Le pâle Eole mythique

absolu

J’étais pas dans mon assiette hier, sans facette derrière laquelle me réfugier, aucune facétie en tête. A peine si je suis sortie prendre un peu l’air. Mais pas trop hein, j’ai préféré le laisser à ceux qui en avaient besoin… pour nourrir leur inspiration. J’leur ai laissé ma ration, j’avais le cœur impie, je voyais pas d’autre issue, j’en voyais aucune d’ailleurs, plus assez de tissu pour y déposer mon cœur. J’ai suivi l’adage et n’ai rien dévoilé en avril, seulement en mai j’ai tout enlevé, et en juin j’avais plus rien…

C’est pas que ça m’bottait, mais une semaine après je me suis sentie obligée d’aller voter. A quoi bon rester cloîtrée derrière ses volets fermés, et regarder à travers le bois les défilés d’hommes soi-disant prêts à relever le défi de sauver le pays, des hommes au fémur fragilisé par les marches incessantes vers un monde plus dur.

Epatée de campagnes desservies par l’ADSL, Adèle range ses ailes sans peine et sans heurt. C’est l’heure de l’apéro, fait trop chaud pour penser aux européennes. D’ailleurs c’est la finale de l’Euro. Ca lui fait de la peine pour la France, qu’a rendu l’antenne un peu trop tôt. Y avait plus d’place sur les ondes hertziennes pour parler des 25. Alors elle a baissé les persiennes, elle a changé de chaîne.

Je m’inquiétais d’un malheureux écart du destin, d’un mythe dérangé par quelques bulletins, la Marine nationale recrute, en peine d’empire, et le pays se fâche, par crainte du pire. L’électorat prend le large, les lecteurs restent en marge, les histoires de naufrage n’intéressent plus personne, sauf si ça profite aux suffrages. Le capitaine s’est fait la malle et se fait porter disparu, clandestins cachés en fond de cale, identité rejetée, retour à la rue. La roue tourne, qu’ils disent, mais ils ne précisent pas dans quel sens.

La route est longue, quand on se fait marcher dessus. On perd de la vitesse, on s’fond dans la masse, le visage sombre des rues mal éclairées, les passants en quête d’un plaisir hors-la-loi nourrissent le macadam de leurs pas incessants ; quand le maquereau n’est pas là les sardines baignent dans l’huile, quand il revient la nuit sordide règne sur les filles. Au petit matin elles expirent l’air malsain des mâles intoxiqués par leur train-train quotidien, laissent une part de leur salaire dans les transports en commun, et vont prendre un bain après avoir laissé leur chagrin au placard… il est parfois trop tard, même s’il n’est que 05h00, pour rêver d’une vie meilleure, sans haleine chargée de Ricard, sans arrêt obligatoire à chaque boulevard.

Mais chuuuut, restons dans l’ombre pour ne pas se faire critiquer, restons à l’ombre, pour ne pas se déshydrater. Il faut penser à boire, beaucoup, boire jusqu’à la lie les politesses des hauts-placés, et même les discours pas très raffinés des gueules enfarinées. Ne vous plaignez pas, si vous gagnez une misère, vous n’avez qu’à acheter discount, c’est moins cher. Et puis quelle idée, de vouloir une tranche de faux-filet pour le dimanche, relevez plutôt vos manches, pour creuser votre tranchée. Vous rêviez mieux comme destinée ? Un corps moins écorché ? L’âme égratignée par les coups du sort, difficile de trouver le ressort indispensable à la survie de l’espèce ; quand on voit à la télé les troupes qui s’amenuisent, dans les villes déchirées, les fous qui circulent en ville, au volant de leurs voitures piégées, on a tendance à se dire que la prochaine offensive n’épargnera aucune communauté.

Ah, on vous a peut-être pas dit, mais tout a filé sans faux-semblant, réunions bidons et fausses assemblées, il a vite fallu repeindre les murs en blanc, faire comme s’il ne s’était rien passé. Plus aucune trace de sang, c’est terminé. Regardez les semelles de vos bottes, y a presque plus de pétrole.. C’est pas très drôle, je sais, même Willie n’a plus envie d’être sauvé, et préfère encore les raz-de-marée à l’irrésistible appel de ma mère préparant ses plateaux de fruits de mer.

C’est pas qu’on ait les moyens de se payer des crustacés, mais les calamars étaient en promo. A ce prix-là on regarde pas la date limite de consommation au dos de la barquette. Sauf que maintenant on peut changer le revêtement de la banquette, ça nous apprendra à manger du périmé devant le journal télévisé. La prochaine fois on s’fera une bonne blanquette, avec des champignons de la forêt derrière chez nous… faudra pas cueillir n’importe lesquels, c’est tout.

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