Le poisson rouge le plus savant du monde

Aussi peu, aussi vieux, aussi rouge soit-il. Voilà l'histoire du poisson rouge le plus savant du monde. Il était né quelque part entre une étoile de mer orangée et un poisson clown ayant des tendances cannibales.
Bien heureusement, les papilles de notre clown ne supportant que les choses drôles, épargnèrent notre héros, qui affichait constamment une mine triste. Il est vrai qu'il n'avait pas été gâté par la vie. Voyez-vous, il se trouve que quelques jours après sa venue au monde ses parents montèrent au ciel. Bébé poisson se rendit vite compte que cela faisait partie des choses de la vie.
Il remarqua aussi qu'au fil du temps « monter au ciel » devenait l'activité favorite de son aquarium. Tant et si bien qu'un beau jour il ne lui resta qu'en guise de compagnie la coquille d'un bernard l'hermite qui avait déserté depuis belle lurette. «  Monter au ciel » avait eu malheureusement raison de l'étoile de mer orangée et du clown cannibale.
Seul, démuni, rouge et abandonné de tous, le poisson se mit à penser.  « Faut-il donc être pauvre sous tous les angles pour se rendre compte que notre unique richesse reste notre tête ? Notre tête qui même égarée, n'est jamais totalement perdue. »
Et voilà comment notre héros devint savant. Simplement parce qu'il fut le premier à émettre une pensée. Subitement intelligent, il décida de mourir et se mit à flotter à la surface de l'eau. Et c'est ainsi que notre poisson, ayant longuement observé ses pairs agir de la sorte, attendit de « monter au ciel ».
Il attendit. Il attendit à en suffoquer… Alors qu'il croyait entendre son dernier hoquet d'agonie, quelque chose d'immense descendit vers lui. Une main. Une main qui le recueillit.
C'était fait, il s'élevait. Loin de ne pas se tenir tranquille, il se montra docile. Sans doute était-il apaisé par l'idée que les siens, il allait retrouver. Tout heureux qu'il se trouvait… Oh, malheur ! Il n'avait pas remarqué que dans une gamelle d'eau poisseuse il tombait. L'euphorie retombait et la panique en profitait pour le gagner. Notre poisson rouge avait raison d'avoir peur car non loin de là, à pas de loup, un chat se rapprochait. La joie prématurée du poisson rouge disparut aussi vite que naissait l'étincelle de cruauté dans les prunelles du félin. En effet, voyant notre héros se tortiller, le chat fut soudain animé par l'envie de jouer.
Il s'empressa donc de vider -armé de sa langue râpeuse et mue par un élan sadique- toute l'eau que sa gamelle contenait. Cela fait, c'est avec un plaisir malsain qu'il contemplait notre poisson rouge s'égosiller. Il est bien connu que les animaux ne sont pas dotés de la parole et il est donc inutile d'ajouter  que c'est en silence que la bouche du poisson s'affairait. Nul son n'en sortait.
Transcendant la scène, le poisson émit une seconde pensée : «  Dans l'espoir que toute douleur cesse : s'exprimer. »
Seul, en proie au trépas, rouge et abandonné de tous, le poisson se mit à parler.