Le (petit) marchand de masques

Fleuriste Manchot

A qui l'on n'ose jamais dire "Ne fais pas cette tête…".

Notre (petit) marchand de masque avait une occupation bien particulière. Un métier qu'aucun n'enviait et que tous admiraient : Il vendait des masques. Il en fabriquait de toutes sortes ; d'animaux exotiques, de personnages de contes, d'objets du quotidien ou même des masques représentant de simples émotions.
Pour vendre ses masques et en inventer de nouveaux, il faisait chaque jour le tour du village et allait à la rencontre de ses habitants. Et, bien sûr, quelle meilleure publicité que de porter un masque lui-même ?

Chaque matin, il se laissait réveiller par le chant des oiseaux. Il se levait lentement, se trainait jusqu'à sa douche et se prélassait sous l'eau chaude. Une fois propre et fringant, il quittait sa salle de bain pour s'habiller et enfiler son masque. S'il vendait toutes sortes de masques, il n'en portait qu'un seul et toujours le même. Son masque équipé, il ouvrait la fenêtre pour remercier les oiseaux qui l'avaient tiré de son profond sommeil. Après quelques minutes de gazouillements mélodieux, il se dirigeait vers sa cuisine où il se préparait un copieux petit-déjeuner. Au vu des habitudes alimentaires locales, je vous dispense de savoir de quoi il se composait. Une fois repu, il quittait sa maison pour s'engager dans les rues animées du village.

C'est ici que notre histoire commence, par une journée particulièrement banale au début, particulièrement banale au milieu, et légèrement unique vers la fin.
Par cette fameuse journée en grande partie banale, notre (petit) marchand de masque sortit de chez lui et claqua la porte.
« - Hiiiiii ! » entendit-il hurler au coin de la rue. Il se tourna vivement et vit une petite fille qui le regardait accompagnée de sa mère. « Un lion ! Hihihi ! s'écriait celle-ci, hilare.
- Grrrraou ! » rugit le marchand de masque.
- Bonjour ! lui lança la mère, ravie.
- Bonjour madame. » répondit le marchand de masque d'une voix de petit garçon.

Il continua sa route en saluant les habitants qu'il croisait. Ici on le voyait comme un ours polaire, là comme la joie pure et partout les gens étaient contents de le voir ! Il déambula ainsi toute la matinée.
Il finit par arriver à la place du marché aux alentours de midi. Son estomac commençait à se creuser et il s'arrêta devant un étal d'Astoks.
« - Oh bonjour ! s'exclama le vendeur. Je vous ai pris pour mon fils, il y a longtemps que je ne l'ai pas vu. Je peux vous offrir un Astok pour votre déjeuner ?
- Volontiers ! répondit le (petit) marchand de masque. Je vous remercie.
- C'est moi qui vous remercie ! »
Le (petit) marchand de masque reprit sa ballade en dégustant son Astok (un noir, son préféré).
« - Ahhh ! Une pieuvre qui mange un Astok ! » s'écria un enfant derrière lui. Notre protagoniste, du haut de sa conscience professionnelle, se retourna en agitant ses mains et en bavant à moitié son repas, à défaut de pouvoir imiter le cri de la pieuvre. L'enfant éclata de rire et s'enfuit jusque dans les jambes de son père.

Le (petit) marchand de masque salua encore quelques personnes au marché puis, quand il estima qu'il avait rencontré presque tout le monde, reprit le chemin de sa maison. L'après-midi, il s'isolait dans son atelier. Il s'inspirait de ses rencontres quotidiennes pour fabriquer de nouveaux masques. Ainsi, en cet après-midi particulièrement banal, il fabriqua un masque de pieuvre et un autre représentant le fils du marchand d'Astoks.

Mais en cette journée particulièrement banale mais légèrement unique vers la fin (qui approche), une pensée se fraya un chemin dans l'esprit de notre (petit) marchand de masque. Alors qu'il finissait de fabriquer le second masque, il se demanda soudain à quoi pouvait ressembler son propre masque. Ce masque que tout le monde semblait apprécier. Et puisqu'il ne sortait jamais sans, tout le monde le connaissait sous cette apparence. Un sentiment mêlé de jalousie et de curiosité s'empara de notre (petit) marchand de masque ; ce n'était pas lui que tout le monde appréciait, c'était son masque.

Il rangea soigneusement ses outils et se dirigea d'un pas hésitant vers la salle de bain (le seul endroit où il pourrait trouver un miroir). Arrivé à l'entrée de la pièce, il se figea. Ses pensées tournaient à toute allure. Il essaya de les organiser, en vain. Cependant, une chose était sûre : il aurait la réponse à toutes ces questions quand il verrait son reflet. Il reprit son chemin d'un pas décidé et alla se planter devant le miroir, son masque sur la tête. Il resta plusieurs minutes à se dévisager, puis finit par s'éloigner, partagé entre surprise, perplexité et déception.

Ce qu'il vit dans la glace ce jour-là le changea à jamais.

Il alla se coucher directement et sans diner, la tête emplie de milliers de questions et d'une seule image. Il savait enfin ce que représentait son masque. Sa curiosité rassasiée et sa jalousie étouffée, il s'endormit comme une souche.

Dans la nuit, il rêva plusieurs fois du moment où il posa les yeux sur le miroir. Dans ses rêves, son masque représentait chaque fois quelque chose de différent, mais maintenant il connaissait sa vraie apparence car ce qu'il vit dans la glace ce jour-là n'était autre que son propre visage.

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