvrit et deux chiens jaillirent, l’un roux, l’autre blanc, se mettant à faire la fête à M. Garin et aux enfants un peu intimidés.

Une jeune femme brune et souriante suivait les deux chiens. Elle en portait d’ailleurs un troisième dans les bras. Un chiot celui-là.

-Ah vous voilà enfin ! Alfonso ! Lisa ! Silence tous les deux ! On ne s’entend plus ici ! Bonjour Maxime. Bonjour les enfants. Bonjour Louis, comme tu as grandi ! Tu es presqu’un homme maintenant. J’ai l’impression que tu es plus grand que moi. Je me sens frustrée ! Bonjour Marie, tu es devenue une jolie jeune fille à ce que je vois. Et bonjour ma petite Fauve. Toi tu as vraiment beaucoup changé parce que tu étais encore un bébé la dernière fois que je t’ai vue ! Je suis vraiment très heureuse de votre arrivée. Vous avez fait bon voyage ? Venez vite vous rafraîchir ! Silence vous deux j’ai dit !

Fauve toute attendrie, caressait le bébé chien que sa tante tenait dans ses bras.

-Comme il est beau ! Comment s’appelle-t-il ?

-Elle. Répondit sa tante. C’est une petite chienne. Elle s’appelle Chupete et elle a un peu plus de deux mois. Tiens, prends la dans tes bras. Elle est adorable. Je ne l’ai que depuis une semaine.

-Les deux autres aussi sont adorables. Dit Marie. Mais je n’ai encore jamais vu de chiens pareils. De quelle race sont-ils ?

-Lisa est une Podenca et Alfonso un Galgo. Ce sont des lévriers espagnols. Chupete est une Galga comme Alfonso. Ce sont des chiens que les chasseurs espagnols utilisent le temps d’une saison. Après ils s’en débarrassent, souvent en les tuant dans d’atroces souffrances. En les pendant à un arbre par exemple. Et s’ils ne chassent pas bien, ils se font battre à coups de baton, voir mutiler à coups de hache.

-Mais c’est vraiment horrible ! Se récria Louis.

-Oui c’est horrible. Et ce n’est pas tout. A la fin de chaque saison de chasse, des milliers de Galgos sont abandonnés en pleine nature ou aux abords de perreras. Les perreras sont des refuges espagnols. Des sortes de fourrières où tous les chiens sont entassés ensemble et quand il y en a trop, ils sont gazés pour faire de la place aux suivants. Ils meurent dans d’atroces souffrances, surtout les grands chiens, parce que la dose de gaz n’est pas suffisante pour les tuer sur le coup. Des refuges essaient de les recueillir pour leur donner une chance, mais ils sont vite surpeuplés. De plus, les refuges doivent faire attention aux chasseurs qui, au début de la saison de chasse, volent des jeunes Galgos et des jeunes Podencos ou encore des femelles afin de les faire procréer.

Les enfants étaient tellement choqués par ce qu'ils venaient d'entendre qu’ils en oublièrent leur soif. Heureusement leur oncle Victor arrivait.

-Et elle bavarde ! Et elle bavarde encore et encore ! Et elle en oublie de vous servir à boire ! Elle vous laisserait dessécher sur place ! Elle oublie tout quand il est question de ses chiens bien aimés ! Asseyez-vous, Magali apporte les rafraichissements et le goûter. Et voilà Flo qui arrive avec son vélo ! Vous allez pouvoir faire connaissance avec votre cousin. Annonça l’oncle Victor, tandis qu’un jeune garçon souriant, torse nu et bronzé, les cheveux blonds tirant sur le roux, exactement comme ceux de Fauve, volant dans le vent, fait un dérapage plus ou moins contrôlé avec son vélo BMX sur les graviers de l’allée.

-Voilà tes cigarettes papa ! Bonjour oncle Maxime. Salut les cousins… Alors… toi tu es à coup sûr Louis, toi tu dois être Marie la gentille et toi, vu la couleur de tes cheveux, tu es Fauve… Content de vous voir. En fait je vous ai aperçus au village tout à l’heure, mais je ne vous ai pas suivis tout de suite parce qu’il fallait d’abord que je retrouve Corentin. Il m’avait promis de me rendre mes BD… Seulement je ne l’ai pas trouvé ! Vous avez fait bon voyage ?

Les enfants Garin sourirent. Leur cousin Florius leur paraissait très sympathique et aussi bavard et accueillant que sa mère.

-Et notre cousine ? Demanda Louis. Elle n’est pas là ?

- Ah la la, votre cousine ! C’est un cas votre cousine ! Bien sûr qu’elle est là. Seulement elle est un peu sauvage et ne veut pas donner l’impression d’attendre votre arrivée. Elle préfère faire celle qui revient quand elle veut. Ne vous inquiétez pas les enfants, elle va bien finir par arriver ! Expliqua oncle Victor.

-Oh toi Vic tu dois toujours prendre la défense de ta petite fille chérie ! Elle aurait du être présente pour accueillir ses cousins. C’est quand même la moindre des choses. Rétorqua leur tante.

- Pffff !!! Souffle oncle Victor dans sa moustache. Qu’est ce que tu en as à faire des convenances ? C’est une enfant et ils sont en vacances. Ils auront bien le temps de faire connaissance, ils sont ici pour deux mois ! Laisse-les donc un peu vivre.

-Mais tu ne lui rends pas un bon service en agissant ainsi Vic ! Comment va-t-elle faire avec son caractère de braque lorsqu’elle devra faire face à la vie, chercher de l’emploi ?

-Mais elle a à peine 11 ans Tonie… Allez hop ! On s’installe tous à table, voici Magali avec le goûter et j’ai faim moi !

-Ah ben oui, rétorque Tonie, c’est normal que tu aies faim ! Tu n’es pas rentré déjeuner ce midi…

- Ah bon ? Ah tiens oui c’est vrai ma foi ! J’ai du oublier. Tu sais comment je suis quand je suis pris par le travail. Sourit Victor.

M Garin et les enfants s’amusaient beaucoup en entendant les joutes oratoires entre leur oncle et leur tante. M. Garin sourit.

-On se croirait revenus au bon vieux temps…

-Ah oui, lance Florius, papa et maman se chamaillent tout le temps comme ça. En fait ça veut dire qu’ils s’adorent, conclut-il avec un clin d’œil. Vous n’allez pas vous embêter ici, je vous le promets. Allez Alfonso ! Tu as à manger dans ta gamelle, mais évidemment tu préfères un morceau de quatre-quarts fabriqué par Magali à cette infâme nourriture en boîte pour chiens !

Les enfants se régalaient. Les adultes et les chiens également !

Observant les trois chiens de sa tante, Louis ne peut s’empêcher de relancer la conversation sur le martyre des Galgos et des Podencos en Espagne.

-Est-ce que ce sont des chiens que tu as sauvé des fourrières espagnoles ?

-Oui. Alfonso était en perrera en grand danger d’être gazé. Lisa était dans un refuge surpeuplé. Et Chupete, la dernière venue était dans un refuge complètement inondé, orpheline à deux mois. Et Néron, le chien de votre cousine, un Galgo lui aussi, se trouvait également en perrera. Vous le verrez tout à l’heure. Il est très beau lui aussi. Tout noir avec le bout des pattes blanches.

-Et tu as été les chercher ? Demanda Fauve.

-En fait, comme vous le savez, la maman de votre papa et donc la mienne, est espagnole. Elle a une maison de vacances là-bas où elle va plusieurs fois par an. Et c’est tout à fait par hasard que j’ai été sensibilisée au martyre des Galgos et des Podencos. La voisine de notre mère tient un refuge et essaie de sauver un maximum de ces pauvres chiens de la mort certaine ou des mauvais traitements qui les attendent. C’est ma mère qui, la première a été sensibilisée à cette cause par sa voisine qui est devenue son amie avec le temps. Elle a recueilli plusieurs chiens. Et lorsque je suis allée chez elle, je n’ai pas pu résister. Lisa est la première chienne que j’ai recueillie. Ensuite Alfonso, puis Néron pour Cléo qui en était tombée amoureuse et la semaine dernière ma maman m’a ramené Chupete. Mais entretemps maman et moi avons pris des chiens en accueil afin de désengorger le refuge et de leur trouver des adoptants en France. Je profite aussi de la notoriété que me valent les livres que j’écris pour promouvoir la cause des Galgos et des Podencos, dans l’espoir que l’Espagne finisse par promulguer une loi visant à les protéger et à empêcher ces tortures et ces assassinats.

-C’est magnifique ce que tu fais tante Tonie. Résuma Marie admirative.

-Oui je suis assez fier de ma maman ! Emit Florius. Ces pauvres chiens méritent vraiment une seconde chance. J’aimerais tellement qu’on puisse les sauver tous. Mais ce n’est malheureusement pas possible. Ces chiens sont vraiment des anges de douceur et de tendresse. Ce sont les plus chouettes chiens du monde.

-Peut-être que lorsque maman sera remise on pourra en adopter un aussi ? Fit Louis d’un ton plein d’espoir en regardant son père.

-Peut-être. Répondit son père. Mais ce n’est pas encore tout à fait le moment. Nous verrons dans quelques semaines. Puis il regarda sa montre. Bon, maintenant si ça ne te dérange pas Vic, j’aimerais bien téléphoner à Martine pour lui annoncer que je suis bien arrivé.

-Bien sûr. Répondit Victor. Et ensuite tu prendras une douche et puis tu peux te reposer un peu. A moins que tu ne préfères que je t’emmène à Carpentras avec les enfants voir Martine, comme cela tu ne devras pas conduire. Car je pense que tu en as un peu assez de la conduite.

-Tu as raison, mais je ne voudrais surtout pas te déranger, je t’impose déjà mes enfants…

- Oh la la ! Bonne mère, mais tu ne me déranges pas du tout ! Je dois aller à Carpentras pour déposer des marchandises au magasin en ville. Ca te laissera le temps de rendre visite à ta femme. Ensuite, si j’ai bien compris, tu restes dormir chez ta belle-mère ou chez ta belle-sœur, donc moi je ramènerai les enfants ici après t’avoir déposé.

Signaler ce texte