Le Paradis

Hervé Lénervé

Le paradis comme si vous y étiez.

C'était un homme comme il en est peu. Mari idéal, père modèle, collègue apprécié de tous. Il était l'homme qu'on citait en exemple dans tous les domaines. Parangon de vertu, de fidélité, d'intégrité, d'humilité, bref l'homme parfait. Mais tout parfait fut-il, il mourut quand même, d'un accident con de la circulation.

Il se retrouva donc d'emblée dans le bureau enfumé de Saint Pierre. Il fut étonné par la présentation du gardien du Paradis, sa toge n'était plus blanche, mais d'un gris sale, maculée de relief de repas. Les cheveux hirsutes d'un blanc douteux, bref Saint Pierre manquait de tenue, il n'était pas à l'image qu'il s'en était fait. Le cendrier sur le bureau débordait de mégots et de quelques joints épars, une bouteille entamée de bourbon trônait à côté d'un verre rempli. Le saint homme leva ses yeux chassieux sur le visiteur.

-         On m'avait prévenu de ton arrivée. Ecoute, j'ai plein de boulot en retard, cette putain d'administration ! Fait comme chez toi visite, mon gars, on se verra plus tard.

-         Bonjour monsieur, ne serais-je pas mort ?

-         Alors , là, pas de doute, mon bonhomme ! Tu es tout ce qu'il y a de bien mort, plus mort que toi, j'ai pas ! T'es déjà complètement bouffé par la vermine sous la terre de la Terre d'où tu viens. Allez files, j'ai du taff !

L'homme essaie de se rassurer, il est mort certes, mais il est entré au paradis sans problème, donc il se met en œuvre pour visiter ce lieu tant espéré. La chaleur est confortable, le décor est doux, cotonneux et illuminé, de-ci, de-là, des anges asexués volent d'un nuage à l'autre dans un bruit feutré. Tout parait parfait.

Mais le temps est passé sur la perfection et notre homme commence à s'emmerder ferme. En effet, il n'y a rien à faire au paradis, pas de distractions, pas de jeux, pas de livres, rien. Pourtant, un jour, il trouve une porte dissimulée, il l'entrebâille et jette un œil avec la mauvaise conscience d'une telle indiscrétion. Ce qu'il entrevoit dans la grande salle le surprend, de belles femmes nues servent des plats aux odeurs appétissantes, des volailles, des viandes rouges, des poissons à l'aspect succulent. Il sent l'eau lui venir à la bouche sous la forme de salive et n'écoutant que son audace, il va toquer au bureau de Saint Pierre, n'entendant personne répondre il pousse la porte et surprend le saint homme dans une activité que sa décence lui interdit la compréhension.

-         Excusez-moi, Saint Pierre de vous déranger. J'aimerais m'entretenir une minute avec vous.

Saint Pierre reboutonne la braguette de sa toge sans la moindre gène.

-         Ah, une petite branlette, ça fait un bien fou. Qu'est-ce qui t'amène mon pote ?

-         Voilà, loin de moi l'idée de critiquer, mais ne serait-il pas possible d'avoir autre chose à manger que des graines de soja et du ris à l'eau ?

-         Oh toi, tu as jeté un œil sur la porte des enfers.

-         En effet, je suis désolé, mais j'ai entrevu des bacchanales orgiaques, des festins gargantuesques, ne serait-il pas possible d'avoir les mêmes menus ?

-         Eh, attend Bonhomme ! Tu ne crois quand même pas que je vais me mettre à la grande cuisine pour un seul résident !

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