Le nivellement par le bas

Dominique Capo

Réflexion personnelle :

Pour une fois, je vais essayer de rédiger un texte court et concis. Mais je ne promets rien. Car je souhaiterais mettre un certain nombre de points qui me chagrinent au clair.

Des personnes participant aux groupes dans lesquels je publie mes exposés personnels ou flirtant avec la philosophie estiment que ceux-ci sont trop longs ; trop étoffes. Je comprends et j'accepte leur point de vue, même si je n'y adhère pas. Il est en effet à souligner que depuis que je publie régulièrement ce genre de sujet, de plus en plus de personnes me contactent d'une manière ou d'une autre. Elles me posent des questions sur les thèmes que j'aborde ; pour approfondir des points de détails que j'y divulgue. Elles souhaitent en examiner d'autres aspects ; ou tout simplement, en savoir plus sur moi, mon parcours, ou ce qui m'a amené à rédiger cette sorte de manuscrits, en plus de mon travail d'écrivain habituel, ou de chercheur en histoire.

Ce n'est donc pas anodin si nombre de personnes se tournent vers moi et me demandent de les ajouter à mes contacts afin d'avoir accès à mes textes. A mon avis, c'est qu'ils ne trouvent pas ailleurs ce qui les attire dans ce que je publie. Au début, évidemment, j'ai longtemps été réticent à diffuser des exposés directement issus de ma pensée, de ma « philosophie », de ma façon de voir l'Homme, le Monde, l'Univers. J'ai longtemps été réticent à y partager mes connaissances, mes passions, mes fascinations pour tel ou tel sujet de société, sociologique, technologique, etc. dont je suis si friand. Cependant, force est de constater – et bien malgré moi, je peux vous l'assurer, parce qu'au début, telle n'était pas mon intention. Je ne me considère que comme un anonyme parmi les anonyme. Je n'ai rien de moins ou rien de plus que n'importe lequel des utilisateurs de Facebook. Je ne suis ni plus intelligent, ni plus cultivé, ni plus intéressant que d'autres ont des capacités et des possibilités beaucoup plus considérables que les miennes. Et ce, même si j'ai passé une dizaine d'années en tant que chercheur touchant à tous les domaines de compétences que sont les miens.

Par ailleurs, je ne veux pas être « plus » ou « moins » que quiconque ; je désire juste être « normal ». Bien que ce mot soit intolérable à entendre pour moi. Aucun être humain n'est « normal » : il est ce qu'il est, avec ses particularités, ses spécificités, son passé, son parcours, ses bonheurs et ses malheurs, ses épreuves et ses réussites, sa culture, son éducation, etc. Et il est insupportable, à mes yeux, de vouloir nous mettre chacun dans une petite case, de vouloir nous répertorier, comme si nous n'étions que des éléments d'une statistique globale destinés à alimenter les mailings des annonceurs et des multinationales cherchant par n'importe quel moyen à faire des profits sur notre dos. Multinationales, en outre, que nous contribuons chacun à rendre encore plus riches et plus puissantes du fait de notre insatiable désir de consommation à outrance. M ais ceci un autre débat, que j'ai déjà à maintes reprises disséqué dans de précédents textes…

Bref, tout cela pour dire que, malgré les reproches que certains me font, il apparaît qu'il y a de la demande sur Facebook, pour des textes tels que les miens. Et je suis à peu près convaincu que je ne suis pas le seul ayant cette vision de l'utilité d'un réseau social tel que celui-ci dans ce but. Maintenant, il est vrai qu'il ne s'agit pas de la majorité des gens qui y surfent. La majorité d'entre eux, en effet, ne voient Facebook qu'en tant qu'outils de divertissement, de dialogues puérils et centrés sur le quotidien. Ils s'en servent pour se « décérébrer » après une journée de travail ; comme d'autres se « décérèbrent » devant des émissions de télé-réalité, ou des jeux stupides diffusés sur les grandes chaînes de télévision.

Avant de devenir écrivain à plein temps et de travailler uniquement à mon domicile, j'ai appartenu à cette multitude dont le « métro-boulot-dodo » était le lot quotidien. Les transports en commun, courir pour faire ses courses, pour gérer tout ce qui doit être géré dans un temps réduit. Cependant, contrairement à la grande majorité des gens que j'ai côtoyé à cette époque – et à leur grande surprise parfois teintée de mépris et de moqueries -, ces impératifs ne m'empêchaient pas de consacrer mes loisirs à des activités qui ne me décérébraient pas. Plusieurs années durant, comme je l'ai déjà décrit également dans des épisodes de ma vie rédigés il y a quelques temps, j'ai passé pratiquement toutes mes soirées à la Bibliothèque Nationale à dévorer des ouvrages vieux de plusieurs décennies ou de plusieurs siècles. Généralement, ils étaient consacrés à la genèse des mythes et des légendes, à la genèse des civilisations, à la genèse des religions – tout ceci étant liés les uns aux autres. Ils étaient consacrés à la philosophie, à l'ésotérisme, aux sciences, à la sociologie, etc. Je passais mes soirées, jusqu'à la fermeture de l'établissement – à vingt-deux heures si je me souviens bien – à prendre des notes, à réfléchir, à rédiger des textes à la main. J'avais de ces crampes aux doigts à ce moment là !!! Parallèlement, je lisais jusqu'à trois livres par jour : un sur mon lieu de travail durant mes heures de pose, un autre, chez moi, qui était une biographie historique, et un dernier enfin, pour me changer les idées, et qui était un roman – thriller, fantasy, fantastique, etc. D'un autre coté enfin, je visionnais énormément d'émissions télévisées telles que Capital, Zone Interdite, Envoyé Spécial, des documentaires historiques aussi, ainsi que des myriades de films puisque je suis un cinéphile convaincu. Sans compter que je sortais régulièrement avec des amis en discothèque, au cinéma, au restaurant, etc. J'avais donc, en plus de mon emploi, une vie active assez chargée, approximativement semblable à ceux et celles qui ont une vie familiale, un emploi vampirisant leur temps et leur énergie.

Néanmoins, j'ai toujours considéré que, y compris dans ses loisirs, en tirer quelque chose de valorisant, d'enrichissant intellectuellement, humainement, est une nécessité. J'ai toujours vu en n'importe quelle expérience, aussi minime soit-elle, aussi bénéfique ou néfaste soit-elle, un moyen d'en apprendre davantage sur soi-même, sur les autres, sur le monde ou l'univers auxquels j'appartiens. Se contenter d'exister pour exister, sans donner de but autre que matériel à sa vie, est pour moi un non sens. Être violent – que ce soit physiquement ou verbalement - parce que le monde est violent ; être égoïste, égocentrique, parce que pratiquement tout le monde agit comme cela  - ; être intolérant, être raciste ; être axé sur ses petites préoccupations sans se soucier des grandes questions de société ou de civilisation qui sont sur le point de bouleverser nos existences du fond en comble à plus ou moins brève échéance ; prôner la haine, etc. ; très peu pour moi.

Ce n'est pas dans ma nature ou dans ma personnalité. Demeurer là à ne rien faire, à « végéter » en étant hypnotisé par ce que l'on nous impose en tant que « culture de masse » via nos smartphones, nos tablettes, nos ordinateurs, etc., je ne m'y suis jamais plié, je ne m'y plie pas, et je ne m'y plierai jamais. C'est ce que j'intitule « le nivellement par le bas ». Et les exemples sont innombrables :

Pour reprendre les raisons initiales de ce texte : critiques d'exposés ou de réflexions élaborés publiés sur un réseau social comme Facebook. Pourquoi ? Parce que dans un univers où tout est instantané, ou ce qui est lu, posté, disparaît quasi-immédiatement, c'est fatiguant de s'user les neurones durant quelques instants afin de s'y plonger. Parce que les images, les vidéos, les poèmes, les citations, etc. ne sont que des « copier-coller » découverts ailleurs exprimant son état d'âme du moment. Plutôt que de rédiger un paragraphe soi-même détaillant ce que l'on ressent, c'est plus facile et plus rapide ; moins « prise de tête ». Plutôt que de s'instruire, que d'user de son intellect et de sa raison pour partager avec les autres des émotions, des passions, des rêves, des projets, etc., on se contente du minimum. On publie son quotidien, ses problèmes ou ses joies personnels. Et on participe ainsi à ce nivellement par le bas que chacun critique, mais auquel chacun contribue.

Je peux aussi évoquer les moyens d'expression que sont la manière d'user de la langue française : en abrégé, mal écrit, avec une multitude de fautes d'orthographe ou de grammaire. Il y a plusieurs jours, j'ai vu un reportage à la télévision. Celui-ci expliquait que des adolescents de collège, de lycée, ou d'université, étaient désormais obligés de reprendre des cours de français, alors que ces acquis auraient dû être assimilés depuis, au moins, le CP, le CE1 ou le CE2. Il est donc évident, dans ces conditions, qu'un réseau social comme Facebook soit le reflet de cette pauvreté linguistique, littéraire et intellectuelle dont ils sont les vecteurs. Et si ce n'était que les « jeunes » ; mais même pas. Les adultes qui sont censé leur montrer l'exemple en font autant. Ils laissent faire, comme si c'était normal, admissible, tolérable. Evidemment, quand on laisse tout cela se dégrader à ce point, quand on se transforme en « décérébré » chronique parce que tout le monde fait pareil, que personne ne dit rien, on est surpris lorsqu'un individu ne suit pas le « troupeau de mouton ». Comme c'est devenu la norme, celui qui déroge à cette règle tacite est regardé comme un extra-terrestre, comme un danger ou une source de soucis, de gène, pour l'immense majorité.

Au point que, parfois, il y en a qui considèrent qu'écrire de longs exposés n'a pas de place sur Facebook ou dans les groupes littéraires ou philosophiques qui lui sont affiliés. Comme ceux sur lesquels je publie régulièrement. On considère que la majorité étant « décérébrée », il lui faut des thèmes, des textes, des réflexions, qui ne lui demande beaucoup d'utilisation de sa matière grise. On se contente de regarder rapidement les images, les vidéos, les citations, qui y sont publiées ; d'en tirer un petit commentaire, d'en débattre éventuellement sommairement à coups de paragraphes abscons. Mais c'est tout.

C'est triste, c'est affligeant, c'est monstrueusement regrettable. Toutefois, c'est à l'image de 90 % des utilisateurs de Facebook. Quant à moi, comme je l'ai détaillé plus haut avec mes propres loisirs à l'époque où mon emploi était beaucoup plus envahissant en terme d'horaires qu'aujourd'hui, je n'ai jamais consenti à me contenter de la facilité. Certes, depuis plusieurs années, on peut supposer qu'écrire n'a rien de très épuisant. On reste assis toute la journée devant son ordinateur, à retranscrire des pages et des pages à l'écran à l'aide de son clavier. Mais on ne pense pas à tout le travail de préparation, aux prises de notes, à la concentration extrême durant des heures, des journées, des semaines, des mois entiers. On ne pense pas aux sacrifices nécessaires, à la solitude, à la réflexion qu'il faut y dévoiler. On en ressort, au terme de chaque séance quotidienne, essoré, épuisé, la tête sur le point d'exploser tellement on a canalisé son psychisme dans un seul but : rédiger un texte cohérent, agréable à lire, intéressant. Sans compter les dizaines de relectures afin d'en ôter les longueurs, les fautes de français, d'orthographe, de grammaire, etc.

Tout cela, et tout ce que je ne décris pas ici – une fois encore, on va taxer mon texte de trop long, cela est tellement évident que c'en est à la fois lamentable, pathétique et misérablement risible – se situe en dehors des sentiers battus. Tout cela est souvent sujet de mépris, de moqueries, voire d'hostilité. Est-ce pour autant que je suis obligé de suivre bêtement le « troupeau de mouton » qui se contente de cet abrutissement généralisé et consentant ? Est6ce pour autant que je dois niveler vers le bas les capacités et les possibilités intellectuelles qui sont les miennes ? Est-ce pour autant que je dois salir mon âme, mon esprit, et ma conscience, en me disant « que je n'ai pas le choix ; que puisque les gens et le monde dans lequel je vis sont comme ça, je dois m'y plier ? ».

Eh bien, comme à l'époque où je travaillais en dehors de chez moi, où mon emploi du temps était « surbooké », mais où, parce que je le voulais, je me suis organisé pour continuer à m'enrichir spirituellement, pour continuer à apprendre, à découvrir, à acquérir des savoirs, je refuse ce « diktat ».

De toutes mes forces, avec toute la puissance de mon énergie, de mes convictions, de mes espoirs, je dénie ce « nivellement vers le bas » auquel j'assiste ici ou ailleurs. Ce n'est pas une question de possibilité, c'est une question de volonté. J'administre mon temps pour que ce soit faisable ; même si c'est souvent difficile, même si c'est fatiguant, même si je dois faire des concessions. Toute ma vie, comme jadis, je me battrai contre cette résignation, contre cette apathie, contre ce laisser-aller, sont l'un des nombreux symptômes des méfaits de notre société de consommation à outrance ; et ce, même si elle a ses bons cotés dont je profite aussi. Mais, sans me laisser submerger par elle au point qu'il n'y ai plus de place pour la réflexion, le raisonnement, la richesse culturelle, ou pour les connaissances, les idées, ou l'imagination, dont je suis le détenteur. Jamais je ne me résignerai à cette façon de voir le monde, de voir mes rapports avec mes semblables. Jamais ne suivrai cette myriade de moutons à l'abattoir intellectuel auquel ils sont voués, parce que c'est « comme ça ».

Et heureusement que, parmi ces nuées, il y a des personnes qui ont une attitude raisonnée, intelligente, empreinte de désir de découvrir d'autres centres d'intérêts, d'autres façon de penser, d'autres manières de s'exprimer, d'autres façons de voir le monde, l'univers, la place de l'Homme en leur sein ; d'autres manières d'appréhender leur place dans la société. D'autres ambitions que celle de végéter devant l'écran de son ordinateur en publiant des messages, des photos, des vidéos dignes d'un enfant de cinq ans. Ou affalées devant leur écran de télévision, abruties par des émissions destinées à leur lessiver le cerveau en attendant qu'elles ingurgitent les pages de publicité les incitant à consommer toujours davantage – dixit Etienne Mougeotte, directeur des programme de TF1 il y a quelques années.

C'est à ces personnes que je m'adresse pour conclure : ne vous résignez pas. Est mouton celui qui veut l'être. Tant qu'il y aura des gens comme vous, qui appréciez le genre de texte que j'écris – longs, étoffés, je l'espère intéressants et enrichissants intellectuellement et humainement -, je continuerai à en écrire. Ceux et celles qui souhaitent me dénigrer, m'insulter, me moquer, etc., qu'ils le fassent. Si cela les soulage, au moins, mes textes auront leur auront servi de défouloir. Leurs propos me glissent dessus comme de l'eau savonneuse sur la peau. Quant aux autres, vous êtes les bienvenus ; nous avons beaucoup à partager, à échanger, à dialoguer ensemble. Et ainsi, à démontrer qu'un réseau social tel que Facebook peut également être un outil où se conjuguent distraction et intelligence, récréation et profondeur de pensée, détente et réflexion littéraire ou philosophique…


Dominique

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