Le poème de la vie (1ère partie)
Emmanuel Rastouil
Et de nouveau l'Eden, sur mon esprit crédule
Étale son onguent fait de vie et d'espoir.
Je le serre en mon cœur, parfois le dissimule
Comme un faisceau brillant éclaire dans le noir.
Je le vois, je l'entends (ma longue impatience),
Lorsqu'il sera venu, ferai-je encore des vers ?
Aurai-je encore besoin d'exercer la science
Quand la bonté de Dieu couvrira l'univers ?
Je vois déjà le loup et l'agneau côte à côte,
L'enfant posant sa main sur le trou des serpents, 10
La justice et l'amour régnant partout sans faute
Et nul ne profitant de l'autre à ses dépens...
Pourtant le jugement s'approche de la ville
Qui ne se souvient plus de son puissant rocher,
On prédit une fin soudaine et difficile
Au moment de punir, et sa peine épancher.
Arroser chaque jour, voir pousser la semence
Sans pour autant le soir en ramasser le fruit,
C'est le poids du pêché, d'une douleur immense
Qui force le déclin... Et le rêve s'enfuit ! 20
Par quel enchantement autre que la justice
Et la soumission au divin Créateur
Verrai-je dessiné, par-delà l'armistice
Une paix consentie à chaque serviteur ?
Dire que la plupart des citoyens de France
Passent la tête haute épris de liberté
Certains que leur bonheur est une conséquence
Arrachée au prix fort de sang et de fierté !
C'est une tromperie ! Et j'en veux vous soustraire
Du mieux que je le peux ! Car, qu'on le veuille ou non, 30
On sert son propre maître autant que peut le faire
Celui qui veut choisir entre vie et renom!
Le ciel est un miroir qui reflète le monde
Il est vide au travers de la chair et du sang,
Du poids de nos pêchés comme un volcan qui gronde
Prêt à cracher son feu, toujours plus menaçant.
Même en levant les yeux, mais que pouvons-nous faire ?
Nous sommes si petits ! Immondes vermisseaux
A qui l'on a donné de suivre la lumière,
Nous allons dans le trou par les mêmes ruisseaux ! 40
Mais à quoi bon verser sur les tourments de l'homme ?
Il est assez conscient du moindre de ses choix!
Je ne changerai rien du destin de Sodome
En écrivant des vers ou en haussant la voix...
Vois cet hymne innocent comme un bébé vient naître
Et crier sa douleur dans un déchirement.
Sa vie et son destin, nul ne peut les connaître,
Ni l'heure de sa mort, l'endroit et le moment.
Alors, mes chers amis qui me lisez encore
(Oui, le début était un peu lourd de chagrins 50
Pour chasser le badaud qui, machinal, déplore
Le poème mystique et les alexandrins !)
Ne parlons que du beau des élans de nos vies,
Contentons-nous d'aimer, effleurons de la main
La flamme de nos sens, nos rêves, nos envies,
Ils sauront nous mener vers un beau lendemain!
Si je ferme les yeux, j'aperçois le visage
De l'amour. N'est-il pas le socle sur lequel
Nous devrions bâtir un futur de partage ?
Je l'ai lu dans tes yeux. Je l'ai vu dans le ciel. 60
Puis je l'ai entendu dans le lit des fontaines,
Dans le renoncement de mes tentations,
Dans le feu du soleil qui maltraite les plaines,
Dans le cœur de la nuit et de ses passions.
Comme un jeune exalté, j'ai tenté de te suivre
Dans la trace des pas que tu daignais laisser,
Dans les festins des rois et leur vin qui m'enivre
Au soir de tes honneurs, à rire et à danser.
Tu étais le premier, Amour, tu nous obliges
A rendre le meilleur que nous pouvons donner, 70
Sans que toutes les lois, les valeurs que tu figes,
Ne puissent garantir, un jour, de pardonner.
On connait le pardon, c'est un cadeau bien rare
Qui se refuse à nous quand s'attache à nos cœurs,
Comme chape de plomb qui lentement s'amarre,
La réserve de fiel nommée aussi rancœur.
Alors on cherche encore un salut pour nos âmes,
Et l'on voudrait qu'Amour assèche nos chagrins
D'un baiser de sa lèvre, et qu'aussitôt les drames
Qui nous serraient le cœur s'enfuient dans nos quatrains. 80
Mais, qui l'a vu vraiment ? Et qui peut le connaître ?
Qui pourra le montrer et dire "Le voilà!" ?
Qui verra la matrice ? Et quel œil l'a vu naître ?
Où donc est sa maison ? Sur terre ? Dans l'au-delà ?
Tu es partout, Amour, mais nul ne te gouverne !
Libre de parcourir, libre de te lover
Dans les champs et les bois, au fond d'une caverne,
Et piquer l'innocent qui se prend à rêver.
L'innocent, c'est bien moi ! Et plutôt deux fois qu'une !
Mais bien mieux qu'innocent, je suis plutôt naïf, 90
L'esprit en embuscade et le cœur dans la lune,
J'écris des vers rimés dont je suis le captif.
Et si nul ne me suis, je tiens vivant mon rêve,
Une corde solide avec ma foi mêlés,
Plus le temps s'évapore et plus le prix s'élève,
Je voudrais les brandir sur des déserts brûlés.
Je vis comme un soldat éloigné de sa femme,
Que le feu du hasard n'a pas encore vaincu,
A peine mon talon a souffert d'une lame,
Par la bonté de Dieu, mon cœur a survécu. 100