Le pantalon de Pierre
lili-galipette
Tous les matins, avant d'aller à l'école, Pierre s'habillait comme sa maman le lui avait appris. D'abord la culotte et la chemise, puis les chaussettes et le pantalon. Enfin les bretelles et la ceinture. Parce que Pierre faisait souvent le même cauchemar : pendant la récréation, son pantalon lui tombait sur les genoux et tout le monde se moquait de lui. Alors Pierre n'osait jamais jouer avec ses amis dans la cour de l'école : il restait assis en attendant la e.
Pierre portait donc bretelles et ceinture. Mais voilà, ces deux accessoires ne s'entendaient pas du tout. Les bretelles étaient toutes fières d'être deux et d'emporter le pantalon de Pierre vers le ciel. La ceinture se trouvait plus respectable avec sa boucle argentée et ses quatre trous, le quatrième étant le préféré de Pierre.
Chaque jour, les bretelles espéraient que Pierre ne mettrait pas la ceinture et chaque jour, la ceinture priait pour que Pierre laisse les bretelles dans le tiroir. Mais Pierre faisait toujours son cauchemar. Sa maman lui disait que son pantalon avait des boutons solides et qu'il était exactement à sa taille. Rien à faire, Pierre sortait tous les jours avec bretelles et ceinture.
Pierre voyait bien que quelque chose n'allait pas avec son pantalon et ce n'était pas à cause de la peur de le voir s'effondrer sur ses genoux. Un peu plus chaque jour, il sentait son pantalon remonter vers ses épaules et serrer son ventre un peu plus fort. Une nuit, en se levant pour boire un verre d'eau, il entendit une drôle de discussion dans le tiroir de sa commode.
- « Ça ne peut plus durer, disaient les bretelles.
- C'est vous qui avez commencé, répondait la ceinture.
- Pierre ne peut pas continuer à nous porter ensemble, il faut qu'il nous choisisse.
- Impensable, je suis plus solide que vous. Son pantalon ne tombera jamais avec moi. »
Abasourdi, Pierre se recoucha et réfléchit longtemps. Le lendemain matin, il s'habilla comme d'habitude. Mais il fit quelque chose de stupéfiant : il fit un nœud avec les bretelles autour de sa taille et il attacha la ceinture en travers de ses épaules, de sa hanche droite à sa fesse gauche, avec des épingles de nourrice. Les bretelles et la ceinture étaient bien étonnées de se retrouver la tête à l'envers. Mais elles ne bronchèrent pas de la journée.
Le soir, les bretelles et la ceinture furent bien contentes de retrouver l'obscurité du tiroir. Les bretelles avaient compris que la ceinture était bien courageuse de rester enroulée autour de Pierre toute la journée. La ceinture se demandait comment les bretelles n'avaient pas le tournis à force de voir devant et derrière en même temps.
Et dans son lit, Pierre souriait. Pour la première fois depuis longtemps, il n'avait pas eu peur de perdre son pantalon. Il trouvait tellement drôle d'avoir inversé ses bretelles et sa ceinture qu'il en avait pleuré de rire à la récréation, à se rouler par terre et à sauter dans tous les sens. Et son pantalon n'avait pas glissé. Demain, Pierre le savait, il ne mettrait que ses bretelles. Et le jour d'après, il ne mettrait que sa ceinture. Et ainsi de suite.
Désormais, Pierre n'a plus peur de perdre son pantalon. Et la nuit, dans le tiroir de la commode, les bretelles et la ceinture se racontent à tour de rôle les journées à l'école.