Le petit souffleur de bulles

Bernard Delzons

Quand on s’amusait de choses simples

Le petit souffleur de bulles :

 

C'est un dimanche matin de juin, dans un petit village de l'Ardèche. Huit heures viennent de sonner au clocher de l'église. Devant la porte qu'il vient d'ouvrir, le prêtre jète un regard sur l'extérieur et adresse un salut de la main au cafetier qui installe les tables devant son bar. 

 

Ces deux-là, ne sont pas vraiment intimes, on pourrait même dire qu'ils sont concurrents le dimanche, chacun cherchant à attirer les gens du village dans son domaine. Il y a déjà un homme installé à une table qui lit son journal, devant lui, une tasse de café et un croissant. Il ne doit pas être seul, car il y a une autre tasse, plus grande, transparente qui laisse penser qu'elle contenait du chocolat.

Un peu plus loin, faisant face aux deux autres édifices, il y a l'épicerie du village, la porte est entre-ouverte. Un chat noir avec le bout des pattes blanc, assis, se lèche précautionneusement pour éliminer les saletés de ses rondes nocturnes.

 

Enfin, il y a le boulanger, il vient de sortir pour installer une étale sur laquelle il va déposer ses pains tous chauds, comme il le fait chaque dimanche. Il a encore son vêtement de travail veste et pantalon blanc, et un petit calot sur la tête.

 

Au centre de la place, il y a une fontaine, qui chante lorsque l'eau retombe dans le bassin. Un chien s'en approche pour boire. Assis sur la margelle, un jeune garçon le regarde. Il sort de sa sacoche un drôle de petit instrument. C'est un tube fermé. Il l'ouvre et on peut voir attaché au bouchon une tige se terminant par un cercle grumeleux. 

 

Le garçonnet plonge son mystérieux objet dans la fontaine après y avoir introduit un tout aussi mystérieux liquide. Aussitôt ressorti, l'enfant souffle sur le petit cercle. Immédiatement une succession de petites boules s'en échappent. Le jeune garçon les regarde s'envoler. Il se rend alors compte que le chien s'agite. Il décide aussitôt de jouer avec lui. Il s'approche et crée de nouvelles bulles. Le chien aboie, puis essaye de les attraper, en vain, elles ont déjà disparu. Le garçon recommence, et le chien s'énerve et saute sur le garçon et le fait tomber dans la flaque devant la fontaine.

 

Émile, c'est son prénom, est contrarié, il a son costume du dimanche, une petite veste et un pantalon court, sa mère va l'enguirlander quand elle va venir le récupérer pour l'emmener à la messe dans l'église. C'est comme ça tous les dimanches, avec son père, ils partent en avance pour boire quelque chose au café et sa mère le traine ensuite à l'église.

 

Le chien continue d'aboyer, si bien que se crée un attroupement pour comprendre ce qui se passe. Le cafetier parle avec le père de l'enfant, bientôt rejoint par le boulanger. Une femme sort de l'épicerie et se dirige vers le garçon, avant qu'il ait eu le temps de se protéger, elle lui administre une bonne gifle. Le curé s'approche pour calmer tout le monde et il reçoit sur le visage une des bulles qu'Émile s'est remis à fabriquer.

 

Furieux, le prêtre rentre dans l'église et avec un peu d'avance il fait sonner les cloches pour appeler les fidèles à la prière. Les tables du bistro se sont remplies, c'est trop tôt pour l'apéritif, mais même s'il y a encore des cafés on aperçoit ici ou là des petits verres de blanc.

 

La place se remplit, on papote, les uns font leur course du dimanche, d'autres commentent les dernières décisions du gouvernement, les femmes et les enfants entrent dans l'église. 

 

Une dernière fois avant de disparaitre à l'intérieur, Émile se retourne et lance une belle série de grosses bulles qui scintillent dans les rayons du soleil. Cette fois c'est une tourniole du père qui le remet dans le droit chemin. 

 

Le boulanger a vu la scène, et se rappelant sa propre enfance, il met de côté un pain au chocolat qu'il lui donnera quand il ressortira. Pour ne vexer personne, il fait toujours deux piles distinctes, l'une pour les pains au chocolat, une autre pour les chocolatines, ici on est à la frontière de deux mondes, il ne faudrait prendre le risque de perdre des clients. Ceux de l'église lui achètent des religieuses, ceux du café préfèrent les conversations.

 

 

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