Le peuple mystérieux ds gros

campusliber

Le peuple mystérieux des gros hante la ville de ses rondeurs soyeuses.

Il gomme les angles vifs de l'agression urbaine, il coupe de son volume les traits de l'architecte engoncé dans la rectitude de ses droites de béton. Il épouse la meulière contrainte au parallélépipède par le pic forcené du tailleur opiniâtre, caresse ses éclats glacés, l'oint de son gras et la fait sourire.

Le peuple mystérieux des gros domestique la ville. Sans cesse il se bat, et sans cesse il vainc, en douceur mais rondement.

Il dompte la chaise rétive à l'accueillir, il mate le tourniquet sournois, circonvient le portillon qui soudain bée, libéré du foutriquet entrebâillement auquel le condamnaient des gonds soumis aux normes.

Il dédaigne le frontispice des ascenseurs hostiles, où, aere perennius, se grave dans l'inox la menace de son pesant destin : cap. 3 pers. / 210 kg.

Et alors il pense hommes 40, chevaux en long 8.

Des maigres haineux se collent aux parois de la cabine où, nonobstant, il s'engouffre.

Le sol tremble, les câbles gémissent, le moteur patine, les maigres halètent. L'ascenseur s'ébranle, le gros ne s'émeut point. Il est, densément, calme et tranquille, tandis que chuinte le blues de l'hydraulique surmenée.

Le peuple mystérieux des gros entre partout, il est chez lui. Il se fait annoncer en projetant son ombre, plus épaisse et plus lourde à elle seule que la chair de maint fluet. Tout à coup il occupe l'espace, rend le reste petit, fragile. Il entoure d'un vent puissant ses gestes enveloppants, il est la grâce même, son mouvement balaie sans blesser les velléités de résistance des anguleux anonymes.

Il installe plus que lui-même, il englobe l'univers de sa bonté.

Le peuple mystérieux des gros est exquis, bien urbain, fort civil. Il est invite à la volupté. Il aime le monde. Il est aimable.

Il vêt d'amples et confortables atours, et sous les yeux étonnés des badauds prévisibles, s'attable en montre à quelque restaurant, y occupe la cène : je prends et je bois, car ceci est votre sang ; je prends et je mange, car ceci est votre corps.

Le peuple mystérieux des gros se nourrit de vos humeurs, de vos refus, de vos intolérances. Il les avale, les digère, tapote les commissures de ses lèvres d'une vaste serviette, et feule un rot puissant qui renvoie aux tréfonds de votre âme les effluves apaisants de sa sérénité.

Le peuple mystérieux des gros veille sur la cité : dormez, maigres gens…

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