Le Photographe
Alex Bernard
La photographie était sa passion. En noir et blanc exclusivement. Il aimait particulièrement cadrer, choisir son angle de prise de vue. Il photographiait des paysages, des bâtiments anciens ou modernes, des éléments architecturaux, de pierre, de béton ou encore métalliques.
Ensuite tel un bénédictin, il passait des heures à traiter ses images sur son ordinateur, éventuellement recadrer, redresser, assombrir les noirs, obscurcir, lisser, polir presque.
Il n'aimait pas voir des gens, des êtres humains sur ses photos. En fait il avait même horreur de ça. Donc parfois il cadrait immobile une place ou un bâtiment, en attendant durant de longues minutes de patience agacée, le doigt sur le déclencheur, que les gens cessent enfin de passer dans le cadre. Selon les endroits et l'heure il n'y en avait pas trop donc ça allait. Parfois en revanche c'était impossible, c'était à croire que ces crétins faisaient exprès de venir polluer sa photo de leur présence non seulement dénuée du moindre intérêt, mais agressivement toxique pour son cliché.
Dans ce genre de cas, il se résolvait finalement à presser le déclencheur malgré la présence de quelques' uns de ces imbéciles. Bien sûr il attendait qu'il y en aie le moins possible dans le cadre avant de shooter.
Le temps qu'il devait consacrer à nettoyer ses photos de ces intrus lui paraissait interminable, il avait horreur de faire ça, c'était long, ennuyeux et rébarbatif au possible. En plus il maitrisait assez mal ce genre de bricolage informatique. Mais avec le temps, il fit de réels progrès. Il copiait une portion de photo pour la recoller à l'endroit ou il y avait des humains. Il zoomait sur sa photo quasi au maximum pour faire cela de manière à ce que cela soit le moins visible possible au résultat final. Il estompait les lignes de coupe trop nettes, il peaufinait, lissait, polissait pleinement.
A force il prit même goût à cette opération. Effacer, faire disparaitre toute présence humaine de ses photos était devenu un véritable plaisir. Oui, étonnamment il aimait le faire et il le faisait de mieux en mieux. Effacer tous ces connards lui procurait une véritable jouissance et le temps passé à le faire ne comptait plus.
Mieux encore depuis quelques temps, il s'était mis à prendre volontairement des photos avec des gens dans le cadre pour pouvoir ensuite jouir de les effacer. A un tel point que ses photos étaient devenues sans intérêt. Il ne cadrait plus avec le même but, l'angle n'avait plus d'importance, sa passion n'était plus la photo. Ce qu'il voulait c'est des gens, encore plus de gens, pour pouvoir les dissoudre, les anéantir virtuellement en traitant ses images à l'ordinateur; il effaçait ces abrutis un par un. Eux, leurs femmes, leurs gosses, leurs poussettes, leurs sac à dos posés sur l'escalier, leurs silhouettes ou reflets dans une vitrine, leurs bagnoles, leurs camionnettes, leurs motos, tout; il effaçait tout. Les grands, les petits, les beaux, les moches, les noirs, les blancs, tout le monde y passait sans discrimination aucune.
Mais au bout de quelques mois, il se lassa. Il se rendait bien compte de l'inutilité, de la futilité de sa démarche puisque malgré leur effacement d'une photo, ces idiots existaient toujours dans le monde réel.
C'est en se disant qu'il était primordial de cesser d'être ainsi déconnecté de la réalité qu'il poussa la porte de l'armurier de la ville.
de vous lire* (excusez ma familiarité )
· Il y a plus de 9 ans ·lunya
Hello,
· Il y a plus de 9 ans ·grand merci pour ton message, pas de problème pour le tu.
Merci pour tes commentaires, oui la fin est l'aboutissement sordide d'une logique délirante.
Et j'aime les histoires qui finissent mal, ne sont - elles pas celles qui ressemblent le plus à la vraie vie? ;-)
Amicalement,
Alex
Alex Bernard
Très certainement, oui! "cette logique délirante" semble être bien inscrite dans notre société...
· Il y a plus de 9 ans ·Bonne journée & bonne continuation,
au plaisir de te lire.
Mathilde
lunya
C'est un plaisir de te lire, j'aime le déroulement du récit et le sujet choisis. Le tragique qui en découle est poétique bien que sordide.
· Il y a plus de 9 ans ·Bonne continuation
lunya
pour faire cela de manière à ce que cela soit le moins visible( cela c'est presque du charabia,)
· Il y a plus de 9 ans ·elisabetha
Merci pour votre commentaire et vos compliments, c'est très sympa de votre part et cela me touche.
· Il y a plus de 9 ans ·Comme vous le savez certainement, s'agissant d'un personnage de fiction, c'est son ressenti qui est exprimé.
Le but n'est pas de fournir un récit expurgé et poli, mais de faire ressentir ce que le personnage pense, sa manière de voir les choses même en utilisant des "gros mots". (Hé oui...)
La littérature foisonne de ce genre de termes et de bien plus colorés, vous le savez certainement.
Je trouve également dommage que cela semble vous échapper et que cela nuise à votre plaisir de lecture.
Amicalement,
Alex
Alex Bernard
c'est bien amené, dommage qu'il n'y a pas de recherche sur le vocabulaire, vous en lèveriez tous les connards et autres, ce serait carrément super. La façon dont vous parlez des photos est très touchante. On sent un grand amour du travail bien fait.
· Il y a plus de 9 ans ·elisabetha
c'est bizarre, les hommes ne supportent pas les critiques. Si vous aimez qu'on vous dise c'est parfait, grand bien vous fasse. Allez lire les romans de Phillipe Besson, vous comprendrez mieux mon commentaire.
· Il y a plus de 9 ans ·elisabetha
"Les hommes ne supportent pas," ?
· Il y a plus de 9 ans ·Par pitié Mademoiselle, ne soyez pas sexiste par dessus le marché.
Vous êtes libre de vos critiques comme moi de mes réponses à celle-ci n'est-il pas?
Lisez donc Charles Bukowski, vivez encore quelques années pour atteindre mon âge et peut-être qui sait...
Alex Bernard